La lettre juridique n°265 du 21 juin 2007 : Contrats et obligations

[Jurisprudence] La fausseté partielle de la cause ne peut entraîner, dans un contrat synallagmatique, la réduction de l'obligation

Réf. : Cass. civ. 1, 31 mai 2007, n° 05-21.316, M. Alain Maldjian, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A5510DWY)

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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit

le 07 Octobre 2010

L'article 1131 du Code civil (N° Lexbase : L1231AB9), aux termes duquel "l'obligation sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet", assimile à la cause inexistante la fausse cause. Encore faut-il remarquer que les deux notions ne se superposent pas exactement en ce que la fausse cause renvoie, certes, à une absence, totale ou partielle, de cause, mais se caractérise, aussi, par le fait que vient se greffer sur celle-ci un vice du consentement, le plus souvent une erreur : le cocontractant croyait que la cause existait alors qu'elle n'existait pas. Autrement dit, l'absence de cause se double d'une erreur sur son existence, ce qui renvoie, pour reprendre une formule du doyen Carbonnier, à une appréciation de l'absence de cause "à travers la psychologie du débiteur" (1). A l'heure où des codifications européennes ébauchent des modèles de droit des contrats sans aucune référence à la théorie de la cause, un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 31 mai dernier, à paraître au Bulletin, reproduit sur le site de la Cour et annoncé comme devant figurer dans son prochain Rapport annuel, traitant de la cause, et plus précisément de la fausse cause, qui plus est partielle, mérite une attention toute particulière. En l'espèce, des époux avaient accepté de céder au prix de un franc les actions qu'ils possédaient dans le capital d'une société DTP, ce prix ayant été déterminé au vu de la situation comptable de cette société et en tenant compte de l'abandon, par le mari cédant, d'une somme de son compte courant dont il était précisé qu'il s'élevait alors à plus de 1 700 000 francs (environ 259 153,32 euros), le cédant devant, par acte séparé, céder au cessionnaire, moyennant le prix de un franc, la moitié de sa créance sur la société, soit 850 000 francs (environ 129 581,66 euros). Un peu moins d'un an plus tard, les époux ont, par acte notarié, cédé au cessionnaire les actions d'une autre société et le compte courant qu'ils détenaient dans les comptes de celle-ci ainsi que leurs actions de la société DTP et le compte courant d'associé du mari sans cette société, moyennant la constitution d'une rente viagère de 24 000 francs (environ 3 658,77 euros) par an. Or, la difficulté est venue du fait qu'il est résulté d'attestations de l'expert comptable et du commissaire aux comptes de la société DTP que le montant du compte courant du cédant dans les comptes de la société DTP s'élevait seulement à environ 555 000 francs (environ 84 609,20 euros) au jour du premier acte passé entre les parties. Dans ces conditions, le cessionnaire a assigné les époux cédants en sollicitant la réduction du prix de cession.

Débouté par les premiers juges, le pourvoi faisait valoir, devant la Cour de cassation, que dans un contrat synallagmatique, la cause de l'obligation d'une partie réside dans l'objet de l'obligation de l'autre, sa fausseté partielle donnant lieu à la réduction de ladite obligation à la mesure de la fraction subsistante, de telle sorte que, en décidant qu'il n'y avait pas lieu ici à réduction du prix, la cour d'appel avait violé l'article 1131 du Code civil.

Le pourvoi est, cependant, rejeté, la Haute juridiction affirmant, dans un attendu de principe, que "dans un contrat synallagmatique, la fausseté partielle de la cause ne peut entraîner la réduction de l'obligation".

Incontestablement, l'arrêt est d'une grande importance, comme en témoigne au demeurant, on l'a déjà relevé, la très large diffusion qu'a entendu en faire la Cour de cassation. Il s'agit de bien en saisir la portée.

Pour cela, il importe de rappeler qu'un arrêt de la même première chambre civile du 11 mars 2003 avait décidé que "la fausseté partielle de la cause n'entraîne pas l'annulation de l'obligation, mais sa réduction à la mesure de la fraction subsistante" (2). Manifestement, le pourvoi s'en était directement inspiré. Faut-il, dès lors, voir dans l'arrêt du 31 mai dernier, qui rejette le pourvoi, un revirement de jurisprudence ? Nous ne le pensons pas. L'arrêt du 11 mars 2003 précité concernait, en effet, une reconnaissance de dette, autrement dit un acte unilatéral et non pas un contrat. Comme l'a justement relevé une partie de la doctrine, l'acte litigieux n'avait ainsi pas pour objet un échange des prestations, mais bien plutôt la reconnaissance d'une dette antérieure, dont le montant était objectivement déterminé ou déterminable en dehors de la volonté des parties. Aussi bien, une fois fixé, au moyen d'une expertise, le montant de la somme réellement due, il devenait naturel de ne pas imposer le paiement d'une reconnaissance de dette d'un montant plus élevé. La réduction à la somme effectivement due est bien alors, dans ces circonstances, la sanction appropriée (3). Au reste, cette solution pouvait se recommander d'une tradition ancienne, remontant au droit romain, selon laquelle l'engagement de rembourser davantage que la somme effectivement remise donne lieu à réduction au montant de celle-ci (4).

Différente est, en revanche, l'espèce ayant donné lieu à l'arrêt du 31 mai 2007 : il s'agissait, cette fois, d'un contrat synallagmatique. Or, la jurisprudence atteste dans son ensemble de ce que, dans cette hypothèse, l'absence partielle de cause ne peut servir de fondement généralisé à un contrôle de l'équivalence des prestations échangées (5), et ce afin de ne pas renverser le refus de sanction de la lésion qui demeure, en droit français, un principe. Aussi bien ce que l'absence partielle de cause ne peut pas réaliser -encore que, il est vrai, quelques arrêts ont pu paraître assouplir cette tendance en tentant de faire de la cause un instrument de justice contractuelle-, la fausseté partielle de cause ne saurait-elle davantage le faire. L'arrêt du 31 mai dernier aura au moins le mérite de clarifier la situation : la solution de l'arrêt du 11 mars 2003 ne vaut donc que pour le seul domaine qui est le sien, à savoir celui des engagements unilatéraux et, plus précisément, des reconnaissances de dettes.



(1) J. Carbonnier, Droit civil, Les obligations, 20ème éd., n° 58, p. 118.
(2) Cass. civ. 1, 11 mars 2003, n° 99-12.628, M. Jean-Yves Dagnaud c/ Charlotte Leparoux, veuve Dagnaud, FS-P (N° Lexbase : A4281A7P), Bull. civ. I, n° 67, JCP éd. G, 2003, I, 142, obs. J. Rochfeld, RTDCiv. 2003, p. 287, obs. J. Mestre et B. Fages.
(3) Voir not. l'analyse approfondie de J. Ghestin, Cause de l'engagement et validité du contrat, LGDJ, 2006, n° 1144 et s., spéc. n° 1157, p. 752.
(4) J. Ghestin, op. cit., n° 16.
(5) Voir not. F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, Précis Dalloz, 9ème éd., 2005, n° 354, et les références citées.

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