Lexbase Droit privé n°627 du 1 octobre 2015 : Successions - Libéralités

[Jurisprudence] Usufruit du conjoint survivant et droit d'auteur : cumul des droits et unité du régime de réduction

Réf. : Cass. civ. 1, 8 juillet 2015, n° 14-18.850, FS-P+B (N° Lexbase : A7557NMT)

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N9152BUI

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par Jean-Baptiste Donnier, Agrégé des facultés de droit, Professeur à la Faculté de droit d'Aix-Marseille

le 01 Octobre 2015

L'arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 8 juillet 2015 pose la question des rapports entre l'usufruit du droit d'exploitation d'une oeuvre littéraire ou artistique attribué au conjoint survivant par l'article L. 123-6 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L0305HPY) et la quotité disponible spéciale entre époux prévue à l'article 1094-1 du Code civil (N° Lexbase : L0260HPC). La Cour de cassation admet dans cet arrêt le cumul par le conjoint survivant des droits que lui attribue l'article L. 123-6 du Code de la propriété intellectuelle avec une libéralité soumise aux dispositions de l'article 1094-1 du Code civil, mais applique à la détermination des droits en usufruit sur le droit d'exploitation de l'oeuvre du de cujus le régime de l'usufruit ordinaire du conjoint survivant et non celui qui est applicable à l'usufruit spécial prévu par le Code de la propriété intellectuelle sur les seuls droits d'auteur. Les deux usufruits ne se confondent pas mais sont néanmoins soumis à un régime juridique unique pour ce qui est de la détermination des droits du conjoint survivant. Les faits de l'espèce réunissaient tous les ingrédients de nature à créer un contentieux particulièrement violent. Le de cujus, auteur de romans policiers à succès, était décédé le 26 janvier 2000, laissant à sa succession un fils, issu d'une première union, et son épouse, avec laquelle il s'était marié quelques mois avant son décès. Dans les jours qui précédèrent ce décès, le de cujus avait disposé de l'universalité des biens devant composer sa succession au profit de son conjoint, d'abord par un testament du 14 janvier 2000, puis par une donation du 18 janvier 2000, soit huit jours avant sa mort. Après le décès, la veuve opta pour la totalité en usufruit. Or, il s'avère que la plus grande partie du patrimoine héréditaire était composé des droits d'exploitation de l'oeuvre littéraire du de cujus. En optant pour l'usufruit de la totalité, le conjoint survivant privait dès lors le fils du de cujus de tous les bénéfices tirés de l'exploitation de l'oeuvre de son père pendant, selon toute probabilité, de très nombreuses années, le conjoint survivant ayant quinze ans de moins que le de cujus...

Le fils se trouvant de la sorte, de fait, quasi-intégralement exhérédé, après avoir vainement tenté d'obtenir l'annulation des libéralités consenties par son père, demanda la réduction de ces libéralités sur le fondement de l'article L. 123-6, alinéa 1er, du Code de la propriété intellectuelle qui dispose, dans la rédaction applicable à cette succession ouverte en 2000, que "si l'auteur laisse des héritiers à réserve", l'usufruit reconnu au conjoint survivant sur les droits d'exploitation de l'oeuvre de l'époux prédécédé "est réduit au profit des héritiers, suivant les proportions et distinctions établies par les articles 913 et suivants du Code civil" (N° Lexbase : L0060HPW).

La cour d'appel d'Aix-en-Provence, par un arrêt du 20 février 2014 (CA Aix-en-Provence, 20 février 2014, n° 13/03788 N° Lexbase : A6049MER), rejeta cette demande et déclara que le conjoint survivant bénéficiait de l'intégralité de l'usufruit sur les biens meubles ayant appartenu au de cujus, "notamment sur les droits d'auteur provenant de sa production littéraire". Un pourvoi fut formé contre cet arrêt par le fils du de cujus qui fit valoir, dans le moyen de cassation développé, que l'article L. 123-6 du Code de la propriété intellectuelle prévoit une dévolution des droits patrimoniaux de l'auteur d'une oeuvre littéraire ou artistique "distincte des autres biens de la succession" et que, selon cette dévolution spéciale, dérogatoire au droit commun, l'usufruit du conjoint survivant sur ces droits d'auteur ne peut excéder la quotité disponible ordinaire prévue à l'article 913 du Code civil.

La Cour de cassation, dans son arrêt du 8 juillet 2015, rejette le pourvoi au motif que, "lorsqu'en application de l'article 1094-1 du Code civil, le conjoint survivant est donataire de l'usufruit de la totalité des biens de la succession, l'usufruit du droit d'exploitation dont il bénéficie en application de l'article L. 123-6 du Code de la propriété intellectuelle n'est pas réductible", dans la mesure où cet usufruit "n'affectait pas la nue-propriété de la réserve héréditaire". En conséquence, la Cour de cassation considère que la cour d'appel a pu déduire "à bon droit" des éléments de fait relevés que l'usufruit du droit d'exploitation des oeuvres du de cujus, dont bénéficiait le conjoint survivant sur le fondement de l'article L. 123-6 du Code de la propriété intellectuelle, "n'était pas soumis à réduction au profit de l'héritier réservataire".

Contrairement aux juges du fond, qui avaient considéré que l'usufruit du conjoint survivant partait sur l'intégralité des meubles du de cujus et "notamment" sur ses droits d'auteur, la Cour de cassation distingue l'usufruit ordinaire dont le conjoint survivant est donataire "en application de l'article 1094-1 du Code civil" et l'usufruit spécial dont il bénéficie "en application de l'article L. 123-6 du Code de la propriété intellectuelle". Chacun de ces deux usufruits a donc un fondement différent, ce qui n'empêche pas le conjoint survivant de les cumuler (I). En revanche, la réduction de l'usufruit dont bénéficie le conjoint survivant obéit à un régime unique (II), qui découle de la quotité disponible spéciale entre époux et non de la lettre de l'article L. 123-6 du Code de la propriété intellectuelle.

I - Le cumul de l'usufruit spécial sur les droits d'auteur et de l'usufruit ordinaire du conjoint survivant

Lorsque le conjoint survivant, en concours avec un enfant issu d'une précédente union du de cujus, s'est vu consentir par ce dernier une libéralité portant sur l'universalité de ses biens et a opté pour la totalité en usufruit, comme le permet l'article 1094-1 du Code civil, on pourrait penser que cet usufruit inclut notamment les droits d'auteur qui se trouvent dans la succession. Certes, ces derniers sont en principe soumis à une succession anomale régie par le Code de la propriété intellectuelle, mais ces règles spéciales de dévolution n'ont vocation à s'appliquer qu'en cas de succession ab intestat. C'est du moins ce qui paraît s'évincer des termes de l'article L. 123-6 du Code de la propriété intellectuelle qui attribue au conjoint survivant "l'usufruit du droit d'exploitation dont l'auteur n'aura pas disposé" (nous soulignons). Si donc le de cujus a disposé de ses droits au moyen de libéralités, la lettre de la règle semble exclure son application. Le cumul de l'usufruit légal attribué au conjoint survivant par l'article L. 123-6 du Code de la propriété intellectuelle et de l'usufruit conventionnel résultant de la donation ne devrait donc pas avoir lieu d'être, le premier étant, de toute manière, nécessairement inclus dans le second puisque ce dernier porte sur la totalité des biens composant le patrimoine héréditaire, dont les droits d'auteur.

Par ailleurs, même dans le cadre d'une succession ab intestat, on a pu douter de l'utilité pratique de maintenir l'usufruit spécial prévu par l'article L. 123-6 du Code de la propriété intellectuelle dès lors que, depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 (N° Lexbase : L0807HK4), l'article 757 du Code civil (N° Lexbase : L3361AB4) attribue au conjoint survivant en concours avec des enfants ou descendants de l'époux prédécédé les mêmes droits que l'article L. 123-6 du Code de la propriété intellectuelle, à savoir l'usufruit de la totalité des biens existants, ce qui inclut le droit d'exploitation de l'oeuvre du de cujus (1). Ainsi donc, que la dévolution soit légale ou volontaire, dès lors que le conjoint survivant se voit attribuer l'usufruit de l'intégralité des biens successoraux, on peut douter de l'opportunité de lui permettre de cumuler cet usufruit avec celui que lui attribue l'article L. 123-6 du Code de la propriété intellectuelle.

C'est pourtant la solution qui se dégage de l'arrêt du 8 juillet 2015. En l'espèce, la dévolution de la succession est volontaire puisque c'est par l'effet de la donation qui lui a été consentie que le conjoint survivant est appelé à recueillir l'usufruit de l'intégralité des biens de son époux prédécédé et cependant c'est "en application de l'article L. 123-6 du Code de la propriété intellectuelle" que, selon l'arrêt, le conjoint survivant bénéficie de l'usufruit sur le droit d'exploitation de l'oeuvre de son mari. L'usufruit du droit d'exploitation ne se confond donc pas avec l'usufruit ordinaire portant sur l'intégralité des biens successoraux résultant de la donation ; il se cumule avec celui-ci. L'un et l'autre reposent sur des fondements légaux différents : l'article 1094-1 du Code civil pour l'usufruit ordinaire et l'article L. 123-6 du Code de la propriété intellectuelle pour l'usufruit spécial portant sur le droit d'exploitation de l'oeuvre. On ne peut manquer ici d'établir un parallèle avec la solution qu'avait adoptée, sous l'empire de la loi du 3 décembre 2001, la Cour de cassation dans son avis du 26 septembre 2006 (2). De même qu'elle avait admis, dans cet avis, le cumul des droits successoraux ab intestat du conjoint survivant avec des libéralités consenties en application des articles 1094 (N° Lexbase : L0259HPB) ou 1094-1 du Code civil (3), elle admet ici le cumul des droits en usufruit du conjoint survivant sur le droit d'exploitation de l'oeuvre de l'époux prédécédé, fondés sur l'article L. 123-6 du Code de la propriété intellectuelle, avec l'usufruit portant sur l'intégralité des biens successoraux résultant d'une libéralité consentie sur le fondement de l'article 1094-1 du Code civil.

En adoptant une telle solution, l'arrêt du 8 juillet 2015 précise la portée de l'article L. 123-6 du Code de la propriété intellectuelle. La jurisprudence avait déjà eu l'occasion de préciser que le conjoint survivant ne pouvait réclamer l'usufruit du droit d'exploitation de l'oeuvre de l'époux prédécédé, sur le fondement de l'article L. 123-6 du Code de la propriété intellectuelle, qu'à condition que le de cujus n'ait pas disposé utilement du droit d'exploitation de ses oeuvres. C'est ce qui résulte de l'arrêt "Saint-Saens" rendu par la cour d'appel de Paris le 8 janvier 1926 (4). Dans cette affaire, Camille Saint-Saens avait institué une cousine légataire universelle afin de priver son épouse de l'usufruit légal sur ses droits d'auteur mais la cour d'appel a estimé que, le contrat de mariage ayant conféré au conjoint survivant un gain de survie irrévocable, le legs universel qui prétendait l'exhéréder n'avait pas été valablement consenti. Or, selon les termes de l'arrêt, l'article 1er de la loi du 14 juillet 1866 (5) "n'a certainement envisagé que le cas où la disposition à titre gratuit a été valablement consentie", ce qui a permis à l'épouse de se voir attribuer l'usufruit légal des droits d'auteur de son mari prédécédé. L'arrêt du 8 juillet 2015 apporte une précision supplémentaire : pour écarter l'application de l'article L. 123-6 du Code de la propriété intellectuelle, il faut non seulement que le de cujus ait disposé utilement de son droit mais en outre qu'il en ait disposé au profit d'un tiers. S'il en a disposé au profit de son conjoint, l'application de l'article L. 123-6 du Code de la propriété intellectuelle n'est pas exclue puisque, aux termes de l'arrêt du 8 juillet 2015, c'est "en application" de cette disposition que le conjoint survivant est appelé à recueillir l'usufruit du droit d'exploitation. En d'autres termes, le de cujus a pu exhéréder son conjoint survivant en disposant de ses droits d'auteur au profit d'un tiers mais si, au contraire, il a gratifié son conjoint au moyen d'une libéralité incluant ses droits d'auteur, l'article L. 123-6 du Code de la propriété intellectuelle continue de s'appliquer, bien qu'il ait disposé de ses droits.

Il en résulte que le conjoint survivant recueillera l'usufruit du droit d'exploitation de l'oeuvre de l'auteur décédé "indépendamment des droits d'usufruit qu'il tient [...] du Code civil sur les autres biens de la succession" (6) et donc indépendamment de l'usufruit ordinaire dont il bénéficie sur l'ensemble de la succession en vertu de la donation qui lui en a été faite conformément à la quotité disponible spéciale entre époux telle qu'elle résulte de l'article 1094-1 du Code civil. Cumulant, par conséquent, ces deux usufruits, il lui sera notamment possible de renoncer à l'un tout en conservant le bénéfice de l'autre, ou d'opter pour des droits en pleine propriété sur la succession globale tout en conservant l'usufruit de la totalité du droit d'exploitation de l'oeuvre du de cujus. C'est là, pour le conjoint survivant, un avantage d'autant plus appréciable que le cumul de ses droits s'accompagne d'un régime de réduction unique qui lui est le plus favorable.

II - L'unité du régime de réduction de l'usufruit

Dans sa version applicable à l'espèce, l'article L. 123-6, in fine, du Code de la propriété intellectuelle prévoit que, si l'auteur laisse des héritiers à réserve, l'usufruit attribué au conjoint survivant sur le droit d'exploitation "est réduit au profit des héritiers, suivant les proportions et distinctions établies par les articles 913 et suivants du Code civil" (N° Lexbase : L0060HPW) (7), qui déterminent la quotité disponible ordinaire. La rédaction peut surprendre dans la mesure où la réduction, qui s'applique normalement à une libéralité, est appliquée ici à un usufruit légal, attribué par l'article L. 123-6 du Code de la propriété intellectuelle au conjoint survivant lorsque l'auteur "n'aura pas disposé" du droit d'exploitation de son oeuvre. Mais, quoi qu'il en soit de cette rédaction, il est clair que l'article L. 123-6 ne se réfère qu'à la seule quotité disponible ordinaire et non à la quotité disponible spéciale entre époux, sauf à considérer que, dans la rédaction de l'article L. 123-6 applicable à l'espèce, la référence aux "articles 913 et suivants du Code civil" renverrait à toutes les dispositions qui suivent l'article 913, jusqu'à l'article 1094-1. Cela n'aurait manifestement aucun sens, d'autant que la seule référence à la quotité disponible ordinaire dans l'article L. 123-6 du Code de la propriété intellectuelle peut se comprendre. Cette règle attribue en effet au conjoint survivant des droits ab intestat. Il ne vise pas, a priori, le cas d'un usufruit attribué au conjoint survivant par une libéralité. Il est dès lors logique qu'il ne se réfère pas à la quotité disponible spéciale entre époux qui ne détermine que les conditions dans lesquelles, selon les termes de l'article 1094-1 du Code civil, un époux "pourra disposer en faveur de l'autre". Mais l'arrêt du 8 juillet 2015, en admettant le cumul de l'usufruit spécial du conjoint survivant sur le droit d'exploitation, fondé sur l'article L. 123-6 du Code de la propriété intellectuelle, et de l'usufruit ordinaire reçu par ce même conjoint survivant par l'effet d'une libéralité soumise à la quotité disponible spéciale entre époux telle que définie à l'article 1094-1 du Code civil, ne pouvait manquer de soulever une difficulté. Fallait-il "réduire" les deux usufruits cumulés par le conjoint survivant en ne tenant compte que de la quotité disponible spéciale entre époux, ou convenait-il d'appliquer distributivement la quotité disponible spéciale entre époux à la réduction de la libéralité portant sur l'universalité des biens de la succession et la quotité disponible ordinaire, seule visée par l'article L. 123-6 du Code de la propriété intellectuelle, à la "réduction" de l'usufruit portant sur le droit d'exploitation ?

La Cour de cassation, dans l'arrêt du 8 juillet 2015, a choisi la première solution, contrairement à la lettre de l'article L. 123-6 du Code de la propriété intellectuelle qu'elle déclare néanmoins applicable à l'usufruit du droit d'exploitation. Elle y affirme que l'usufruit du droit d'exploitation dont bénéficie le conjoint survivant en application de l'article L. 123-6 du Code de la propriété intellectuelle "n'est pas réductible", "lorsqu'en application de l'article 1094-1 du Code civil, le conjoint survivant est donataire de l'usufruit de la totalité des biens de la succession". En d'autres termes, lorsque le de cujus a disposé, au moyen de libéralités, de la quotité disponible spéciale entre époux au profit du conjoint survivant, l'usufruit du droit d'exploitation que ce dernier recueille en application de l'article L. 123-6 du Code de la propriété intellectuelle n'est pas soumis à réduction dès lors qu'il n'excède pas la quotité disponible spéciale définie à l'article 1094-1 du Code civil. C'est donc cette quotité disponible spéciale entre époux qui, selon l'arrêt, doit être appliquée dans ce cas à la "réduction" éventuelle de l'usufruit du droit d'exploitation, et non la quotité disponible ordinaire, pourtant seule visée par l'article L. 123-6 du Code de la propriété intellectuelle.

La solution peut ne pas apparaître parfaitement cohérente de prime abord. Si c'est, comme l'affirme l'arrêt, "en application de l'article L. 123-6 du Code de la propriété intellectuelle" que le conjoint survivant bénéficie de l'usufruit du droit d'exploitation, on ne voit pas pourquoi ce n'est pas "en application" des disposition de cet article que cet usufruit est "réduit".

Une explication peut toutefois être proposée. La vocation successorale du conjoint survivant sur le droit d'exploitation est certes définie par la loi à l'article L. 123-6 du Code de la propriété intellectuelle. Mais, pour la réalisation effective de cette vocation successorale, deux situations doivent être distinguées. Soit le de cujus n'a pas disposé du droit d'exploitation de son oeuvre et c'est alors la loi qui appelle directement son conjoint survivant à sa succession, celle-ci étant alors une succession ab intestat. Soit, ce qui était le cas en l'espèce, le de cujus a disposé de ses droits au profit de son conjoint au moyen d'une libéralité et c'est alors cette libéralité qui appelle le conjoint survivant à la succession de son époux prédécédé. C'est là une conséquence de l'effet dévolutif que peut avoir une libéralité d'après le principe de dévolution volontaire aujourd'hui posé à l'article 721 du Code civil (N° Lexbase : L3329ABW). Ce n'est en effet, aux termes de cet article, que "lorsque le défunt n'a pas disposé de ses droits par des libéralités" que les successions "sont dévolues selon la loi" (8). En revanche, lorsque le de cujus a disposé de ses biens au moyen de libéralités, celles-ci peuvent avoir un effet dévolutif. Par conséquent, lorsque le conjoint survivant bénéficie d'une libéralité qui lui attribue la totalité des biens de la succession, on peut considérer que c'est par cette libéralité et non par la loi que se réalise cette vocation successorale et qu'il est appelé à la succession. Dès lors, c'est la quotité dont pouvait disposer le de cujus par la libéralité consentie à son conjoint qui définit les droits que ce dernier est appelé à recueillir, et non pas la quotité disponible visée par la loi qui ne fait que définir sa vocation successorale.

Il n'en demeure pas moins qu'une certaine insatisfaction subsiste face à la solution retenue par la Cour de cassation dans son arrêt du 8 juillet 2015. Cette solution confère au conjoint survivant un double avantage. Elle lui permet de cumuler l'usufruit que lui attribue l'article L. 123-6 du Code de la propriété intellectuelle avec les droits dont il bénéficie en vertu d'une libéralité mais, par l'effet dévolutif reconnu à cette libéralité, aucun des droits qu'il recueille dans la succession de son conjoint ne sont des droits ab intestat. Dès lors, puisque c'est par l'effet de la libéralité qu'il est appelé à recevoir la totalité des droits qu'il recueille dans la succession de l'époux prédécédé, y compris ceux sur lesquels il a une vocation légale, la quotité qui a pu lui être transmise par la libéralité ne peut être que la quotité disponible spéciale entre époux, puisque la libéralité dont il bénéficie est une libéralité entre époux. Il en résulte une forme d'exhérédation des enfants et descendants du de cujus, dont la réserve se trouve en quelque sorte "réduite" à une nue-propriété qui peut paraître bien illusoire.


(1) Cf. B. Laronze, Pour une suppression de l'usufruit spécial du conjoint survivant de l'auteur, Propr. intell., 2008, p. 6.
(2) Cass. avis, 26 septembre 2006, n° 0060009P (N° Lexbase : A7234NRD), BICC, 1er décembre 2006, rapp. Chauvin, concl. Sarcelet ; D., 2006, IR, 2419 ; RJPF, 2006-12/43, obs. Ph. Delmas Saint-Hilaire.
(3) Cette solution ne s'est appliquée qu'entre le 1er juillet 2002, date d'entrée en vigueur de la loi du 3 décembre 2001, et le 1er janvier 2007, date d'entrée en vigueur de la loi du 23 juin 2006. Sous l'empire de cette loi du 23 juin 2006, en effet, le mode d'imputation des libéralités ayant été modifié, l'avis du 26 septembre 2006 précise que "le conjoint survivant ne peut plus bénéficier d'un tel cumul".
(4) D.H., 1926, p. 88.
(5) Cette disposition a été reprise dans la loi du 11 mars 1957 puis codifiée à l'article L. 123-6 du Code de la propriété intellectuelle.
(6) C. prop. intell., art. L. 123-6, al. 1er.
(7) Cette formulation a été modifiée une première fois par la loi n° 2001-1135 du 3 décembre 2001 (N° Lexbase : L0288A33) qui a restreint le renvoi opéré au Code civil aux seuls articles 913 et 914, puis une seconde fois par la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 (N° Lexbase : L0807HK4) qui, ayant abrogé l'article 914 du Code civil, a modifié en conséquence l'article L. 123-6 du Code de la propriété intellectuelle qui ne renvoie plus, depuis l'entrée en vigueur de cette loi le 1er janvier 2007, qu'au seul article 913.

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