La lettre juridique n°633 du 19 novembre 2015 : Bancaire

[Jurisprudence] Le devoir d'information du prêteur en matière d'assurance

Réf. : Cass. civ. 1, 30 septembre 2015, n° 14-18.854, F-P+B (N° Lexbase : A5487NSZ)

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par Alexandre Bordenave, Avocat au barreau des Hauts-de-Seine, chargé d'enseignement à l'ENS Cachan

le 19 Novembre 2015

Eclairer (1), mettre en garde, informer, conseiller : les prêteurs sont désormais familiers de la ritournelle de devoirs dont on les berce dans les prétoires. L'arrêt rendu par la première chambre civile le 30 septembre 2015 y ajoute un refrain inédit.
En 2004, un établissement de crédit (la banque) consentit un prêt à une société civile immobilière (l'emprunteur), puis accorda à ce même emprunteur plusieurs autres ouvertures de crédit jusqu'en 2007. Faute de remboursement, la banque assigna l'emprunteur en justice. L'emprunteur rétorqua que l'offre de prêt ne mentionnait aucunement une proposition d'assurance. La cour d'appel d'Aix-en-Provence (2), vraisemblablement sensible au fait que l'absence de remboursement était au moins indirectement liée au fait que l'associée majoritaire de l'emprunteur (3) avait été victime d'un accident de santé ayant entraîné d'importantes pertes de revenus, fut sensible à cet argumentaire et condamna la banque à verser à l'emprunteur, à titre de dommages et intérêts la somme de 400 000 euros. La banque réagit avec vigueur : il faut dire que l'obligation de faire figurer sur l'offre de prêt la possibilité pour l'emprunteur de souscrire une assurance que prévoit l'article L. 312-8, 4° du Code de la consommation (N° Lexbase : L5239IXC) n'entra en vigueur qu'à compter du 1er octobre 2008. La banque se pourvut donc en cassation arguant non seulement de cela mais également de ce que le prêteur n'est tenu à une obligation de mise en garde qu'à l'égard d'un emprunteur non averti et aux capacités financières insuffisantes compte tenu du montant du prêt.
La Haute juridiction était donc invitée à trancher la question de la portée du devoir d'information du prêteur en matière d'assurance : le prêteur est-il tenu d'informer de l'intérêt que présente pour l'emprunteur la souscription d'une assurance et, si oui, est-ce le cas systématiquement ? La Cour de cassation, bien que cassant partiellement l'arrêt d'appel pour défaut de contradictoire, se rallie globalement au raisonnement des juges du fond en estimant que le devoir d'information du prêteur en matière d'assurance bénéficie à tous les emprunteurs, même avertis et même hors tout risque d'insolvabilité. D'ailleurs, elle le fait fit via un véritable attendu de principe : "le devoir d'information du prêteur en matière d'assurance bénéficie à tous les emprunteurs".

Il s'agit d'une décision inédite, conférant une portée remarquable au devoir d'information du prêteur en matière d'assurance, dont il convient d'étudier les caractéristiques (I) avant d'en apprécier les contours (II).

I - Les qualités du devoir d'information du prêteur en matière d'assurance

Aux termes de l'arrêt commenté, le devoir d'information du prêteur en matière d'assurance se voit paré des vertus d'universalité (A) et d'autonomie (B).

A - Un devoir universel

A ce propos, nous avons déjà cité partiellement l'attendu principal de l'arrêt commenté : le devoir d'information du banquier en matière d'assurance profite à "tous les emprunteurs". Existe ainsi quant à cette obligation une universalité de créanciers : comme un emprunteur profane, un emprunteur averti doit en bénéficier. En ce sens, la Cour de cassation se montre plus exigeante que la loi qui n'impose une obligation similaire qu'à l'égard du profane et dans le cadre d'un prêt immobilier (4).

Par ailleurs, il y a lieu de penser que cette obligation joue peu importe le type de crédit concerné : dans l'espèce qui nous retient, certes, était en cause un crédit immobilier mais la généralité de la formule employée par la première chambre civile ne paraît pas s'y limiter. C'est ainsi à l'occasion de la conclusion de tout type de prêt (immobilier, affecté ou non, à la consommation...) que le prêteur est tenu d'informer suffisamment son client à propos de la souscription d'une assurance.

Enfin, on peut s'interroger sur le point de savoir si cette obligation d'information concerne des intermédiaires d'assurance autres que des établissements de crédit. Là encore, assez vraisemblablement la réponse devrait être positive. Bien sûr, en pareille situation, assureur et emprunteur seront deux entités différentes mais il n'en restera pas moins que l'intermédiaire d'assurance devra informer de façon adéquate le futur assuré, profane ou averti, quant à l'assurance prise pour les besoins de son crédit.

De la sorte, c'est bien une universalité du devoir d'information du prêteur, professionnel à tout le moins, qui se dessine grâce à la décision de la Cour de cassation.

B - Un devoir autonome

L'attendu principal de l'arrêt du 10 septembre 2015 apporte une précision supplémentaire de haute importance : l'obligation d'information en matière d'assurance "s'impose indépendamment de tout risque d'endettement excessif". Il faut y voir un signe de l'autonomie de cette obligation, à savoir qu'elle ne se cantonne pas à des opérations de crédit créant à la charge de l'emprunteur un endettement excessif.

Le prêteur est donc invité à se poser une seule question : celle du risque de non remboursement du crédit nouvellement consenti si l'emprunteur se trouve privé de ses ressources, comme à la suite d'un accident, la perte d'un client majeur ou plus généralement tout événement affectant durablement son activité. Ce faisant, le prêteur est plus ou moins conduit à mener à un raisonnement in abstracto, largement détaché de la situation particulière de l'emprunteur. Ainsi, la Cour de cassation dépasse dans son arrêt du 30 septembre 2015 ce qu'elle a pu exiger en matière de crédit, où la question des capacités financières et des risques d'endettement est habituellement centrale (5). Au fond, c'est assez logique : l'information concerne ici, non pas le crédit, mais bien l'assurance elle-même.

Le tout aboutit à une portée extrêmement large de l'obligation d'information du prêteur en matière d'assurance puisqu'elle se destine aussi à des emprunteurs bien portant financièrement.

Tâchons désormais de mieux saisir l'objet de ce devoir d'information, condition indispensable pour vérifier s'il y est correctement satisfait ou non.

II - L'objet du devoir d'information du prêteur en matière d'assurance

Quoique la Cour de cassation parle d'obligation d'information c'est peut-être plutôt un devoir de conseil qui émerge de l'arrêt commenté (A), auquel il devrait être relativement aisé de satisfaire (B).

A - Un devoir de conseil

La jurisprudence demeure généralement floue dans les termes qu'elle utilise pour caractériser les obligations qu'elle met à la charge du prêteur, ne permettant guère d'établir une frontière sûre entre une obligation d'information, d'ordre objectif et relative aux caractéristiques du "produit bancaire" commercialisé, et une obligation de conseil, plus subjective et ayant trait à l'intérêt que la prestation peut présenter ou non pour le client. L'existence d'une telle obligation de conseil mise à la charge du prêteur, si elle a pu être reconnue par la Cour de cassation (6), a souvent été battue en brèche et, pour la dernière fois, dans un arrêt du 13 janvier 2015 exprimant "que, sauf disposition légale ou contractuelle contraire, la banque n'est pas tenue à une obligation de conseil à l'égard de son client" (7). Dont acte.

Néanmoins, en l'espèce, au-delà des termes employés, nous sommes d'avis que la Cour de cassation a entendu consacrer une véritable obligation de conseil à la charge du prêteur en matière d'assurance. En effet, à notre sens, ce n'est pas tant un simple devoir d'informer quant à la possibilité d'adhérer à une assurance qu'il a s'agit de sanctionner, ce qu'un emprunteur averti, comme au cas présent, ne pouvait raisonnablement ignorer, mais bien d'attirer l'attention de l'emprunteur quant au fait que la couverture, par la souscription d'une assurance, d'un risque "apparaît opportune", soit le conseiller à ce sujet. C'est donc à une jurisprudence particulièrement engagée que nous avons ici à faire.

B - Un devoir léger

Pour autant, les prêteurs ne devraient pas trop avoir à trembler devant ce joug nouveau qui leur est déposé sur les épaules, car celui-ci est plutôt léger. Il ne fait que prolonger le devoir prétorien mis à la charge du prêteur d'éclairer l'emprunteur d'un crédit immobilier "sur l'adéquation des risques couverts à sa situation personnelle" (8) en le poussant à son paroxysme. Certes, il conviendra donc que le prêteur ne se contente pas de distribuer à son client une notice standardisée en matière d'assurance (9) ; mais, dans le même temps, il suffira que le prêteur présente à son client un bilan coûts-avantages, même simple, de la souscription d'une assurance et d'une recommandation de souscription.

Par ailleurs, il faut bien avouer que, dans maints cas, la souscription d'une assurance liée au crédit est contractuellement obligatoire et que, sauf le cas d'une assurance fort inadaptée au risque souscrit ou à la situation raisonnablement prévisible de l'emprunteur (10), cette seule souscription peut non seulement s'avérer une bonne affaire pour le prêteur (puisque bien souvent une entité de son groupe dont il est l'intermédiaire fournit l'assurance) mais également constituer un élément de preuve de la bonne exécution de l'obligation de conseil en matière d'assurance mise à sa charge. Il paraît donc nécessaire de relativiser quelque peu le surcroît de travail créé pour les prêteurs par l'arrêt que la première chambre civile a rendu le 30 septembre 2015.

S'inspirant pour partie de certains mécanismes issus de la loi et de la jurisprudence antérieure, l'arrêt du 30 septembre 2015, même s'il fut rendu au sujet d'un établissement de crédit, semble surtout viser ce dernier en sa qualité d'intermédiaire d'assurance (11). Pour cette raison, il semble tirer une conséquence nouvelle du schéma de bancassurance. On le sait : ce modèle est typiquement français. En conséquence, il se trouve à l'image de tous les modèles français : parfois terriblement attaqué, il sait néanmoins s'éprouver à la recherche d'une vérité sans laquelle la charité est bien vide.


(1) Cass. civ. 1, 12 juillet 2005, n° 02-13.155, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A0277DKH).
(2) CA Aix-en-Provence, 6 février 2014, n° 12/23725 (N° Lexbase : A8271MDP)
(3) Responsable indéfiniment du passif social compte tenu de la forme de la société en cause, est-il besoin de le préciser ?
(4) C. consom., art. L. 312-8 (N° Lexbase : L7512IZA).
(5) Not. Cass. com., 5 novembre 2013, n° 11-27.400, F-D (N° Lexbase : A2183KPK).
(6) Cass. civ. 1, 27 juin 1995, n° 92-19.212 (N° Lexbase : A7283ABD), Revue de droit bancaire et de la bourse, n° 51, septembre-octobre, 1995, 185, obs. J. Crédot et Y. Gérard.
(7) Cass. com., 13 janvier 2015, n° 13-25.856, F-D (N° Lexbase : A4566M9Y), Revue Banque, n° 784, mai 2015, 84, obs. M. Boccara et M. Varnav, Revue de droit bancaire et financier, mai-juin 2015, com. n° 71, J. Crédot et Th. Samin.
(8) Ass. plén., 2 mars 2007, n° 06-15.267, P+B+R+I (N° Lexbase : A4358DUX), D., 2007, 871, obs. D. R. Martin et H. Synvet. Certains y avaient déjà vu une obligation de conseil en matière d'assurance : S. Piedelièvre, D., 2007, p. 985.
(9) Même s'il s'agit d'un minimum, sans lequel le prêteur ne pourra dans aucun cas prouver qu'il a au moins fourni un début de conseil.
(10) En considération de son âge ou de son secteur d'activité, par exemple.
(11) C. assur., art. L. 511-1 (N° Lexbase : L9783HE3). En ce sens, voir aussi Th. Bonneau, Droit bancaire, LGDJ, Paris, 2015, 11ème éd., n° 563, p. 417.

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