La lettre juridique n°265 du 21 juin 2007 : Éditorial

Aristote, Domat, Catala et Ghestin au chevet de la bonne cause !

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N5642BBL

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

le 27 Mars 2014


Posita causa, ponitur effectus. N'en déplaise à Planiol et aux anti-causalistes, la théorie de la cause semble, toujours, avoir de beaux jours devant elle. En effet, face au moyen selon lequel, dans un contrat synallagmatique, la cause de l'obligation d'une partie résiderait dans l'objet de l'obligation de l'autre, et sa fausseté partielle donnerait lieu à la réduction de cette obligation à la mesure de la fraction subsistante, la Cour de cassation vient de rappeler, au visa de l'article 1131 du Code civil, et dans un attendu de principe, que "dans un contrat synallagmatique, la fausseté partielle de la cause ne peut entraîner la réduction de l'obligation", rejetant implicitement toute relativisation du rôle de la cause dans la validité du contrat. Et dans cette formule lapidaire, c'est toute la théorie de la cause objective, chère à Jean Domat, qui est, une nouvelle fois, consacrée par les Hauts magistrats. Dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt évoqué, rendu le 31 mai 2007, il s'agissait bien d'établir le mobile abstrait de l'obligation sans qu'il y ait à tenir compte des raisons personnelles de l'engagement. Le juge n'a donc pas à "sonder les consciences" : l'absence ou la fausseté partielle de cause ne peut servir de fondement généralisé à un contrôle de l'équivalence des prestations échangées. Il s'agit de ne pas renverser le refus de sanction de la lésion qui demeure, en droit français, un principe. Aussi bien ce que l'absence partielle de cause ne peut pas réaliser, la fausseté partielle de cause ne saurait-elle davantage le faire, nous explique, cette semaine, David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit.

En revanche, si la théorie la cause subjective avait prévalu, au cas de l'espèce, le juge aurait rappelé, comme Capitant, que chacun ne s'engage pas uniquement pour que l'autre s'engage, mais surtout pour que l'autre exécute son engagement. Aussi, la cause a un rôle dynamique dans l'acte juridique : c'est la volonté des parties qui engendre des obligations. Et, en s'intéressant à la cause du contrat et non plus à celle de l'obligation proprement dite, le juge pouvait, dès lors, accorder la réduction de l'obligation du fait de la fausseté partielle de la cause du contrat. Et en l'espèce, le vrai se conclurait du faux, pour paraphraser Blaise Pascal.

Mais, comme le soulignait Jacques Maury, cause objective ou cause subjective, il s'agit toujours d'une même notion : celle qui justifie le pourquoi de l'engagement. Pour autant, si la théorie de la cause ne fait pas de doute en France, elle ne fait pas légion en Europe. Et, l'harmonisation européenne du droit des contrats pourrait bien obliger la France à abandonner la notion de cause, protectrice du consentement. Certes, l'avant-projet de réforme du droit des obligations présenté par Pierre Catala affirme son attachement à cette notion. Jacques Guestin réaffirme que, conformément à notre tradition juridique, une cause réelle et licite reste une condition de validité du contrat. Ce choix impliquerait, toutefois, à l'avenir, d'éviter les deux écueils opposés d'une définition exagérément restrictive, qui lui enlèverait tout intérêt pratique, ou trop extensive, qui porterait atteinte à la sécurité juridique. Ce serait alors la cause de l'engagement qui serait prise en considération. Cette formulation éviterait, notamment, d'utiliser les dénominations de cause de l'obligation, objective et abstraite, opposée à la cause du contrat, subjective et concrète. En outre, il s'agirait d'adopter une notion unitaire de la cause. Elle est la justification de l'engagement, autrement dit la raison pour laquelle le droit positif lui reconnaît des effets juridiques (cause efficiente). Enfin, en définissant la cause comme la contrepartie convenue, pour apprécier sa réalité dans les contrats à titre onéreux, le projet prend, également, en considération, au moins implicitement, la "cause finale" de l'engagement, qui est l'intérêt poursuivi. La théorie des quatre causes développée par Aristote est donc toujours de mise, bien que les causes matérielle et formelle soient des notions fort peu utilisées de nos jours. Mais, cause efficiente ou cause finale, la cause n'est pas première : autrement dit, elle n'est pas inconditionnée et n'a pas, en elle-même, sa raison d'être, à l'image de l'absolu et du divin. En clair, la cause est en danger !

Aussi, parce qu'il semble peu probable que notre droit gallois s'impose au sein de l'Union, deux axes de simplification ont été, dès lors, formulés, notamment, par la Chambre de commerce et d'industrie de Paris. Il s'agirait d'abandonner la notion de "cause licite", la protection qu'elle assure pouvant être satisfaite à travers les principes directeurs des contrats, notamment l'obligation de respecter l'ordre public et les droits et libertés fondamentaux. Une courte section relative à l'illicéité, à l'instar des Principes européens du droit des contrats, pourrait intégrer la réforme, pour introduire la sanction de la nullité absolue. Ensuite, il serait opportun de ne plus se référer textuellement à la "cause réelle", sans toutefois faire disparaître la fonction qu'elle occupe au sein de la théorie générale des obligations. Ainsi, il s'agirait de substituer à cette notion celle de "justification de l'engagement contractuel" dans un souci de modernisation et de lisibilité de notre droit.

Mais, attention, à force de "modernisation", sublata causa, tollitur effectus !

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