La lettre juridique n°633 du 19 novembre 2015 : Avocats/Périmètre du droit

[Jurisprudence] Le métier d'avocat doit être protégé intégralement

Réf. : Cass. crim., 13 octobre 2015, n° 14-83.354, F-D (N° Lexbase : A6050NTA)

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par Jean Bouëssel du Bourg, Docteur en droit, ancien Bâtonnier, Avocat au barreau de Rennes

le 19 Novembre 2015

Les avocats bénéficient d'un monopole de représentation en justice devant certaines juridictions mais, dans une moindre mesure, ils ont aussi un monopole pour donner des consultations et rédiger des actes juridiques. Certains désapprouvent ce monopole. Il est pourtant fondé sur une double raison. Le législateur a voulu que ceux qui représentent en justice et qui conseillent sur des problèmes de droit soient sélectionnés de manière rigoureuse. L'avocat justifie d'une compétence de haut niveau qu'il a obtenue en poursuivant une formation longue puisqu'il est au minimum titulaire d'une maîtrise en droit et d'un certificat d'aptitude que l'on obtient après près de deux années d'étude supplémentaires. L'avocat présente, par ailleurs, des garanties d'honnêteté et d'honorabilité et il s'engage à suivre une déontologie exigeante. Une condamnation pénale pour des agissements contraires à la probité fait perdre le droit de donner des consultations juridiques (voir par exemple CA de Bordeaux, 6 novembre 2012, n° 11/01245 N° Lexbase : A8290NWX). Toutes ces obligations sont rappelées aux articles 3 et 11 de la loi du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ). La justice et ses usagers ont besoin de cette double garantie. Le juge doit être certain qu'il ne sera pas trompé, l'usager doit être certain qu'il sera bien conseillé. Nous avons déjà expérimenté une société sans avocat. Le ministère d'avocat a été supprimé en 1790 pendant toute la période révolutionnaire. Les avocats furent remplacés par de simples "hommes de loi" qui n'étaient astreints à aucune déontologie. On sait ce qu'il advint. Les juges se sont alors plaints de déloyautés, de violation du contradictoire. La profession d'avocat a été rétablie en 1804 pour mettre un terme à ces dérives. Si ce monopole est justifié, il convient alors de le protéger. Mais cette protection implique que l'on définisse avec précision les contours de ce monopole et les rôles confiés aux avocats. L'arrêt rendu le 13 octobre 2015 par la Chambre criminelle de la Cour de cassation illustre parfaitement le problème. Dans cette affaire, un avocat, ancien conseil juridique, avait ouvert un cabinet secondaire à Villeurbanne et y avait installé un juriste à qui il avait donné plein pouvoir pour gérer son cabinet secondaire. Il avait ensuite cédé la clientèle de ce cabinet secondaire à ce juriste sous condition d'admission du cessionnaire au barreau local. Cette admission fut refusée mais le juriste continua malgré tout à exercer son activité en faisant croire qu'il avait la qualité d'avocat. Il usurpait ainsi le titre d'avocat. Il commit, par ailleurs, diverses malversations qui lui valurent des poursuites pénales pour escroquerie et exercice illégal de la profession d'avocat.

Le juriste fut condamné par la cour d'appel de Lyon pour escroquerie mais relaxé pour l'exercice illégal de la profession d'avocat au motif qu'il n'avait pas représenté ou assisté ses clients devant une juridiction.

Au visa de l'article 388 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3795AZL), l'arrêt de la cour d'appel de Lyon est cassé. La Chambre criminelle de la Cour de cassation relève que "la prévention visait l'exercice illégal de l'activité de consultation et de rédaction d'actes en matière juridique caractérisant également la profession d'avocat".

La cour d'appel d'Aix-en-Provence avait déjà admis qu'une personne qui n'était pas juriste salarié d'une entreprise et n'appartenait pas à une profession réglementée ne pouvait pas donner des consultations juridiques et rédiger des actes juridiques pour autrui sans commettre l'infraction d'exercice illégal de la profession d'avocat (CA Aix en Provence, 25 mars 2009, n° 08/2765 N° Lexbase : A8288NWU).

Mais cette jurisprudence n'avait pas été suivie par la cour d'appel de Lyon.

La décision, prise par la Cour de cassation, pourrait paraître discutable au regard des dispositions combinées des articles 4 et 72 de la loi du 31 décembre 1971. Elle est cependant justifiée.

L'article 4 dispose que "nul ne peut, s'il n'est avocat, assister ou représenter les parties, postuler et plaider devant les juridictions" et l'article 72 punit ceux qui, n'étant pas inscrits au barreau, ont "exercé une ou plusieurs des activités réservées au ministère des avocats dans les conditions prévues à l'article 4". Une interprétation restrictive de ces dispositions a conduit la cour d'appel de Montpellier à refuser de considérer qu'il y avait exercice illégal de la profession d'avocat pour un juriste ayant exercé une activité juridique mais pas une activité judiciaire: "il n'est pas établi qu'il a assisté ou représenté une partie ou effectué des diligences telles que prévues par l'article 4 de la loi du 31 décembre 1971, seules activités pénalement sanctionnées par l'article 72 de la loi" (CA Montpellier, 12 mai 2015, n° 14/01163 N° Lexbase : A8291NWY).

Dans son arrêt du 13 octobre 2015 la Cour de cassation adopte une position différente en retenant qu'une activité purement juridique peut constituer un exercice illégal de la profession d'avocat.

Pour être répréhensibles les consultations doivent avoir été données de manière habituelle (CA Paris, 26 juin 1996, n° 95/01546 N° Lexbase : A8293NW3). Une activité juridique occasionnelle n'est pas réservée aux seuls avocat.

A l'inverse, l'activité judiciaire n'a pas besoin d'être habituelle pour constituer un exercice illégal de la profession d'avocat (Cass. crim., 5 février 2013, n° 12 -81.155, FS-P+B N° Lexbase : A6410I7K et Cass. crim., 14 janvier 2015, n° 13-85.868, F-D N° Lexbase : A4631M9E).

Même dans les affaires où les parties peuvent se faire assister ou représenter par une personne de leur choix munie d'un pouvoir spécial, ces personnes ne peuvent exercer ces missions de manière habituelle sans commettre l'infraction d'exercice illégale de la profession d'avocat (CA Paris, 14 avril 1999, n° 98/05246 N° Lexbase : A8295NW7 et Cass. crim., 7 avril 1999, n° 98-80.073 N° Lexbase : A0980CPY).

La solution donnée par l'arrêt du 13 octobre 2015 ne peut qu'être approuvée.

L'article 72 de la loi du 31 décembre 1971 réprime ceux qui exercent une ou plusieurs des activités réservées au ministère des avocats.

Or, l'article 54 de la loi du 31 décembre 1971 réserve en grande partie l'activité juridique aux avocats. Et les dispositions de l'article 54 sont d'ordre public (CA Douai, 21 janvier 2013, n° 12/01470 N° Lexbase : A5878I34).

Certes, les avocats n'ont pas le monopole de la consultation et de la rédaction des actes juridiques. Certains juristes visés par les articles 56 à 66 de la loi du 31 décembre 1971 peuvent avoir une activité juridique. Ce sont notamment les juristes d'entreprise qui travaillent pour leur entreprise, les personnes exerçant une activité professionnelle réglementée s'ils font du droit à titre accessoire, certains professionnels qualifiés et certaines associations reconnues d'utilité publique.

Mais en dehors des juristes visés par la loi, l'activité juridique rémunérée est réservée aux avocats. Cette restriction a été jugée parfaitement légale par la CJCE dès lors que quatre conditions sont remplies : l'absence de discrimination, les raisons impérieuses d'intérêt national, les restrictions permettent de réaliser l'objectif poursuivi et que la réglementation n'aille pas au-delà de ce qui est nécessaire (CJCE, 12 décembre 1996, aff. C-3/95 N° Lexbase : A9992AUM).

Il faut bien reconnaître cependant qu'il n'est pas toujours facile de déterminer quels sont les juristes qui relèvent des articles 54 et suivants de la loi du 31 décembre 1971. La cour d'appel de Toulouse a pu estimer qu'une présence à l'audience aux côtés d'une partie pour donner des avis techniques ne pouvait être assimilée à une assistance juridique" (CA Toulouse, 28 octobre 2013, n° 13/00554 N° Lexbase : A8297NW9). De même, un contrat destiné à obtenir une diminution des impôts locaux a été considéré comme une prestation essentiellement technique ne relevant pas des dispositions de l'article 54 de la loi de 1971 (CA Douai, 21 janvier 2013, n° 12/01470, préc.). La cour d'appel de Paris a trouvé normal qu'un OPQCM propose aux entreprises des services de recherches d'économies à réaliser sur les charges sociales et fiscales. Un membre de CIVI, qui donnait des consultations et rédigeait des actes juridiques, n'a pas été jugé répréhensible par la cour d'appel d'Amiens au motif que son activité ne constituait pas une pratique du droit au sens de la loi du 31 décembre 1971 (CA Amiens, 18 juin 2014, n° 13/00961 N° Lexbase : A8289NWW).

A l'inverse, un courtier, qui ne se contente pas d'exercer une activité juridique dans le cadre des mandats reçus par les compagnies d'assurance, commet l'infraction d'exercice illégal de la profession d'avocat (CA Grenoble, 3 juillet 2014, n° 13/05517 N° Lexbase : A5556MSL). De même un "expert", qui assure à ses clients une défense devant les compagnies d'assurance, exerce une activité irrégulière car cette activité est réservée aux avocats (CA Lyon, 12 mai 2009, n° 08/08208 N° Lexbase : A8298NWA).

L'avocat qui continue à exercer malgré une omission commet l'infraction d'exercice illégal de la profession (CA Paris, 11 juin 1998, n° 97/01736 N° Lexbase : A8295NW7). A l'inverse, il n'y a pas d'exercice illégal s'il a fait l'objet d'une interdiction car il est dans ce cas toujours inscrit au barreau (CA Rouen, 24 juin 2009, n° 08/00878 N° Lexbase : A8296NW8).

Par ailleurs, les juristes font parfois preuve de subtilité pour contourner les dispositions restrictives de l'article 54 et tenter d'exercer une activité réservée aux avocats et à certaines professions strictement visées par la loi de 1971. Un juriste a par exemple tenté de monter un syndicat de façade pour prétendre assister des clients en justice (CA Paris, 19 septembre 2006, n° 05/03461 N° Lexbase : A8292NWZ).

Il n'était pas contesté en l'espèce que le juriste poursuivi ne s'était pas présenté devant les tribunaux pour plaider. Mais, il reconnaissait, en revanche, avoir donné des consultations et rédigé des actes juridiques de manière habituelle.

Le juriste poursuivi n'était pas juriste d'entreprise, il n'appartenait pas à une profession réglementée. Il laissait penser à la clientèle qu'il bénéficiait de la qualité d'avocat.

C'est donc bien à tort que la cour d'appel de Lyon a estimé qu'il n'y avait pas exercice illégal de la profession d'avocat au motif que le juriste n'avait pas plaidé. Réduire l'exercice de la profession d'avocat à l'exercice de la plaidoirie aboutirait à priver le titre d'avocat d'une grande partie de sa protection.

Il n'est pas contestable que la consultation et la rédaction d'actes juridiques font partie de l'activité d'un avocat. Ces activités ont même été étendues et renforcées par des lois récentes : l'avocat peut donner des consultations en dehors même de son cabinet, depuis le décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, organisant la profession d'avocat (N° Lexbase : L8168AID), et ses actes juridiques peuvent recevoir une force probante particulière depuis la loi n° 2011-331 du 28 mars 2011, de modernisation des professions judiciaires ou juridiques et certaines professions réglementées (N° Lexbase : L2792IRT).

La décision de la Cour de cassation donne sans doute un coup d'arrêt à une jurisprudence qui admettait assez facilement le droit de donner des consultations juridiques sans commettre l'infraction d'exercice illégal de la profession d'avocat.

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