La lettre juridique n°633 du 19 novembre 2015 : Social général

[Projet, proposition, rapport législatif] Coup d'envoi de la réforme du Code du travail : le changement, c'est maintenant !

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N9953BU8

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par Christophe Radé, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 20 Novembre 2015

Quelques semaines après la publication de l'ouvrage de Robert Badinter et d'Antoine Lyon-Caen qui militaient pour une profonde simplification du Code du travail (1), de la publication de trois rapports (2), dont le rapport "Combrexelle" (3), concluant à la nécessité de renforcer le poids de la négociation collective d'entreprise, et des conclusions d'une autre commission dont les travaux avaient été moins médiatisés, concernant l'adaptation du droit du travail au numérique (4), le Gouvernement a présenté en Conseil des ministres, le 4 novembre 2015, le programme qui devrait conduire, à échéance de deux années, à une profonde réforme du Code du travail (5). Intitulé Simplifier. Négocier. Sécuriser un Code du travail pour le XXIème siècle, le projet s'inscrit à la fois dans la continuité des réformes intervenues ces dernières années, mais aussi, et peut-être surtout, dans une perspective plus radicale de révolution culturelle, d'un véritable choc de simplification destiné à rétablir la confiance des acteurs dans le Code du travail, tout en repensant les voies de la protection des salariés. Le projet est ambitieux, et on ne peut que se féliciter que le Gouvernement s'attelle à une telle réforme. Reste à savoir si celle-ci pourra être menée à terme dans un délai aussi bref, et si les bouleversements annoncés produiront les effets bénéfiques escomptés. Mais en attendant des résultats qui ne pourront, en toute hypothèse, pas être évalués avant plusieurs années, il convient de rappeler le contexte dans lequel intervient ce projet (I), avant de le détailler (II).
I - Le contexte de la réforme

A - La critique du droit du travail

Le contexte idéologique de la réforme. La réforme a ceci de remarquable qu'elle s'inscrit dans un contexte d'intense activité doctrinale et idéologique, les initiatives s'étant multipliées ces derniers mois pour préparer le terrain (6).

C'est la complexité du Code du travail qui semble aujourd'hui unanimement dénoncée. Présente notamment dans l'ouvrage de Robert Badinter et d'Antoine Lyon-Caen publié avant l'été (7), la critique a mis en évidence un double brouillage, à la fois du message délivré par le Parlement, devenu incompréhensible en raison d'un interventionnisme permanent et tatillon, et de la fonction protectrice de la loi qui finirait par produire l'effet inverse de celui recherché (protéger les droits fondamentaux des salariés) en détournant les acteurs de la norme. Même si la tonalité du rapport "Combrexelle" était différente sur ce point, l'intéressé ayant défendu, après d'autres, l'idée d'un droit du travail qui serait nécessairement complexe (8), la nécessité de raréfier l'intervention du législateur a fait son chemin et s'impose aujourd'hui comme absolue (9). Il était donc prévisible que le retour dans une configuration plus proche du schéma dessiné par l'article 34, alinéa 2, de la Constitution (N° Lexbase : L1294A9S), d'un Parlement se contentant, en matière sociale, de déterminer les principes fondamentaux du droit du travail, du droit syndical et de la Sécurité sociale, constituerait l'un des objectifs affichés par le Gouvernement. Le second axe de la réforme concerne la promotion de l'accord d'entreprise. Présent dans les trois rapports publiés après l'été (10), ce recentrage du droit du travail sur les normes d'entreprise implique de resituer doublement l'accord d'entreprise par rapport à la loi, ce qui impose de redéfinir le champ et l'intensité de l'ordre public social, mais aussi par rapport à l'accord de branche.

Un constat global : un Code doublement inefficace. Comme les ouvrages et rapports publiés en 2015 avant lui, le projet s'est construit sur une critique des principaux travers de l'actuel Code du travail. Le constat dressé est celui d'un échec du droit du travail dans sa double fonction de protection des salariés et de sécurisation des entreprises, en raison des bouleversements du monde du travail (11) qui rendent certaines approches obsolètes, et de la sédimentation de règles devenues illisibles. Les trajectoires professionnelles sont plus fréquemment discontinues, l'insertion dans l'emploi, plus incertaine, et le besoin de gérer les transitions professionnelles, plus affirmé.

Un Code compilé. Une partie des critiques concerne directement le Code du travail, construit par strates au fil des années, sans qu'aucune véritable refonte d'ensemble n'ait été tentée, pas même lors de sa recodification, intervenue en 2007, et qui s'était réalisée à droit constant, c'est-à-dire sans volonté réformatrice. Cette stratification serait d'autant plus problématique qu'elle se traduit par un éparpillement des régimes et une multiplication des exceptions à des principes qui se réduisent alors comme peau de chagrin, empêchant toute compréhension d'ensemble.

Comment ne pas adhérer à la critique, aux lendemains de la réforme du repos dominical, par la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques (N° Lexbase : L4876KEC), dite "Macron", ou de la négociation dans l'entreprise sans délégué syndical, par la loi n° 2015-994 du 17 août 2015, relative au dialogue social et à l'emploi (N° Lexbase : L2618KG3), dite "Rebsamen"... ? Mais comment, en même temps, ne pas s'étonner que ce Gouvernement, qui doit assumer la paternité des réformes intervenues cet été et dont le moins qu'on puisse dire est qu'elles ne brillent pas par leur simplicité, se transforme tout à coup en chantre de la simplicité, et de la modestie législative (12)... ? Les mêmes acteurs sauront-ils changer leurs habitudes et accepter la sobriété à laquelle ils prétendent aspirer ?

Des protections illusoires. Selon le dossier de presse qui relaie ici des critiques aujourd'hui largement partagées, c'est l'objectif même de protection des salariés qui ne serait plus atteint par le Code du travail, ce dernier n'empêchant, il est vrai, ni un chômage record, ni une précarité massive, ni un taux d'insertion professionnelle insuffisant pour les jeunes et les séniors, n'assurant pas aux salariés qui perdent leur emploi de véritables temps de transition professionnels consacrés à la formation, ou à la reconversion, ni aux femmes une égalité réelle de rémunération, à travail égal, ni les mêmes chances de carrières. Il convient donc de repenser la manière dont la société protège les salariés, car le Code, dans sa version actuelle, ne remplit plus ses objectifs.

Une confiance perdue. La complexité du droit du travail actuel ne permettrait pas non plus aux entreprises de s'y retrouver dans la jungle des réglementations, et les entrepreneurs perdraient ainsi confiance dans leur capacité à s'adapter pour investir et créer de l'emploi. L'argument est bien connu : la complexité du droit du travail serait un frein à l'activité en dissuadant, par un niveau de complexité et de protection trop élevé, les entreprises d'embaucher.

Il n'est pas question de nier ici la pertinence de l'hypothèse d'une corrélation funeste entre complexité du droit du travail, et chômage. Il est même tout à fait possible qu'elle se vérifie parfois et que le Code du travail fasse l'effet, par certaines de ses dispositions et pour certains employeurs, d'un véritable repoussoir. On peut également admettre que la complexité du droit favorise les stratégies contentieuses et des jeux d'opportunité avec les normes qui sont peu en rapport avec les objectifs initialement poursuivis par la règle de droit.

Tout cela est possible, mais rien n'est véritablement démontré et ne repose que sur des observations du réel partielles, et souvent partiales (13). Ces affirmations se nourrissent, d'ailleurs, en partie, d'une vision du droit inexact, liée parfois à une méconnaissance réelle du Code du travail, comme l'a fort bien démontré Jacques Barthélémy dans le rapport publié avec Gilbert Cette pour le compte de "Terra nova" (14), évoquant l'état actuel du droit légal de la durée du travail, qui a été considérablement simplifié ces dernières années, et une vision simpliste du "juridiquement souhaitable". Il ne nous semble pas que la technicité du droit soit ce qui décide l'immense majorité des justiciables à saisir la juridiction prud'homale ; les salariés vont devant le juge lorsqu'ils considèrent n'avoir pas été bien traités lors de l'exécution, ou de la rupture, de leur contrat de travail ; l'instrumentalisation de la règle de droit vient alors peut être ensuite, au stade de la construction des argumentaires procéduraux, par les conseils des parties, mais elle n'en constitue pas un moteur. Le discours dénonçant la complexité du droit comme un facteur d'accroissement des contentieux est donc avant tout idéologique, et articulé sur une vision des effets d'une simplification du droit également en grande partie fantasmée, pour les mêmes raisons d'ailleurs.

Il n'est d'ailleurs pas certain que la simplification du droit légal du travail ne se traduira pas par un transfert de la complexité des normes vers la partie réglementaire, voire conventionnelle, comme l'indiquait d'ailleurs Jean-Denis Combrexelle dans son rapport (15).

Par ailleurs, la complexité du droit, qui peut être pointée du doigt, est celle qui ne correspond à aucune complexité véritable du réel, et non celle qui résulte de la nécessité de rendre compte de la variété des situations concrètes. Or, la réalité sociale, et cela est très paradoxalement souligné d'ailleurs par ceux qui militent en faveur de la promotion de la négociation d'entreprise, est extrêmement variée et changeante, selon les secteurs d'activité, les régions, la taille de l'entreprise, etc.. Il est donc illusoire de penser pouvoir réduire le droit du travail à une série de principes passe-partout, sauf à laisser au juge le soin d'ajuster la norme au réel, loin de toute exigence de prévisibilité et de sécurité juridique.

Enfin, la complexité dénoncée du droit du travail n'est pas propre au Code du travail, lequel ne constitue, bien entendu, pas la seule contrainte normative pesant sur l'activité économique. Avant d'évoquer la complexité du Code du travail, comment ne pas penser à celle du droit des sociétés, pour organiser la forme juridique de l'activité, de la fiscalité, nationale comme locale, celle des liens à nouer avec les organismes sociaux ? Comment ne pas évoquer les règles d'urbanisme, les normes de sécurité, les activités réglementées ? Comment pourrait-on, dans cet ensemble de contraintes normatives pesant sur l'activité économique, sérieusement isoler la part du droit du travail ? Comment ne pas voir, dans cette remise en cause permanente du droit du travail, une sorte de chantage exercé par certains acteurs économiques qui rêvent d'un monde sans normes, sans contraintes, d'une sorte de "far west" social dans lequel ils pourraient se mouvoir en toute liberté (16) ?

B - La poursuite des réformes engagées depuis dix ans

L'aboutissement d'une tendance lourde du droit du travail. Même si le Gouvernement, dans son entreprise de communication, ne relie la réforme à venir qu'aux lois intervenues depuis l'élection de François Hollande le 15 mai 2012 et dont elles constitueraient le prolongement naturel, elle s'inscrit évidemment dans un contexte plus large, et plus ancien, visant à renforcer le rôle de la négociation collective, à la demande des partenaires sociaux eux-mêmes qui ont, depuis vingt ans, encouragé, voire précédé, les réformes depuis l'ANI du 31 octobre 1995, en passant par la position commune du 16 juillet 2001 sur les voies et moyens de l'approfondissement de la négociation collective, et celle du 9 avril 2008, concernant la réforme de la représentativité des organisations professionnelles.

La centralité de l'accord d'entreprise. La promotion de l'accord d'entreprise comme centre de gravité de la négociation collective ne date pas non plus d'hier. Préparé de longue date par la possibilité de déroger aux dispositions légales par accord d'entreprise, notamment en matière de durée du travail, ce mouvement a été ouvertement engagé avec la loi n° 2004-391 du 4 mai 2004 (N° Lexbase : L1877DY8), qui a posé le principe d'une priorité donnée à l'accord d'entreprise sur l'accord de branche (17), et les réformes intervenues depuis, singulièrement en matière de durée du travail avec la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : L7392IAZ), puis de licenciement pour motif économique avec la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, relative à la sécurisation de l'emploi (N° Lexbase : L0394IXU), et d'organisation sociale de l'entreprise avec la loi "Rebsamen" du 17 août 2015, ont amplifié le mouvement en augmentant, au niveau des entreprises, les marges de dérogations, y compris à la loi, pour des accords négociés et conclus avec des syndicats majoritaires.

II - La mise en oeuvre de la réforme

A - Calendrier de la réforme

Une réforme en deux temps.

La réforme devrait se dérouler en deux temps.

D'ici l'été 2016, un premier volet, préparé sous la houlette de Robert Badinter et Antoine Lyon-Caen, accompagnés d'un groupe de "sages" composé de deux conseillers d'Etat, deux magistrats de la Cour de cassation et deux universitaires spécialistes du droit du travail, sera chargé de proposer les principes fondamentaux qui seront intégrés au projet de loi pour guider les travaux de réécriture du Code. Dans le même temps, sera élaborée la réforme du droit de la durée du travail (18).

Puis, dans un délai de deux ans (19), une "mission recodification", élargie à des personnalités qualifiées (juristes, universitaires, praticiens des relations sociales), devra poursuivre le travail sur l'ensemble du Code et rendra des comptes réguliers aux partenaires sociaux et au législateur. On peut se demander si un tel calendrier est réaliste, compte tenu de l'ampleur du travail à accomplir et des incertitudes qui entourent un éventuel changement de politique à l'occasion de la prochaine élection présidentielle en 2017...

B - Les axes de la réforme

Définir des principes fondamentaux. La réforme du Code du travail s'appuie sur une redéfinition des rôles respectifs du Parlement, du Gouvernement et des partenaires sociaux, la loi devant se consacrer, pour l'essentiel, à la définition de principes fondamentaux, à l'instar de la liste des cinquantes principes proposée dans leur ouvrage par Robert Badinter et Antoine Lyon-Caen. Ces principes fondamentaux seront bien entendu composés en premier lieu de droits fondamentaux, à l'instar d'une déclaration des droits (des salariés, mais aussi des employeurs?), dont la mise en oeuvre concrète sera confiée au Gouvernement et aux partenaires sociaux. Mais ils devront également organiser l'articulation des sources à partir du domaine de l'ordre public légal.

Articuler loi, règlement et accords collectifs. Le législateur devra ainsi déterminer le champ de l'ordre public, en distinguant les règles d'ordre public "absolu" qui ne sont donc susceptibles d'aucune dérogation, celles qui demeureront d'ordre public "social" et qui ne pourront être qu'améliorées par les partenaires sociaux, et celles qui seront supplétives, c'est-à-dire qui s'appliqueront à défaut d'accord.

Le Code nouveau devra également revenir sur les rapports intra-conventionnels et mettre en oeuvre cette idée, largement présente dans les rapports rendus cet automne, d'une priorité souhaitable à donner aux accords d'entreprise. La loi devra donc déterminer le champ de ce qu'on appelle "l'ordre public conventionnel", c'est-à-dire des questions que les accords de branche pourraient continuer de dominer, en autorisant, ou pas, et dans des proportions qui resteront à déterminer, des dérogations par accord d'entreprise (20), laissant alors ces derniers occuper tout l'espace laissé libre par la loi.

Dans le système qui se dessine, la règle serait donc la priorité donnée à l'accord d'entreprise, dans les champs ouverts à la négociation collective par le législateur, sous réserve des questions qui pourraient demeurer de la compétence prioritaire de la branche, si les partenaires sociaux le souhaitent, et dans les domaines prévus par la loi (21).

Redéfinir le rôle des branches. La réforme annoncée vise à renforcer le rôle des branches professionnelles.

Un tel discours pourrait sembler dans un premier temps contradictoire avec la promotion de l'accord d'entreprise, qui ne pourra se réaliser qu'au détriment des branches, celle-ci perdant certainement une grande partie de leur influence.

En contrepartie de ce recul de l'impérativité des accords de branche, le Gouvernement souhaite confier aux branches de nouvelles missions qui renforcent indiscutablement leur importance, au delà de la question de l'articulation des accords et de la détermination de "l'ordre public conventionnel".

C'est pour permettre aux branches de réaliser leurs nouvelles missions que, dans le prolongement des conclusions du premier rapport "Combrexelle" rendu en 2013 (22), leur nombre sera fortement réduit pour passer de 700 à 200 d'ici deux ans, et 100 d'ici trois ans (23).

Développer une culture de la négociation collective. La réussite du projet dépend, bien entendu, d'un certain nombre de facteurs techniques et institutionnels. Mais elle suppose également que les acteurs jouent le jeu et s'emparent des nouvelles opportunités qui leur seront données par la réforme.

On sait, en effet que, dans un premier temps, le législateur ne pourra pas se retirer massivement du domaine du droit du travail, compte tenu du principe de subsidiarité qui rendra la loi applicable à défaut d'accord, et du fait que dans de très nombreuses entreprises, nul accord ne peut voir le jour, singulièrement en raison du trop faible taux de syndicalisation. Les difficultés à conclure risquent d'ailleurs de s'accroître avec la généralisation de l'exigence majoritaire, qui constitue le prolongement nécessaire de la réforme de la démocratie sociale, et qui rend encore plus compliquée la construction d'un consensus, dans un contexte de concurrence électorale entre les syndicats et de crise économique.

Dans un tel système où la loi continue de jouer le rôle de filet de secours de la négociation collective, le risque est, en effet, surtout en période de crise, de voir les syndicats de salariés refuser de conclure des accords garantissant des niveaux d'avantages moins élevés que ceux qui sont garantis a minima par le législateur, les salariés risquant de le leur faire payer aux prochaines élections professionnelles.

Dans ces conditions, la situation pourrait rapidement se figer, le législateur refusant de se retirer pour ne pas créer de vide, et les partenaires sociaux demeurant dans des postures prudentes, la loi étant présente quoi qu'il arrive.

On le comprend aussitôt, il est indispensable de changer de modèle et de passer d'une culture de la défiance à une culture de la confiance. Mais pour cela, il convient de changer le regard des citoyens sur la négociation collective et d'inscrire la démocratie sociale au coeur du pacte républicain. Le projet imagine ainsi de mieux faire connaître les valeurs de la démocratie sociale à l'école, ou à l'Université... Le rapport "Combrexelle" imaginait, pour sa part, un enrichissement des principes présents dans le préambule de la Constitution de 1946. Ne faudrait-il pas aller plus loin en annexant à la Constitution une véritable Charte des droits sociaux, à l'instar de la Charte de l'environnement de 2004 (24) ?

Il conviendra également de favoriser la connaissance des accords d'entreprise, peut-être en étendant la mission de diffusion du droit à Legifrance.

Réformer le droit de la négociation collective. Le projet est ici ambitieux et passe par toute une série de modifications du Code du travail destinées à améliorer l'adaptabilité des accords collectifs pour mieux faire face aux mutations de l'environnement économique et social.

Il s'agirait, tout d'abord, de renforcer la loyauté de la négociation en généralisant les accords de méthode ou d'engagement de la négociation, et en obligeant les négociateurs à s'engager précisément sur des calendriers, et sur des objectifs à atteindre.

Quoique la question semble encore en débat, il n'est pas question ici de supprimer la catégorie des accords à durée indéterminée, au profit exclusif des accords à durée limitée (qui serait réduite à quatre ans), mais de favoriser la révision périodique des accords au travers de clauses plus précises et impératives (dites "clauses de revoyure").

Il s'agira également de réfléchir sur la conclusion des accords, sur les modalités de révision, pour simplifier notamment leur adaptation en cas de changements d'interlocuteurs dans l'entreprise, de réformer les règles de révision, singulièrement pour tenter de limiter et de préciser l'application de la règle du maintien des avantages individuels acquis en cas d'échec de la renégociation d'un accord (25). La réforme devra également consacrer l'autorité des accords de groupe, certainement, d'ailleurs, pour leur permettre de se substituer aux accords d'entreprise, dans une optique d'harmonisation des statuts collectifs.

Réformer le droit de la durée du travail. Dans l'immédiat, c'est-à-dire avant l'été 2016, le premier volet de la réforme, concernant le droit de la durée du travail, pourrait être proposé notamment pour sécuriser les forfaits-jours, les règles relatives aux repos et les congés (les durées hebdomadaires et quotidiennes, l'aménagement du travail sur l'année, les congés, ou encore les astreintes) et aborder des questions liées au droit à la déconnexion, au télétravail ou à l'utilisation des outils numériques.

Le choix de la durée du travail comme premier chantier est logique, à plusieurs titres.

En premier lieu, et depuis les premières dérogations possibles accordées à certaines des règles légales en matière de durée du travail en 1982, ces questions ont toujours été un laboratoire d'innovations pour les gouvernements successifs depuis lors. C'est d'ailleurs aussi en matière de durée du travail que la primauté de l'accord d'entreprise a été la plus poussée en 2008, au travers du volet durée du travail de la loi du 20 août 2008.

Ensuite, le mouvement de transfert des compétences du national (étatique) vers le local (conventionnel) a déjà largement été engagé ces dernières années, ce qui préfigure, sans doute, le schéma d'une loi affirmant l'existence de principes cardinaux et laissant aux partenaires sociaux le soin de s'organiser, des décrets servant de filet de sécurité (26).

Les marges de manoeuvre réelles laissées aux acteurs de la réforme seront, toutefois, relativement réduites. Faut-il le rappeler, même si le Gouvernement occulte totalement cet aspect dans sa communication, les règles relatives à la durée du travail sont encadrées par la Directive 2003/88 du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail N° Lexbase : L5806DLM), qui fixe des objectifs indérogeables en matière de durées maximum de travail et minimum de repos. Par ailleurs, et la limite est cette fois-ci politique, le Président de la République et le Premier ministre ont a priori refusé que la question de la durée légale de travail de 35 heures hebdomadaire soit discutée et renvoyée aux accords d'entreprise ou de branche. Or, il s'agit de l'une des revendications principales des organisations patronales qui voudraient bien faire travailler plus leurs salariés, sans avoir nécessairement à leur payer à due proportion des heures supplémentaires. Si on ne peut toucher ni aux durées maximum, ni à la durée légale, on se demande en quoi pourrait bien consister la "grande" réforme de la durée du travail.

Redéfinir les protections individuelles. C'est sans doute là que réside le coeur de la réforme, et sans doute la clef de la réussite pour fluidifier le marché du travail. Il s'agit, en effet, de permettre une meilleure mobilité professionnelle, une meilleure insertion des jeunes travailleurs notamment, et au final, de donner des chances égales à tous. Comme cela est clairement relevé dans la présentation de la réforme, les protections sont aujourd'hui accordées aux salariés en fonction de leur appartenance à telle ou telle catégorie professionnelle, pour simplifier celles des salariés, laissant en dehors des protections les exclus du marché du travail, mais aussi les travailleurs non salariés. L'idée, fortement présente dans le projet de compte personnel d'activité (27), serait d'attacher des droits aux personnes, sans les lier au statut, et de favoriser ainsi les transitions entre ces statuts, sans risque de perte des protections. Les droits seraient ainsi naturellement portables, et transférables, et pourraient alors alimenter des reconversions professionnelles, des périodes de formation, entre deux emplois.

Adapter le droit aux TPE-PME. En dépit d'une prise en compte ancienne et fréquente de l'effectif des entreprises pour moduler l'application du droit du travail, le droit actuel est considéré comme insuffisamment adapté aux TPE, singulièrement les règles de la négociation collective qui supposent la présence de représentants syndicaux, à tout le moins de délégués du personnel, pour négocier et conclure des accords collectifs.

Le projet de loi devra permettre aux TPE de se voir appliquer des dispositifs dérogatoires dont le bénéficie est aujourd'hui subordonné à la conclusion d'un accord collectif d'entreprise. Il s'agira ici également de favoriser la création d'accords-types définis dans la branche, et de permettre aux entreprises de négocier avec un salarié extérieur mandaté par une organisation syndicale représentative dans la branche.

La branche devra jouer ici un rôle moteur et mettre à disposition des TPE, outre des accords-types, des contrats de travail types reprenant l'essentiel des dispositions résultant de l'accord de branche, mais aussi faciliter les démarches auprès des organismes sociaux et fournir aux entreprises des informations sur le droit du travail.

Le projet vise également à favoriser la conclusion d'accords de site et de filière, englobant les sous-traitants des entreprises fournisseurs d'activité.

Conclusion. Il est trop tôt pour spéculer aujourd'hui sur les chances réelles de cette vaste entreprise de reconstruction du Code du travail. Mais une chose est certaine : la réforme semble désormais sur de bons rails, et on ne peut que s'en réjouir !


(1) R. Badinter et A. Lyon, Le travail et la loi, Fayard, 2015, 77 pages.
(2) Lire notre étude Réformer le droit du travail - présentation critique du rapport "Barthélémy- Cette", Lexbase Hebdo n° 626 du 24 septembre 2015 - édition sociale (N° Lexbase : N9030BUY) ; S. Tournaux, Rapport de l'Institut Montaigne - Sauver le dialogue social, Lexbase Hebdo n° 626 du 24 septembre 2015 - édition sociale (N° Lexbase : N9093BUC).
(3) G. Auzero, Rapport "Combrexelle" : propositions de réforme autour de la négociation collective, le travail et l'emploi, Lexbase Hebdo n° 626 du 24 septembre 2015 - édition sociale (N° Lexbase : N9068BUE).
(4) Transformation numérique et vie au travail, rapport établi par Bruno Mettling, septembre 2015.
(5) Lire le dossier de presse. Egalement Orientations retenues par le Gouvernement pour la refondation du droit du travail, JCP éd. S, 2015, Act. 436.
(6) Sur les différentes propositions faites ces dernières années, lire le tableau dressé par la SSL, 2015, n° 1684.
(7) R. Badinter et A. Lyon, Le travail et la loi, préc..
(8) On songera notamment ici aux publications de Pascal Lokiec, notamment Les idéologues de la simplification, SSL, 2015, n° 1677.
(9) Le rapport "Combrexelle" proposait ainsi la règle selon laquelle tout texte ajouté devrait entraîner, en contrepartie, la suppression d'un texte existant, et demandait à ce que l'agenda social soit réduit, et respecté.
(10) Rapports "Combrexelle", "Barthélémy-Cette" et "Montaigne".
(11) Le projet vise ainsi la "nouvelle économie", les "nouveaux modèles productifs, nouveaux métiers, nouvelles organisations du travail, nouvelles pratiques professionnelles".
(12) Le changement est peut-être déjà en marche et la volonté de simplifier l'action du Gouvernement l'est déjà, comme en témoigne le décret n° 2015-1469 du 13 novembre 2015, portant suppression de commissions administratives à caractère consultatif (N° Lexbase : L2930KQL) (JORF n°0264 du 14 novembre 2015, p. 21251).
(13) Si vous interrogez un chef d'entreprise pour lui demander si la complexité du droit du travail le dissuade d'embaucher, il aura tendance à vous répondre oui, même si, en réalité, l'affirmation est invérifiable.
(14) Notre présentation, préc..
(15) Lire la présentation par Gilles Auzero dans Lexbase Hebdo n° 626 du 24 septembre 2015 - édition sociale, préc..
(16) Sur la pluralité des sens possibles pour le même terme de "simplification", lire M. Véricel, Que faut-il entendre par simplification du droit du travail ?, Dr. soc., 2015 p. 833.
(17) On se rappellera que les lois "Aubry", de 1998 (loi n° 98-461 du 13 juin 1998 d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail N° Lexbase : L7982AIH) et 2000 (loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000, relative à la réduction négociée du temps de travail N° Lexbase : L0988AH3), mais aussi "Fillon" de 2003 (loi n° 2003-775 du 21 août 2003 N° Lexbase : L9595CAM), avait également renforcé, dans des domaines particuliers (durée du travail, procédures du licenciement pour motif économique), le rôle de la négociation d'entreprise.
(18) Intégrant les repos et les congés, les durées hebdomadaires et quotidiennes, l'aménagement du travail sur l'année, les congés, ou encore les astreintes, ainsi que les questions liées au droit à la déconnexion, au télétravail ou à l'utilisation et à la sécurisation du forfait-jours. Ce choix est logique dans la mesure où, historiquement depuis 1982, c'est toujours en matière de durée du travail que les principales innovations ont été imaginées, de la mise en place des accords dérogatoires en 1982 jusqu'aux accords de maintien de l'emploi qui peuvent entraîner la renonciation au paiement des heures supplémentaires.
(19) Le rapport "Combrexelle" était plus réaliste sur ce point et visait un délai de quatre ans.
(20) Ou aux accords inter ou multiprofessionnels.
(21) Etant précisé qu'aujourd'hui la loi détermine, depuis la loi n° 2004-391 du 4 mai 2004 (N° Lexbase : L1877DY8), la liste des questions qui échappent à la priorité accordée aux accords d'entreprise, et permet aux accords de branche de bloquer, par une clause générale, toute possibilité de dérogation dans son champ d'application. La réforme consisterait alors à supprimer cette faculté de mise à l'écart générale de la dérogation, et de ne laisser subsister, au niveau de la branche, que quelques questions réservées (minimas, classification, etc.) que l'accord de branche pourrait continuer de considérer comme s'imposant aux entreprises (sauf accords d'entreprise plus favorable, bien entendu).
(22) Rapport sur la réforme de la représentativité patronale, octobre 2013.
(23) Les branches pourront prendre des initiatives pour se rapprocher et fusionner, mais on peut penser qu'une redéfinition réglementaire devra intervenir pour reconstruire l'ensemble de l'édifice.
(24) Sur cette proposition, notre étude Pour une réforme constitutionnelle ambitieuse du dialogue social, dans Droit du travail. Emploi. Entreprise. Mélanges en l'honneur du Professeur François Gaudu, IRJS éditions, 2014, p. 155, s..
(25) Une mission particulière sera confiée à notre collègue Jean-François Cesaro.
(26) On pensera, ici, à l'évolution du régime de "modulation" des heures sur l'année.
(27) Sur lequel le rapport de la commission Mahfouz, rendu public en octobre 2015, pour France stratégie, précise qu'il s'agit de "paver le chemin d'une transition vers un système de droits universels, portables et personnalisés".

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