Lexbase Social n°626 du 24 septembre 2015 : Social général

[Projet, proposition, rapport législatif] Rapport "Combrexelle" : propositions de réforme autour de la négociation collective, le travail et l'emploi

Réf. : Rapport "Combrexelle", La négociation collective, le travail et l'emploi, 9 septembre 2015

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N9068BUE

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par Gilles Auzero, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux

le 24 Septembre 2015

Pour être relativement volumineux, le Rapport remis au Premier ministre par Jean-Denis Combrexelle (1), s'avère très pédagogique. Riche de 44 propositions, il a pour centre de gravité un questionnement relatif à la place qu'il convient de réserver à la négociation collective dans notre pays. Plus exactement, les développements contenus dans ce rapport reposent, de l'aveu même de ses rédacteurs, "sur une double conviction :
- la négociation collective est un mode de régulation adaptée à la diversité et à la complexité de nos relations sociales ;
- elle est, dans notre pays et à ce moment précis de notre histoire sociale, sans doute l'un des leviers de réforme les plus efficaces
" (p. 13).
Partant, le rapport "Combrexelle" entend donner une place nouvelle à la négociation collective, parée de nombreuses vertus, sans pour autant être présentée comme une panacée. A cette fin, le rapport articule ses 44 propositions autour de deux questions fondamentales dont on est tenté de considérer qu'elles relèvent, pour la première, de la politique juridique et, pour la seconde, de la technique juridique. Il s'agit, dans un premier temps, de "créer une dynamique de la négociation collective" et, dans un second temps, de "donner de nouveaux champs à cette même négociation collective" (2).
Nous souhaiterions, dans les lignes qui suivent, nous concentrer sur ce second versant du rapport, qui comporte, sans aucun doute, les propositions les plus sensibles. On ne saurait, pour autant, minimiser l'intérêt de celles qui relèvent de la volonté de créer une dynamique et, est-on tenté de dire, une véritable culture de la négociation collective. Certaines des propositions formulées à cet égard apparaissent particulièrement opportunes. On songe, notamment, à la place renforcée qu'il conviendrait de donner aux accords de méthode destinés à organiser la négociation, sur un plan matériel et temporel, ou encore à la nécessité, de notre point de vue avérée, de revenir sur les règles de révision des accords collectifs, particulièrement mises à mal par la réforme de la représentativité syndicale.
Le chapitre du rapport relatif aux champs de la négociation collective est fondé sur le principe général consistant à donner davantage d'espace à la négociation collective. Procédant par ordre, le rapport s'attache, d'abord, à évoquer la refonte du Code du travail, avant de présenter une articulation nouvelle des sources en droit du travail.

1 - La refonte du Code du travail

Limitation du flux normatif. Nul, sans doute, ne songe à contester ce fait que notre droit du travail est complexe. Mais cette complexité, dont le rapport souligne qu'elle est inhérente à la complexité même de notre société et affecte aussi d'autres matières telles que le droit fiscal ou le droit de l'urbanisme, est avant tout la conséquence d'un flux normatif "qui atteint des proportions déraisonnables au point que même les directions des ressources humaines des plus grands groupes peinent à suivre" (p. 74).

Sans demander un moratoire des lois en la matière, qui serait certainement peine perdue, le rapport appelle, plus modestement, de ses voeux une "limitation du nombre de réformes législatives en fixant un agenda social annuel et en le respectant" (prop. n° 24). En outre, pour stabiliser l'importance quantitative de notre Code du travail, il faudrait faire en sorte que tout texte nouveau soit gagé par la suppression d'un texte obsolète afin d'empêcher la constitution de strates successives qui nuisent à la compréhension du code (prop. n° 25). On ne peut que souscrire à de telles suggestions, de nature à éviter les lois de circonstance ou "de réaction".

Nouvelle architecture du Code du travail. Le rapport propose ensuite une "nouvelle architecture du Code du travail" et, en aucune façon, son démantèlement. Au contraire, il est affirmé qu'"une réduction drastique du Code du travail [...] plongerait notre économie et notre système de relations sociales dans une situation chaotique et donnerait au juge un pouvoir sans précédent. Selon toute vraisemblance, ce pouvoir serait d'ailleurs exercé pour restaurer en règles jurisprudentielles les règles législatives et règlementaires qui auraient été précédemment abrogées" (p. 77).

Cela étant précisé, tout en conservant le plan actuel du Code du travail, les auteurs du rapport proposent de faire clairement la part, à l'intérieur de chacune des divisions, entre :

- les principes fondamentaux du droit du travail qui relèvent strictement du champ de l'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L7403HHN) ainsi que les normes de transposition du droit communautaire : ces principes et normes présentant un caractère impératif car relevant de l'ordre public ;

- les champs ouverts à la négociation avec le minimum d'encadrement législatif qu'exige la Constitution ;

- les dispositions du code supplétives, généralement de niveau règlementaire, qui s'appliqueraient en l'absence d'accord collectif.

A ce stade, on peut s'empêcher de relever un certain paradoxe. Si le rapport écarte toute "réduction drastique" du Code du travail, les propositions formulées subséquemment pourraient, de fait, y conduire... N'est-ce pas, en effet, la conséquence éventuelle d'un "recentrage" du code sur des principes fondamentaux ? Sans doute, ces derniers doivent-ils s'accompagner d'un "minimum d'encadrement législatif" et de normes supplétives. Mais, c'est alors compter sur la raison de ceux qui les édictent.

Toujours est-il que l'objectif est de parvenir et revenir à un Code du travail "plus équilibré". A cette fin, le rapport entend retenir un délai fort raisonnable de quatre ans, employé à la réécriture du code. Mais comme l'urgence se fait sentir, il conviendrait, dans le courant de l'année 2016, de cibler les domaines sur lesquels, du point de vue social et économique, il y a une urgence à développer la négociation collective et à adapter, en conséquence, les dispositions du Code du travail.

La logique serait, aux termes du rapport, de s'appuyer sur les quatre piliers de la négociation que sont le temps de travail, les salaires, l'emploi et les conditions de travail. On comprend ici que ces quatre piliers pourraient constituer le modèle d'une généralisation à plus long terme, d'une nouvelle articulation des normes en droit du travail.

2 - La nouvelle articulation des normes en droit du travail

Dans chacun des piliers évoqués précédemment, le droit positif se caractérise par une forte imbrication de la norme unilatérale (loi et règlement) et du renvoi à la négociation. Le travail de clarification consisterait à établir, à l'intérieur de chacun de ces piliers, ce qui relève de l'ordre public et ce qui relève, à titre principal, de la négociation.

On aura compris que le droit imposé devrait, dans les matières concernées, se réduire à un noyau dur de normes d'ordre public fixant quelques grands principes (durée maximale de travail (3), SMIC, etc.). Pour le reste, renvoi serait fait à la négociation collective, en articulant la négociation de branche et la négociation d'entreprise. En résumé, et pour reprendre une formule saisissante du rapport, "à la loi de fixer les grands principes du travail et de l'emploi, aux accords de branche de fixer l'ordre public conventionnel et aux accords d'entreprise de définir en priorité le droit conventionnel du travail sur tous les sujets qui ne relèvent pas de l'ordre public" (p. 89).

Les missions de la branche. Selon le rapport, la première mission de la branche consisterait à définir "l'ordre public conventionnel", "qui s'applique à l'ensemble des entreprises du secteur et qui est opposable, sous réserve de l'application du principe de faveur, à l'ensemble des accords d'entreprise". Certaines stipulations relèveraient, par nature, de "l'ordre public conventionnel" (4), tandis que d'autres appartiendraient à cette catégorie par la volonté même des négociateurs, qui devraient l'indiquer de manière explicite. On aura compris que l'ensemble de ces stipulations ne pourrait qu'être amélioré dans le cadre de la négociation collective d'entreprise. C'est donc, plutôt, un "ordre public social conventionnel" qui serait édicté au niveau des branches, étant observé que le rapport semble vouloir écarter toute stipulation qui interdirait purement et simplement la négociation au niveau inférieur.

La branche aurait pour deuxième mission d'assumer un rôle de prestataire de services à destination des entreprises. A cet égard, elle pourrait, selon le rapport, proposer, "via des accords, des solutions spécialement adaptées aux TPE", notamment par des accords d'entreprise types laissant au chef d'entreprise et à ses salariés des options claires de choix ou encore des exemples de bonnes pratiques concernant notamment le contenu d'accords d'entreprise.

La troisième mission de la branche, de notre point de vue essentielle, serait de définir les stipulations supplétives "qui s'appliquent en l'absence d'accord d'entreprise dans les domaines définis par le Code du travail" (5).

Avant d'en venir au rôle de la négociation d'entreprise, il importe de souligner que le rapport appelle de ses voeux, de manière particulièrement opportune à nos yeux, une réduction du nombre de branches.

Le rôle de la négociation d'entreprise. Dans un premier temps, dans le seul champ de ce que le rapport "Combrexelle" nomme les accords "ACTES" (Accords sur les Conditions et Temps de travail, l'Emploi et les Salaires), serait organisée une complémentarité entre les différents modes de régulation qui s'articulerait de la manière suivante :

- un ordre public législatif défini par le code du travail et un ordre public conventionnel défini par l'accord de branche du secteur ; ces ordres publics seraient définis de façon telle qu'une marge suffisamment large soit laissée aux accords d'entreprise ;

- les accords d'entreprise s'appliqueraient en priorité ;

- à défaut d'accord d'entreprise, s'appliqueraient les stipulations supplétives de l'accord de branche ; à défaut d'accord d'entreprise ou d'accord de branche sur le sujet, s'appliqueraient les dispositions supplétives du Code du travail.

Le dispositif ainsi présenté appelle un certain nombre de commentaires. A l'évidence, les auteurs du rapport ont entendu accorder une véritable priorité à l'accord d'entreprise. Mais priorité n'est pas ici synonyme de prééminence. En effet, la négociation d'entreprise est enfermée dans de strictes limites puisqu'elle doit respecter l'ordre public législatif et l'ordre public conventionnel. Partant, l'autonomie des négociateurs au niveau de l'entreprise pourrait se réduire à peau de chagrin, compte tenu du nombre de stipulations que l'accord de branche aura rattaché à "l'ordre public conventionnel". En outre, et par hypothèse, ce même accord de branche ne pourra faire l'économie des stipulations supplétives, pour le cas où la négociation d'entreprise n'aura pas, au pire, abouti ou, au mieux, débouché sur un texte lacunaire. Partant, la complexité des normes pourrait se déplacer du Code du travail vers l'accord de branche. Mais ledit code devra, lui aussi, nécessairement édicter des normes supplétives ce qui, il faut en convenir, ne contribuera pas à le faire maigrir... On doit cependant rappeler que, comme il a été dit précédemment, là n'est pas l'objectif premier des propositions du rapport "Combrexelle".

En réalité, et de notre point de vue, il ouvre à de nouvelles perspectives, en offrant aux partenaires sociaux l'opportunité de libérer la négociation d'entreprise. Mais il ne s'agit là que d'une opportunité tout entière offerte aux partenaires sociaux, si tant est que le législateur ne démultiplie pas les dispositions d'ordre public qu'il a la charge d'élaborer. On peut aussi se demander si, fondamentalement, le dispositif proposé dans le rapport se démarque véritablement des techniques de dérogation et supplétivité que nous connaissons d'ores et déjà. On rappellera simplement ici qu'en vertu de la première, et sous réserve des quatre domaines "sanctuarisés", l'accord d'entreprise peut déroger à l'accord de branche, sauf si celui-ci l'interdit. Ainsi, et depuis 2004, l'accord de branche peut conférer une priorité à l'accord d'entreprise. Avec le dispositif nouveau, le second aura la priorité, du moins sur toutes les questions que le premier n'aura pas rattaché à "l'ordre public conventionnel", dont on a vu que, sous réserve des stipulations relevant "par nature" de celui-ci, il serait abandonné à la volonté des parties signataires.

Par ailleurs, parce que le rôle nouveau conféré à l'accord d'entreprise ne saurait faire l'économie d'un questionnement sur sa légitimité, le rapport "Combrexelle" propose, à compter de 2017, la généralisation du principe de l'accord majoritaire.

Accord collectif et contrat de travail. La proposition n° 42 du rapport "Combrexelle" est ainsi formulée : "Institution d'une règle faisant prévaloir, dans l'intérêt général et l'intérêt collectif des salariés, les accords collectifs préservant l'emploi sur les contrats de travail". On l'aura compris, il s'agit ici d'écarter la règle édictée par l'article L. 2254-1 du Code du travail (N° Lexbase : L2417H9E) et, plus certainement encore, la jurisprudence de la Cour de cassation au terme de laquelle un accord collectif ne peut modifier le contrat de travail d'un salarié.

Si la proposition peut rebuter, elle est néanmoins encadrée. Ne seraient concernés que les accords qui visent à protéger, maintenir, préserver et développer l'emploi, c'est-à-dire les accords de mobilité, de GPEC et de maintien dans l'emploi. En outre, alors même que le rapport entend dénier au salarié le droit de s'opposer à l'application d'un tel accord, son licenciement ne serait pas prononcé pour faute, mais pour motif économique. Néanmoins, sa cause réelle et sérieuse serait présumée, si tant est que les engagements internationaux de la France le permette, et "le régime indemnitaire serait spécifique à cette situation et devrait être moins attractif que celui prévu par le droit commun en cas de licenciement pour motif économique".


(1) Le rapport est issu d'une réflexion collective et pluridisciplinaire d'un groupe de travail composé de juristes, d'économistes, de sociologues, de praticiens et d'experts venant d'autres Etats membres de l'Union européenne.
(2) Nous reprenons ici les intitulés figurant dans le rapport lui-même.
(3) Il n'est guère besoin de rappeler que le rapport propose ou, plus exactement proposait, que le seuil de déclenchement des heures supplémentaires ne relève pas de ne noyau dur et soit, de ce fait, abandonné à la négociation collective. L'emploi du passé est de rigueur, compte tenu des déclarations du Premier ministre sur ce point.
(4) Selon le rapport, il s'agit des stipulations qui visent "des règles ou des dispositifs qui s'inscrivent dans une régulation au niveau national. Il s'agit traditionnellement des qualifications, des salaires minima, de la prévoyance et de la formation professionnelle. Il faudrait y ajouter la question de la pénibilité". Bien que cela ne soit pas précisé, on croit deviner qu'il reviendrait à la "norme unilatérale" de fixer les domaines (plus que les stipulations) relevant, par nature, de "l'ordre public conventionnel".
(5) Le rapport fait état d'une quatrième mission de la branche tournée vers l'emploi et la formation en fonction des évolutions prévisibles du secteur.

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