La lettre juridique n°265 du 21 juin 2007 : Contrats et obligations

[Evénement] Le pacte de préférence après le 26 mai 2006

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par Vincent Téchené, SGR - Droit des affaires

le 07 Octobre 2010

Le pacte de préférence est "la convention par laquelle une personne s'engage, pour le cas où elle se déciderait à vendre un bien (ce n'est pas une promesse ferme de vente) à l'offrir d'abord, aux conditions proposées par un tiers (ou à des conditions prédéterminées) au bénéficiaire du pacte, lequel jouit ainsi, pour se porter acquéreur d'un droit de préemption" (G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, 8ème éd.). Cet avant-contrat est souvent rapproché de la promesse unilatérale de vente mais se différencie de celle-ci. En effet, cette dernière se définit comme un accord de volontés par lequel une personne s'engage immédiatement envers une autre à lui vendre un bien déterminé, dans des conditions déterminées, le bénéficiaire restant libre de ne pas conclure ou de conclure en levant l'option dans le délai. Alors que dans la promesse unilatérale de vente, le promettant s'engage à céder le bien, objet du contrat, dans le pacte de préférence, le promettant s'engage seulement à proposer en priorité le bien, objet du contrat, à une personne déterminée, au cas où il déciderait de le céder.
Il convient de préciser que le pacte de préférence ne concerne pas seulement la vente (il peut, par exemple, porter sur un bail), bien que ce soit le domaine dans lequel on le rencontre le plus souvent en pratique. Pour faire le point sur cette technique contractuelle et, notamment, sur les dernières évolutions jurisprudentielles en la matière, l'association du Master 2 recherche de Droit patrimonial approfondi de l'Université Panthéon-Sorbonne, Paris 1, a organisé, dans le cadre des rencontres "pratique-doctrine", un colloque ayant pour thème "la technique contractuelle" durant lequel ont été abordés le pacte de préférence et les clauses limitatives de responsabilité.

Au cours de cette conférence, sont intervenus Philippe Delebecque, Professeur à l'Université Panthéon-Sorbonne (Paris 1), Laurent Aynès, Professeur à l'Université Panthéon-Sorbonne (Paris 1), Philippe Stoffel-Munck, Professeur à l'Université Panthéon-Sorbonne (Paris 1), Maître Reinhard Dammann, Avocat associé, White & Case LLP, Maître Ran Hamou, avocat associé, LSK & associés, Maître Pierre François, avocat, Leboeuf, Lamb, Greene & Macrae LLP.

Lexbase Hebdo a assisté à cette manifestation et a choisi de vous rapporter les propos qui se sont tenus sur le premier de ces thèmes et, plus particulièrement, les interventions de M. Philippe Stoffel-Munck sur "le pacte de préférence en droit civil" et de Maître Ran Hamou, sur "le pacte de préférence en droit des sociétés ou plus précisément les pactes d'actionnaires".

I Le pacte de préférence en droit civil

Le régime juridique du pacte de préférence a connu une évolution notable avec le revirement opéré par la Cour de cassation dans son arrêt de Chambre mixte rendu le 26 mai 2006 (Cass. mixte, 26 mai 2006, n° 03-19.376, FP+B+R+I N° Lexbase : A7227DPD) qui soulève, selon le professeur Stoffel-Munck, plusieurs interrogations. En effet, outre celle relative au fondement même de la décision, la solution conduit à se poser trois questions :
- celle de la nature du droit que fait naître le pacte ;
- celle de l'opposabilité du pacte ;
- celle de la mise en oeuvre du pacte.

A - La sanction du pacte de préférence : le revirement du 26 mai 2006

Le régime juridique du pacte de préférence est fixé par la jurisprudence. D'ailleurs, les arrêts de la Cour de cassation sur le sujet ont donné lieu à de nombreux débats doctrinaux, notamment, s'agissant de la sanction de l'inexécution de son obligation par le promettant. En théorie, trois sanctions peuvent être envisagées :
- l'allocation de dommages-intérêts, si l'on part du postulat que le pacte de préférence met à la charge du promettant une obligation de faire, laquelle ne se résout que par l'allocation de dommages-intérêts au bénéficiaire dont le préjudice réside dans la perte de la chance de voir le contrat se réaliser ;
- l'annulation pure et simple du pacte ;
- la substitution du bénéficiaire dans les droits du tiers acquéreur.

Sur ce point, la Cour de cassation a opéré un important revirement jurisprudentiel dans son arrêt du 26 mai 2006. Antérieurement, la Cour régulatrice, faisant application de l'article 1142 du Code civil (N° Lexbase : L1242ABM), considérait que le promettant qui ne respectait pas son obligation devait indemniser le bénéficiaire du pacte (Cass. civ. 3, 30 avril 1997, n° 95-17.598, Office européen d'investissement et autres c/ Association Médecins du Monde et autre N° Lexbase : A0614ACQ). Elle admettait, en outre, que le bénéficiaire puisse obtenir l'annulation du contrat passé avec un tiers en violation du pacte si la mauvaise foi du tiers acquéreur était rapportée (Cass. civ. 3, 10 février 1999, n° 95-19.217, Mme Morin N° Lexbase : A2641A7X).

Dans son arrêt du 26 mai 2006, la Cour de cassation, réunie en Chambre mixte, a considéré que le bénéficiaire d'un pacte de préférence est en droit d'exiger l'annulation du contrat passé avec un tiers en méconnaissance de ses droits et d'obtenir sa substitution à l'acquéreur, à condition que ce tiers ait eu connaissance, lorsqu'il a contracté, de l'existence du pacte de préférence et de l'intention du bénéficiaire de s'en prévaloir. Une partie de la doctrine s'est, alors, satisfaite de la solution, dans la mesure où elle renforce l'efficacité du pacte et rompt avec l'utilisation, à mauvais escient, de l'article 1142 du Code civil. Elle n'en a pas moins relevé le caractère restrictif de la double condition posée par la Haute juridiction pour que le bénéficiaire obtienne la substitution. D'ailleurs, dans l'arrêt du 26 mai 2006, la Cour de cassation pose, d'abord, le principe de la substitution, mais approuve, ensuite, la cour d'appel, ayant retenu qu'il n'était pas démontré que le tiers acquéreur savait que le bénéficiaire avait l'intention de se prévaloir de son droit de préférence, d'avoir exactement déduit de ce seul motif que la réalisation de la vente ne pouvait être ordonnée au profit de la bénéficiaire du pacte.

Toutefois, le 14 février 2007, la Cour de cassation devait reconnaître la substitution du bénéficiaire dans les droits du tiers acquéreur (Cass. civ. 3, 14 février 2007, n° 05-21.814, Société civile immobilière (SCI) Serp, FS-P+B N° Lexbase : A2160DUK).

En l'espèce, un pharmacien avait fait apport à une SELARL de son fonds de commerce de pharmacie et du bail commercial contenant, au profit de l'apporteur, un pacte de préférence immobilier consenti par la bailleresse, qui a agréé l'apport. L'ayant droit de cette dernière, décédée, a vendu l'immeuble donné à bail à une SCI.
La SELARL, se disant bénéficiaire du pacte de préférence consenti à l'origine au pharmacien apporteur et soutenant que la vente avait été conclue au mépris de ses droits, a assigné la tutrice de l'héritière de la promettante et la SCI en nullité de cette vente.

La Cour de cassation rappelle la possibilité de substitution et les conditions de sa réalisation, puis approuve les juges du fond d'avoir conclu à la nullité du contrat de vente et à la substitution de la SELARL dans les droits de la SCI. Ayant, d'une part, constaté que le pacte de préférence consenti par la bailleresse au preneur dans le bail commercial de mars 1988 avait été transféré à la SELARL, bénéficiaire de la cession de bail, par acte authentique du 14 avril 1998 auquel était intervenue la bailleresse, qui avait déclaré accepter la SELARL aux lieu et place du preneur initial, et, d'autre part, relevé que le gérant de la SCI en avait eu connaissance parce qu'il lui avait été remis un exemplaire du contrat de bail, et que le rapport d'expertise produit aux débats par la SCI mentionnait l'existence d'un pacte de préférence au profit du preneur et que, selon l'acte notarié, il avait eu connaissance du litige judiciaire qui opposait la tutrice de l'héritière de la promettante et la SELARL dont le représentant légal avait, au cours de la procédure, exprimé la volonté d'acquérir l'immeuble, la cour d'appel, qui en a exactement déduit que le pacte de préférence était opposable à la SCI et qui a souverainement retenu, par motifs adoptés, que les parties à l'apport n'avaient cessé de manifester leur volonté de maintenir leurs obligations et droits contenus dans le contrat de bail initial quand bien même le bail avait été renouvelé et que la SELARL s'était substituée au preneur initial, a légalement justifié sa décision.

Pour le Professeur Stoffel-Munck, si l'arrêt de la Cour de cassation, statuant en Chambre mixte, a levé le voile sur la question de la sanction en adoptant une solution opportune, en ce qu'elle donne, notamment, une efficacité plus grande au pacte, le cheminement intellectuel pour arriver à cette solution reste assez mystérieux.

Pour Maître Pierre François, le revirement pourrait s'expliquer par plusieurs raisons, notamment, par le pragmatisme des magistrats qui auraient pris conscience que la position antérieure s'avérait être peu soucieuse des intérêts du bénéficiaire. La reconnaissance de la substitution comme sanction semble s'inscrire, selon lui, dans un mouvement jurisprudentiel qui n'est pas parfait d'un point de vue juridique, mais dont l'objectif est de sanctionner une attitude que l'on sait frauduleuse. La substitution apparaît comme "la meilleure justice à rendre au profit du bénéficiaire".

Cette solution pose, entre autres, la question de savoir si son fondement ne réside pas aussi dans l'impossibilité pour nos juridictions de prononcer des dommages-intérêts punitifs. S'ils le pouvaient, peut-être aurait-on pu éviter cette solution...

Le professeur Laurent Aynès estime, pour sa part, que la question posée par cette décision est de savoir si l'on doit admettre la possibilité d'une formation forcée du contrat. C'est, en effet, ce que suggère l'arrêt du 23 mai 2006. La solution, selon lui, n'est pas si curieuse que ça, elle ne s'explique pas seulement par la fraude et elle peut se défendre. Il y a deux éléments dans un pacte de préférence :
- l'option offerte, c'est-à-dire laisser la possibilité d'acquérir ;
- la levée de l'option, laquelle entraîne la conclusion du contrat.

Ce sont bien ces deux éléments qui sont posés comme condition par l'arrêt de Chambre mixte pour que la substitution s'opère. Il faut, en effet, une double violation : violation du droit d'option et violation de l'intention d'acquérir.

De plus, il estime que cette solution, parce qu'elle préfigure la possibilité d'accepter une formation forcée du contrat, peut annoncer un revirement pour les promesses unilatérales de vente, prospective partagée par le professeur Stoffel-Munck.

B La nature du droit conféré par le pacte de préférence

Avant l'arrêt du 26 mai 2006, plusieurs arrêts exprimaient clairement que le pacte de préférence ne faisait pas naître au profit du bénéficiaire un droit réel. L'abusus restait, alors, entier en la personne du promettant. De façon cohérente, le pacte de préférence conférait un droit personnel (voir, par ex., Cass. civ. 1, 16 juillet 1985, n° 84-13.745, Forquin c/ Bazelaire, Renard N° Lexbase : A5258AAY). L'utilisation de l'article 1142 du Code civil pour sanctionner l'inexécution fautive était, par conséquent, logique.

Or, maintenant que la substitution est possible et que le bénéficiaire peut obtenir la propriété du bien, objet du pacte, contre le consentement du promettant, le pacte l'investit-il d'un droit réel ?

Pour le Professeur Stoffel-Munck, la réponse à cette question doit être négative. Mais, quel est alors le droit personnel dont le bénéficiaire du pacte est investi ?

A minima, l'on doit considérer, selon lui, que le pacte fait naître une préférence en pourparlers, l'objet de ces pourparlers étant de définir les termes futurs du contrat. Dans cette conception minimaliste, la force du droit tiré du pacte est peu importante. Il est, en effet, tout à fait envisageable que le promettant entre en pourparlers sans jamais conclure avec le bénéficiaire, puis conclure avec un tiers, avec lequel il voulait en fait contracter avant d'entrer en pourparlers. Cette solution, comme le relève le professeur Stoffel-Munck, est peu conforme à l'attente du bénéficiaire d'un pacte de préférence.

A maxima, en s'engageant par un pacte de préférence, le promettant gèle son consentement au contrat futur. Cette conception expliquerait alors la solution de la substitution. En effet, dans ce contexte, le tiers acquéreur émet une offre, mais le promettant ne peut pas émettre une acceptation valide, celle-ci n'étant pas disponible.

En outre, le problème évident de cette conception, tel que le souligne le professeur Stoffel-Munck, est le consentement donné "à l'aveugle", puisqu'au moment de la promesse, les co-contractants ne connaissent que la chose et la nature du contrat, mais ignorent le prix et toute autre modalité essentielle. Il apparaît, en effet, assez troublant d'accepter l'idée qu'un consentement puisse être donné "à l'aveugle".

C - L'opposabilité du pacte au tiers acquéreur

S'agissant de l'opposabilité du pacte au tiers acquéreur, le professeur Stoffel-Munck rappelle qu'en matière de droits immobiliers, la solution est connue, puisque le droit de la publicité foncière ne prévoit aucune obligation de publication mais ne l'interdit pas (sur l'absence d'obligation de publication d'un pacte de préférence, voir Cass. civ. 3, 16 mars 1994, n° 91-19.797, Société Morillon-Corvol c/ Société Les Sauts de l'Aigle et autre N° Lexbase : A6553ABC, qui retient que le pacte de préférence, qui s'analyse en une promesse unilatérale conditionnelle, ne constitue pas une restriction au droit de disposer soumise à publicité aux termes de l'article 28, 2° du décret du 4 janvier 1955 N° Lexbase : L8047AIU). La publicité à la conservation des hypothèques assure, par conséquent, la preuve de la connaissance du tiers de l'existence du pacte.

Ce sont donc dans tous les autres domaines que la question de l'opposabilité du pacte de préemption se pose. L'efficacité du pacte repose sur son opposabilité et si certains ont pu douter de la possibilité, en pratique, de rapporter la preuve que le tiers acquéreur a violé le pacte en connaissance de cause, l'arrêt du 14 février 2007 a démontré le contraire, conférant à la nouvelle jurisprudence toute son efficacité.

En pratique, un problème se pose lorsque le pacte de préférence porte sur un bien dont le propriétaire est une société : la promesse s'impose-t-elle aux associés de cette société ?

L'on se trouve face à un risque de violation indirecte du pacte, si les associés de la société vendent leurs parts à un tiers.
Par exemple : la société A (la promettante), exploitant un fonds de commerce, promet de vendre le fonds à une société B. (le bénéficiaire). Les associés de la société A. cèdent leurs parts à un tiers, lequel par l'acquisition de ces parts se retrouve, indirectement, propriétaire du fonds de commerce. La société B. n'est plus, alors, en droit de faire valoir son droit de bénéficiaire du pacte.

L'efficacité du pacte est une fois de plus mise à mal. Il y a peu de jurisprudence sur le sujet, mais, en application de l'article 1165 du Code civil (N° Lexbase : L1267ABK), il semble que rien n'interdise aux associés de céder leurs parts à un tiers.

L'on peut, toutefois, rapprocher cette situation de deux affaires portées devant la Cour de cassation et dans lesquelles la Haute juridiction a affirmé la possibilité pour les actionnaires de céder leurs actions.

La première est l'affaire dite "du Midi libre" du nom du quotidien régional dont le contrôle était en jeu.

En l'espèce, la société du Midi libre comprenait, parmi ses actionnaires, le groupe Hersant et deux autres sociétés. Suspectant M. Hersant de vouloir prendre le contrôle du journal, le conseil d'administration a refusé d'agréer le groupe Hersant comme cessionnaire des actions des deux autres sociétés et a désigné en qualité de cessionnaires de l'ensemble de ces actions un certain nombre d'actionnaires de la société du Journal.
C'est dans ce cadre qu'est né un contentieux opposant les cédants des actions et le groupe Hersant à la société du journal et aux cessionnaires désignés par elle. La société du journal Midi libre demandait que les cessions d'actions litigieuses lui soient déclarées inopposables et que les sociétés cédantes soient exclues de la société, alléguant que se trouve entachée de fraude la cession des actions d'une société qui a pour objet de permettre au cessionnaire d'acquérir le contrôle d'une autre société en échappant, par l'interposition d'une société écran, à l'application d'une clause d'agrément figurant dans les statuts de la société dont le contrôle est convoité.

La Cour de cassation a approuvé la cour d'appel d'avoir rejeté cette demande, retenant, d'une part, que la loi et les statuts de la société du Journal ne prévoient la procédure d'agrément que pour la cession des propres actions d'une société, et non pas pour la cession des parts ou actions composant le capital de ses actionnaires et, d'autre part, que la prise de participation, même majoritaire, dans le capital d'une ou plusieurs sociétés actionnaires d'une autre société ne constitue pas, par elle seule, une fraude ayant pour objet ou pour effet d'éluder des clauses statutaires de cette société, à défaut d'éléments permettant de caractériser cette fraude (Cass. com., 13 décembre 1994, n° 93-11.569, Consorts Bujon et autres c/ Société Etarci et autres N° Lexbase : A4935ACR)

Plus récemment, la Cour de cassation a jugé que la clause de non-concurrence, signée par une société cédante du fonds de commerce dont elle était propriétaire, stipulant que "le vendeur s'interdisait de créer et de faire valoir directement ou indirectement aucun fonds de commerce similaire en tout ou partie à celui vendu comme aussi d'être intéressé, même à titre de simple commanditaire, dans un fonds de cette nature, ou de coopérer de quelque façon que ce soit, directement ou indirectement avec quelque autre partie que ce soit, à la création ou au développement de toute activité en rapport avec le fonds de commerce, objet de la cession", n'était pas opposable au dirigeant de la cédante.
La Chambre commerciale a approuvé la cour d'appel d'avoir retenu que le dirigeant n'était pas partie à l'acte de cession dans lequel était stipulée la clause litigieuse, qu'il n'y était pas visé nommément et qu'il ne l'avait jamais acceptée.

Ces deux décisions, fondées sur le principe de l'effet relatif des contrats, laissent présager l'inopposabilité du pacte de préférence aux associés d'une société promettante. Le professeur Stoffel-Munck, approuvé sur ce point par Maître Pierre François, estime qu'il est fondamental pour les rédacteurs de pacte de préférence de prendre en compte ce risque et conseille, pour l'éviter, de coupler l'engagement d'un contrat interdisant aux actionnaires de céder leurs parts ou de le coupler d'une clause de préférence portant sur les droits sociaux.

Ne pas doubler les pactes de préférence portant sur un fonds de commerce détenu par une personne morale serait malhabile.

La substitution, si elle semble être une bonne chose pour redonner de la force obligatoire à cette convention, pourrait avoir beaucoup de mal à s'opérer en pratique. Ainsi, lorsque le promettant a vendu à un tiers le bien objet du pacte et qu'il a reçu en contrepartie un prix payé pour partie en numéraire et pour une autre partie en droits sociaux ou en titres de sociétés, à l'évidence le bénéficiaire ne pourra pas offrir la même chose en échange. Pourra-t-il, alors, y avoir substitution ? Le doute est permis.

D - La mise en oeuvre du pacte de préférence

Ici, se pose la question de savoir comment le promettant doit exécuter sa promesse pour apparaître de bonne foi ? A ce niveau resurgit évidemment la question de la nature du droit, et donc celle de savoir si l'on doit estimer que le promettant s'engage seulement à engager des pourparlers ou s'il gèle son consentement.

Dans le premier cas, le seul fait de s'engager à informer le bénéficiaire de son intention de vendre suffirait pour que l'on considère qu'il a exécuté son obligation de bonne foi. Le pacte de préférence n'aurait, alors, que très peu d'efficacité, puisqu'il suffirait au promettant de refuser l'offre du bénéficiaire et de se retourner ensuite vers un tiers pour déjouer les contraintes du pacte.

Dans le second cas, au contraire, le promettant serait obligé de s'adresser au bénéficiaire avec une proposition de contrat complète.

Pour connaître réellement la force obligatoire du pacte, il convient de se tourner vers la jurisprudence et étudier comment celle-ci indemnise le bénéficiaire floué. L'évaluation est particulièrement ardue. Cela peut aller jusqu'à la perte des éventuels profits que la conclusion du pacte aurait permis. Toutes ces incertitudes imposent au rédacteur de prévoir de façon très précise les modalités de mise en oeuvre. Le pacte de préférence n'est pas une simple clause mais un véritable contrat très précis sur la mise en oeuvre de la préférence.

II - La préférence et les pactes d'actionnaires

Assurer l'efficacité de la préférence, c'est assurer son exécution forcée. La jurisprudence de la Cour de cassation l'admet, mais sa difficile mise en oeuvre apparaît peu satisfaisante au regard des impératifs de sécurité juridique que commandent certaines opérations complexes. Il s'agit, notamment, du cas, mis en exergue par Maître Ran Hamou, dans lequel un investisseur entre dans une société dans le seul but de réaliser une plus-value en vendant ultérieurement ses actions. L'investisseur doit impérativement maîtriser le sort des actions détenues par les autres actionnaires afin de s'assurer qu'au moment où il désirera vendre ses actions et sortir de la société, un éventuel acquéreur se présentera. Or, il est difficile de vendre une minorité. L'investisseur doit donc s'assurer de pouvoir présenter une majorité de titres à la vente.

Les pactes d'actionnaires vont, par conséquent, contenir certaines clauses qui garantissent à un investisseur une certaine liquidité. Les clauses "types" sont :

- La clause de préemption qui est celle qui ressemble le plus au pacte de préférence puisqu'il s'agit de la clause qui réserve à une catégorie déterminée d'actionnaires -ou à tous les actionnaires- la possibilité d'acheter par priorité toutes les actions dont la cession est envisagée. L'actionnaire cédant doit informer le bénéficiaire de la clause des conditions de la cession envisagée. Le bénéficiaire a, alors, la faculté, dans un délai déterminé, d'acquérir les actions aux mêmes conditions que celles proposées à l'acheteur.

- Les clauses de sortie conjointe, qui sont les plus courantes, puisqu'elles assurent à un minoritaire d'avoir une liquidité. En effet, dans ce cas, si un actionnaire cède ses titres à un tiers, il doit proposer au bénéficiaire de la clause de faire vendre ses actions au prix où il vend les siennes. Dans le même ordre idée, la clause peut garantir à l'investisseur de faire sortir de la société les autres actionnaires s'il décide de céder ses titres.

Or, si ces clauses sont violées, l'investisseur n'a aucun intérêt à investir. La solution retenue par la Cour de cassation est donc, dans une telle situation, insuffisante puisqu'elle ne garantit pas au bénéficiaire l'exécution forcée, à défaut de prouver que le tiers avait connaissance du pacte.

Il convient, par conséquent, de pallier ces insuffisances. La pratique a, ainsi, pris pour habitude d'inclure une partie du pacte dans les statuts. La plupart des grands cabinets d'avocats parisiens y procèdent, aujourd'hui, pour assurer une efficacité plus forte au pacte.

L'efficacité peut aussi être assurée en utilisant la nature même de l'action, surtout dans le cadre des SAS. L'exemple type est de prévoir deux catégories d'actions dans les statuts et de lier la cession de l'une des catégories à l'autre : les actions détenues par X. relèvent de la catégorie A. et les actions détenues par Y. relèvent de la catégorie B.. Les actions A. ne pourront être vendues qu'avec les actions B..

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