La lettre juridique n°265 du 21 juin 2007

La lettre juridique - Édition n°265

Éditorial

Aristote, Domat, Catala et Ghestin au chevet de la bonne cause !

Lecture: 4 min

N5642BBL

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3209198-edition-n-265-du-21-06-2007#article-285642
Copier

par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

Le 27 Mars 2014


Posita causa, ponitur effectus. N'en déplaise à Planiol et aux anti-causalistes, la théorie de la cause semble, toujours, avoir de beaux jours devant elle. En effet, face au moyen selon lequel, dans un contrat synallagmatique, la cause de l'obligation d'une partie résiderait dans l'objet de l'obligation de l'autre, et sa fausseté partielle donnerait lieu à la réduction de cette obligation à la mesure de la fraction subsistante, la Cour de cassation vient de rappeler, au visa de l'article 1131 du Code civil, et dans un attendu de principe, que "dans un contrat synallagmatique, la fausseté partielle de la cause ne peut entraîner la réduction de l'obligation", rejetant implicitement toute relativisation du rôle de la cause dans la validité du contrat. Et dans cette formule lapidaire, c'est toute la théorie de la cause objective, chère à Jean Domat, qui est, une nouvelle fois, consacrée par les Hauts magistrats. Dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt évoqué, rendu le 31 mai 2007, il s'agissait bien d'établir le mobile abstrait de l'obligation sans qu'il y ait à tenir compte des raisons personnelles de l'engagement. Le juge n'a donc pas à "sonder les consciences" : l'absence ou la fausseté partielle de cause ne peut servir de fondement généralisé à un contrôle de l'équivalence des prestations échangées. Il s'agit de ne pas renverser le refus de sanction de la lésion qui demeure, en droit français, un principe. Aussi bien ce que l'absence partielle de cause ne peut pas réaliser, la fausseté partielle de cause ne saurait-elle davantage le faire, nous explique, cette semaine, David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit.

En revanche, si la théorie la cause subjective avait prévalu, au cas de l'espèce, le juge aurait rappelé, comme Capitant, que chacun ne s'engage pas uniquement pour que l'autre s'engage, mais surtout pour que l'autre exécute son engagement. Aussi, la cause a un rôle dynamique dans l'acte juridique : c'est la volonté des parties qui engendre des obligations. Et, en s'intéressant à la cause du contrat et non plus à celle de l'obligation proprement dite, le juge pouvait, dès lors, accorder la réduction de l'obligation du fait de la fausseté partielle de la cause du contrat. Et en l'espèce, le vrai se conclurait du faux, pour paraphraser Blaise Pascal.

Mais, comme le soulignait Jacques Maury, cause objective ou cause subjective, il s'agit toujours d'une même notion : celle qui justifie le pourquoi de l'engagement. Pour autant, si la théorie de la cause ne fait pas de doute en France, elle ne fait pas légion en Europe. Et, l'harmonisation européenne du droit des contrats pourrait bien obliger la France à abandonner la notion de cause, protectrice du consentement. Certes, l'avant-projet de réforme du droit des obligations présenté par Pierre Catala affirme son attachement à cette notion. Jacques Guestin réaffirme que, conformément à notre tradition juridique, une cause réelle et licite reste une condition de validité du contrat. Ce choix impliquerait, toutefois, à l'avenir, d'éviter les deux écueils opposés d'une définition exagérément restrictive, qui lui enlèverait tout intérêt pratique, ou trop extensive, qui porterait atteinte à la sécurité juridique. Ce serait alors la cause de l'engagement qui serait prise en considération. Cette formulation éviterait, notamment, d'utiliser les dénominations de cause de l'obligation, objective et abstraite, opposée à la cause du contrat, subjective et concrète. En outre, il s'agirait d'adopter une notion unitaire de la cause. Elle est la justification de l'engagement, autrement dit la raison pour laquelle le droit positif lui reconnaît des effets juridiques (cause efficiente). Enfin, en définissant la cause comme la contrepartie convenue, pour apprécier sa réalité dans les contrats à titre onéreux, le projet prend, également, en considération, au moins implicitement, la "cause finale" de l'engagement, qui est l'intérêt poursuivi. La théorie des quatre causes développée par Aristote est donc toujours de mise, bien que les causes matérielle et formelle soient des notions fort peu utilisées de nos jours. Mais, cause efficiente ou cause finale, la cause n'est pas première : autrement dit, elle n'est pas inconditionnée et n'a pas, en elle-même, sa raison d'être, à l'image de l'absolu et du divin. En clair, la cause est en danger !

Aussi, parce qu'il semble peu probable que notre droit gallois s'impose au sein de l'Union, deux axes de simplification ont été, dès lors, formulés, notamment, par la Chambre de commerce et d'industrie de Paris. Il s'agirait d'abandonner la notion de "cause licite", la protection qu'elle assure pouvant être satisfaite à travers les principes directeurs des contrats, notamment l'obligation de respecter l'ordre public et les droits et libertés fondamentaux. Une courte section relative à l'illicéité, à l'instar des Principes européens du droit des contrats, pourrait intégrer la réforme, pour introduire la sanction de la nullité absolue. Ensuite, il serait opportun de ne plus se référer textuellement à la "cause réelle", sans toutefois faire disparaître la fonction qu'elle occupe au sein de la théorie générale des obligations. Ainsi, il s'agirait de substituer à cette notion celle de "justification de l'engagement contractuel" dans un souci de modernisation et de lisibilité de notre droit.

Mais, attention, à force de "modernisation", sublata causa, tollitur effectus !

newsid:285642

Social général

[Jurisprudence] Inaptitude : l'articulation du "salaire d'inactivité" et de la rente complémentaire d'invalidité

Réf. : Cass. soc., 30 mai 2007, n° 06-12.275, M. Guy Brochard, FS-P+B sur la 2e branche (N° Lexbase : A5555DWN)

Lecture: 7 min

N5593BBR

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3209198-edition-n-265-du-21-06-2007#article-285593
Copier

par Olivier Pujolar, Maître de conférences à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010


L'inaptitude totale et définitive qui frappe certains salariés soulève souvent de nombreuses difficultés juridiques. Ainsi, on peut évoquer la récurrente question des incidences du classement en invalidité de deuxième catégorie par la Sécurité sociale sur le contrat de travail et, plus particulièrement, sur le régime de la rupture de ce contrat. A cet égard, la Cour de cassation a eu fréquemment l'occasion de préciser qu'un tel classement n'emporte pas automatiquement justification de la rupture du contrat de travail (v., notamment, Cass. soc., 13 janvier 1998, n° 95-45.439, M. Schaming c/ M. Bartsch, publié N° Lexbase : A2219AAG). La frontière entre droit de la Sécurité sociale et droit du travail semble être le principe retenu en la matière, invalidité et inaptitude ne sont pas synonymes.


Résumé

Aux termes de l'article L. 122-24-4 du Code du travail, l'employeur est tenu de reprendre le versement du salaire antérieur au bénéfice du salarié déclaré inapte qui n'est ni reclassé ni licencié dans le délai d'un mois à compter de la date de l'examen médical de reprise du travail.

Quand le salarié a bénéficié à la fois de ce salaire d'inactivité et d'une indemnité ou rente complémentaire servie par une institution de prévoyance, cette dernière peut opérer une réduction de ses versements. Cette réduction ne peut, cependant, intervenir qu'à la double condition qu'elle ait été prévue par le contrat qui lie l'institution de prévoyance et l'employeur et que ce contrat soit opposable au salarié.

L'arrêt commenté du 30 mai 2007 intervient dans une affaire où la frontière entre contrat de travail et protection sociale est également interrogée. Plus précisément, il s'agissait pour la Chambre sociale de décider si un salarié pouvait cumuler le bénéfice d'un salaire d'inactivité, versé sur le fondement de l'article L. 122-24-4 du Code du travail (N° Lexbase : L1401G9R), avec celui d'indemnités ou de rentes complémentaires versées par une institution de prévoyance. Il s'agissait, finalement, à nouveau de préciser les interactions éventuelles entre droit du travail et droit de la protection sociale. La Chambre sociale considère qu'un tel cumul n'est pas possible et peut donc donner lieu à réduction des indemnités ou rentes complémentaires dont le salarié a bénéficié, sous la réserve que l'action en réduction soit intentée par l'institution de prévoyance et non par l'employeur. Manifestement, la possibilité d'un cumul de sommes ayant pour fondement le droit du travail, d'une part, et de sommes relevant de la protection sociale, d'autre part, est mise de côté par les juges. La Chambre sociale n'écarte donc pas toujours l'articulation entre droit du travail et droit de la protection sociale. Cependant, avant de se prononcer sur ce point, la Chambre sociale de la Cour de cassation devait prendre position sur la qualification des sommes versées au salarié par l'employeur sur le fondement de l'article L. 122-24-4 du Code du travail.

1. La nature salariale des sommes versées sur le fondement de l'alinéa 3 de l'article L. 122-24-4 du Code du travail

Rappelons que les dispositions de l'alinéa 3 de l'article L. 122-24-4 du Code du travail prévoient que tout salarié ni licencié, ni reclassé dans le délai d'un mois à compter de la date de l'examen médical de reprise du travail, a droit à la reprise du versement du salaire qui lui était versé antérieurement à la suspension de son contrat de travail. Chacun s'accorde, aujourd'hui, à analyser ces dispositions comme n'imposant pas directement à l'employeur de licencier le salarié concerné, mais comme l'invitant à s'acquitter rapidement de son obligation de reclassement. Cependant, si le reclassement n'est pas réalisé dans le délai imparti, l'employeur est incité à prendre ses responsabilités et à recourir au licenciement, sauf à vouloir poursuivre le versement du salaire.

Dans la deuxième branche du moyen présenté au soutien de son pourvoi, le salarié arguait que "les sommes au paiement desquelles l'employeur est condamné en application des dispositions de l'article L. 122-24-4 du Code du travail n'ont pas la nature de salaire, mais ont pour objet d'indemniser le salarié du préjudice qu'il a subi du fait de l'inertie de l'employeur". Cette position n'était pas sans intérêt : il s'agissait, pour le salarié, de tenter de convaincre les juges de l'impossibilité de prendre en compte ces sommes dans le calcul des prestations complémentaires versées par l'institution de prévoyance (v. infra).

Sur le fond, la position du salarié pouvait être tentante : pourquoi retenir la qualification de salaire alors, notamment, que le salarié n'est plus apte à travailler ? Le législateur n'avait-il pas pour objectif, au moins en partie, de sanctionner l'employeur, laissant le salarié sans position précise quant à l'avenir ? On serait presque tenté par la qualification d'astreinte légalement prévue. Néanmoins, la position du salarié n'avait guère de chance d'être entendue : le texte légal prévoit expressément la reprise du versement du "salaire" antérieur à la suspension du contrat. La Chambre sociale retient une analyse exégétique des dispositions de l'article L. 122-24-4 : "l'employeur avait été condamné à payer au salarié non pas une indemnité mais des salaires pendant la période litigieuse". Tel n'aurait probablement pas été le cas si le législateur avait évoqué le versement de sommes égales au salaire antérieur...

2. L'opposabilité au salarié des dispositions du contrat signé entre l'employeur et l'institution de prévoyance complémentaire : la possibilité de réduction des indemnités ou rentes complémentaires

La question de la qualification des sommes que l'employeur avait été condamné à verser au salarié sur le fondement de l'article L. 122-24-4, alinéa 3, du Code du travail étant réglée, il appartenait aux juges de se prononcer sur la possibilité de leur cumul avec le bénéfice d'une rente complémentaire. En effet, le contrat conclu entre l'employeur et l'institution de prévoyance prévoyait la réduction des indemnités ou rentes complémentaires à due concurrence pour les cas dans lesquels le total de la rémunération perçue de l'employeur, des indemnités, rentes ou pensions versées par le régime de Sécurité sociale et des indemnités ou rentes complémentaires excéderait le traitement de base (éventuellement revalorisé) ayant servi au calcul des indemnités ou rentes complémentaires. Cependant, devait, tout d'abord, être levée la question de l'opposabilité de ces dispositions au salarié.

  • Un accord employeur-institution de prévoyance opposable au salarié

En l'espèce, le salarié considérait que les dispositions du contrat conclu entre l'employeur et l'institution de prévoyance ne lui étaient pas opposables. En effet, le salarié insistait sur le fait qu'il n'avait pas eu connaissance des clauses limitatives de garantie du contrat de prévoyance souscrit par l'employeur au profit de ses salariés, conformément aux dispositions des articles L. 932-6 (N° Lexbase : L2789HI7) et R. 932-1-4 (N° Lexbase : L8797AD8) du Code de la Sécurité sociale. Plus précisément, le salarié insistait sur le fait que la notice d'information dont il avait eu connaissance ne donnait pas de précisions concernant les clauses limitatives de garantie éventuellement présentes dans le contrat. Ce n'est qu'à l'occasion de l'instance prud'homale que le salarié aurait eu connaissance de ces dernières, qui ne pouvaient donc lui être opposées antérieurement.

L'argumentation du salarié est, à nouveau, mise à l'écart par la Chambre sociale qui retient que la notice d'information litigieuse reprenait les termes de l'article 47 du contrat signé entre l'employeur et l'institution de prévoyance. Or, cet article prévoyait expressément la réduction à due concurrence des indemnités ou rentes complémentaires versées par l'institution de prévoyance lorsque le total de la rémunération perçue de l'employeur et des autres indemnités excéderait le traitement de base antérieur du salarié. L'obstacle d'une éventuelle inopposabilité au salarié de l'accord entre employeur et institution de prévoyance étant levé, restait à la Chambre sociale à se prononcer sur la question de fond.

  • L'impossible cumul du salaire d'inactivité et des indemnités ou rentes complémentaires

En réalité, le suspens n'était guère plus grand sur ce dernier point. Certes, la lecture rapide d'une décision antérieure de la Cour de cassation rendue à son profit aurait pu faire croire au salarié qu'il obtiendrait gain de cause, mais cette décision contenait déjà les germes de celle aujourd'hui commentée.

Le 16 février 2005, la Chambre sociale rendait, en effet, une décision (Cass. soc., 16 février 2005, n° 02-43.792, FS-P+B+R+I sur le pourvoi principal N° Lexbase : A7051DGA) qui fit l'objet de nombreux commentaires (v., notamment, les observations de S. Martin-Cuneot, Percevoir ou agir, il faut choisir : affirmation du principe du non-cumul de la rente et du "salaire d'inactivité" perçu par le salarié inapte non reclassé non licencié, Lexbase Hebdo n° 157 du 3 mars 2005 - édition sociale N° Lexbase : N4817ABZ) et qui eut même les honneurs du Rapport annuel de la Cour de cassation (v. rapport annuel 2005, La documentation française, pp. 248-249). A cette époque, on insistait beaucoup sur le fait que l'employeur ne pouvait déduire des salaires qu'il était condamné à verser sur le fondement de l'article L. 122-24-4, les prestations que le salarié avait reçu des institutions de prévoyance. Et, en effet, la Chambre sociale rejetait les demandes de l'employeur présentées en ce sens. Mais, la décision précisait, également, que "la question de la conservation des avantages reçus au titre des prestations versées par une institution de prévoyance" relève des seuls rapports entre le salarié et une telle institution. Une instance à ce propos avait d'ailleurs été introduite par l'institution de prévoyance à l'encontre du salarié. L'arrêt commenté en est l'aboutissement.

Sans aucune surprise, la Chambre sociale construit son argumentation sur la première pierre posée en 2005 : conformément aux dispositions du contrat (et, plus précisément, de l'article 47) conclu entre l'employeur et l'institution de prévoyance, cette dernière "était en droit d'obtenir le remboursement de la rente complémentaire d'invalidité qu'elle avait servie à l'intéressé". Le principe du non-cumul du salaire d'inactivité avec les indemnités ou rentes complémentaires était en germe dans la décision de 2005, il est mis en application dans la décision objet de ce commentaire. L'équité n'y gagne peut-être pas, mais la clarté est sauve : le cumul est possible dans les rapports avec l'employeur, il est écarté à l'égard des institutions de prévoyance... Finalement, comme certains l'ont observé à l'occasion de commentaires relatifs à la décision de 2005 (v., op. cit., S. Martin-Cuenot), la logique de la sanction l'emporte clairement à l'encontre de l'employeur qui ne peut se dégager de l'obligation issue l'article L. 122-24-4 en arguant des indemnités complémentaires perçues par le salarié. Mais, alors, pourquoi maintenir la qualification de salaire à l'égard des sommes versées par l'employeur ? On ne peut se détacher de cette contradiction.

Décision

Cass. soc., 30 mai 2007, n° 06-12.275, FS-P+B sur la 2e branche (N° Lexbase : A5555DWN)

Rejet (CA Aix-en-Provence, 18 octobre 2005, 1ère chambre civile A).

Textes concernés : C. trav., art. L. 122-24-4 (N° Lexbase : L1401G9R) ; CSS, art. L. 932-6 (N° Lexbase : L2789HI7) ; CSS., art. R. 932-1-4 (N° Lexbase : L8797AD8).

Mots-clefs : inaptitude totale et définitive ; invalidité ; pension annuelle d 'invalidité ; rente complémentaire ; prévoyance ; salaire d'inactivité ; maintien de la rémunération.

Lien bases :

newsid:285593

Contrats et obligations

[Evénement] Le pacte de préférence après le 26 mai 2006

Lecture: 15 min

N5572BBY

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3209198-edition-n-265-du-21-06-2007#article-285572
Copier

par Vincent Téchené, SGR - Droit des affaires

Le 07 Octobre 2010

Le pacte de préférence est "la convention par laquelle une personne s'engage, pour le cas où elle se déciderait à vendre un bien (ce n'est pas une promesse ferme de vente) à l'offrir d'abord, aux conditions proposées par un tiers (ou à des conditions prédéterminées) au bénéficiaire du pacte, lequel jouit ainsi, pour se porter acquéreur d'un droit de préemption" (G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, 8ème éd.). Cet avant-contrat est souvent rapproché de la promesse unilatérale de vente mais se différencie de celle-ci. En effet, cette dernière se définit comme un accord de volontés par lequel une personne s'engage immédiatement envers une autre à lui vendre un bien déterminé, dans des conditions déterminées, le bénéficiaire restant libre de ne pas conclure ou de conclure en levant l'option dans le délai. Alors que dans la promesse unilatérale de vente, le promettant s'engage à céder le bien, objet du contrat, dans le pacte de préférence, le promettant s'engage seulement à proposer en priorité le bien, objet du contrat, à une personne déterminée, au cas où il déciderait de le céder.
Il convient de préciser que le pacte de préférence ne concerne pas seulement la vente (il peut, par exemple, porter sur un bail), bien que ce soit le domaine dans lequel on le rencontre le plus souvent en pratique. Pour faire le point sur cette technique contractuelle et, notamment, sur les dernières évolutions jurisprudentielles en la matière, l'association du Master 2 recherche de Droit patrimonial approfondi de l'Université Panthéon-Sorbonne, Paris 1, a organisé, dans le cadre des rencontres "pratique-doctrine", un colloque ayant pour thème "la technique contractuelle" durant lequel ont été abordés le pacte de préférence et les clauses limitatives de responsabilité.

Au cours de cette conférence, sont intervenus Philippe Delebecque, Professeur à l'Université Panthéon-Sorbonne (Paris 1), Laurent Aynès, Professeur à l'Université Panthéon-Sorbonne (Paris 1), Philippe Stoffel-Munck, Professeur à l'Université Panthéon-Sorbonne (Paris 1), Maître Reinhard Dammann, Avocat associé, White & Case LLP, Maître Ran Hamou, avocat associé, LSK & associés, Maître Pierre François, avocat, Leboeuf, Lamb, Greene & Macrae LLP.

Lexbase Hebdo a assisté à cette manifestation et a choisi de vous rapporter les propos qui se sont tenus sur le premier de ces thèmes et, plus particulièrement, les interventions de M. Philippe Stoffel-Munck sur "le pacte de préférence en droit civil" et de Maître Ran Hamou, sur "le pacte de préférence en droit des sociétés ou plus précisément les pactes d'actionnaires".

I Le pacte de préférence en droit civil

Le régime juridique du pacte de préférence a connu une évolution notable avec le revirement opéré par la Cour de cassation dans son arrêt de Chambre mixte rendu le 26 mai 2006 (Cass. mixte, 26 mai 2006, n° 03-19.376, FP+B+R+I N° Lexbase : A7227DPD) qui soulève, selon le professeur Stoffel-Munck, plusieurs interrogations. En effet, outre celle relative au fondement même de la décision, la solution conduit à se poser trois questions :
- celle de la nature du droit que fait naître le pacte ;
- celle de l'opposabilité du pacte ;
- celle de la mise en oeuvre du pacte.

A - La sanction du pacte de préférence : le revirement du 26 mai 2006

Le régime juridique du pacte de préférence est fixé par la jurisprudence. D'ailleurs, les arrêts de la Cour de cassation sur le sujet ont donné lieu à de nombreux débats doctrinaux, notamment, s'agissant de la sanction de l'inexécution de son obligation par le promettant. En théorie, trois sanctions peuvent être envisagées :
- l'allocation de dommages-intérêts, si l'on part du postulat que le pacte de préférence met à la charge du promettant une obligation de faire, laquelle ne se résout que par l'allocation de dommages-intérêts au bénéficiaire dont le préjudice réside dans la perte de la chance de voir le contrat se réaliser ;
- l'annulation pure et simple du pacte ;
- la substitution du bénéficiaire dans les droits du tiers acquéreur.

Sur ce point, la Cour de cassation a opéré un important revirement jurisprudentiel dans son arrêt du 26 mai 2006. Antérieurement, la Cour régulatrice, faisant application de l'article 1142 du Code civil (N° Lexbase : L1242ABM), considérait que le promettant qui ne respectait pas son obligation devait indemniser le bénéficiaire du pacte (Cass. civ. 3, 30 avril 1997, n° 95-17.598, Office européen d'investissement et autres c/ Association Médecins du Monde et autre N° Lexbase : A0614ACQ). Elle admettait, en outre, que le bénéficiaire puisse obtenir l'annulation du contrat passé avec un tiers en violation du pacte si la mauvaise foi du tiers acquéreur était rapportée (Cass. civ. 3, 10 février 1999, n° 95-19.217, Mme Morin N° Lexbase : A2641A7X).

Dans son arrêt du 26 mai 2006, la Cour de cassation, réunie en Chambre mixte, a considéré que le bénéficiaire d'un pacte de préférence est en droit d'exiger l'annulation du contrat passé avec un tiers en méconnaissance de ses droits et d'obtenir sa substitution à l'acquéreur, à condition que ce tiers ait eu connaissance, lorsqu'il a contracté, de l'existence du pacte de préférence et de l'intention du bénéficiaire de s'en prévaloir. Une partie de la doctrine s'est, alors, satisfaite de la solution, dans la mesure où elle renforce l'efficacité du pacte et rompt avec l'utilisation, à mauvais escient, de l'article 1142 du Code civil. Elle n'en a pas moins relevé le caractère restrictif de la double condition posée par la Haute juridiction pour que le bénéficiaire obtienne la substitution. D'ailleurs, dans l'arrêt du 26 mai 2006, la Cour de cassation pose, d'abord, le principe de la substitution, mais approuve, ensuite, la cour d'appel, ayant retenu qu'il n'était pas démontré que le tiers acquéreur savait que le bénéficiaire avait l'intention de se prévaloir de son droit de préférence, d'avoir exactement déduit de ce seul motif que la réalisation de la vente ne pouvait être ordonnée au profit de la bénéficiaire du pacte.

Toutefois, le 14 février 2007, la Cour de cassation devait reconnaître la substitution du bénéficiaire dans les droits du tiers acquéreur (Cass. civ. 3, 14 février 2007, n° 05-21.814, Société civile immobilière (SCI) Serp, FS-P+B N° Lexbase : A2160DUK).

En l'espèce, un pharmacien avait fait apport à une SELARL de son fonds de commerce de pharmacie et du bail commercial contenant, au profit de l'apporteur, un pacte de préférence immobilier consenti par la bailleresse, qui a agréé l'apport. L'ayant droit de cette dernière, décédée, a vendu l'immeuble donné à bail à une SCI.
La SELARL, se disant bénéficiaire du pacte de préférence consenti à l'origine au pharmacien apporteur et soutenant que la vente avait été conclue au mépris de ses droits, a assigné la tutrice de l'héritière de la promettante et la SCI en nullité de cette vente.

La Cour de cassation rappelle la possibilité de substitution et les conditions de sa réalisation, puis approuve les juges du fond d'avoir conclu à la nullité du contrat de vente et à la substitution de la SELARL dans les droits de la SCI. Ayant, d'une part, constaté que le pacte de préférence consenti par la bailleresse au preneur dans le bail commercial de mars 1988 avait été transféré à la SELARL, bénéficiaire de la cession de bail, par acte authentique du 14 avril 1998 auquel était intervenue la bailleresse, qui avait déclaré accepter la SELARL aux lieu et place du preneur initial, et, d'autre part, relevé que le gérant de la SCI en avait eu connaissance parce qu'il lui avait été remis un exemplaire du contrat de bail, et que le rapport d'expertise produit aux débats par la SCI mentionnait l'existence d'un pacte de préférence au profit du preneur et que, selon l'acte notarié, il avait eu connaissance du litige judiciaire qui opposait la tutrice de l'héritière de la promettante et la SELARL dont le représentant légal avait, au cours de la procédure, exprimé la volonté d'acquérir l'immeuble, la cour d'appel, qui en a exactement déduit que le pacte de préférence était opposable à la SCI et qui a souverainement retenu, par motifs adoptés, que les parties à l'apport n'avaient cessé de manifester leur volonté de maintenir leurs obligations et droits contenus dans le contrat de bail initial quand bien même le bail avait été renouvelé et que la SELARL s'était substituée au preneur initial, a légalement justifié sa décision.

Pour le Professeur Stoffel-Munck, si l'arrêt de la Cour de cassation, statuant en Chambre mixte, a levé le voile sur la question de la sanction en adoptant une solution opportune, en ce qu'elle donne, notamment, une efficacité plus grande au pacte, le cheminement intellectuel pour arriver à cette solution reste assez mystérieux.

Pour Maître Pierre François, le revirement pourrait s'expliquer par plusieurs raisons, notamment, par le pragmatisme des magistrats qui auraient pris conscience que la position antérieure s'avérait être peu soucieuse des intérêts du bénéficiaire. La reconnaissance de la substitution comme sanction semble s'inscrire, selon lui, dans un mouvement jurisprudentiel qui n'est pas parfait d'un point de vue juridique, mais dont l'objectif est de sanctionner une attitude que l'on sait frauduleuse. La substitution apparaît comme "la meilleure justice à rendre au profit du bénéficiaire".

Cette solution pose, entre autres, la question de savoir si son fondement ne réside pas aussi dans l'impossibilité pour nos juridictions de prononcer des dommages-intérêts punitifs. S'ils le pouvaient, peut-être aurait-on pu éviter cette solution...

Le professeur Laurent Aynès estime, pour sa part, que la question posée par cette décision est de savoir si l'on doit admettre la possibilité d'une formation forcée du contrat. C'est, en effet, ce que suggère l'arrêt du 23 mai 2006. La solution, selon lui, n'est pas si curieuse que ça, elle ne s'explique pas seulement par la fraude et elle peut se défendre. Il y a deux éléments dans un pacte de préférence :
- l'option offerte, c'est-à-dire laisser la possibilité d'acquérir ;
- la levée de l'option, laquelle entraîne la conclusion du contrat.

Ce sont bien ces deux éléments qui sont posés comme condition par l'arrêt de Chambre mixte pour que la substitution s'opère. Il faut, en effet, une double violation : violation du droit d'option et violation de l'intention d'acquérir.

De plus, il estime que cette solution, parce qu'elle préfigure la possibilité d'accepter une formation forcée du contrat, peut annoncer un revirement pour les promesses unilatérales de vente, prospective partagée par le professeur Stoffel-Munck.

B La nature du droit conféré par le pacte de préférence

Avant l'arrêt du 26 mai 2006, plusieurs arrêts exprimaient clairement que le pacte de préférence ne faisait pas naître au profit du bénéficiaire un droit réel. L'abusus restait, alors, entier en la personne du promettant. De façon cohérente, le pacte de préférence conférait un droit personnel (voir, par ex., Cass. civ. 1, 16 juillet 1985, n° 84-13.745, Forquin c/ Bazelaire, Renard N° Lexbase : A5258AAY). L'utilisation de l'article 1142 du Code civil pour sanctionner l'inexécution fautive était, par conséquent, logique.

Or, maintenant que la substitution est possible et que le bénéficiaire peut obtenir la propriété du bien, objet du pacte, contre le consentement du promettant, le pacte l'investit-il d'un droit réel ?

Pour le Professeur Stoffel-Munck, la réponse à cette question doit être négative. Mais, quel est alors le droit personnel dont le bénéficiaire du pacte est investi ?

A minima, l'on doit considérer, selon lui, que le pacte fait naître une préférence en pourparlers, l'objet de ces pourparlers étant de définir les termes futurs du contrat. Dans cette conception minimaliste, la force du droit tiré du pacte est peu importante. Il est, en effet, tout à fait envisageable que le promettant entre en pourparlers sans jamais conclure avec le bénéficiaire, puis conclure avec un tiers, avec lequel il voulait en fait contracter avant d'entrer en pourparlers. Cette solution, comme le relève le professeur Stoffel-Munck, est peu conforme à l'attente du bénéficiaire d'un pacte de préférence.

A maxima, en s'engageant par un pacte de préférence, le promettant gèle son consentement au contrat futur. Cette conception expliquerait alors la solution de la substitution. En effet, dans ce contexte, le tiers acquéreur émet une offre, mais le promettant ne peut pas émettre une acceptation valide, celle-ci n'étant pas disponible.

En outre, le problème évident de cette conception, tel que le souligne le professeur Stoffel-Munck, est le consentement donné "à l'aveugle", puisqu'au moment de la promesse, les co-contractants ne connaissent que la chose et la nature du contrat, mais ignorent le prix et toute autre modalité essentielle. Il apparaît, en effet, assez troublant d'accepter l'idée qu'un consentement puisse être donné "à l'aveugle".

C - L'opposabilité du pacte au tiers acquéreur

S'agissant de l'opposabilité du pacte au tiers acquéreur, le professeur Stoffel-Munck rappelle qu'en matière de droits immobiliers, la solution est connue, puisque le droit de la publicité foncière ne prévoit aucune obligation de publication mais ne l'interdit pas (sur l'absence d'obligation de publication d'un pacte de préférence, voir Cass. civ. 3, 16 mars 1994, n° 91-19.797, Société Morillon-Corvol c/ Société Les Sauts de l'Aigle et autre N° Lexbase : A6553ABC, qui retient que le pacte de préférence, qui s'analyse en une promesse unilatérale conditionnelle, ne constitue pas une restriction au droit de disposer soumise à publicité aux termes de l'article 28, 2° du décret du 4 janvier 1955 N° Lexbase : L8047AIU). La publicité à la conservation des hypothèques assure, par conséquent, la preuve de la connaissance du tiers de l'existence du pacte.

Ce sont donc dans tous les autres domaines que la question de l'opposabilité du pacte de préemption se pose. L'efficacité du pacte repose sur son opposabilité et si certains ont pu douter de la possibilité, en pratique, de rapporter la preuve que le tiers acquéreur a violé le pacte en connaissance de cause, l'arrêt du 14 février 2007 a démontré le contraire, conférant à la nouvelle jurisprudence toute son efficacité.

En pratique, un problème se pose lorsque le pacte de préférence porte sur un bien dont le propriétaire est une société : la promesse s'impose-t-elle aux associés de cette société ?

L'on se trouve face à un risque de violation indirecte du pacte, si les associés de la société vendent leurs parts à un tiers.
Par exemple : la société A (la promettante), exploitant un fonds de commerce, promet de vendre le fonds à une société B. (le bénéficiaire). Les associés de la société A. cèdent leurs parts à un tiers, lequel par l'acquisition de ces parts se retrouve, indirectement, propriétaire du fonds de commerce. La société B. n'est plus, alors, en droit de faire valoir son droit de bénéficiaire du pacte.

L'efficacité du pacte est une fois de plus mise à mal. Il y a peu de jurisprudence sur le sujet, mais, en application de l'article 1165 du Code civil (N° Lexbase : L1267ABK), il semble que rien n'interdise aux associés de céder leurs parts à un tiers.

L'on peut, toutefois, rapprocher cette situation de deux affaires portées devant la Cour de cassation et dans lesquelles la Haute juridiction a affirmé la possibilité pour les actionnaires de céder leurs actions.

La première est l'affaire dite "du Midi libre" du nom du quotidien régional dont le contrôle était en jeu.

En l'espèce, la société du Midi libre comprenait, parmi ses actionnaires, le groupe Hersant et deux autres sociétés. Suspectant M. Hersant de vouloir prendre le contrôle du journal, le conseil d'administration a refusé d'agréer le groupe Hersant comme cessionnaire des actions des deux autres sociétés et a désigné en qualité de cessionnaires de l'ensemble de ces actions un certain nombre d'actionnaires de la société du Journal.
C'est dans ce cadre qu'est né un contentieux opposant les cédants des actions et le groupe Hersant à la société du journal et aux cessionnaires désignés par elle. La société du journal Midi libre demandait que les cessions d'actions litigieuses lui soient déclarées inopposables et que les sociétés cédantes soient exclues de la société, alléguant que se trouve entachée de fraude la cession des actions d'une société qui a pour objet de permettre au cessionnaire d'acquérir le contrôle d'une autre société en échappant, par l'interposition d'une société écran, à l'application d'une clause d'agrément figurant dans les statuts de la société dont le contrôle est convoité.

La Cour de cassation a approuvé la cour d'appel d'avoir rejeté cette demande, retenant, d'une part, que la loi et les statuts de la société du Journal ne prévoient la procédure d'agrément que pour la cession des propres actions d'une société, et non pas pour la cession des parts ou actions composant le capital de ses actionnaires et, d'autre part, que la prise de participation, même majoritaire, dans le capital d'une ou plusieurs sociétés actionnaires d'une autre société ne constitue pas, par elle seule, une fraude ayant pour objet ou pour effet d'éluder des clauses statutaires de cette société, à défaut d'éléments permettant de caractériser cette fraude (Cass. com., 13 décembre 1994, n° 93-11.569, Consorts Bujon et autres c/ Société Etarci et autres N° Lexbase : A4935ACR)

Plus récemment, la Cour de cassation a jugé que la clause de non-concurrence, signée par une société cédante du fonds de commerce dont elle était propriétaire, stipulant que "le vendeur s'interdisait de créer et de faire valoir directement ou indirectement aucun fonds de commerce similaire en tout ou partie à celui vendu comme aussi d'être intéressé, même à titre de simple commanditaire, dans un fonds de cette nature, ou de coopérer de quelque façon que ce soit, directement ou indirectement avec quelque autre partie que ce soit, à la création ou au développement de toute activité en rapport avec le fonds de commerce, objet de la cession", n'était pas opposable au dirigeant de la cédante.
La Chambre commerciale a approuvé la cour d'appel d'avoir retenu que le dirigeant n'était pas partie à l'acte de cession dans lequel était stipulée la clause litigieuse, qu'il n'y était pas visé nommément et qu'il ne l'avait jamais acceptée.

Ces deux décisions, fondées sur le principe de l'effet relatif des contrats, laissent présager l'inopposabilité du pacte de préférence aux associés d'une société promettante. Le professeur Stoffel-Munck, approuvé sur ce point par Maître Pierre François, estime qu'il est fondamental pour les rédacteurs de pacte de préférence de prendre en compte ce risque et conseille, pour l'éviter, de coupler l'engagement d'un contrat interdisant aux actionnaires de céder leurs parts ou de le coupler d'une clause de préférence portant sur les droits sociaux.

Ne pas doubler les pactes de préférence portant sur un fonds de commerce détenu par une personne morale serait malhabile.

La substitution, si elle semble être une bonne chose pour redonner de la force obligatoire à cette convention, pourrait avoir beaucoup de mal à s'opérer en pratique. Ainsi, lorsque le promettant a vendu à un tiers le bien objet du pacte et qu'il a reçu en contrepartie un prix payé pour partie en numéraire et pour une autre partie en droits sociaux ou en titres de sociétés, à l'évidence le bénéficiaire ne pourra pas offrir la même chose en échange. Pourra-t-il, alors, y avoir substitution ? Le doute est permis.

D - La mise en oeuvre du pacte de préférence

Ici, se pose la question de savoir comment le promettant doit exécuter sa promesse pour apparaître de bonne foi ? A ce niveau resurgit évidemment la question de la nature du droit, et donc celle de savoir si l'on doit estimer que le promettant s'engage seulement à engager des pourparlers ou s'il gèle son consentement.

Dans le premier cas, le seul fait de s'engager à informer le bénéficiaire de son intention de vendre suffirait pour que l'on considère qu'il a exécuté son obligation de bonne foi. Le pacte de préférence n'aurait, alors, que très peu d'efficacité, puisqu'il suffirait au promettant de refuser l'offre du bénéficiaire et de se retourner ensuite vers un tiers pour déjouer les contraintes du pacte.

Dans le second cas, au contraire, le promettant serait obligé de s'adresser au bénéficiaire avec une proposition de contrat complète.

Pour connaître réellement la force obligatoire du pacte, il convient de se tourner vers la jurisprudence et étudier comment celle-ci indemnise le bénéficiaire floué. L'évaluation est particulièrement ardue. Cela peut aller jusqu'à la perte des éventuels profits que la conclusion du pacte aurait permis. Toutes ces incertitudes imposent au rédacteur de prévoir de façon très précise les modalités de mise en oeuvre. Le pacte de préférence n'est pas une simple clause mais un véritable contrat très précis sur la mise en oeuvre de la préférence.

II - La préférence et les pactes d'actionnaires

Assurer l'efficacité de la préférence, c'est assurer son exécution forcée. La jurisprudence de la Cour de cassation l'admet, mais sa difficile mise en oeuvre apparaît peu satisfaisante au regard des impératifs de sécurité juridique que commandent certaines opérations complexes. Il s'agit, notamment, du cas, mis en exergue par Maître Ran Hamou, dans lequel un investisseur entre dans une société dans le seul but de réaliser une plus-value en vendant ultérieurement ses actions. L'investisseur doit impérativement maîtriser le sort des actions détenues par les autres actionnaires afin de s'assurer qu'au moment où il désirera vendre ses actions et sortir de la société, un éventuel acquéreur se présentera. Or, il est difficile de vendre une minorité. L'investisseur doit donc s'assurer de pouvoir présenter une majorité de titres à la vente.

Les pactes d'actionnaires vont, par conséquent, contenir certaines clauses qui garantissent à un investisseur une certaine liquidité. Les clauses "types" sont :

- La clause de préemption qui est celle qui ressemble le plus au pacte de préférence puisqu'il s'agit de la clause qui réserve à une catégorie déterminée d'actionnaires -ou à tous les actionnaires- la possibilité d'acheter par priorité toutes les actions dont la cession est envisagée. L'actionnaire cédant doit informer le bénéficiaire de la clause des conditions de la cession envisagée. Le bénéficiaire a, alors, la faculté, dans un délai déterminé, d'acquérir les actions aux mêmes conditions que celles proposées à l'acheteur.

- Les clauses de sortie conjointe, qui sont les plus courantes, puisqu'elles assurent à un minoritaire d'avoir une liquidité. En effet, dans ce cas, si un actionnaire cède ses titres à un tiers, il doit proposer au bénéficiaire de la clause de faire vendre ses actions au prix où il vend les siennes. Dans le même ordre idée, la clause peut garantir à l'investisseur de faire sortir de la société les autres actionnaires s'il décide de céder ses titres.

Or, si ces clauses sont violées, l'investisseur n'a aucun intérêt à investir. La solution retenue par la Cour de cassation est donc, dans une telle situation, insuffisante puisqu'elle ne garantit pas au bénéficiaire l'exécution forcée, à défaut de prouver que le tiers avait connaissance du pacte.

Il convient, par conséquent, de pallier ces insuffisances. La pratique a, ainsi, pris pour habitude d'inclure une partie du pacte dans les statuts. La plupart des grands cabinets d'avocats parisiens y procèdent, aujourd'hui, pour assurer une efficacité plus forte au pacte.

L'efficacité peut aussi être assurée en utilisant la nature même de l'action, surtout dans le cadre des SAS. L'exemple type est de prévoir deux catégories d'actions dans les statuts et de lier la cession de l'une des catégories à l'autre : les actions détenues par X. relèvent de la catégorie A. et les actions détenues par Y. relèvent de la catégorie B.. Les actions A. ne pourront être vendues qu'avec les actions B..

newsid:285572

Pénal

[Jurisprudence] Contrôles d'identité effectués dans les endroits ouverts au trafic international de voyageurs

Réf. : Cass. crim., 3 mai 2007, n° 07-81.331, Djillali R., F-P+F (N° Lexbase : A5071DWQ)

Lecture: 6 min

N5667BBI

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3209198-edition-n-265-du-21-06-2007#article-285667
Copier

par Dorothée Bourgault-Coudevylle, Maître de conférences à la Faculté de droit de Douai - Université d'Artois

Le 07 Octobre 2010

Parmi les domaines sensibles que compte la procédure pénale, les contrôles d'identité occupent indéniablement une place de choix, du fait de la nécessité de concilier deux impératifs aussi contradictoires que légitimes : la sauvegarde de l'ordre public et le respect des libertés individuelles. Après une période tourmentée pendant laquelle la matière a connu de multiples changements, au gré des alternances politiques (J. Buisson, Contrôles et vérification d'identité, R. Chapus, Droit administratif général, T. 1, Monchrestien, Domat Droit public, 15ème édition 2001, p. 740, n° 950), celle-ci apparaît relativement stable sur le plan législatif depuis la loi du 10 août 1993 (loi n° 93-992 du 10 août 1993, relative aux contrôles et vérifications d'identité N° Lexbase : L7427HXD). Ce qui ne signifie pas que toutes les difficultés soient nécessairement résolues pour autant. L'arrêt rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, le 3 mai dernier, en constitue une illustration d'autant plus intéressante qu'il contribue à clarifier utilement les conditions de mise en oeuvre du contrôle d'identité frontalier, institué à la suite de l'entrée en vigueur de la Convention de Schengen. Pour en prendre la mesure, il est nécessaire de revenir préalablement sur le cadre actuel de la pratique des contrôles d'identité. Si l'article 78-1, alinéa 2, du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7139A48) fait peser sur les personnes se trouvant sur le territoire français une obligation de se soumettre à un contrôle d'identité effectué par les autorités de police compétentes, de tels contrôles ne peuvent être pratiqués systématiquement en dehors des cas légalement prévus. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 5 août 1993 (décision n° 93-323 DC N° Lexbase : A8283ACR), a pris soin de préciser, en effet, que "la pratique de contrôles d'identité généralisées et discrétionnaires était incompatible avec le respect des libertés individuelles". Il en résulte que, non seulement, les autorités de police et de gendarmerie ne peuvent opérer en dehors des cas spécifiés mais qu'elles doivent, en outre, mentionner dans leur procès-verbal le motif qui a justifié ledit contrôle, et ce, afin de permettre à l'autorité judiciaire d'exercer le sien.

Parmi les contrôles d'identité autorisés, le Code de procédure pénale prévoit deux cas de contrôles d'identité, dits de police judiciaire. Ceux-ci se rattachent, par conséquent, à la commission d'une infraction et possèdent la particularité de s'adresser à une personne en particulier qui, par son comportement, se sera désignée à l'agent de la force publique (C. proc. pén., art. 78-2, al. 1 et s. N° Lexbase : L1333HP3). Les autres hypothèses prévues sont des contrôles d'identité, dits de police administrative, qui, à la différence des premiers, peuvent être opérés à l'égard de toute personne, quel que soit son comportement. Parmi eux, il convient de mentionner le contrôle d'identité préventif de l'article 78-2, alinéa 3, qui a pour finalité de prévenir une atteinte à l'ordre public et qui pourra donc être pratiqué assez largement sous réserve de la justification concrète des circonstances de fait qui ont motivé sa pratique. Le contrôle des étrangers visé à l'article 8, alinéa 2, de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifié (N° Lexbase : L4734AGG), qui est, quant à lui, avant tout un contrôle de titre, a pour finalité de vérifier la détention et le port, par les étrangers, des documents sous le couvert desquels ils sont autorisés à circuler et à séjourner en France. Enfin, la suppression des contrôles aux frontières intérieures de la France, en application de la Convention de Schengen entrée en vigueur le 25 mars 1995, a incité le législateur français à instituer un dernier cas de contrôle d'identité. Le dernier alinéa de l'article 78-2 prévoit ainsi que "dans une zone comprise entre la frontière terrestre de la France avec les états parties à ladite convention et une ligne tracée à 20 kilomètres en deçà ainsi que dans les zones accessibles au public des ports, aéroports et gares ferroviaires ou routières ouverts au trafic international et désignés par arrêté, l'identité de toute personne peut également être contrôlées en vue de vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévus par la loi". C'est précisément ce dernier cas dont il était question dans l'arrêt rendu par la Chambre criminelle, le 3 mai dernier.

Ledit cas n'est pas fondé sur des préoccupations judiciaires ou tenant à la sauvegarde de l'ordre public ou de la sécurité (commission des lois du Sénat, rapp. Sénat n° 381, p. 20). Légalement qualifié de contrôle d'identité, il se révèle être principalement un contrôle de titre d'entrée et de séjour en France des étrangers en zone frontalière, et seulement accessoirement un contrôle de leur identité. Conçu pour être un contrôle préventif aléatoire, il ne suppose donc pas que soit constaté préalablement un indice de commission d'une infraction ou un risque de trouble à l'ordre public. Il n'est pas non plus nécessaire de justifier, comme dans le contrôle des étrangers, de la présence de "circonstances extérieures à la personne même de l'intéressé, de nature à faire apparaître celui-ci comme étranger" (Cass. crim. 25 avril 1985, n° 84-92.916, Procureur général près la cour d'appel de Versailles, affaire Vuckovic N° Lexbase : A3586AA3 et n° 85-91.324, Procureur général près la cour d'appel de Paris, affaire Bogdan N° Lexbase : A9379CI9, JCP éd. G, 1985, II, 20465, concl. Dontenwille, note Jeandidier).

Se pose dès lors une difficulté de mise en oeuvre : faut-il considérer à partir du moment où l'on se trouve en zone frontalière, ou dans une gare ou un aéroport..., que les policiers et gendarmes peuvent s'affranchir des règles précédemment décrites pour contrôler toute personne se trouvant dans cette zone, et à d'autres fins que de vérifier la détention des titres de séjour ? Ou bien convient-il de réserver ce cas aux étrangers en zone frontalière aux seules fins de vérifier la détention de leurs papiers ? La question est importante d'autant que la loi du 23 janvier 2006 (loi n° 2006-64, 23 janvier 2006, relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers N° Lexbase : L4643HG3) a étendu les possibilités d'un tel contrôle d'identité à bord des trains effectuant une liaison internationale entre la frontière et le premier arrêt même s'il est situé au-delà de la bande des 20 kilomètres, ainsi que sur les sections autoroutières démarrant dans la zone des 20 kilomètres jusqu'au premier péage et les aires d'autoroutes attenantes.

Tel était précisément l'objet du pourvoi examiné par la Cour de cassation, dans l'arrêt susvisé. Les faits de l'espèce étaient les suivants : des policiers avaient été prévenus par un renseignement anonyme qu'un certain D. R., dont le signalement était précisé, prendrait le train en gare de Montpellier pour Toulouse où il se livrait habituellement à la revente de produits stupéfiants. Ils se sont rendus sur place, ont repéré l'intéressé en compagnie d'une femme, et ont procédé à un contrôle d'identité en lui demandant s'il était en possession de stupéfiants. D. R. leur a alors remis une boulette d'héroïne et une palpation de sécurité ayant permis de découvrir qu'il était porteur de nombreuses doses de ce produit, une enquête de flagrant délit a été ouverte. Dans le cadre de l'information suivie contre lui pour infractions à la législation sur les stupéfiants, D. R. a déposé une requête en annulation d'actes de procédure invoquant l'irrégularité du contrôle d'identité auquel il avait été soumis sur la base d'une simple dénonciation anonyme, non corroborée par d'autres éléments.

Mais la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Montpellier, par un arrêt du 14 décembre 2006, devait refuser de faire droit à sa demande, considérant que "ledit contrôle est régulier pour avoir été opéré, en application de l'article 78-2, alinéa 4, du Code de procédure pénale, dans la zone ouverte au public de la gare de Montpellier, laquelle figure sur la liste des gares ferroviaires ouvertes au trafic international définie par l'arrêté du 23 avril 2003".

Le pourvoi formé contre cette décision permet à la Chambre criminelle de clarifier la matière. Selon elle, "les dispositions de l'article 78-2, alinéa 4, du Code de procédure pénale, qui autorisent le contrôle de toute personne située dans une zone accessible au public d'un port, aéroport ou d'une gare ouverts au trafic international des voyageurs et désignés par arrêté, ne sauraient permettre d'éluder les conditions de fond et de forme applicables aux autres types de contrôle d'identité prévus par le même article, en ses alinéas 1er et 3, lorsque les opérations ne sont pas destinées à vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentations des titres et documents prévus par la loi mais relèvent, par leur objet d'une autre catégorie légalement définie de contrôle".

La Cour de cassation marque, ainsi, la volonté de cantonner ce cas de contrôle dans le domaine précis qui est le sien : à savoir un contrôle de titre des étrangers en zone frontalière.

On ne peut que saluer cette décision. Admettre la légalité d'un contrôle non motivée par la vérification des titres de séjour, en dehors de toute autre justification, reviendrait à considérer que, dans les zones frontalières, le contrôle d'identité peut être systématiquement réalisé à l'égard de toute personne, qu'elles soient françaises ou étrangères. Le risque étant d'aboutir à des contrôles d'identité généralisés, peu en accord avec la réserve formulée par le Conseil constitutionnel. D'autant que dans l'espèce considérée, il était clair que les policiers avaient trouvé là un moyen commode de contourner les règles du contrôle d'identité judiciaire de l'article 78-2, alinéa 1et, du Code de procédure pénale, non réunies en l'espèce, en l'absence d'indice autre que la dénonciation anonyme. La première chambre civile de la Cour de cassation est, en effet, venue affirmer dans une autre affaire "qu'une dénonciation anonyme non corroborée par d'autres éléments d'information, ni confortée par des vérifications apportant des éléments précis et concordants, ne constitue pas une raison plausible de soupçonner qu'une personne a commis ou tenté de commettre une infraction, permettant à des policiers de procéder à un contrôle d'identité sur le fondement de l'article 78-2, alinéa 1" (Cass. civ. 1, 31 mai 2005, n° 04-50.033, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A5649DI3, D. 2005, IR 1657 ; JCP éd. G, 2005, IV, 2619).

Au vu de l'arrêt du 3 mai 2007, il est donc, désormais, acquis que les policiers ne sauraient utiliser ce cas pour éluder les règles des autres contrôles d'identité légalement prévues.

newsid:285667

Contrats et obligations

[Jurisprudence] La fausseté partielle de la cause ne peut entraîner, dans un contrat synallagmatique, la réduction de l'obligation

Réf. : Cass. civ. 1, 31 mai 2007, n° 05-21.316, M. Alain Maldjian, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A5510DWY)

Lecture: 3 min

N5547BB3

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3209198-edition-n-265-du-21-06-2007#article-285547
Copier

par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit

Le 07 Octobre 2010

L'article 1131 du Code civil (N° Lexbase : L1231AB9), aux termes duquel "l'obligation sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet", assimile à la cause inexistante la fausse cause. Encore faut-il remarquer que les deux notions ne se superposent pas exactement en ce que la fausse cause renvoie, certes, à une absence, totale ou partielle, de cause, mais se caractérise, aussi, par le fait que vient se greffer sur celle-ci un vice du consentement, le plus souvent une erreur : le cocontractant croyait que la cause existait alors qu'elle n'existait pas. Autrement dit, l'absence de cause se double d'une erreur sur son existence, ce qui renvoie, pour reprendre une formule du doyen Carbonnier, à une appréciation de l'absence de cause "à travers la psychologie du débiteur" (1). A l'heure où des codifications européennes ébauchent des modèles de droit des contrats sans aucune référence à la théorie de la cause, un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 31 mai dernier, à paraître au Bulletin, reproduit sur le site de la Cour et annoncé comme devant figurer dans son prochain Rapport annuel, traitant de la cause, et plus précisément de la fausse cause, qui plus est partielle, mérite une attention toute particulière. En l'espèce, des époux avaient accepté de céder au prix de un franc les actions qu'ils possédaient dans le capital d'une société DTP, ce prix ayant été déterminé au vu de la situation comptable de cette société et en tenant compte de l'abandon, par le mari cédant, d'une somme de son compte courant dont il était précisé qu'il s'élevait alors à plus de 1 700 000 francs (environ 259 153,32 euros), le cédant devant, par acte séparé, céder au cessionnaire, moyennant le prix de un franc, la moitié de sa créance sur la société, soit 850 000 francs (environ 129 581,66 euros). Un peu moins d'un an plus tard, les époux ont, par acte notarié, cédé au cessionnaire les actions d'une autre société et le compte courant qu'ils détenaient dans les comptes de celle-ci ainsi que leurs actions de la société DTP et le compte courant d'associé du mari sans cette société, moyennant la constitution d'une rente viagère de 24 000 francs (environ 3 658,77 euros) par an. Or, la difficulté est venue du fait qu'il est résulté d'attestations de l'expert comptable et du commissaire aux comptes de la société DTP que le montant du compte courant du cédant dans les comptes de la société DTP s'élevait seulement à environ 555 000 francs (environ 84 609,20 euros) au jour du premier acte passé entre les parties. Dans ces conditions, le cessionnaire a assigné les époux cédants en sollicitant la réduction du prix de cession.

Débouté par les premiers juges, le pourvoi faisait valoir, devant la Cour de cassation, que dans un contrat synallagmatique, la cause de l'obligation d'une partie réside dans l'objet de l'obligation de l'autre, sa fausseté partielle donnant lieu à la réduction de ladite obligation à la mesure de la fraction subsistante, de telle sorte que, en décidant qu'il n'y avait pas lieu ici à réduction du prix, la cour d'appel avait violé l'article 1131 du Code civil.

Le pourvoi est, cependant, rejeté, la Haute juridiction affirmant, dans un attendu de principe, que "dans un contrat synallagmatique, la fausseté partielle de la cause ne peut entraîner la réduction de l'obligation".

Incontestablement, l'arrêt est d'une grande importance, comme en témoigne au demeurant, on l'a déjà relevé, la très large diffusion qu'a entendu en faire la Cour de cassation. Il s'agit de bien en saisir la portée.

Pour cela, il importe de rappeler qu'un arrêt de la même première chambre civile du 11 mars 2003 avait décidé que "la fausseté partielle de la cause n'entraîne pas l'annulation de l'obligation, mais sa réduction à la mesure de la fraction subsistante" (2). Manifestement, le pourvoi s'en était directement inspiré. Faut-il, dès lors, voir dans l'arrêt du 31 mai dernier, qui rejette le pourvoi, un revirement de jurisprudence ? Nous ne le pensons pas. L'arrêt du 11 mars 2003 précité concernait, en effet, une reconnaissance de dette, autrement dit un acte unilatéral et non pas un contrat. Comme l'a justement relevé une partie de la doctrine, l'acte litigieux n'avait ainsi pas pour objet un échange des prestations, mais bien plutôt la reconnaissance d'une dette antérieure, dont le montant était objectivement déterminé ou déterminable en dehors de la volonté des parties. Aussi bien, une fois fixé, au moyen d'une expertise, le montant de la somme réellement due, il devenait naturel de ne pas imposer le paiement d'une reconnaissance de dette d'un montant plus élevé. La réduction à la somme effectivement due est bien alors, dans ces circonstances, la sanction appropriée (3). Au reste, cette solution pouvait se recommander d'une tradition ancienne, remontant au droit romain, selon laquelle l'engagement de rembourser davantage que la somme effectivement remise donne lieu à réduction au montant de celle-ci (4).

Différente est, en revanche, l'espèce ayant donné lieu à l'arrêt du 31 mai 2007 : il s'agissait, cette fois, d'un contrat synallagmatique. Or, la jurisprudence atteste dans son ensemble de ce que, dans cette hypothèse, l'absence partielle de cause ne peut servir de fondement généralisé à un contrôle de l'équivalence des prestations échangées (5), et ce afin de ne pas renverser le refus de sanction de la lésion qui demeure, en droit français, un principe. Aussi bien ce que l'absence partielle de cause ne peut pas réaliser -encore que, il est vrai, quelques arrêts ont pu paraître assouplir cette tendance en tentant de faire de la cause un instrument de justice contractuelle-, la fausseté partielle de cause ne saurait-elle davantage le faire. L'arrêt du 31 mai dernier aura au moins le mérite de clarifier la situation : la solution de l'arrêt du 11 mars 2003 ne vaut donc que pour le seul domaine qui est le sien, à savoir celui des engagements unilatéraux et, plus précisément, des reconnaissances de dettes.



(1) J. Carbonnier, Droit civil, Les obligations, 20ème éd., n° 58, p. 118.
(2) Cass. civ. 1, 11 mars 2003, n° 99-12.628, M. Jean-Yves Dagnaud c/ Charlotte Leparoux, veuve Dagnaud, FS-P (N° Lexbase : A4281A7P), Bull. civ. I, n° 67, JCP éd. G, 2003, I, 142, obs. J. Rochfeld, RTDCiv. 2003, p. 287, obs. J. Mestre et B. Fages.
(3) Voir not. l'analyse approfondie de J. Ghestin, Cause de l'engagement et validité du contrat, LGDJ, 2006, n° 1144 et s., spéc. n° 1157, p. 752.
(4) J. Ghestin, op. cit., n° 16.
(5) Voir not. F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, Précis Dalloz, 9ème éd., 2005, n° 354, et les références citées.

newsid:285547

Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] L'importance du procès-verbal de carence

Réf. : Cass. soc., 6 juin 2007, n° 06-42.444, M. Yannick Mandin, FS-P+B (N° Lexbase : A5667DWS)

Lecture: 6 min

N5587BBK

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3209198-edition-n-265-du-21-06-2007#article-285587
Copier

par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010


Le procès-verbal de carence que l'employeur est tenu d'établir lorsque les élections professionnelles n'ont pu aboutir à la mise en place de représentants du personnel est important à deux égards. Tout d'abord, il vient justifier que l'employeur a bien respecté l'exigence légale d'organiser les élections professionnelles dans l'entreprise. Ensuite, il autorise, en quelque sorte, l'employeur à s'affranchir de ses obligations en matière d'information et de consultation des représentants du personnel. C'est ce que vient rappeler la Cour de cassation dans un intéressant arrêt du 6 juin 2007 où, pour la première fois à notre connaissance, était en cause l'article L. 321-2-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0548AZC).


Résumé

Dès lors que le procès-verbal de carence établi par l'employeur n'a pas été contesté dans le délai de quinze jours à compter de la date à laquelle les parties intéressées en ont eu connaissance, les salariés ne peuvent prétendre au paiement d'une indemnité pour licenciement économique irrégulier en application de l'article L. 321-2-1 du Code du travail.

1. De l'intérêt pour l'employeur de dresser un procès-verbal de carence

  • L'incitation prétorienne

Lorsque les conditions posées par la loi sont réunies, l'employeur est tenu d'organiser les élections professionnelles dans l'entreprise. Il est évident que le respect de cette obligation n'a pas nécessairement pour effet d'entraîner la mise en place de représentants du personnel. A défaut, par exemple, de candidats, l'entreprise, ou plus exactement la collectivité du personnel, peut parfaitement rester sans représentant.

Ainsi que l'énonce le Code du travail, lorsque l'institution du personnel n'a pas été mise en place ou renouvelée (par absence de candidature ou de quorum au premier tour et absence de candidature au second tour), un procès-verbal de carence est établi par le chef d'entreprise. Celui-ci l'affiche dans l'entreprise et le transmet dans les quinze jours à l'inspecteur du travail, qui en envoie copie aux organisations syndicales de salariés du département concerné (C. trav., art. L. 423-18 N° Lexbase : L7795HBC et L. 433-13 N° Lexbase : L7722HBM). Si la rédaction de ce procès-verbal de carence n'est pas sanctionnée en tant que telle (si ce n'est par le biais du délit d'entrave), ce document n'en revêt pas moins une importance considérable dans la mesure où il constitue au fond, pour l'employeur, la justification de l'exécution de son obligation de mise en place des institutions représentatives du personnel.

La jurisprudence a su en tirer toutes les conséquences dans un important arrêt du 7 décembre 1999. Etait en cause, en l'espèce, l'article L. 122-32-5 du Code du travail (N° Lexbase : L5523ACK) prescrivant à l'employeur de consulter les délégués du personnel avant de s'acquitter de son obligation de reclassement à l'égard d'un salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle. On aurait pu penser que l'employeur était dispensé de cette obligation lorsque l'entreprise est dépourvue de délégués du personnel. Une telle interprétation était pour le moins simpliste et a été contredite par la Cour de cassation affirmant, dans l'arrêt en cause, que "l'employeur ne saurait s'y soustraire au motif de l'absence de délégués du personnel dans l'entreprise dès lors que leur mise en place était obligatoire et qu'aucun procès-verbal de carence n'a été établi" (Cass. soc., 7 décembre 1999, n° 97-43.106, Société d'exploitation Le Floch c/ M. Cabon, publié N° Lexbase : A4787AGE ; Dr. soc. 2000, p. 226, obs. J. Savatier ; pour une confirmation, v. Cass. soc., 2 avril 2003, n° 01-41.782, M. Ahmed Kourimate c/ Association aide aux travailleurs migrants, inédit N° Lexbase : A6619A7B).

Cette solution doit être pleinement approuvée dans la mesure où elle incite les employeurs à s'acquitter de leur obligation au regard de la mise en place des représentants du personnel. L'absence de procès-verbal de carence fait, au fond, présumer que l'employeur n'a pas respecté cette obligation. On peut d'ailleurs se demander si cette "présomption" peut être renversée par la preuve contraire. Sans pouvoir faire preuve de certitude ici, il serait cependant excessif d'interdire à un employeur ayant bel et bien organisé les élections professionnelles d'en rapporter la preuve autrement qu'au moyen du procès-verbal de carence.

  • Une exigence reprise par la loi

Introduit dans le Code du travail par la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 (loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002, de modernisation sociale N° Lexbase : L1304AW9), l'article L. 321-2-1 dispose que "dans les entreprises employant au moins cinquante salariés où le comité d'entreprise n'a pas été mis en place alors qu'aucun procès-verbal de carence n'a été établi et dans les entreprises employant au moins onze salariés où aucun délégué du personnel n'a été mis en place alors qu'aucun procès-verbal de carence n'a été établi, tout licenciement pour motif économique s'effectuant sans que, de ce fait, les obligations d'information, de réunion et de consultation du comité d'entreprise ou des délégués du personnel soient respectées est irrégulier. Le salarié ainsi licencié a droit à une indemnité qui ne peut être inférieure à un mois de salaire brut, sans préjudice des indemnités de licenciement et de préavis qui lui sont par ailleurs dues".

Cette disposition, dont on ne saurait dire avec certitude qu'elle a été inspirée par la décision susmentionnée du 7 décembre 1999 (v., en ce sens, M. Cohen, Les nouvelles attributions des comités d'entreprise depuis la loi de modernisation sociale, Dr. soc. 2002, p. 298), participe du même objectif : inciter les employeurs à la mise en place des institutions représentatives du personnel lorsqu'elle est obligatoire, en tirant une conséquence rigoureuse de l'absence de procès-verbal de carence. Il va de soi que l'article L. 321-2-1, qui en constitue par là même une garantie de mise en oeuvre, est à mettre en relation avec les multiples textes du Code du travail exigeant l'information et la consultation des représentants du personnel lors d'un licenciement pour motif économique.

Pour en venir au cas d'espèce qui nous intéresse et pour aller à l'essentiel, 19 salariés licenciés pour motif économique avaient réclamé en justice le paiement d'une indemnité pour licenciement économique irrégulier en application, précisément, de l'article L. 321-2-1. Les juges du fond leur avaient donné satisfaction en considérant que l'entreprise ne comportait pas de représentant du personnel et que le procès-verbal de carence, qui avait été dressé par l'employeur antérieurement aux licenciements, était contesté par les salariés soutenant que toutes les organisations syndicales représentatives n'avaient pas été invitées à négocier le protocole et, qu'en outre, il n'était pas établi que ce procès-verbal de carence avait été communiqué à l'inspecteur du travail.

2. La contestation du procès-verbal de carence

  • Modalités de la contestation

En matière de contentieux électoral, on sait que la loi invite à distinguer les contestations visant l'électorat et celles relatives à la régularité des opérations électorales. Les premières concernent l'inscription des salariés sur la liste électorale, tandis que les secondes recouvrent tous les litiges pouvant surgir au cours du déroulement du processus électoral. Ainsi que l'exigent les articles R. 423-3 (N° Lexbase : L0331ADM) et R. 433-4 (N° Lexbase : L0354ADH) du Code du travail, les contestations relatives à l'électorat doivent être introduites dans les trois jours suivant la publication de la liste électorale, tandis que les contestations sur la régularité des élections doivent être introduites dans les quinze jours suivant cette élection.

La remise en cause du procès-verbal de carence relevant des contestations relatives à la régularité des opérations électorales, il convenait encore de déterminer quel était le point de départ du délai de quinze jours, en l'absence de toute élection. Faisant preuve de pragmatisme, la Cour de cassation a considéré que "le procès-verbal de carence peut être contesté dans le délai de quinze jours à compter de celui où la partie intéressée en a eu connaissance" (Cass. soc., 17 mars 2004, n° 02-60.699, Société Norsud éditions c/ Union locale des syndicats CGT d'Amiens ville, publié N° Lexbase : A6077DBP).

  • Conséquence de l'absence de contestation dans le délai requis

Si elle reprend cette solution dans l'arrêt rapporté, la Chambre sociale relève surtout que le procès-verbal de carence n'avait fait l'objet d'aucune contestation dans le délai considéré. Elle censure, par suite, la décision des juges d'appel qui, nous l'avons vu, avaient octroyé aux salariés licenciés une indemnité sur le fondement de l'article L. 321-2-1 du Code du travail. Ce faisant, la Cour de cassation considère que cette dernière disposition avait, en l'espèce, été respectée. Il est difficile de ne pas se ranger à cet avis. Conformément aux prescriptions légales, l'employeur avait effectivement procédé à l'établissement d'un procès-verbal de carence qui n'avait pas été contesté dans les temps et était, de ce fait et en quelque sorte, purgé de tout vice.

Cela étant, il faut aussi comprendre que dès lors que le procès-verbal de carence est contesté dans les délais prescrits et que cette contestation aboutit, la violation de l'article L. 321-2-1 est constituée et les salariés licenciés pour motif économique peuvent prétendre à l'indemnité prévue. Une telle issue constitue certainement une nouvelle incitation pour les employeurs à mettre en oeuvre scrupuleusement leur obligation d'organiser les élections professionnelles dans l'entreprise.

Décision

Cass. soc., 6 juin 2007, n° 06-42.444, M. Yannick Mandin, FS-P+B (N° Lexbase : A5667DWS)

Cassation partielle sans renvoi (CA Versailles, 15ème chambre, 16 février 2006)

Textes visés : C. trav., art. L. 321-2-1 (N° Lexbase : L0548AZC) ; C. trav., art. R. 423-3 (N° Lexbase : L0331ADM) ; C. trav., art. R. 433-4 (N° Lexbase : L0354ADH).

Mots-clefs : représentants du personnel ; élection ; consultation ; procès-verbal de carence ; licenciement économique ; irrégularité.

Lien bases :

newsid:285587

Social général

[Jurisprudence] Garantie de l'AGS et rupture des contrats de travail dans les 15 jours de la liquidation judiciaire de l'entreprise

Réf. : Cass. soc., 6 juin 2007, n° 05-40.892, AGS de Paris, P (N° Lexbase : A7853DWR)

Lecture: 9 min

N5639BBH

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3209198-edition-n-265-du-21-06-2007#article-285639
Copier

par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010


Au fil des années, la Cour de cassation a fait évoluer sa jurisprudence pour étendre le champ de la garantie de l'AGS. Un arrêt en date du 6 juin 2007 marque une nouvelle étape dans cette évolution, puisque la Cour confirme, s'agissant du licenciement des salariés intervenus dans les 15 jours du jugement de liquidation, qu'il suffit que le liquidateur ait manifesté son intention de rompre les contrats pour que la garantie soit due, et ce même si aucun licenciement n'a été formellement prononcé (1). Cette solution, qui conclut une évolution déjà engagée les années précédentes (2) doit être approuvée, même si tous les problèmes ne sont pas réglés (3).

Résumé

Le contrat de travail est rompu à la date à laquelle le liquidateur a manifesté son intention de rompre les contrats de travail des salariés protégés. Dès lors, les dettes liées à cette rupture, intervenue dans le délai de 15 jours suivant le jugement de liquidation judiciaire, doivent être garanties par l'AGS.

1. Présentation de la décision

  • L'importance de la date de la rupture

La détermination de la date à laquelle est rompu le contrat de travail présente un très vif intérêt pratique car elle détermine bien souvent le régime applicable à la rupture du contrat de travail (rupture pendant la période d'essai ou après), l'ancienneté du salarié ou, encore, la validité de la renonciation au bénéfice de la clause de non-concurrence. Elle permettra, également, de déterminer si les créances nées de la rupture du contrat de travail seront ou non garanties par l'AGS, singulièrement lorsqu'il s'agit de déterminer si les contrats ont été rompus dans les 15 jours qui suivent le jugement de liquidation de l'entreprise pour se conformer aux exigences posées par l'article L. 143-11-1, 3° du Code du travail (N° Lexbase : L7703HBW).

Cette détermination est facilitée lorsque les contrats ont été formellement rompus et les salariés licenciés en bonne et due forme ; la date de la rupture correspondra alors à l'émission de la lettre recommandée notifiant le licenciement (1). Mais, lorsque les licenciements n'ont pas été formellement prononcés et que la rupture résulte soit d'une prise d'acte informelle, soit d'un comportement attribué à l'une des parties, il semble plus difficile de fixer avec certitude la date de la rupture, comme c'était le cas dans cette affaire.

  • L'espèce

Une entreprise avait annoncé la cessation totale de son activité, compte tenu de l'état de santé de son gérant, et avait été entièrement liquidée. Le fils du chef d'entreprise avait, toutefois, mis sur pied une société ayant rigoureusement la même activité, quelques heures seulement après la liquidation de celle de son père, et avec une partie des anciens salariés. Ceux des salariés qui n'avaient pas été repris, en particulier deux salariés protégés de la première entreprise, avaient considéré qu'il y avait eu fraude à l'article L. 122-12 du Code du travail (N° Lexbase : L5562ACY) et avaient demandé l'annulation de leur licenciement et leur réintégration au service du "nouvel" employeur, ou à défaut des dommages et intérêts réparant le préjudice subi.

Dans un premier temps, la cour d'appel de Bordeaux avait prononcé, à leur demande, la résolution judiciaire du contrat de travail aux torts de l'entreprise, ce qui n'avait pas été du goût de la Chambre sociale de la Cour de cassation qui avait cassé cet arrêt (2).

La Cour de renvoi avait alors procédé différemment et considéré que la date qui devait être prise en compte pour déterminer la garantie de l'AGS devait être celle à laquelle le mandataire-liquidateur avait manifesté sa volonté de rompre le contrat de travail des salariés protégés, c'est-à-dire celle à laquelle il a demandé, en vain, à l'inspecteur du travail l'autorisation administrative de les licencier, cet élément étant pris en compte avec le fait que les deux salariés protégés n'avaient plus de salaire, ni de travail à cette période.

Le demandeur lui reprochait d'avoir ainsi justifié sa décision, alors que la seule expression d'une volonté de licencier les salariés ne suffirait pas à défaut de licenciement prononcé en bonne et due forme.

Telle n'est pas l'analyse de la Chambre sociale de la Cour de cassation qui choisit, au contraire, de rejeter le pourvoi contre cet arrêt, après avoir relevé "que le liquidateur a manifesté son intention de rompre les contrats de travail des salariés protégés, le 25 juin 2006, dans le délai de quinze jours suivant le jugement de liquidation judiciaire et retient que les contrats de travail des intéressés, qui n'avaient plus ni travail ni salaire, ont été effectivement rompus à cette date", et "qu'en l'état de ces constatations, la cour d'appel a décidé à bon droit que l'AGS devait garantir le paiement des créances indemnitaires résultant de la rupture des contrats de travail des salariés, peu important le fait qu'aucune lettre de licenciement ne leur ait été notifiée".

2. Une étape importante dans l'évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation

  • Position classique

Une jurisprudence constante considérait classiquement que le délai de 15 jours pour prononcer les licenciements, après le jugement de liquidation, était impératif (3) et qu'il ne pouvait y être dérogé même si le mandataire ne pouvait connaître l'existence des salariés, ou même s'il avait simplement "oublié" de les licencier (4). Comme, par ailleurs, le jugement de liquidation n'emporte pas, en lui-même, rupture des contrats de travail (5), les salariés se trouvaient privés de la garantie de l'AGS en raison de circonstances totalement étrangères à leur volonté, ce qui n'était guère satisfaisant.

Cette position très stricte était contraire à l'objectif poursuivi par le législateur et à la jurisprudence qui a évolué dans un sens très favorable aux salariés, que l'on considère la notion de créance due en "exécution du contrat de travail" (6) ou encore l'obligation désormais faite à l'AGS de couvrir l'intégralité de la dette de contrepartie financière de la clause de non-concurrence (7).

  • L'assouplissement en présence d'une intention manifeste

A partir de 2000, la Cour de cassation avait commencé à assouplir sa position traditionnelle en n'exigeant plus que les salariés aient été formellement licenciés par une lettre de licenciement en bonne et due forme, dès lors que la volonté du liquidateur de rompre les contrats de travail était établie par une mention dans le bulletin de salaire (8), le reçu pour solde de tout compte ou la remise d'un attestation Assedic mentionnant le licenciement (9).

En 2001, dans une décision encore plus explicite, quoique non publiée au Bulletin, la Cour de cassation avait affirmé, pour justifier la garantie de l'AGS retenue par les juges du fond, "que la cour d'appel, qui a retenu que la disparition de l'entreprise avait entraîné la rupture de fait des relations de travail dont elle a souverainement fixé la date, a pu déduire de ses constatations et énonciations, en l'absence de tout licenciement prononcé dans les conditions de forme et de fond prévues par la loi et peu important que le contrat de travail du salarié ait été alors suspendu, que ladite rupture était imputable à l'employeur et qu'elle devait s'analyser en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ouvrant droit, pour l'intéressé, à réparation du préjudice subi et à paiement des indemnités compensatrice de préavis et légale de licenciement" (10).

La solution avait, d'ailleurs, été clairement exprimée dans un arrêt inédit du 7 décembre 2005, aux termes duquel "les créances résultant de la rupture des contrats de travail des salariés bénéficiaires d'une protection particulière relative au licenciement sont couvertes par l'AGS lorsque l'administrateur, l'employeur ou le liquidateur, selon le cas, a manifesté au cours des périodes mentionnées au 2 de l'article L. 143-11-1, son intention de rompre le contrat de travail" (11).

Dernièrement, dans un arrêt inédit en date du 30 janvier 2007, la Chambre sociale avait, également, affirmé "que la cour d'appel, qui a constaté qu'au jour de sa restitution, le fonds donné en location-gérance était inexploitable, en sorte que les contrats de travail s'y rattachant n'étaient pas transférés au propriétaire du fonds, a pu en déduire qu'en exprimant le 6 juillet 1999 l'intention de ne pas en poursuivre l'exécution, le liquidateur judiciaire avait rompu ces contrats de travail à cette date" (12).

  • Le refus de considérer les contrats rompus en l'absence d'une telle volonté

En 2002, et alors pourtant que l'avocat général Pierre Lyon-Caen l'invitait à opérer un revirement de sa jurisprudence, la Chambre sociale de la Cour de cassation a refusé de considérer que l'AGS devait sa garantie dans une hypothèse où le liquidateur n'avait pas pris l'initiative de la rupture, la salarié invoquant simplement l'impossibilité dans laquelle elle se trouvait de poursuivre normalement son travail, au retour d'un congé maladie (13).

Ce refus s'est confirmé par la suite, les arrêts de cours d'appel ayant considéré les contrats comme rompus sans aucune manifestation de volonté du liquidateur étant cassés (14). Ainsi, dans un arrêt en date du 25 avril 2007, la Cour de cassation s'est montrée intransigeante. Dans cette affaire, le salarié avait écrit au liquidateur pour lui demander son licenciement puis, devant l'inertie de celui-ci, avait demandé et obtenu la résiliation judiciaire de son contrat de travail, à la date du jugement de liquidation, de telle sorte que les créances du salarié entraient bien rétrospectivement dans la garantie de l'AGS. Or, l'arrêt qui avait admis l'ensemble des prétentions du salarié avait été sèchement cassé, la Chambre sociale de la Cour de cassation affirmant "qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que le contrat de travail n'avait pas été rompu par le liquidateur judiciaire dans le délai de quinze jours du jugement de liquidation judiciaire, en sorte que la garantie de l'AGS n'était pas due au titre des indemnités allouées au salarié en conséquence de la rupture de son contrat, la cour d'appel a violé le texte susvisé" (15).

  • La confirmation de cette jurisprudence

C'est donc cette jurisprudence qui se trouve globalement confirmée dans cet arrêt en date du 6 juin 2007, la garantie de l'AGS résultant, ici, d'une analyse de la volonté exprimée par le liquidateur, en l'occurrence à l'occasion de la demande d'autorisation de licenciement des deux salariés adressée à l'inspecteur du travail.

3. Une solution justifiée

  • Le point de vue des salariés

Cette solution semble parfaitement juste pour les salariés qui ne "paient" plus ainsi l'inertie du liquidateur, ou ici le refus d'autorisation de licenciement des salariés protégés.

Dans cette affaire, d'ailleurs, le refus opposé par l'inspecteur du travail à la demande d'autorisation de licenciement s'expliquait certainement par le fait que ce dernier adhérait à la thèse d'une fraude à l'application de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail et, par conséquent, par la volonté de maintenir ces salariés protégés dans l'effectif de l'entreprise afin qu'ils puissent bénéficier du maintien de leur contrat de travail. Or, dans la mesure où la Chambre sociale de la Cour de cassation avait considéré, dans le premier arrêt intervenu en 2004 (16), que ce texte ne devait pas recevoir application, il semblait injuste pour les salariés de leur faire payer ainsi une erreur d'appréciation sur les conditions d'application de l'article L. 122-12 du Code du travail.

  • Portée de la décision

Reste à véritablement apprécier la portée de cet arrêt rendu le 6 juin 2007. La garantie de l'AGS, en l'absence de réception par les salariés, d'une lettre de licenciement, semble, en effet, subordonnée à de strictes conditions : le liquidateur doit avoir, en premier lieu "manifesté son intention de rompre les contrats de travail des salariés", et, en second lieu, les salariés doivent avoir été privés de travail et de salaire, de telle sorte que les contrats de travail "ont été effectivement rompus à cette date".

Il semble donc qu'en l'absence de manifestation de volonté du liquidateur judiciaire, en l'occurrence une demande d'autorisation administrative de licenciement, le simple fait que le travail ait cessé d'être exécuté ne suffit pas, en l'absence de formalisation de la rupture, conformément d'ailleurs aux décisions rendues ces derniers mois.

  • L'extension souhaitable à d'autres modes de rupture du contrat de travail

L'article L. 143-11-1, 2° du Code du travail vise la "rupture des contrats de travail intervenant [...] dans les quinze jours suivant le jugement de liquidation", sans autre précision. Dès lors que cette "rupture" fait naître au profit d'un salarié une créance contre l'employeur, l'AGS en doit alors garantie. Il conviendrait, par conséquent, d'étendre la solution retenue dans cet arrêt à d'autres hypothèses de ruptures produisant les effets d'un licenciement, comme la prise d'acte par le salarié de la rupture du contrat de travail, devenu impossible à exécuter, ou la résiliation judiciaire du contrat de travail, pour les mêmes faits.

  • La mise en cause personnelle du liquidateur fautif

Dans l'hypothèse où le liquidateur est demeuré purement passif, et où les salariés n'ont pas réagi, la garantie de l'AGS ne serait toutefois pas due. Dans l'attente d'une modification en ce sens du Code du travail, les salariés devraient alors se retourner vers le liquidateur pour mettre en cause sa responsabilité personnelle (17), même si cette perspective est, bien entendu, moins favorable que celle de la prise en charge par l'AGS.


(1) Cass. soc., 26 septembre 2006, n° 05-44.670, Société Gestion technologie finances conseil (GTF), F-P (N° Lexbase : A3623DRM). L'ancienneté du salarié est, en revanche, calculée à compter de la réception de la lettre de licenciement.
(2) On sait d'ailleurs que, depuis, la Cour de cassation admet que les salariés protégés puissent obtenir la résiliation judiciaire de leur contrat de travail : Cass. soc., 16 mars 2005, n° 03-40.251, Société Carcoop France c/ M. Michel Buisson, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2739DHW) ; lire nos obs., Le représentant du personnel peut demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail, Lexbase Hebdo n° 160 du 24 mars 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N2298AIX).
(3) Cass. soc., 21 novembre 1989, n° 87-42.243, Assedic du Sud-Ouest c/ Segura et autre, inédit (N° Lexbase : A8293AGA).
(4) Cass. soc., 8 janvier 1997, n° 95-42.069, M. Pierrel, ès qualités de mandataire liquidateur de la société La Cinq. Le GARP et autre c/ M. Grégoire Paulus et autre, inédit (N° Lexbase : A5146CPB).
(5) Cass. soc., 18 novembre 1992, n° 91-43.960, Assedic de Bretagne et autre c/ M. Plassart et autres, publié (N° Lexbase : A5354ABW) ; Bull. civ. V, n° 558.
(6) Dernièrement, à propos de la garantie du paiement des cotisations sociales : Cass. soc., 24 octobre 2006, n° 04-46.622, AGS, FS-P+B (N° Lexbase : A0266DSN) ; lire nos obs., L'AGS doit garantir le non-paiement des cotisations sociales obligatoires, Lexbase Hebdo n° 235 du 9 novembre 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N4748ALG).
(7) Cass. soc., 20 juin 2006, n° 04-48.493, AGS, FS-P+B (N° Lexbase : A9940DPT) ; Dr. soc. 2006, p. 1051, et les obs..
(8) Cass. soc., 15 mars 2000, n° 98-41.317, AGS et autres c/ M. Saïd Boudersa et autres, inédit (N° Lexbase : A5744CTW) : "Attendu que l'arrêt, qui, relevant qu'un bulletin de paye relatif à la période du 1er au 27 janvier 1995 et comportant l'indication d'une indemnité de licenciement et d'une période de préavis de deux mois avait été remis au salarié par le liquidateur dès sa prise de fonctions, a ainsi fait ressortir que la rupture du contrat de travail de l'intéressé avait été prononcée sans l'envoi d'une lettre énonçant le motif du licenciement avant le jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire de l'employeur".
(9) Cass. soc., 13 juin 2001, n° 99-42.977, CGEA de Nancy et autres c/ M. Suleyman Ceranic et autres, inédit (N° Lexbase : A6112CS8) : "Attendu que les arrêts, qui, relevant, d'une part, que la liquidation judiciaire de l'employeur avait été prononcée le 12 novembre 1996 et, d'autre part, qu'un reçu pour solde de tout compte et une attestation pour l'Assedic avaient été adressés aux salariés avec leur dernier bulletin de paye le 26 novembre 1996 par le liquidateur, ont ainsi fait ressortir que les contrats de travail à durée déterminée des intéressés avaient été rompus à cette date par l'employeur dans les quinze jours suivant le jugement de liquidation judiciaire, hors les cas de faute grave ou de force majeure".
(10) Cass. soc., 3 avril 2001, n° 99-41.537, CGEA de Marseille c/ M. Abou Mondher Haouari, inédit (N° Lexbase : A5059AGH) ; voir, également, Cass. soc., 8 décembre 2004, n° 02-44.080, AGS de Paris c/ M. Jacques Locascio, F-D (N° Lexbase : A3530DEH).
(11) Cass. soc., 7 décembre 2005, n° 03-43.768, AGS de Paris c/ M. Michel Schellino, F-D (N° Lexbase : A9155DLN) : "Qu'en statuant comme elle l'a fait, alors que la volonté de rompre le contrat de travail ne pouvait résulter du seul fait que l'employeur avait omis de mentionner le nom du salarié sur la liste du personnel remise à l'administrateur, la cour d'appel a violé le texte susvisé".
(12) Cass. soc., 30 janvier 2007, n° 04-46.026, AGS, F-D (N° Lexbase : A7779DTB).
(13) Cass. soc., 3 avril 2002, n° 99-44.288, AGS de Paris c/ Mme Marie-Solène Margerie, FP-P (N° Lexbase : A4548AY4) ; Dr. soc. 2002, p. 527, avis. P. Lyon-Caen.
(14) Cass. soc., 20 mars 2007, n° 05-41.219, AGS, F-D (N° Lexbase : A7435DUW) : "Pour juger que l'AGS devait sa garantie au titre des créances d'indemnité de préavis et de dommages-intérêts, la cour d'appel retient, après avoir constaté qu'aucune procédure de licenciement n'avait été diligentée par le liquidateur judiciaire, que la rupture du contrat de travail s'est produite au 31 janvier 2003, jour de la cessation définitive d'activité de la société, et que cette rupture est intervenue pendant le maintien provisoire de l'activité de l'entreprise ; qu'en statuant ainsi, alors qu'il ne résulte pas de ses constatations que le contrat de travail ait été rompu par le liquidateur judiciaire pendant le maintien de l'activité autorisé par le jugement de liquidation judiciaire, la cour d'appel a violé le texte susvisé".
(15) Cass. soc., 25 avril 2007, n° 04-47.848, AGS, F-D (N° Lexbase : A0172DWB).
(16) Cass. soc., 11 février 2004, n° 01-44.469, M. Thierry Nicolas c/ M. Louis Hirou, F-D (N° Lexbase : A2690DBA).
(17) Par exemple, Cass. soc., 10 mai 2001, n° 99-41.575, AGS de Paris c/ Mme Yvette Sebaoun (N° Lexbase : A5097AGU).

Décision

Cass. soc., 6 juin 2007, n° 05-40.892, AGS de Paris, P (N° Lexbase : A7853DWR)

Rejet (CA Limoges, 1ère et 2ème chambres réunies, 8 décembre 2004)

Textes concernés : C. trav., art. L. 143-11-1 (N° Lexbase : L7703HBW)

Mots-clefs : AGS ; garantie ; rupture des contrats de travail.

Lien bases :

newsid:285639

Fiscalité des particuliers

[Chronique] Droits de succession : anatomie d'une mort annoncée

Lecture: 21 min

N4081BBR

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3209198-edition-n-265-du-21-06-2007#article-284081
Copier

par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

Le 07 Octobre 2010

Agen, juin 2006, Nicolas Sarkozy souhaitait "que chacun puisse transmettre à ses enfants sans aucun droit de succession le patrimoine constitué tout au long d'une vie de travail". Cinq mois plus tard, à Saint-Etienne, il ciblait seulement "les patrimoines petits et moyens". Enfin, dans son projet présidentiel, il affirmait : "je supprimerai les droits de donation et de succession pour que les familles, à l'exception des plus riches, puissent transmettre librement le fruit du travail de toute leur vie à leurs enfants". La controverse était, dès lors, relancée : quid de la suppression des droits de succession, arlésienne s'il en est, après celle miroitée de l'impôt de solidarité sur la fortune ? Sans s'attacher, ici, à l'impact économique de la suppression de l'impôt sur les successions, nous nous intéresserons plus volontiers à sa raison d'être et aux raisons profondes de le supprimer : en quoi supprimer les droits de succession (ou quasi les supprimer) emporte-t-il une symbolique si puissante dans l'inconscient collectif, qu'il en irait de la consécration de l'abandon d'une solidarité intergénérationnelle collective au profit d'une solidarité directe, et en filigrane de l'abandon d'un acquis révolutionnaire au profit d'un autre ?

Rappel historique : naissance tardive d'un "impôt de solidarité sur la fortune"... avant l'heure

Contrairement à la plupart des impôts structurant les finances publiques des Etats occidentaux, les droits de succession ou "taxes sur la mort" sont d'une conception relativement récente. S'en approchant au mieux, en ce que l'impôt sur les successions est un impôt dit "sur le capital", la Chine du VIIIème siècle avant J-C connaissait déjà l'impôt foncier payé en nature et assis sur la superficie des terres. Le klarag mésopotamien était un prélèvement sur la récolte (impôt sur le revenu), mais assis selon la fertilité de la terre (corrigé donc par la valeur du capital). L'Egypte antique avait, certes, instauré l'enkyklion ou droit de mutation sur le transfert de propriété, mais rien qui ne s'apparente, de près ou de loin, à un droit de succession. L'empire romain, pas plus que l'occident médiéval, ne connaîtront un tel besoin d'imposer spécifiquement le patrimoine au moment de sa transmission à cause de mort. Et à vrai dire, offrandes en holocauste, offrandes en oblation, ou offrandes de communion, les préceptes même de la Bible (Lévitique 1, 2 et 3) commandent l'impôt "sacrificiel", versé à l'Etat théocratique, des vivants pour le salut des morts, plus que "à cause de mort" pour le salut des vivants !

En fait, les droits de succession naissent, en France, et en toute cohérence, avec la Révolution française. D'abord, la suppression des privilèges d'ordre et de classe (la nuit du 4 août), et la volonté de taxer les citoyens selon "les signes extérieurs de richesse" animent l'esprit des révolutionnaires. N'oublions pas que le système d'impôts directs, dit des "quatre vieilles", avait comme ligne directrice la recherche de ces signes extérieurs permettant, aux yeux des révolutionnaires, de lever l'arbitraire dans le calcul de l'assiette de l'impôt (cf. la contribution des portes et fenêtres). Mais, à la différence de la contribution foncière des physiocrates assise, d'ores et déjà, sur le produit net de la terre, les droits de succession se réclamaient plus volontiers des droits d'enregistrement et de timbre, apparaissant comme la rétribution d'un acte authentique garantissant la sécurité juridique. C'est, sans doute, pour cette raison que son taux proportionnel n'était que de 1 % en ligne directe s'appliquant à toutes les transmissions, quel que soit leur montant !

Aussi, il faut attendre la loi du 25 février 1901 pour que l'impôt sur les successions adopte son essence actuelle : c'est-à-dire, non plus une taxe patrimoniale assimilée à une redevance de service public et ministériel, mais un impôt de répartition sociale, un instrument de la solidarité nationale. L'idée n'est pas neuve : la Convention jacobine entendait, déjà, réduire les inégalités sociales au moyen de l'impôt (il ne s'agissait déjà plus d'assurer, seulement, le bon fonctionnement de l'Etat). Mais, la France n'est pas l'Angleterre et les physiocrates majoritaires ne sont pas d'esprit Lockéen. La sacralisation du droit de propriété, au travers de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen (DDHC) notamment, empêche le développement rapide d'un impôt sur le capital ; le "programme des enragés" montagnards est rapidement abandonné.

Finalement, c'est parce que le XIXème siècle a su apprécier le pouvoir instrumental de l'impôt que l'idée de la progressivité s'est développée dans les esprits. Mais, ne nous y trompons pas : l'impôt du XIXème siècle est, avant tout, un impôt "qui stimule le désir de mettre une fraction du revenu de côté, afin d'inciter à la productivité et à ne pas payer d'impôt supplémentaire parce qu'on développe ses affaires". C'est toute la théorie des classiques Smith, Say et Bastiat, qui est reprise à son compte par l'Etat fiscal "bourgeois". Aussi, c'est parce que la classe dirigeante redoutait les révoltes et crises sociales que l'idée d'un impôt sur le capital plus équitable s'est développée, appuyée, en cela, par l'émergence du communisme d'Engels, pour lequel la limitation de la propriété privée supposait des impôts progressifs, de forts impôts sur les successions, avec une suppression du droit de succession en ligne collatérale (frères, neveux, etc., etc.,), et des emprunts forcés (Principes du communisme).

Le symbole le plus criant de ce courant de pensée est l'impôt progressif sur les revenus de Joseph Caillaux, institué en 1914. Pourtant, le premier impôt progressif existait bel et bien depuis 1901 : les droits de succession dont le taux pouvait être porté à 2,5 %, et atteignait 40 % en ligne directe, en 1920. C'est en 1956 qu'est introduit le principe d'un abattement forfaitaire. La loi de 1959 réduisit le taux supérieur à 15 % en ligne directe et créa des abattements supplémentaires pour les conjoints et les enfants. En 1983, le taux marginal était remonté à 40 % (sur la fraction dépassant 11,2 millions de francs, soit 1 707 429 euros).

Le catéchisme révolutionnaire avait triomphé : "L'égalité et la justice réclament uniquement : une organisation de la société telle que tout individu humain naissant à la vie y trouve, en tant que cela dépendra non de la nature mais de la société, des moyens égaux pour le développement de son enfance et de son adolescence jusqu'à l'âge de sa virilité, pour son éducation et pour son instruction d'abord, et plus tard pour l'exercice des forces différentes que la nature aura mises en chacun pour le travail. Cette égalité de point de départ, que la justice réclame pour chacun, sera impossible tant qu'existera le droit de succession. La justice, autant que la dignité humaine exigent que chacun soit uniquement le fils de ses oeuvres [...] Abolition du droit d'héritage. - Tant que ce droit existera la différence héréditaire des classes, des positions, des fortunes, l'inégalité sociale en un mot et le privilège subsisteront sinon en droit, du moins en fait" (Michel Bakounine).

Rappel juridique : bien appréhender les droits des successions en 2007

Aujourd'hui, et aux termes de l'article 750 ter du CGI (N° Lexbase : L8087HL4), les droits de succession sont dus à la suite d'un décès, selon les règles de la dévolution légale, de dispositions testamentaires ou de donation à cause de mort. Les droits de succession frappent donc toutes les transmissions de biens qui s'effectuent à l'occasion du décès, c'est-à-dire celles qui résultent :

- de la dévolution légale (successions ab intestat) ;

- de dispositions testamentaires (legs universel, legs à titre universel ou à titre particulier) ;

- de donations à cause de mort, dont la réalisation est subordonnée au décès du donateur (donations éventuelles, donations de biens à venir ou institutions contractuelles, donations cumulatives de biens présents et à venir) (C. civ., art. 1082 N° Lexbase : L0247HPT, 1084 N° Lexbase : L0249HPW et 1093 N° Lexbase : L0258HPA).

- d'une clause de tontine insérée dans un contrat d'acquisition en commun.

En revanche, les droits de succession ne sont pas dus :

- sur les biens de la communauté recueillis par l'époux survivant, en vertu d'une convention de mariage (communauté universelle notamment) ;

- sur la pension alimentaire que l'époux survivant peut demander à la succession de son conjoint ;

- sur la réunion de l'usufruit à la nue-propriété par le décès de l'usufruitier ;

- sous réserve des dispositions de l'article 757 B du CGI (N° Lexbase : L8111HLY), sur les sommes stipulées payables lors du décès de l'assuré à un bénéficiaire déterminé (assurance-vie) ;

- et pour les successions ouvertes entre le 23 janvier 2002 et le 31 décembre 2010, sur les immeubles et droits immobiliers situés en Corse (CGI, art. 1135 bis N° Lexbase : L9791HL9). Toutefois, cette exonération concerne uniquement les biens pour lesquels le droit de propriété du défunt n'a pas été constaté antérieurement à son décès par un acte régulièrement transcrit et publié et sous réserve du respect des conditions de l'article 641 bis du CGI (N° Lexbase : L7674HLS).

Enfin, sont exonérées de droits de mutation par décès les personnes dispensées de dépôt de déclaration de succession.

Pour les successions en ligne directe et entre époux, ouvertes à compter du 1er janvier 2002, il est effectué un abattement de 76 000 euros sur la part du conjoint survivant (CGI, art. 779-I N° Lexbase : L4716HWL). Par ailleurs, il est effectué un abattement de 50 000 euros sur la part de chacun des ascendants et sur la part de chacun des enfants vivants ou représentés. Pour la perception des droits de succession, il est effectué un abattement de 57 000 euros sur la part du partenaire lié au donateur ou au testateur par un pacte civil de solidarité. Enfin, un abattement de 57 000 euros est effectué sur la part recueillie par chaque frère ou soeur du défunt, sous réserve :

- qu'au moment du décès, ce frère ou cette soeur soit célibataire, veuf, divorcé ou séparé de corps ;

- qu'il soit, au moment de l'ouverture de la succession, âgé de plus de 50 ans, ou atteint d'une infirmité le mettant dans l'impossibilité de subvenir par son travail aux nécessités de l'existence ;

- qu'il ait été constamment domicilié avec le défunt pendant les cinq années ayant précédé le décès.

Chaque part successorale supporte les droits de mutation suivant des taux progressifs (CGI, art. 777 N° Lexbase : L8165HLY) :

-Tarif des droits applicables en ligne directe

  • N'excédant pas 7 600 euros : 5 %
  • Comprise entre 7 600 et 11 400 euros : 10 %
  • Comprise entre 11 400 euros et 15 000 euros : 15 %
  • Comprise entre 15 000 euros et 520 000 euros : 20 %
  • Comprise entre 520 000 euros et 850 000 euros : 30 %
  • Comprise entre 850 000 euros et 1 700 000 euros : 35 %
  • Au-delà de 1 700 000 euros : 40 %

- Tarif des droits applicables entre époux

  • N'excédant pas 7 600 euros : 5 %
  • Comprise entre 7 600 et 15 000 euros : 10 %
  • Comprise entre 15 000 euros et 30 000 euros : 15 %
  • Comprise entre 30 000 euros et 520 000 euros : 20 %
  • Comprise entre 520 000 euros et 850 000 euros : 30 %
  • Comprise entre 850 000 euros et 1 700 000 euros : 35 %
  • Au-delà de 1 700 000 euros : 40 %

- Tarif des droits applicables entre partenaires d'un PACS

  • N'excédant pas 15 000 euros : 40 %
  • Excédant 15 000 euros : 50 %

- Tarif des droits applicables entre frères et soeurs

  • N'excédant pas 23 000 euros : 35 %
  • Supérieure à 23 000 euros : 45 %

- Autres successions

  • Entre parents jusqu'au quatrième degré inclusivement : 55 %
  • Entre parents au-delà du quatrième degré et entre personnes non parentes : 60 %

Sociologie actuelle de l'impôt sur les successions

Globalement, les abolitionnistes estiment que l'impôt sur les successions participe du carcan qui emprisonne la productivité et la croissance française ; et ce d'autant plus volontiers dans une économie mondialisée. Et psychologiquement, il s'agirait d'enlever la chape de plomb qui couvre le "résultat d'une vie de travail" : l'impôt sur le patrimoine à cause de mort. C'est pourquoi, outre la réduction d'impôt sur les intérêts d'emprunt afférent à une acquisition immobilière, la réforme des droits de succession (suppression ou limitation en vue d'exonérer 95 % des Français (ou plutôt 95 % des successions) est, également, attendue par l'opinion publique, dès cet été. En effet, l'opinion publique est, majoritairement (69 % des sondés selon une enquête BVA de septembre 2006), favorable à la suppression de cet impôt, alors que seul le tiers des sondés serait favorable à celle de l'ISF. Le consentement à l'impôt si cher à l'article 14 de la DDHC (N° Lexbase : L1361A9B) ne fait plus recette sur le dos de la mort !

Et pourtant, on hérite en moyenne d'un peu moins de 30 000 euros (50 % des successions sont d'un montant inférieur à 50 000 euros) ! Sommes allègrement couvertes par les différents abattements déjà en vigueur. Sur les 528 000 décès annuels, seulement 350 000 ouvrent droit à une succession. 86 % des successions sont d'un montant inférieur à 150 000 euros. Les 14 % restant représentent 55 % du patrimoine global transmis par les Français. Pour reprendre l'argumentaire des anti-abolitionnistes, seuls 10 % des héritiers (donc la fourchette des 86 à 95 % des successions non exonérées) profiteraient donc de ce "cadeau fiscal".

S'agit-il, alors, de crisper les tenants de l'impôt sur le patrimoine, pour favoriser, somme toute, moins de 35 000 héritiers-contribuables par an ? En réalité, l'enjeu serait tout autre : il s'agit de déboulonner la stature symbolique que revêt l'impôt sur les successions. Autrement dit, il s'agirait d'adresser un message lui aussi symbolique, aux termes duquel le patrimoine acquis au long d'une vie, ayant déjà subi l'impôt, sera exonéré, dans une large mesure, de taxation lors de sa transmission à ses proches.

Proposition en cours d'examen

L'article 4 du projet de loi soumis au Conseil d'Etat emporte, non pas la suppression formelle des droits de succession, mais une suppression des droits en cas de succession au profit du conjoint survivant ou du partenaire d'un Pacs (CGI, art. 796-0 bis nouveau), ainsi qu'un abattement important : 150 000 euros sur la part de chacun des ascendants ou descendant (enfants vivants ou représentés par suite de prédécès ou de renonciation) (CGI, art. 779 nouveau). Enfin, l'abattement de 5 000 euros applicable actuellement sur la part de chacun des frères ou soeurs vivants ou représentés par suite de prédécès ou de renonciation serait porté à 15 000 euros.

De facto, compte tenu de sa sociologie évoquée plus haut, cet impôt ne serait plus qu'une coquille vide qui toucherait moins de 5 % des successions. Alors, pourquoi le conserver ? Pourquoi ne pas le supprimer tout simplement (il serait intéressant d'examiner à terme le rendement [masse recouvrée/frais de recouvrement] de ce futur impôt sur les successions).

De la liberté de propriété commandant la prohibition des droits de succession...

Aux origines du monde libéral, on a pu lire, en son temps, que "tout impôt doit nécessairement atteindre le capital ou le revenu. S il frappe le capital, il diminue proportionnellement le fonds dont l'importance règle le développement que peut recevoir l'industrie d'un pays [...]. Le désir que tout homme a de maintenir son rang dans le monde, et de conserver intacte sa fortune, fait que la plupart des impôts sont payés par le revenu, qu'ils se trouvent, d'ailleurs, assis sur les capitaux ou sur les revenus. Par conséquent, à mesure que les impôts augmentent, ainsi que les dépenses du Gouvernement, la dépense annuelle de la nation doit diminuer, à moins que le peuple ne puisse augmenter son capital et son revenu dans les mêmes proportions. Il est de l'intérêt de tout Gouvernement d encourager cette disposition dans le peuple, et de ne jamais lever des impôts qui atteignent inévitablement les capitaux ; car on attaque ainsi le fonds destiné à l'entretien de l industrie, et on diminue par conséquent la production future du pays" (David Ricardo, Des principes de l'économie politique et de l'impôt).

Adam Smith avait précédé le pas : "Tous les impôts établis sur des mutations de toute espèce de propriété, en tant qu'ils diminuent la valeur capitale de cette propriété, tendent à diminuer le fonds destiné à l'entretien du travail productif ; tous sont plus ou moins des impôts dissipateurs qui augmentent le revenu du souverain : or, le souverain entretient généralement des travailleurs improductifs aux dépens du capital du peuple, qui n'entretient, lui, jamais que des ouvriers productifs".

"Ils empêchent encore le capital national de se distribuer de la manière la plus avantageuse pour la société. Ces sortes d impôts sont d'une perception aisée, et bien des personnes paraissent croire que cela compense jusqu'à un certain point les mauvais effets qu'ils produisent" reprenait Ricardo.

Enfin, pour Jean-Baptiste Say, à la question "Avec quoi les particuliers paient-ils l'impôt quand leurs revenus ne suffisent pas à leurs dépenses et à cette charge ? Avec une partie de leurs capitaux ; ce qui attaque une des sources de la production. Ce malheur arrive surtout dans les pays où l'impôt est excessif ; et s'il n'entraîne pas le déclin total du pays, c'est parce que les accumulations faites par certains particuliers balancent ou surpassent la déperdition éprouvée par certains capitaux" (Catéchisme d'économie politique).

Les critiques des premiers libéraux sur l'impôt sur le capital sont sévères ! Elles contrastent avec la doctrine de l'Eglise catholique, plus soucieuse de la solidarité.

... au consentement à l'impôt progressif sur le capital d'essence divine et non plus seulement populaire (et universel) !

Tout d'abord neutre sur le plan fiscal, la doctrine de l'Eglise s'est peu à peu prononcée en faveur de l'impôt chantre de la redistribution sociale et des solidarités.

Le Catéchisme de l'Eglise catholique prône que la soumission à l'autorité et la coresponsabilité du bien commun exigent moralement le paiement des impôts, l'exercice du droit de vote, la défense du pays : "Rendez à tous ce qui leur est dû : à qui l'impôt, l'impôt ; à qui les taxes, les taxes ; à qui la crainte, la crainte ; à qui l'honneur, l'honneur" (Rom. 13, 7).

A l'époque moderne, comme le rappelait le Cardinal Lustiger lors du Congrès du Laïcat catholique à Rome en novembre 2000, il reste de cette situation la division entre le temporel et le spirituel dont le fondement scripturaire est cherché dans la parole de Jésus au sujet de l'impôt : "Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu".

Mais, le Conseil pontifical "justice et paix" (compendium de la doctrine sociale de l'Eglise) va bien plus loin. "Les recettes fiscales et la dépense publique revêtent une importance économique cruciale pour chaque communauté civile et politique : l'objectif vers lequel il faut tendre consiste en des finances publiques capables de se proposer comme instrument de développement et de solidarité". "Les finances publiques s'orientent vers le bien commun quand elles s'en tiennent à quelques principes fondamentaux : paiement des impôts comme spécification du devoir de solidarité ; rationalité et équité dans l'imposition des contributions ; rigueur et intégrité dans l'administration et dans la destination des ressources publiques. Dans la distribution des ressources, les finances publiques doivent suivre les principes de la solidarité, de l'égalité, de la mise en valeur des talents, et accorder une grande attention au soutien des familles, en destinant à cette fin une quantité appropriée de ressources".

Enfin, "l'emploi est certainement un défi majeur de la vie internationale. Il suppose une saine répartition du travail et la solidarité entre toutes les personnes en âge de travailler et aptes à le faire. Dans cet esprit, il n'est pas normal que des catégories professionnelles aient avant tout le souci de préserver des avantages acquis, ce qui ne peut qu'avoir des répercussions néfastes sur l'emploi au sein d'une nation. En outre, l'organisation parallèle du travail au noir lèse gravement l'économie d'un pays, car elle constitue un refus de participer à la vie nationale par les contributions sociales et par l'impôt ; de même, elle place des travailleurs, en particulier des femmes et des enfants, dans une situation incontrôlable et inacceptable de soumission et de servilité, non seulement dans les pays pauvres mais aussi dans les pays industrialisés. Il est du devoir des Autorités de faire en sorte que, au regard de l'emploi et du Code du travail, tous aient les mêmes possibilités" (Discours du Saint-Père à la Plénière de l'Académie pontificale des sciences sociales, 6 mars 1999).

L'Eglise adoube donc bien l'idée d'un impôt équitable de répartition sociale sur le capital et n'exclue pas, dans ses textes, un impôt à cause de mort, malgré l'appréhension délicate de l'événement aux yeux de la religion. Coïncidence : l'année de la laïcisation de l'Etat, verrait la consécration d'un impôt au service de la solidarité approuvée par les canons même de l'Eglise.

La suppression des droits de succession : ni libérale, ni théologique...

Voir dans cette suppression ou ce fort allègement annoncé la simple reprise, au goût du jour, des théories économistes classiques ou libérales serait erroné.

Partout décriés, les droits de succession s'imposent paradoxalement comme l'impôt du futur, alors que se profile le transfert de propriété le plus important de l'histoire (capital important des seniors constitué à la suite des Trente Glorieuses et augmentation des prix de l'immobilier conjuguée = rendement progressif assuré dans les années à venir). Avec la suppression des droits de succession, les tenants libéraux d'un désendettement de l'Etat en seraient pour leurs frais (aujourd'hui de 7 milliards d'euros, par an).

Par ailleurs, qui sait qu'aux Etats-Unis, ce sont les plus libéraux qui se dressent contre l'abolition de l'impôt sur les successions. Une centaine de milliardaires, dont George Soros, Warren Buffett, les héritiers Rockefeller ou encore le père de Bill Gates, pressaient George Bush de continuer à prélever l'impôt sur les successions. "Derrière ce cocasse Please tax me', un message plus sérieux : l'Amérique encourage l'enrichissement... mais en vertu du talent, non du lien héréditaire. Le rêve américain repose sur le désir de bâtir une fortune sur une terre vierge. Pas vraiment sur la gestion d'un viager. En fait, les vrais libéraux sont pour les droits de succession, les conservateurs, contre, explique Jean-Pierre Petit, directeur de la recherche économique à Exane BNP Paribas" (Franck Dedieu, Droits de succession : les pièges de l'abolition, L'Expansion du 27 septembre 2006).

Enfin, "exonérer totalement, c'est prendre le risque de voir les richesses se concentrer entre les mains des plus vieux. De muséifier le patrimoine", s'inquiétait le sénateur UMP Alain Lambert, ancien ministre du Budget.

La suppression de l'impôt sur les successions ne serait donc pas véritablement, d'essence libérale.

... mais l'application du principe de réalité ?

En matière fiscale, chacun sait que le principe de réalité prévaut. On hérite en moyenne à 53 ans : c'est-à-dire 15 ans plus tard qu'il y a deux générations, nous rappelle Louis Chauvel. Les vertus de redistribution sociale et collective de l'impôt sur les successions sembleraient donc se reporter toujours plus loin avec l'allongement de la vie. Mais bien qu'il soit un progrès scientifique pour l'humanité, l'allongement de la vie ne fait pas l'affaire de la redistribution intergénérationnelle. En héritant de plus en plus tard, la circulation du capital de réinvestissement dans l'économie intervient, lui aussi, de plus en plus tard. A titre de palliatif, on sait que 75 % des ménages aident leurs enfants à s'installer, à poursuivre leurs études. Ainsi, avec 280 000 donations par an, et à la lumière de l'arsenal de mesures incitatives plus ou moins récentes, l'imposition sur le patrimoine du défunt, vidé peu à peu de son assiette, présente-t-elle encore un sens ? Même symbolique ?

La solidarité intergénérationnelle du XXème siècle semble donc s'exprimer volontiers sous l'égide de la donation directe plutôt que de la succession, solidarité collective. Et le phénomène tendrait à s'amplifier ; le projet de loi examiné prévoyant un relèvement des abattements pour transmission entre vifs. Il s'agit, alors, de favoriser la circulation des capitaux, aujourd'hui, par voie de donation et de promouvoir le réinvestissement de ces mêmes capitaux dans l'économie (à coup de réductions et de crédits d'impôt en faveur de l'investissement) ; plutôt que d'attendre la grande vague des successions à venir.

Par ailleurs, l'idée d'une suppression des droits de succession n'est pas une "exception" Française. En 1979, l'Australie est l'un des premiers pays à supprimer les droits de succession. En 1998, la République tchèque les supprime à son tour. En 2001, l'Italie les abolit elle aussi pour faire revenir les expatriés fiscaux. Enfin, les Etats-Unis explorent, également, progressivement cette voie. Le "consumérisme" fiscal à coût de dumping progresse : la suppression de l'ISF s'avérant aller à l'encontre du sentiment majoritaire de l'opinion publique, celle de l'impôt sur les successions (premier impôt sur le patrimoine) serait-elle plus enclin, consentement populaire à l'appui, à renforcer l'attractivité fiscale de la France ?

La suppression annoncée ne serait, alors, qu'une réponse pragmatique afin d'adapter le système fiscal français aux canons de la mondialisation et du forum shopping, intégrant, dans sa dynamique et sa prospective de rendement, une donnée factuelle : le remplacement progressif de la solidarité intergénérationnelle collective par une solidarité intergénérationnelle directe.

Conclusion

Supprimer les droits de succession, pour les anti-abolitionnistes, c'est moins "favoriser la rente au détriment du travail", comme l'affirment certains, que de porter atteinte à l'impôt d'essence révolutionnaire par excellence, de porter atteinte au deuxième pilier de la progressivité de l'impôt. En effet, le patrimoine acquis a, déjà, été taxé au titre de l'impôt sur le revenu, des droits d'enregistrement ou de la TVA, des impôts fonciers, et, éventuellement, de l'ISF (dans l'ordre chronologique d'apparition de l'impôt dans la vie du patrimoine en cause). En revanche, la suppression de l'impôt sur les successions entraîne de facto une régression d'une certaine idée de la circulation du capital.

Pour les abolitionnistes, en revanche, supprimer l'impôt sur les successions, c'est, d'abord, d'un point de vue économique, laisser le choix aux acteurs sociaux des voies de circulation du capital au sein d'une société (immédiat, reporté, direct ou indirect). Pour les juristes, ce serait l'affirmation de la suprématie du droit de propriété, autre principe sacralisé par la Révolution française ; et par là, asseoir la théorie de l'impôt confiscatoire condamné par la CEDH et, récemment, par le Conseil d'Etat à la lumière, jusqu'alors, du seul ISF (cf. la naissance du "bouclier fiscal").

Une fois encore, la controverse sur la suppression des droits de successions dépasse les simples clivages économiques (ni libéral, ni communiste), sociologiques (la grande majorité des contribuables l'approuve), ou théologiques (la trois religions monothéistes sont empruntes d'une doctrine sociale ou, a minima, demeurent neutres et consentent à l'impôt du prince). Le clivage voit s'affronter, comme bien souvent en matière fiscale, la liberté et le droit de propriété (DDHC, art. 2 N° Lexbase : L1366A9H et 17 N° Lexbase : L1364A9E ; CESDH, protocole n° 1, art. 1) au principe de solidarité et de l'imposition selon les facultés contributives (DDHC, art.13 N° Lexbase : L1360A9A). C'est précisément le clivage qui tend à prospérer au sein de la doctrine, pour limiter l'impact de l'ISF : vendre son bien pour payer l'impôt dont il constitue l'assiette.

Est-ce à dire que l'impôt de solidarité sur la fortune accomplirait, ainsi, son oedipe fiscal ? Sa survie, dans une économie concurrentielle, dépendrait-elle de la disparition des droits de succession, dont la paternité vient d'être rappelée supra ? Ou bien, au final, pourquoi supprimer les droits de succession et non l'ISF, impôts de même nature, si les fondements de leurs suppressions sont identiques ? C'est là que l'inconscient collectif prend tout son sens. Supprimer l'impôt de solidarité, c'est supprimer la solidarité nationale elle-même, par empirisme linguistique. Supprimer les droits de succession, ce serait supprimer un "impôt inique" selon certains, du moins, ce serait simplement assurer l'entière transmission intergénérationnelle chargée symboliquement de la valeur travail (y compris la fructification du patrimoine). En fait, en conservant l'impôt sur les successions, l'Etat maintiendrait le sacrifice expiatoire du voyage ad patres, dont le contribuable de cujus doit s'acquitter auprès de la société, pour le bien de la communauté : à l'image des pièces d'or déposées sur les yeux du défunt grec ou romain afin de lui assurer le concours du passeur Charon sur les eaux du Styx à l'approche des Champs-Elysées, paradis latin.

De manière moins allégorique, l'explication est simple : l'impossibilité politique de supprimer l'ISF, dont une partie des économistes estime qu'il mine l'attractivité de la France, conduit à supprimer ou vider de son assiette (afin d'éviter un choc psychologique et, éventuellement, de pouvoir en rétablir toute l'essence), l'autre impôt sur le patrimoine, l'impôt sur les successions, dont le rôle en faveur de la solidarité intergénérationnelle n'est plus tout à fait évident. Mais, afin de ne pas "muséifier" le capital, à l'image de ce qu'il se passe en Italie actuellement où les seniors préfèrent conserver leur capital détaxé, plutôt que de le transmettre de leur vivant, sous les coups des droits de donation, un train de mesure en faveur des donataires devrait permettre d'encourager une circulation de ce capital encore plus rapidement.

Enfin, pour rappel, l'impôt sur les successions a, déjà, fait une fois l'objet d'une quasi "suppression temporaire"... c'était au sortir de la Seconde Guerre mondiale, jusqu'au début des années 1970 (via une exonération totale de l'immobilier nouvellement construit). Est-ce à dire que l'Histoire et les situations se répètent, et qu'il conviendrait, aujourd'hui, d'adopter, à nouveau, les mesures ayant concouru à la croissance des Trente Glorieuses ? Les mêmes causes produiraient-elles les mêmes effets ?

newsid:284081

Entreprises en difficulté

[Chronique] La chronique mensuelle de Pierre-Michel Le Corre

Lecture: 18 min

N5621BBS

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3209198-edition-n-265-du-21-06-2007#article-285621
Copier

Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, la chronique de Pierre-Michel Le Corre, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de procédures collectives. Se trouve, au premier plan de cette actualité, la poursuite de l'associé d'une société civile immobilière placée sous procédure collective. Se trouvent, également, la question de l'ouverture d'une procédure sur nouvel état de cessation des paiements, la résolution du plan de continuation et la déclaration de créance au passif et, enfin, la date de naissance de la créance de restitution du dépôt de garantie.
  • La poursuite de l'associé d'une société civile immobilière placée sous procédure collective (Cass. mixte, 18 mai 2007, n° 05-10.413, M. Yves Prenat c/ M. Pierre Pasquon, P+B+R+I N° Lexbase : A3178DWM)

Le temps, c'est de l'argent. Toucher immédiatement ce qui est dû ou le percevoir plusieurs années après, ce n'est pas pareil. Voilà une évidence que vient de faire sienne la Chambre mixte de la Cour de cassation, à propos du droit de poursuite du créancier à l'encontre de l'associé de société civile.

Selon l'article 1857, alinéa 1er, du Code civil (N° Lexbase : L2054ABP), "les associés répondent indéfiniment des dettes sociales à proportion de leur part dans le capital social à la date d'exigibilité ou au jour de la cessation des paiements". En présence d'une procédure collective ouverte avec cessation des paiements -redressement ou liquidation judiciaire-, l'appréciation sera donc portée à la date de la cessation des paiements. En cas d'ouverture d'une sauvegarde, l'appréciation ne peut être portée qu'à la date d'exigibilité de la créance dont le créancier demande à l'associé le paiement.

L'associé de société civile est donc tenu indéfiniment, mais sans solidarité de la dette sociale, ce qui le distingue de l'associé en nom collectif ou du commandité.

Aux termes de l'article 1858 du Code civil (N° Lexbase : L2055ABQ), les créanciers ne peuvent poursuivre le paiement des dettes sociales contre un associé qu'après avoir préalablement et vainement poursuivi la personne morale. La notion de vaines poursuites est évidemment au coeur du débat. Est-il suffisant que la société soit placée sous procédure collective parce qu'elle est en cessation des paiements ? Faut-il que le créancier fasse la démonstration que l'actif social ne permettra pas de le désintéresser ? C'est à cette problématique que la Chambre mixte de la Cour de cassation apporte une éclairante réponse.

M. Y. assigne une société civile immobilière en paiement d'un solde d'honoraires. La société civile est placée en redressement judiciaire. La société obtient un plan de continuation. Le créancier, qui avait déclaré sa créance au passif de la société, assigne, après admission de sa créance au passif, un associé en paiement de la dette sociale en proportion des parts détenues par lui dans le capital social. Le tribunal prononce la résolution du plan et place, en conséquence, la société civile en liquidation judiciaire. Le jugement du tribunal déboute le créancier de sa demande. Le créancier interjette appel. Il obtient gain de cause. L'associé de la société civile immobilière forme, alors, un pourvoi en cassation. La Chambre commerciale de la Cour de cassation demande que le pourvoi soit examiné par une Chambre mixte.

La question posée à la Cour de cassation est de savoir si le créancier social doit démontrer que le patrimoine de la société civile immobilière sera insuffisant pour le désintéresser. Non, répond la Chambre mixte, en rejetant le pourvoi. "Dans le cas où la société est soumise à une procédure de liquidation judiciaire, la déclaration de créance à la procédure dispense le créancier d'établir que le patrimoine social est insuffisant pour le désintéresser ; [...] l'action peut être régularisée si la créance a été régulièrement déclarée à la procédure".

Le demandeur au pourvoi avait clairement énoncé, dans la seconde branche de son moyen unique, la solution classiquement posée en la matière. Par plusieurs décisions, en effet, il avait été clairement jugé que la poursuite des associés ou membres d'un groupement tenus indéfiniment à la dette de la personne morale, mais sans solidarité, tels les associés de société civile, était possible pendant la procédure collective du groupement (1), mais il était impératif de démontrer préalablement l'insuffisance du patrimoine du groupement pour répondre de la dette (2). Il avait été spécialement jugé que le fait que la société ait été déclarée en liquidation judiciaire était insuffisant à caractériser l'insuffisance du patrimoine social pour payer la dette (3). La solution était maintenue alors même que la procédure de saisie immobilière de l'immeuble appartenant à la société avait été antérieurement entamée (4). Il en était de même de l'arrêté d'un plan de cession (5).

A fortiori, si la société avait obtenu un plan de continuation, les délais octroyés à la société débitrice par le jugement arrêtant le plan empêchaient la poursuite de l'associé de la société civile (6). Cette règle avait identiquement été, notamment, appliquée aux associés de sociétés civiles agricoles (7).

Si l'insuffisance patrimoniale était démontrée, la poursuite de l'associé pouvait intervenir non seulement en liquidation judiciaire, mais même en redressement judiciaire. Il pouvait en aller ainsi lorsque le seul bien de la société civile immobilière était un immeuble donné en crédit-bail, résilié à la date du jugement d'ouverture (8).

La Chambre mixte de la Cour de cassation condamne clairement cette jurisprudence obligeant le créancier à caractériser l'insuffisance patrimoniale de la société pour faire face à la dette avant de poursuivre l'associé. Mais la portée de la règle mérite attention. La Chambre mixte de la Cour de cassation prend soin de préciser que cette démonstration est inutile lorsque la société est en liquidation judiciaire. Il faut donc maintenir la solution antérieurement admise, qui consiste pour le créancier à démontrer l'insuffisance patrimoniale de la société pour poursuivre l'associé de celle-ci, lorsque la société est placée en redressement judiciaire et a fortiori sous sauvegarde.

La solution n'est pas absolument nouvelle. En effet, il avait été jugé quelques mois plus tôt, par la troisième chambre civile de la Cour de cassation, à propos de l'associé d'une société civile constituée en vue de la vente d'immeuble (CCH, art. L. 211-2 N° Lexbase : L7214ABS) pouvait être poursuivi dès lors que la déclaration de créance au passif de la société en liquidation judiciaire (9) -ou en liquidation des biens sous l'empire de la loi du 13 juillet 1967 (10)- avait été effectuée, sans même que soit exigée l'admission de la créance au passif. Mais les textes régissant ces associés sont différents de ceux intéressant les associés de sociétés civiles classiques, les premiers étant globalement traités, au regard du problème posé, comme des associés en nom, puisqu'une mise en demeure restée vaine est suffisante.

Nous sommes ici en présence d'un authentique revirement de jurisprudence, ce qui nécessitait assurément une réunion de la Chambre mixte.

Il importe, à ce stade, de préciser que les membres ou associés de ces groupements ou de ces sociétés sont des garants, non des coobligés. Ils ne sont que des débiteurs subsidiaires. La règle de l'interdiction des poursuites pendant la période d'observation posée pour les codébiteurs personnes physiques, instituée par la loi de sauvegarde des entreprises (C. com., art. L. 622-28, al. 2 N° Lexbase : L3748HBG) ne leur est donc pas applicable. Si l'associé de société civile est poursuivi pendant la période d'observation, il n'est pas certain qu'il puisse résister à la démonstration apportée par le créancier social de l'insuffisance patrimoniale. La situation de l'associé s'améliore, en revanche, considérablement si un plan de sauvegarde ou de redressement est arrêté par le tribunal. Les délais du plan de sauvegarde, qui ne peuvent bénéficier à l'associé de société civile faute d'être un coobligé à la dette, seront exhibés par lui pour démontrer que la surface financière de la société est suffisante pour payer la dette, compte tenu des délais qui lui ont été accorés par le tribunal. Rappelons que les délais du plan de redressement ne profitent pas aux codébiteurs.

La formulation adoptée par la Chambre mixte fait naître une dernière difficulté : sera-t-il possible au créancier social de poursuivre l'associé, en démontrant l'insuffisance patrimoniale, alors même qu'il n'aurait pas déclaré sa créance ? Une réponse négative s'impose sous l'empire de la législation antérieure de la loi de sauvegarde des entreprises. L'autonomie de l'engagement des garants subsidiaires ne résiste pas à la disparition de la dette du groupement, débiteur garanti. La disparition de la dette d'une société civile emporte disparition de l'obligation à la dette de l'associé (11). C'est pourquoi, si la poursuite de l'associé ne présuppose pas l'admission de la créance au passif de la personne morale, la déclaration de créance est nécessaire (12). Observons à cet égard l'utile précision apportée par la Chambre mixte, qui autorise une régularisation de l'action, en d'autres termes une déclaration de créance postérieurement à l'introduction de l'action contre l'associé. Il reste à se demander si la solution doit être maintenue sous l'empire de la loi de sauvegarde des entreprises (N° Lexbase : L5150HGT). La raison d'en douter pourrait tenir à la disparition de l'extinction des créances non déclarée. Il n'est cependant pas certain que la condition sine qua non de la déclaration de créance soit écartée, si l'on en juge par certaines décisions récentes de la Cour de cassation (13). Certains commentateurs (14) ont déduit de la généralité des termes employés par la Cour de cassation la volonté de cette dernière de maintenir, sous l'empire de la loi de sauvegarde des entreprises, l'exigence de la déclaration de créance au passif du débiteur principal avant de poursuivre la caution. La transposition avec l'hypothèse qui nous occupe s'imposerait alors et il faudrait continuer à exiger du créancier social qu'il déclare sa créance au passif de la personne morale pour pouvoir, dans un deuxième temps, poursuivre l'associé de société civile. Gageons que cette question sera l'objet d'un prochain contentieux.

P.-M. Le Corre

  • L'ouverture d'une procédure sur nouvel état de cessation des paiements, la résolution du plan de continuation et la déclaration de créance au passif (Cass. com., 5 juin 2007, n° 06-14.847, F-P+B N° Lexbase : A5609DWN)

Le créancier dont la créance est antérieure au jugement d'ouverture d'une procédure collective est, par principe, astreint à déclarer celle-ci au passif de son débiteur. La notion de "jugement d'ouverture" mérite, à ce titre, une interprétation, ce que permet de constater l'arrêt rapporté.

En l'espèce, un débiteur obtient, en 1996, un redressement judiciaire, lequel débouche sur l'arrêté d'un plan de continuation. En 2003, un créancier postérieur à l'arrêté du plan assigne le débiteur en redressement judiciaire. Un créancier soumis au plan déclare sa créance au passif de ce second redressement judiciaire. Le tribunal, quelques mois plus tard, prononce la liquidation judiciaire et constate la caducité du plan. Le créancier, qui avait déjà déclaré au passif du redressement judiciaire déclare derechef sa créance au passif de la liquidation judiciaire. La déclaration de créance faite au passif de la liquidation judiciaire est alors contestée, alors que celle faite au redressement judiciaire ne l'avait pas été. La créance est admise au passif dans les conditions de la déclaration faite au redressement judiciaire. Le liquidateur ad hoc de la société débitrice conteste la solution en prétendant que le créancier, qui avait déclaré au passif du redressement judiciaire ouvert en cours d'exécution du plan aurait également dû déclarer à la liquidation judiciaire prononcée ultérieurement.

La question soumise à la Cour de cassation était donc de savoir si un créancier ayant déclaré sa créance au passif du redressement judiciaire ouvert en cours d'exécution du plan de continuation et qui avait de nouveau déclaré sa créance à la suite du prononcé de la liquidation judiciaire subséquente pouvait être contesté au titre de sa déclaration de créance au passif de la liquidation judiciaire, alors qu'il ne l'avait pas été au titre de la déclaration de créance effectuée au passif du redressement judiciaire.

A cette question, rejetant le pourvoi, la Cour de cassation va répondre par la négative. "L'ouverture [...] du redressement judiciaire de la société en cours d'exécution du plan arrêté précédemment a nécessairement entraîné la résolution de ce plan. [...] après avoir énoncé que les créanciers qui ont déclaré leur créance 'dans le cas d'une procédure de redressement judiciaire' n'ont pas à procéder à une nouvelle déclaration après le prononcé de la liquidation judiciaire du même débiteur, l'arrêt retient exactement que dès lors que la Société Générale avait déclaré sa créance le 8 janvier 2003 qui n'avait pas été contestée, la déclaration de créance du 6 juin 2003 ne s'imposait pas, qu'elle était donc sans effet et, partant, sa contestation était sans objet".

Sous l'empire de la législation antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises, la résolution du plan entraîne nécessairement l'ouverture d'une nouvelle procédure. Cette dernière n'est qu'une conséquence de la résolution du plan. La solution a été modifiée par la loi de sauvegarde des entreprises. Depuis cette loi, si le débiteur n'exécute pas le plan de sauvegarde ou de redressement, la résolution du plan est facultative s'il n'est pas en état de cessation des paiements. En ce cas, il n'y a pas ouverture d'une nouvelle procédure. Au contraire, si l'inexécution du plan s'accompagne d'un état de cessation des paiements du débiteur, la résolution du plan est obligatoire et le tribunal ouvrira nécessairement une liquidation judiciaire.

Il convient de distinguer résolution du plan et ouverture autonome de la procédure. Il se peut, en effet, que le débiteur ait laissé impayées des dettes nées après plan de continuation. Tel était précisément le cas en l'espèce. Celles-ci peuvent justifier un état de cessation des paiements, qui conduira à l'ouverture d'une nouvelle procédure (15). Cette dernière ne pourra cependant, depuis la loi du 10 juin 1994, qu'être une liquidation judiciaire, la Cour de cassation ayant refusé de distinguer entre résolution du plan pour inexécution et résolution du plan consécutive à la constatation d'un nouvel état de cessation des paiements (16). L'ouverture de cette procédure rendra impossible l'exécution du plan, puisque les dividendes du plan étant des créances antérieures dans la nouvelle procédure, ils ne pourront plus être payés, du fait de la règle de l'interdiction des paiements édictée par l'article L. 621-24, alinéa 1, du Code de commerce (N° Lexbase : L6876AII) (anc. loi 25 janvier 1985, art. 33, al. 1 N° Lexbase : L6663AHA) et de la règle de l'arrêt des poursuites individuelles envisagée par l'article L. 621-40 du Code de commerce (N° Lexbase : L6892AI4) (anc. loi 25 janvier 1985, art. 47 N° Lexbase : L6680AHU) de la même loi. Cela entraînera, par voie de conséquence, résolution du plan, selon la Cour de cassation (17), ce qui est rappelé dans la présente espèce. Certaines juridictions, comme l'avait d'ailleurs jugé, en l'espèce, la cour d'appel, y voient plutôt une caducité du plan (18).

Cette solution, consistant à ouvrir une liquidation judiciaire immédiate en cas d'ouverture d'une procédure pendant l'exécution du plan de continuation, n'avait pas, en l'espèce, été suivie, puisque le tribunal avait ouvert, à la suite de la caractérisation de ce nouvel état de cessation des paiements, une liquidation judiciaire.

Sous l'empire de la législation antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises, le créancier admis au passif d'une première procédure, débouchant sur un plan de continuation, doit impérativement déclarer sa créance au passif de la seconde procédure ouverte après arrêté du plan. Il n'y a pas, en effet, autorité de chose jugée de l'admission de la créance au passif de la première procédure dans le cadre de la seconde procédure, sous la seule réserve de l'impossibilité de contester, dans la seconde procédure, la régularité de la déclaration de créance effectuée au passif de la première procédure. C'est ce qui avait été fait en l'espèce. La déclaration de créance n'avait pas été contestée. Puis, après ouverture de ce second redressement judiciaire, la liquidation judiciaire avait été prononcée. S'agissait-il d'une troisième procédure, distincte de la deuxième ouverte en cours d'exécution du plan ou ne s'agissait-il que de la conversion du redressement judiciaire en liquidation judiciaire ? Dans ce dernier cas, il ne s'agissait pas d'une nouvelle procédure et une nouvelle déclaration de créance au passif ne s'imposait pas. C'est la solution retenue par la Cour de cassation. L'ouverture de la procédure en cours d'exécution d'un plan de continuation entraîne nécessairement, affirme la Cour de cassation, résolution de ce plan. Dans ces conditions, il est admis qu'il y a concomitance entre l'ouverture de la seconde procédure et la résolution du plan. La suite du raisonnement s'impose. Puisque l'ouverture de la seconde procédure entraîne la résolution du plan, il est inutile d'ouvrir une troisième procédure après la résolution du plan. La liquidation judiciaire, qui n'avait pas, à tort, compte tenu de la jurisprudence précitée de la Cour de cassation, été prononcée immédiatement, ne constituait qu'une conversion du redressement judiciaire. C'était la même procédure qui se continuait. On rappellera, en effet, qu'en cas de conversion d'un redressement en liquidation judiciaire, une nouvelle déclaration ne s'impose pas (19). On retiendra du présent arrêt que la solution est la même en cas de prononcé du redressement judiciaire par suite de l'apparition d'un nouvel état de cessation des paiements après arrêté du plan de continuation, converti ensuite en liquidation judiciaire. Les créanciers peuvent, toutefois, réactualiser leurs créances, en tenant compte de la déchéance du terme induite par la liquidation judiciaire. La solution est transposable à l'hypothèse de la conversion d'une procédure de sauvegarde en liquidation judiciaire.

Puisque, en l'espèce, la déclaration de créance au passif de la liquidation judiciaire ne s'imposait pas du fait de la déclaration de créance effectuée dans le cadre du redressement judiciaire nouveau, la contestation de la créance dans le cadre de la liquidation judiciaire était sans portée. Il ne s'agissait pas, en effet, véritablement d'une déclaration de créance, mais, comme cela a déjà été indiqué, d'une simple réactualisation de la créance, tenant compte du jeu de la déchéance du terme lié au prononcé de la liquidation judiciaire, nonobstant au demeurant le vocable utilisé par le créancier pour qualifier le courrier envoyé au mandataire de justice. La demande en justice à laquelle est assimilée la déclaration de créance avait été préalablement effectuée en redressement judiciaire. La créance devait logiquement être admise dans les conditions de sa déclaration effectuée au passif du redressement judiciaire. Le mandataire ad hoc nommé pour défendre les droits propres de la société en liquidation judiciaire aurait donc dû proposer au liquidateur judiciaire la contestation de la créance déclarée au second redressement judiciaire, voire celle déclarée au passif du premier redressement judiciaire, dès lors que la contestation ne portait pas sur la régularité de la déclaration de la créance, mais avait pour objet, la nature, le quantum ou même l'existence de cette créance.

Terminons en précisant que, depuis l'entrée en vigueur de la loi de sauvegarde des entreprises, en cas de résolution d'un plan de continuation, de sauvegarde ou de redressement, l'admission au passif de la procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire vaudra dans le cadre de la seconde procédure ouverture à la suite de la résolution du plan. La solution est posée par l'article L. 626-27-III du Code de commerce. Elle est d'application immédiate aux procédures en cours au 1er janvier 2006 (loi de sauvegarde des entreprises, art. 191).

P.-M. Le Corre

  • La date de naissance de la créance de restitution du dépôt de garantie (Cass. com., 5 juin 2007, n° 06-14.151, F-D N° Lexbase : A5589DWW)

Quelle est la date de naissance de la créance de restitution du dépôt de garantie ? Cette question est de première importance lorsque le bailleur fait l'objet d'une procédure collective. Le locataire, titulaire de cette créance, doit-il être considéré comme un créancier antérieur ou postérieur au jugement d'ouverture ? C'est sur cette intéressante question que s'est prononcée la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 5 juin 2007.

En l'espèce, avant de faire l'objet d'une procédure de redressement judiciaire, un bailleur avait reçu du preneur une certaine somme à titre de dépôt de garantie. Postérieurement à l'ouverture de la procédure collective du bailleur, le preneur avait donné congé à l'administrateur judiciaire et s'était abstenu de régler un loyer en opposant l'exception de compensation de cette créance avec sa créance de restitution du dépôt de garantie. Les juges du fond (20) ont débouté le bailleur de son action en paiement des loyers et ordonné la compensation de la créance de loyers avec la créance de restitution du dépôt de garantie versé par le preneur. Cet arrêt est cassé par la Chambre commerciale au motif "qu'en statuant ainsi, alors qu'elle constatait que le contrat de bail ayant donné naissance à la créance de restitution du dépôt de garantie avait été conclu antérieurement à l'ouverture de la procédure collective du bailleur, la cour d'appel, n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations". On assiste, ici, à l'affrontement de deux conceptions : la conception économique, appelée également matérialiste, adoptée par la cour d'appel de Lyon, et la thèse volontariste suivie par la Chambre commerciale de la Cour de cassation.

Selon la thèse économique, le fait générateur de la créance n'est pas trouvé dans la formation du contrat mais dans son exécution (21). Adepte de cette thèse, la cour d'appel de Lyon avait considéré que la créance de restitution du dépôt de garantie naissait de l'exécution du contrat de bail et, qu'en conséquence, cette créance ne pouvait être constatée qu'au moment de la restitution des lieux. Le fait générateur de l'obligation de restitution du dépôt de garantie trouve, selon cette thèse économique, son origine dans la fin du contrat de bail. Or, en l'espèce, la fin du contrat était postérieure au jugement d'ouverture de la procédure collective, de sorte que cette créance de restitution était, selon la cour d'appel, une créance postérieure n'ayant pas à être déclarée au passif. Ce raisonnement, aussi séduisant soit-il, ne reçoit cependant pas l'adhésion de la Chambre commerciale de la Cour de cassation, laquelle préfère, ici, se ranger du côté de la thèse volontariste. Selon cette thèse, le fait générateur de la créance est toujours trouvé dans le contrat, c'est-à-dire dans la conclusion, la perfection, de celui-ci, et non pas dans son exécution.
Appliquant à l'espèce ce raisonnement, la Chambre commerciale de la Cour de cassation considère que c'est le contrat de bail -et non l'exécution de celui-ci- qui a donné naissance à la créance de restitution du dépôt de garantie. Ainsi, dès lors que le contrat de bail a été conclu antérieurement à l'ouverture de la procédure collective du bailleur, la créance de restitution du dépôt de garantie doit être considérée comme une créance antérieure. Cette solution, qui avait déjà été adoptée par la jurisprudence (22), est ici rappelée par la Chambre commerciale.
Elle emporte une conséquence importante : la créance de restitution du dépôt de garantie versée avant jugement d'ouverture, puisqu'elle revêt la nature d'une créance antérieure, ne peut être compensée avec une dette de loyer d'un locataire que si elle a été déclarée au passif. Cette solution, posée sous l'empire des dispositions antérieures à la loi de sauvegarde des entreprises doit être maintenue malgré la suppression de la règle de l'extinction des créances non déclarées. En effet, la doctrine (23) considère que l'exception de compensation ne peut pas être opposée à l'entreprise sous procédure collective dès lors que la créance détenue à son encontre n'a pas été déclarée. Elle considère qu'en l'absence de déclaration régulière de la créance au passif, la créance est inopposable à la procédure et que, faute pour l'intéressé de pouvoir se présenter comme créancier dans la procédure collective, il ne pourra donc se prévaloir d'une créance pour refuser de payer la dette qu'il lui est demandé de payer, rendant impossible la compensation.

Force est de constater que la jurisprudence n'est pas pleinement adepte de la thèse volontariste. En effet, en matière de créance issue d'un contrat de bail, selon les hypothèses, elle oscille de façon troublante entre les deux conceptions économiques et volontaristes.

Dans le courant de la seconde thèse, la Cour de cassation considère que les créances futures de loyers, qui correspondent à des périodes postérieures au jugement d'ouverture, peuvent continuer à être saisies. Pourquoi ? Parce que, selon la thèse volontariste, ces créances sont nées de la conclusion du bail, et non au fur et à mesure de la jouissance procurée.

Dans le courant de la première thèse économique ou matérielle, la Chambre commerciale de la Cour de cassation considère qu'en présence d'un bail conclu avant le jugement d'ouverture du preneur, le bailleur est titulaire d'une créance antérieure au jugement d'ouverture dès lors que le loyer correspond à une période de jouissance antérieure. En revanche, le bailleur est titulaire d'une créance postérieure si la créance de loyer correspond à une période de jouissance postérieure au jugement d'ouverture. Ainsi, la naissance de la créance est calquée sur la jouissance du bien loué, de sorte que le loyer "à cheval" sur une période antérieure et postérieure au jugement d'ouverture constitue pour partie une créance antérieure et pour partie une créance postérieure (24).

Cette dualité de prise de position, aussi troublante qu'elle paraisse pour le juriste, est empreinte d'un grand pragmatisme. En matière de continuation du contrat, considérer que les créances issues du contrat sont nécessairement antérieures au jugement d'ouverture si la conclusion de celui-ci l'est également, serait inconcevable. Refuser aux loyers postérieurs au jugement d'ouverture la nature de créance postérieure conduirait, en effet, à l'impossibilité de poursuivre les contrats -notamment de bail- en cours (25). En définitive, dans l'objectif de réduire le domaine des créances postérieures au jugement d'ouverture, la Chambre commerciale de la Cour de cassation adopte la thèse volontariste selon laquelle le fait générateur de la créance est la perfection du contrat. En revanche, en matière de continuation du contrat à exécution successive, la thèse économique est préférée.

E. Le Corre-Broly

Pierre-Michel Le Corre
Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du CERDP (ex Crajefe)
Emmanuelle Le Corre-Broly
Maître de Conférences à l'Université du Sud-Toulon-Var
Directrice du Master 2 Droit de la Banque de la Faculté de droit de Toulon


(1) CA Dijon, 1ère ch., sect. 2, 12 septembre 1997, LPA 15 janvier 1999, n° 11, note C. Lebel.
(2) Cass. civ. 3, 6 janvier 1999, n° 97-10645, Société Alain Chevalier Conseil c/ M. Travert et autres, publié (N° Lexbase : A2757CG9), Bull. civ. III, n° 5 ; LPA 11 mars 1999, n° 50, p. 5 ; Bull. Joly 1999, n° 94, 455, note P. Le Cannu ; Cass. com., 6 décembre 2005, n° 04-14.352, Société Négociation achat de créances contentieuses (NACC) c/ Société Promofi, F-D (N° Lexbase : A9212DLR), lire P.-M. Le Corre, Entreprises en difficulté : panorama bimestriel - janvier/février 2006 (1ère partie), Lexbase Hebdo n° 203 du 23 février 2006 - édition affaires (N° Lexbase : N4683AKN).
(3) Cass. civ. 3, 18 juillet 2001, n° 00-11.798, M. Alain Lizé c/ Société Sogefimur (N° Lexbase : A2535AUG), Act. proc. coll. 2001/15, n° 192, obs. J. Vallansan.
(4) Cass. com., 11 juin 2003, n° 99-17.271, Caisse régionale du Crédit agricole mutuel (CRCAM) du Sud-Ouest c/ M. Jean-Claude Saint-Martin, F-D (N° Lexbase : A7330C8Y).
(5) Cass. civ. 1, 30 mars 2005, n° 03-10.872, M. Victor Eyraud c/ Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat (l'ANAH), F-D (N° Lexbase : A4463DHR).
(6) Cass. civ. 3, 23 février 2000, n° 98-14.540, Consorts Angelini c/ Consorts Vincensini-Ciabrini et autre (N° Lexbase : A3644AUI), Bull. civ. III, n° 43 ; RTD com. 2000, p. 681, obs. M.-H. Monsérié-Bon ; RD Banc. et fin. 2000/3, n° 123, obs. F.-X. Lucas ; Defrénois 2000, 1188, n° 6, note J. Hovasse ; Bull. Joly 2000, n° 138.
(7) Cass. com., 23 janvier 2001, n° 98-10.668, Société Marne et Champagne (N° Lexbase : A4293ARG), D. 2001, AJ p. 781, obs. A. Lienhard ; D. 2001, somm. p. 3427, obs. A. Honorat ; Act. proc. coll. 2001/5, n° 65, obs. J. Vallansan; JCP éd. E, 2001, chron. 751, n° 3, obs. P. Pétel ; JCP éd. E, 2002, jur. p. 850, note J.-P. Rémery ; RD Banc. et fin. 2001/2, n° 69, obs. F.-X. Lucas ; RTD com. 2001, 472, obs. M.-H. Monsérié-Bon ; Bull. Joly 2001, p. 481, n° 118, note A. Couret ; Rev. sociétés 2001, p. 847, note J.-P. Dom.
(8) Cass. com., 14 janvier 2004, n° 00-15.992, M. Jesus Anderez c/ Société en nom collectif (SNC) Natiocrédimurs, F-D (N° Lexbase : A8603DAU), Rev. proc. coll. 2004, p. 260, p. 7, obs. Ch. Lebel.
(9) Cass. com., 13 février 2007, n° 05-19.878, Société Compagnie générale de garantie, F-D (N° Lexbase : A2124DU9), Act. proc. coll. 2007/6, n° 63, note S. Rétif.
(10) Cass. civ. 3, 14 février 2007, n° 05-21.488, Compagnie européenne d'opérations immobilières - BIE, FS-P+B (N° Lexbase : A2157DUG).
(11) Cass. civ. 3, 22 mars 1995, n° 92-20.048, Syndicat des copropriétaires de l'immeuble Val Romeu c/ Société Financière Vendôme et autres, publié (N° Lexbase : A7336ABC), Bull. civ. III, n° 84 ; Rev. sociétés 1995, 159, note J.-F. Barbieri ; Rev. sociétés 1995, n° 96, obs. Y. Chaput ; Bull. Joly 1995, 551, note Jeantin ; Cass. civ. 3, 10 juillet 1996, n° 94-10.552, M. Joseph Ferstler c/ Société d'expertise comptable économique et financière (SECEF), société anonyme, inédit (N° Lexbase : A9698CQA), D. 1997, somm. p. 80, obs. A. Honorat ; Dr. sociétés 1996, n° 169, obs. Y. Chaput ; Bull. Joly 1996, 958, note Calendini ; Cass. com., 28 juin 2005, n° 03-11.915, M. Angelo Paladino c/ Société Perrin JC et fils, F-D (N° Lexbase : A8433DI8) - Adde, sur la question, J. Julien, Observations sur l'évolution jurisprudentielle du sort des associés de société civile, RTD com. 2001, p. 841, spéc. n° 5 et s..
(12) Cass. com., 24 janvier 2006, n° 04-19.061, Société civile immobilière (SCI) Azur Investissement Holding c/ Société CDR Créances, F-P+B (N° Lexbase : A5551DMK), D. 2006, AJ p. 445, obs. A. Lienhard ; JCP éd. E, 2006, chron. 1569, p. 672, n° 10, obs. M. Cabrillac et Ph. Pétel ; Act. proc. coll. 2006/4, n° 40, note C. Régnaut-Moutier ; LPA 28 avril 2006, n° 85, p. 14, note D. Gibirila ; Bull. Joly 2006/5, §123, p. 588, note J.-J. Daigre ; Rev. sociétés 2006/2, p. 410, note J.-F. Barbiéri ; RTD com 2006/2, p. 435, n° 4, obs. M.-H. Monsérié-Bon ; Rev. sociétés 2006/3, p. 637, note Th. Bonneau.
(13) V. ainsi, Cass. com., 30 janvier 2007, n° 05-13.751, Société Cetelem, FS-P+B (N° Lexbase : A7795DTU), lire La chronique mensuelle de Pierre-Michel Le Corre, Lexbase Hebdo n° 249 du 22 février 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N0608BAR), note E. Le Corre-Broly ; D. 2007, AJ p. 508, note A. Lienhard ; Act. proc. coll. 2007/5, n° 47, note O. Salvat.
(14) A. Lienhard, note sous Cass. com., 30 janvier 2007, préc.
(15) Cass., avis, 10 juillet 2000 (N° Lexbase : A8517DWD), Act. proc. coll. 2000/18, n° 225, note C. Régnaut-Moutier ; D. 2000, jur. p. 404, obs. A. Lienhard ; JCP éd. E et A, 2001, chron. 2-A-5, obs. M. Cabrillac et P. Pétel ; RTD com. 2001, p. 219, obs. C. Saint-Alary-Houin.
(16) Cass. com., 2 juin 2004, n° 02-14.235, Mme Denise Houdeville, épouse Duval c/ M. Daniel Blery, F-D (N° Lexbase : A5108DC8) ; Cass. com., 10 mai 2005, n° 03-18.797, M. Jean-François Torelli, mandataire judiciaire, agissant en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan de redressement de M. Francis Pinchelimouroux c/ M. Francis Pinchelimouroux, FS-P+B (N° Lexbase : A2270DIW), D. 2005, AJ p. 1413, note A. Lienhard ; Act. proc. coll. 2005/10, n° 123, note C. Régnaut-Moutier ; Gaz. proc. coll. 2005/2, p. 17, obs. D. Voinot ; JCP éd. E, 2005, chron. 1274, p. 1423, n° 6, obs. M. Cabrillac.
(17) Cass. com., 23 mai 1995, n° 92-19.088, Société Caillieret et Poirriez Serauto c/ M. Mercier, ès qualités d'administrateur au redressement judiciaire (N° Lexbase : A8166AB3), Bull. civ. IV, n° 154 ; Rev. proc. coll. 1996, 87, n° 1, obs. B. Soinne ; Cass. com., 5 juin 2007, n° 06-14.847, M. Alain Gouth, pris en qualité de liquidateur ad hoc de la société à responsabilité limitée Le Diamant rose, F-P+B (N° Lexbase : A5609DWN).
(18) CA Versailles, 13ème ch., 30 novembre 1995, Rev. proc. coll. 1996, 450, n° 29, obs. B. Soinne.
(19) CA Paris, 25ème ch., sect. B, 19 septembre 2003, n° 2001/18094, SCP Brouard-Daude c/ SA Daihatsu France (N° Lexbase : A2618DA9).
(20) CA Lyon, 6ème ch., 26 janvier 2006, n° 04/00252, SA Interface Immobilière Saiacu c/ SAS Sarion (N° Lexbase : A9002DRT).
(21) Voir P. Ancel, Force obligatoire et contenu obligationnel, RTD Civ. 1999, p. 772.
(22) Cass. com., 27 mai 2003, n° 00-14.717, Société Blue Green c/ M. Alain Bourdeaux, F-D (N° Lexbase : A6691CKZ) ; Cass. com., 23 janvier 2007, n° 05-13.995, M. Emmanuel Loeuille, F-P+B (N° Lexbase : A6786DTI), D. 2007, AJ p. 448, note A. Lienhard ; Gaz. proc. coll. 2007 /2, p. 33, note L.-C. Henry.
(23) P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz action, 3ème éd. 2006, n° 632.46 ; F. Pérochon et R. Bonhomme, Entreprises en difficulté Instruments de paiement et de crédit, LGDJ, 7ème éd., n° 537 ; contra P. Crocq, La réforme des procédures collectives et le droit des sûretés, D. 2006, chron. p. 1306 s., sp. p. 1307, n° 11.
(24) Cass. com., 28 mai 2002, n° 99-12.275, M. Philippe Martin c/ Société Batinorest, FS-P (N° Lexbase : A7928AYB), D. 2002, AJ p. 2124, obs. A. Lienhard ; Act. proc. coll. 2002 /13, n° 172, obs. J. Vallansan et C. Golhen ; JCP éd. E 2003, chron. 231, p. 269, n° 10, obs. Ph. Pétel ; RTD com. 2002, p. 726, n° 3, obs. A. Martin-Serf ; Rev. proc. coll. 2003, p. 146, n° 4, obs. C. Saint-Alary-Houin ; Petites affiches 19 décembre 2002, n° 253, p. 18, note J.-L. Courtier ; CA Paris, 14ème ch., sect. B, 19 décembre 2003, n° 2002/18466, Société civile Olan c/ SARL Body Form (N° Lexbase : A9728DAK).
(25) V. en ce sens, P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, préc., n° 442.12.

newsid:285621

Fiscalité des particuliers

[Jurisprudence] Analyse de la clause de réversibilité d'usufruit et conséquences fiscales

Réf. : Cass. mixte, 8 juin 2007, n° 05-10.727, Directeur général des impôts c/ Mme Jacqueline Contant, épouse Daurelle, P+B+R+I (N° Lexbase : A5473DWM)

Lecture: 5 min

N5681BBZ

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3209198-edition-n-265-du-21-06-2007#article-285681
Copier

par Daniel Faucher, Consultant au CRIDON de Paris

Le 07 Octobre 2010


La Chambre mixte de la Cour de cassation vient de confirmer, conformément à l'analyse retenue par la chambre civile, que la clause qui stipule la réserve de l'usufruit au profit des donateurs et du survivant d'entre eux, avec donation éventuelle réciproque, doit être considérée comme une donation à terme de biens présents, le droit d'usufruit du bénéficiaire lui étant définitivement acquis dès le jour de l'acte. Ce qui implique, d'une part, de se poser la question de la remise en cause du régime fiscal actuel, et d'autre part, que, même en cas de renonciation à la succession de l'usufruitier en titre de la part du bénéficiaire de l'usufruit successif, ce dernier reste taxable, en l'absence de renonciation avant l'ouverture de la dite succession et ne constitue pas la manifestation de la volonté de son bénéficiaire d'accepter la succession.

1. La vraie nature juridique de la clause de réversion d'usufruit

Il était déjà admis que la clause de réversibilité d'usufruit au profit du survivant, insérée dans une donation de biens communs ou de biens propres, ne constituait pas une donation de biens à venir, mais une donation à terme de biens présents, le terme étant constitué par le décès du donateur, usufruitier en titre. C'est dans un arrêt du 21 octobre 1997 (Cass. civ. 1, 21 octobre 1997, n° 95-19.759, Mme Bonnaud c/ Mme Sebire et autres N° Lexbase : A0717ACK) que la Cour avait opéré ce revirement, puisque, auparavant, elle qualifiait une telle stipulation de donation de biens à venir. Ce revirement, déjà confirmé en 2002 (Cass. civ. 3, 6 novembre 2002, n° 01-00.681, FS-P+B N° Lexbase : A6745A39) était pleinement justifié au motif que le bénéficiaire ne recueillait pas son droit dans la succession du disposant ; argument qui s'avère déterminant en cas de renonciation à la succession comme dans l'affaire qui était soumise à la Chambre mixte. Le droit d'usufruit du bénéficiaire, en général le conjoint du donateur, lui est définitivement acquis au jour de l'acte dans lequel le donateur se dépouille de la nue-propriété, dans la plupart des cas, au profit de ses enfants. Seul l'exercice de ce droit se trouve différé au jour du décès du donateur, qui constitue, selon la Chambre commerciale de la Cour de cassation, à la fois un terme incertain et suspensif. Ce qui implique le régime fiscal spécifique qui est actuellement retenu par l'administration et le juge statuant sur les litiges en matière fiscale.

2. Régime fiscal de l'usufruit réversible

2.1.Régime fiscal actuel

  • Droits de mutation à titre gratuit

Même si le droit de l'usufruitier successif s'ouvre au décès du donateur, son bénéficiaire ne le reçoit pas dans le cadre de la succession de celui-ci. Les droits dus sont des droits de donation. En effet, dans la mesure où, en cas d'usufruit successif, la mutation réalisée est bien celle d'un droit définitivement acquis au jour de la donation au bénéficiaire de cet usufruit successif, dont l'exercice se trouve différé au jour du décès de premier usufruitier, il est permis de considérer que le deuxième usufruit est soumis à la condition suspensive de survie de son bénéficiaire. Par suite, les valeurs imposables doivent être déterminées, selon l'article 676 du CGI (N° Lexbase : L7748HLK), non au jour de la donation de l'usufruit successif, mais au jour de la réalisation de la condition suspensive, c'est-à-dire au jour du décès du premier usufruitier, lorsque le second, l'usufruitier successif, est encore en vie (Cass. com., 2 décembre 1997, n° 96-10.072, Mme Sereys de Rothschild N° Lexbase : A2161ACZ). En effet, dès lors qu'il y a condition suspensive, les dispositions de l'article 676 du CGI, selon lesquelles le régime applicable et les valeurs imposables sont déterminés en se plaçant à la date de la réalisation de la condition, s'appliquent. Autrement dit, les droits dus au jour du décès de l'usufruitier en titre, qui avait donné un usufruit successif à son conjoint, sont calculés en retenant la valeur du bien, sur lequel porte l'usufruit, au jour du décès, et l'âge de l'usufruitier dont les droits s'ouvrent est apprécié à cette même date.

  • Publicité foncière

En matière de publicité foncière, il en est de même que pour les droits de mutation à titre gratuit. En effet, l'administration admet, lorsque l'usufruit successif porte sur des droits immobiliers, que la publication de la clause de réversibilité de l'usufruit au fichier immobilier est exclusive de toute perception de taxe de publicité foncière (instruction du 17 novembre 2005, BOI 10 D-3-05 N° Lexbase : X4403ADG). Ainsi, le droit étant définitivement acquis au bénéficiaire de l'usufruit successif, le fichier immobilier doit être annoté lors de la publication de l'acte de donation contenant la clause de réversibilité et il n'est pas nécessaire d'exiger la publication d'une attestation notariée au jour du décès du donateur pour constater l'effectivité de la clause. En revanche, s'agissant des salaires du Conservateur, ceux-ci sont perçus immédiatement sur l'évaluation de l'usufruit successif au jour de l'acte de donation en fonction de l'âge du donataire.

2.2.Vers une remise en cause de ce régime ?

La question se pose de savoir si cette analyse de la Chambre commerciale de la Cour de cassation sera maintenue. En effet, en principe, un arrêt de Chambre mixte tend à résoudre un conflit horizontal, c'est-à-dire un conflit entre différentes chambres. Or, s'agissant d'usufruit successif, la chambre civile l'analysait, déjà, comme une donation à terme et la Chambre commerciale, qui, on le sait, statue en matière fiscale, comme une donation sous condition. On attendra donc avec intérêt la réaction de cette dernière puisqu'une donation à terme est, en principe, immédiatement taxable.

On remarquera que le principe de taxation ne devrait pas être remis en cause par le projet de loi portant sur le travail, l'emploi et le pouvoir d'achat qui prévoit, notamment, la suppression des droits de succession au profit du conjoint survivant. En effet, même si les droits dus par le conjoint survivant au titre de l'usufruit successif qui s'ouvre à son profit au jour du décès de son époux sont liquidés dans le cadre de la déclaration de succession, ces droits restent, en principe, des droits de donation. Cependant, le conjoint survivant devrait être autorisé à utiliser alors l'abattement de 76 000 euros, prévu en cas de donation.

3. Absence d'influence de l'ouverture de l'usufruit successif sur une renonciation à succession

Le droit d'usufruit étant définitivement acquis au bénéficiaire de l'usufruit successif dès le jour de l'acte, l'exercice de ce droit, différé au jour du décès du donateur, ne constitue donc pas la manifestation de son bénéficiaire d'accepter la succession. En effet, le litige soumis à la cour portait sur la remise en cause d'une renonciation à succession. L'administration considérait que la veuve, en exerçant l'usufruit successif qui lui avait été précédemment donné, avait ainsi accepté la succession, ce qui remettait en cause sa renonciation antérieure et rendait exigibles des droits de succession.

newsid:285681

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.