Lexbase Social n°627 du 1 octobre 2015 : Social général

[Jurisprudence] Les obstacles à la mise en place d'un droit du travail pénitentiaire

Réf. : Cons. const., décision n° 2015-485 QPC du 25 septembre 2015 (N° Lexbase : A6743NPG)

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N9195BU4

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit de la protection sociale"

le 01 Octobre 2015

Le travail en prison présente un certain nombre de particularités, liées à son cadre (régime de la concession, régie industrielle "Riep" ou régime du "service général"), son contexte (dans le cadre d'une peine privative de liberté), la nature des liens juridiques tissés entre le détenu et l'organisme d'accueil (entre concessionnaire ou établissement pénitentiaire). Ce contexte très spécifique explique (sans le justifier) que le droit du travail pénitentiaire/droit de la protection sociale pénitentiaire se présente comme un ensemble éclectique et très incomplet, dont la doctrine a bien rendu compte (1). Certaines règles issues du droit commun du travail ou de la protection sociale s'appliquent ; d'autres (la grande majorité), pas.
Ces carences expliquent que le Conseil constitutionnel ait été sollicité à plusieurs reprises, dans la mesure où les insuffisances du régime juridique du travail sont susceptibles de porter atteinte à des prérogatives fondamentales, en violation de la Constitution (N° Lexbase : L7403HHN) et autres principes constitutionnels. Le sort réservé au travail dans les prisons n'a pas donné lieu à des décisions de censure du Conseil constitutionnel. En 2013 (Cons. const., décision n° 2013-320/321 QPC, du 14 juin 2013 N° Lexbase : A4732KGD ; Cass. QPC, 20 mars 2013, n° 12-40.104, FS-P+B N° Lexbase : A9043KA8) (2), le Conseil constitutionnel a refusé la qualification de "contrat de travail" pour caractériser les liens qui existent entre le détenu au travail et l'établissement pénitentiaire. En 2015, le Conseil constitutionnel a refusé de voir dans le statut du détenu au travail, tel que fixé par loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire (N° Lexbase : L9344IES) (art. 33), un statut contraire aux droits fondamentaux (3). Précisément, sur renvoi du Conseil d'Etat (CE, 9° et 10° s-s-r., 6 juillet 2015, n° 389324, inédit aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5773NMR) (4), il était demandé au Conseil de statuer sur l'article 33 de la loi du 24 novembre 2009, relatif à l'acte d'engagement par l'administration pénitentiaire. Cet acte, signé par le chef d'établissement et le détenu, énonce les droits et obligations professionnels du détenu ; ses conditions de travail et sa rémunération ; les modalités selon lesquelles le détenu, dans les conditions adaptées à sa situation, bénéficie des dispositions relatives à l'insertion par l'activité économique (prévues aux articles L. 5132-1 N° Lexbase : L0822ICG à L. 5132-17 N° Lexbase : L8190IQE du Code du travail).
Les auteurs de la QPC ont avancé que le régime juridique de cet acte d'engagement définissant le statut du travailleur détenu (article 33 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009), porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment au droit à l'emploi, à la liberté syndicale, au droit de grève et au principe de participation des travailleurs, garantis par les alinéas 5, 6, 7 et 8 du Préambule de la Constitution de 1946 (N° Lexbase : L6821BH4). Le Conseil d'Etat l'avait admis, reconnaissant que ce moyen soulève une question présentant un caractère sérieux (renvoyant ainsi au Conseil constitutionnel, la QPC).

La décision du Conseil constitutionnel rendue le 25 septembre 2015, associée à celle du 14 juin 2013 (refusant la qualification de contrat de travail) montre la résistance opposée par le Conseil, à la mise en place d'un droit du travail pénitentiaire/droit de la protection sociale pénitentiaire.

Résumé

Le grief tiré de la méconnaissance de l'étendue de sa compétence par le législateur dans des conditions affectant par elles-mêmes les droits qui découlent des alinéas 10 et 11 du Préambule de la Constitution qui n'est pas dirigé à l'encontre des dispositions législatives relatives à la protection de la santé et à la protection sociale des personnes détenues, doit être écarté (cons. 7).

Les dispositions contestées (art. 22, loi 24 novembre 2009 ; C. pr. pén., art. 717-3, al. 2 et 3 N° Lexbase : L9399IET) fixent les règles relatives à la relation de travail entre le détenu et l'administration pénitentiaire ; en subordonnant à un acte d'engagement signé par le directeur de la prison et le détenu la participation du détenu aux activités professionnelles organisées par les établissements pénitentiaires ; en renvoyant à cet acte d'engagement le soin d'énoncer les droits et obligations professionnels du détenu, conformément à l'article 22 de la loi du 24 novembre 2009, le législateur n'a pas privé de garanties légales les droits et libertés visés aux alinéas 5 à 8 du Préambule de la Constitution, dont sont susceptibles de bénéficier les détenus (cons. 11).

Les détenus ne sont pas placés dans une relation contractuelle avec l'administration pénitentiaire. Il ne peut donc pas y avoir d'atteinte au principe de liberté contractuelle (cons. 13) ;

L'article 33 de la loi du 24 novembre 2009 ne méconnait pas le droit au respect de la dignité de la personne (cons. 14).

Commentaire

I - Le travail du détenu, sans contrat de travail

Le statut juridique du détenu travailleur a été défini par le Conseil constitutionnel en deux temps : dans un premier temps, en 2013, le Conseil a refusé que le statut de détenu soit associé à celui de travailleur lié par un contrat de travail ; dans un second temps, en 2015, le Conseil a refusé de censurer le législateur qui n'aurait pas mis en place de mesures garantissant un certain degré de libertés fondamentales et de droits tels que le droit commun du travail le prévoit pour les travailleurs (non détenus).

A - Le travail sans le contrat (de travail)

Le premier point a trait à la nature du lien qui existe entre le détenu et l'organisme (l'établissement pénitentiaire) organisateur de la relation de travail. La doctrine a pu interroger la nature de contrat de travail (5). En 2013, le Conseil constitutionnel n'avait fait preuve d'aucune ambiguïté : le Code de procédure pénale (art. 717-3) prévoit expressément que les relations de travail des détenus ne font pas l'objet d'un contrat de travail. En effet, les dispositions de la première phrase du troisième alinéa de l'article 717-3 du Code de procédure pénale se bornent à prévoir que les relations de travail des détenus ne font pas l'objet d'un contrat de travail. Ces dispositions ne portent, en elles-mêmes, aucune atteinte aux principes énoncés dans le préambule de la Constitution (Cons. const., décision n° 2013-320/321 QPC, du 14 juin 2013, préc., cons. 10).

Cette solution remonte à la loi n° 87-432 du 22 juin 1987, relative au service public pénitentiaire (N° Lexbase : L5154ISP), qui avait expressément écarté la qualification de contrat de travail qui a été codifiée à l'article 720 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9831I3I). Les autres réformes intervenues depuis ne sont pas revenues sur la solution, qu'il s'agisse de la loi n° 90-9 du 2 janvier 1990 (art. 9) (N° Lexbase : L6476KIP), de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 (loi n° 2004-204 du 9 mars 2004, portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité N° Lexbase : L1768DP8), de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 (art. 33, objet de la présente QPC) ou enfin du décret n° 2010-1634 du 23 décembre 2010 (décret n° 2010-1634 du 23 décembre 2010, portant application de la loi pénitentiaire et modifiant le Code de procédure pénale N° Lexbase : L9922INS).

L'inexistence du contrat de travail n'est plus discutée, depuis la décision QPC du 14 juin 2013 (préc.). Les seuls intérêts juridiques de cette question portent sur l'organisation contentieuse (6). Pour le Tribunal des conflits (T. confl., 14 octobre 2013, M. A.C. c/ Ministère de la justice, n° 3918 N° Lexbase : A1334KNQ) (7), l'activité de travail du détenu, qui ne fait pas l'objet d'un contrat de travail et qui s'inscrit dans l'exécution de la peine privative de liberté, procède de la préparation à la réinsertion du condamné. Le Tribunal des conflits a relevé qu'eu égard à la nature particulière de la relation de travail (qui se rattache à l'accomplissement de la mission de service public de l'administration pénitentiaire) qu'à ses modalités de mise en oeuvre (soumises au régime pénitentiaire du détenu et aux nécessités du bon fonctionnement de l'établissement qui influent sur les conditions d'emploi et de rémunération), le détenu ainsi employé s'est trouvé, à l'égard de la société concessionnaire, même de droit privé, dans une relation de droit public.

B - Le travail du détenu, sans contrat, mais dans le cadre de l'acte d'engagement

Le travail en prison doit se comprendre uniquement dans le cadre de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 et non dans le droit commun du rapport de travail (Cons. const., décision n° 2013-320/321 QPC, du 14 juin 2013, préc.).

La loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 a posé quelques éléments d'un statut du détenu au travail :

- salaire (C. pr. pén., art. D. 432-1 N° Lexbase : L2306IP4 à D. 432-4 N° Lexbase : L2307IP7). La question a donné lieu à un rare contentieux, peu significatif (TA Limoges, 22 août 2013, n° 1301113 N° Lexbase : A3115KKL) (8) ;

- formes et modalités de travail (C. pr. pén., art. D. 433 N° Lexbase : L2336IP9 à D. 433-9 N° Lexbase : L2316IPH) ;

- régime des sanctions disciplinaires fondées sur le fait de participer à toute action collective de nature à perturber l'ordre de l'établissement (C. pr. pén., art. R. 57-7-2, 7° N° Lexbase : L0228IP7) ou le fait d'entraver ou de tenter d'entraver les activités de travail (C. pr. pén., art. R. 57-7-3, 5° N° Lexbase : L0229IP8) ;

- accès à l'emploi. La terminologie est celle du "classement" (équivalent à "embauche") et "déclassement" (équivalent à rupture du contrat de travail, en droit du travail). Le régime est fixé à l'article D. 432-3 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L2305IP3) (classement) et article R. 57-7-34 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L0256IP8) (déclassement) (9). Le Conseil de prud'hommes de Paris (10) a reconnu que les règles de droit commun du droit travail s'appliquent à une ancienne détenue qui avait travaillé pour un centre d'appel.

L'attraction exercée par le droit commun du travail sur le droit pénitentiaire du travail résulte d'un ensemble assez hétéroclite de travaux, demandes, requêtes et autres conclusions avancées par les universitaires (en dernier lieu, pétition de juin 2015) (11), le Conseil économique et social (Avis sur la réinsertion socioprofessionnelle des détenus, 22 février 2006, suggérant de faire converger le statut du détenu travailleur vers le droit commun, notamment pour l'acquisition des droits à l'assurance chômage ; en 1987, le CES préconisait un contrat proche du contrat de travail, auquel seraient associées des garanties sociales) (12).

Dans le même sens, le comité d'orientation restreint (13) avait formulé 55 propositions au Garde des Sceaux, le 22 octobre 2007, parmi lesquelles la valorisation du travail du détenu sous la forme d'un contrat de travail associé à un programme d'enseignement et de formation professionnelle.

II - Le travail du détenu, sans droits ?

L'absence de contrat de travail, telle que posée par les textes (C. pr. pén., art. 717-3) et confirmée par le Conseil constitutionnel (Cons. const., décision n° 2013-320/321 QPC, du 14 juin 2013, préc.) implique-t-elle l'inapplication des droits et autres prérogatives prévues par le Code du travail, et a fortiori, le Code de Sécurité sociale ? Le lien entre bénéfice de prérogatives (prévues en droit du travail ou droit de la protection sociale) et existence d'un contrat de travail est assez lâche. Dans un certain nombre de situations, ces droits et autres prérogatives sont ouverts, même en l'absence de contrat de travail. Les hypothèses sont assez nombreuses (hormis, bien-sûr, la situation des travailleurs indépendants, des dirigeants d'entreprise et autres fonctionnaires) : travail dissimulé, stagiaires en entreprise, apprentissage, ....

Tel est le cas, précisément, des détenus, liés au centre de détention, non par un contrat de travail, mais par un acte d'engagement. L'absence de contrat de travail est donc étrangère à la revendication des détenus, relativement au bénéfice des prérogatives attachées à la personne du travailleur, prérogatives prévues par la Constitution, principalement. Le Conseil constitutionnel n'a pas donné suite à ces revendications (décision rapportée).

A - Droits fondamentaux, visés à la Constitution

1 - Contexte et enjeux du respect des droits fondamentaux pour les détenus au travail

Le Conseil constitutionnel a rappelé les éléments de cadrage du débat :

- l'exécution des peines privatives de liberté en matière correctionnelle et criminelle a été conçue non seulement pour protéger la société et assurer la punition du condamné, mais aussi pour favoriser l'amendement de celui-ci et préparer son éventuelle réinsertion (Cons. const., décision n° 2015-485 QPC du 25 septembre 2015, préc., cons. 4). En d'autres termes, l'objet de la détention n'est pas seulement punitif, mais porte, aussi, sur l'insertion/réinsertion dans la société. Le travail (en détention) doit être compris comme un élément permettant cette réinsertion dans la société ;

- le législateur est compétent pour fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux détenus. Ceux-ci bénéficient des droits et libertés constitutionnellement garantis dans les limites inhérentes à la détention. Le législateur doit assurer la conciliation entre l'exercice de ces droits et libertés que la Constitution garantit et l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public ainsi que les finalités qui sont assignées à l'exécution des peines privatives de liberté (Cons. const., décision n° 2015-485 QPC du 25 septembre 2015, préc., cons. 5).

2 - L'organisation du travail des détenus ne porte pas atteinte aux droits fondamentaux

Le Conseil constitutionnel devait, par la décision rapportée, se prononcer sur la conformité du régime du travail carcéral, avec un certain nombre de droits fondamentaux protégés par la Constitution. Il était donc sollicité à nouveau sur la conformité des droits fondamentaux, après sa décision rendue en 2013. Ces droits fondamentaux peuvent être classés en deux catégories :

- les droits attachés à la personne et ses revenus. Ce sont les droits visés au dixième (développement, santé, sécurité matérielle, repos, loisirs) et au onzième alinéa du Préambule de la Constitution (moyens convenables d'existence) (Cons. const., décision n° 2015-485 QPC du 25 septembre 2015, préc., cons. 6 et 7).

- les droits attachés à la qualité de travailleur, aussi bien dans leur dimension "rapports individuels" que "rapports collectifs". Il s'agit du devoir de travailler et du droit au travail (visé par le cinquième alinéa du Préambule de la Constitution) ; du droit syndical (sixième alinéa du Préambule de la Constitution) (14) ; du droit de grève (septième alinéa du Préambule de la Constitution) (15) ; et enfin, du droit d'être représenté, notamment par des institutions représentatives du personnel (huitième alinéa du Préambule de la Constitution) (Cons. const., décision n° 2015-485 QPC du 25 septembre 2015, préc., cons. 8 et 9).

Qu'il s'agisse des droits attachés à la personne ou au travailleur, le Conseil constitutionnel a validé le régime du travail tel qu'organisé par la loi du 24 novembre 2009 (art. 33) et écarté l'inconstitutionnalité. La difficulté d'appréciation de la décision est double. Elle tient à l'absence d'éléments explicatifs, aussi bien dans le corps de la décision, qu'à la lecture du communiqué de presse ou des analyses diffusées au "commentaire" (en ligne sur le site internet du Conseil constitutionnel).

B - Autres droits fondamentaux

Les requérants ont invoqués l'inconstitutionnalité du statut du détenu travailleur, au regard des principes de la liberté contractuelle et de la dignité de la personne. Là encore, le Conseil constitutionnel ne les a pas suivis dans leur raisonnement.

1 - Liberté contractuelle, au titre de l'acte d'engagement

Avant la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009, la question de la liberté contractuelle ne se posait pas, puisque les condamnés à des peines privatives de liberté, pour des faits qualifiés de crimes ou délits de droit commun, étaient astreints au travail (C. pr. pén., art. 720, ordonnance n° 58-1296 du 23 décembre 1958 N° Lexbase : L8889KI3). Cette disposition a été supprimée par la loi n° 87-432 du 22 juin 1987 ; en même temps, le législateur a bien pris le soin de préciser que la relation de travail n'est pas fixée par un contrat de travail (C. pr. pén, art. 720) (16).

Le fait d'imposer la participation des personnes détenues à des activités professionnelles dans les établissements pénitentiaires à un acte d'engagement établi unilatéralement par l'établissement pénitentiaire rentre-t-il en contradiction avec la liberté contractuelle ? La réponse du Conseil constitutionnel, lapidaire, tient en quelques mots : les détenus ne sont pas placés dans une relation contractuelle avec l'administration pénitentiaire. Il ne peut donc pas y avoir d'atteinte au principe de liberté contractuelle (Cons. const., décision n° 2015-485 QPC du 25 septembre 2015, préc., cons. 13).

Il faut donc comprendre, de cette décision du Conseil constitutionnel, que :

- "les détenus ne sont pas placés dans une relation contractuelle avec l'administration pénitentiaire", au titre d'un contrat de travail qui n'existe pas, comme on le sait, depuis que le Conseil a clairement pris position (Cons. const., décision n° 2013-320/321 QPC, du 14 juin 2013, préc.), conformément à la volonté du législateur, exprimé dans le Code de procédure pénale (C. pr. pén, art. 717-3) ;

- "les détenus ne sont pas placés dans une relation contractuelle avec l'administration pénitentiaire", au titre de l'acte d'engagement, et non du contrat de travail.

2 - Dignité de la personne

Les dispositions du Code de procédure pénale relative au travail des détenus portent-elles atteinte au respect dû à la dignité ? L'article 33 (acte d'engagement) de la loi du 24 novembre 2009 ne méconnait pas le droit au respect de la dignité de la personne (Cons. const., décision n° 2015-485 QPC du 25 septembre 2015, préc., cons. 14).

Le Conseil constitutionnel ne donne pas de fondement à sa décision, il est vrai, aisément compréhensible sur ce point (17). Il lui était demandé de se prononcer sur la constitutionnalité de l'article 33 de la loi du 24 novembre 2009, instituant l'acte d'engagement des détenus (supra). Cet acte d'engagement définit le régime du travail du détenu : on voit mal en quoi cet acte d'engagement, en lui-même, porterait atteinte au principe de respect de la dignité de la personne. En effet, les juges s'en tiennent à une approche pragmatique et réelle de la dignité depuis la décision n° 94-343/344 DC du 27 juillet 1994 (N° Lexbase : A8305ACL) reconnaissant la valeur constitutionnelle du principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d'asservissement et de dégradation. Le fait d'encadrer juridiquement la relation entre le détenu et le centre pénitentiaire, sous la forme d'acte d'engagement, ne paraît aller à l'encontre du principe de dignité, en soi ; les conditions de travail et les modalités d'organisation pourraient, quant à elles, s'inscrire dans cette problématique de la dignité de la personne. Mais la question n'était pas posée au Conseil constitutionnel.

L'inexistence du contrat de travail, dans la relation détenu-centre pénitencier, solution retenue par le Conseil constitutionnel, en 2013 (Cons. const., décision n° 2013-320/321 QPC, du 14 juin 2013, préc.), peut difficilement être avancée pour justifier la présente décision du Conseil constitutionnel (Cons. const., décision n° 2015-485 QPC du 25 septembre 2015, préc.). Le Conseil constitutionnel ne l'évoque d'ailleurs qu'à une seule reprise, s'agissant du principe de liberté contractuelle. Il ne la mentionne pas, s'agissant des autres droits fondamentaux (dignité de la personne ; développement, santé, sécurité matérielle, repos, loisirs ; moyens convenables d'existence ; devoir de travailler et du droit au travail ; droit syndical ; droit de grève ; et enfin, du droit de participer, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises (Cons. const., décision n° 2015-485 QPC du 25 septembre 2015, préc., cons. 8 et 9).

Mais il est clair que la décision rendue en 2015 s'inscrit dans la continuité de celle rendue en 2013, selon une indéniable logique et cohérence : le détenu n'est pas un salarié comme les autres, et n'est pas soumis à un contrat de travail (Cons. const., décision n° 2013-320/321 QPC, du 14 juin 2013, préc.), mais à un régime dérogatoire au droit commun, dans le cadre d'un "acte d'engagement", conforme aux principes constitutionnels (Cons. const., décision n° 2015-485 QPC du 25 septembre 2015, préc.).


(1) D. Asquinazi-Bailleux, Quels droits aux prestations en espèces pour une personne détenue ?, Note sous Cass. civ. 2, 2 avril 2015, n° 14-14.171, F-P+B (N° Lexbase : A0988NGP), JCP éd. S, n° 25, 23 Juin 2015, 1231 ; Ph. Auvergnon, Droit du travail en prison : le changement maintenant ?, RDT, 2013, p. 309-315 ; B. Bertrand, (Détention, Exécution des peines privatives de liberté), J-Cl. Procédure pénale, Fasc. 20, art. 717 à 720, mis à jour le 12 février 2015 ; S. Brimo, Le droit au travail pénitentiaire : un droit sans droit... et sans travail, RDSS, 2013, p. 251-262 ; R. Eckert et J.-M. Tuffery-Andrieu (dir.), Le travail en prison - Mise en perspective d'une problématique contemporaine, Presse universitaires de Strasbourg (SSL, n° 1678, 26 mai 2015) ; N. Fricero, Absence de droit à une retraite complémentaire pour les détenus, Note sous CEDH, 5ème sect., 11 octobre 2011, n° 16264/07, G. P. c/ France, Procédures n° 1, janvier 2012, comm. 8 ; M. Harbonnier, Le travail en prison et le droit du travail, JCP éd. S, 2013, n° 1342 ; L. Isidro, Droit du travail en détention : les détenus, des travailleurs libres ?, in Lettre Actualités Droits-Libertés du CREDOF, 14 mars 2013 ; G. Rambaud avec la collaboration de N. Rohmer, Le travail en prison. Enquête sur le business carcéral, Ed. Autrement, coll. Mutations, 2010 ; E. Shea, Le travail pénitentiaire : un défi européen. Etude comparée : France, Angleterre, Allemagne, L'Harmattan, coll. Logiques Sociales, 2006. ; V. aussi "Droit du travail en prison : d'un déni à une reconnaissance ?", Colloque Université Montesquieu-Bordeaux IV, 11 et 12 avril 2013.
(2) F. Chopin, Quelles conditions de travail pour les personnes incarcérées ?, D.,1er août 2013, p. 1909-1910 ; E. Bonis-Garçon, Le travail des détenus, Rev. pénitentiaire et dr. pén., 2013, p. 991-995 ; J.-P. Céré, L'exclusion du code du travail en prison est constitutionnelle, AJ Pénal, 28 octobre 2013, p. 556 ; M. Crétenot et N. Ferrand, Le travail pénitentiaire reste dans le "non-droit", Dedans dehors, juin 2013 ; L. Leturmy, La constitutionnalité de l'absence de contrat de travail dans l'univers carcéral. La fin d'un débat ?, Rev. pénitentiaire et dr. pén., 2013, p. 949-953 ; B. Sara, Suite (et fin ?) du débat sur le régime juridique du travail carcéral, RDSS, 2013, p. 639 ; J. Schmitz, Droit Administratif n° 2, février 2014, étude 4, préc. ; S. Slama et L. Isidro, La dérobade du Conseil constitutionnel face à l'ersatz de statut social du travailleur détenu, Lettre d'actualité Droits-Libertés du CREDOF, 25 juin 2013 ; M. Ghevontian, Les détenus ne sont pas des travailleurs comme des autres, Constitutions, Revue de droit constitutionnel appliqué, juillet-septembre 2013, p. 408 ; Ch. Radé et P. Gervier, Le législateur peut écarter la qualification de contrat de travail pour les détenus ainsi que pour des établissements d'enseignement privé sous contrat, Constitutions, Revue de droit constitutionnel appliqué, juillet-septembre 2013, p. 418 ; Ch. Radé, Travail carcéral et statut des maîtres contractuels de l'enseignement privé : les rendez-vous manqués, Lexbase Hebdo n° 533 du 27 juin 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N7709BTP) ; P. Rrapi, Et si le Conseil constitutionnel répondait à la question ?, Rev. fr. dr. const, 2013, p. 986 ; J. Schmitz, Droit du travail en prison : fin ou début de la réflexion sur l'absence d'un régime juridique, Dr. adm., février 2014, p. 14 ; C. Wolmark, RDT, 2013, p. 565 ; LSQ, n° 16367, 18 juin 2013. Cass. QPC, 20 mars 2013, n° 12-40.105, FS-P+B, les obs. de Ch. Radé, L'application du Code du travail aux détenus en questions, Lexbase Hebdo n° 522 du 4 avril 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N6456BTB) ; Ph. Auvergnon, Droit du travail et prison : le changement maintenant, RDT, 2013, p. 309 ; LSQ, n° 16311, 22 mars 2013.
(3) Le Monde, 25 septembre 2015 ; Conseil constitutionnel, Commentaire (Cons. const., décision n° 2015-485 QPC du 25 septembre 2015) ; Travail en prison : la législation jugée suffisante par le Conseil constitutionnel, LSQ, n° 16923, 29 septembre 2015 ; réaction de la contrôleure générale des lieux de privation de liberté, Adeline Hazan, LSQ, n° 16923, 29 septembre 2015.
(4) TA Poitiers, 2ème ch., ordonnance n° 1300751 du 7 avril 2015 ; CE, 9° et 10° s-s-r., 6 juillet 2015, n° 389324, inédit aux tables du recueil Lebon, LSQ, n° 138, 5 août 2015 et LSQ, n° 16871, 9 juillet 2015. La demande présentée par M. B. devant le tribunal administratif de Poitiers tend à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision de déclassement prise à son encontre par le directeur du centre pénitentiaire de Poitiers-Vivonne (retrait d'emploi fondé sur le comportement du requérant).
(5) M. Harbonnier, Le travail en prison et le droit du travail, JCP éd. S, n° 37, 10 septembre 2013, 1342.
(6) J. Schmitz, Droit Administratif n° 2, février 2014, étude 4, préc. § 7 à 12.
(7) T. confl. 14 octobre 2013, Publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1334KNQ) ; S. Tournaux, Travail en prison : la fin du débat ?, Lexbase Hebdo n° 546 du 7 novembre 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N9216BTI). Demande formulée par un détenu, contre la société G. "concessionnaire de main-d'oeuvre pénale", pour son activité d'opérateur au centre pénitentiaire de M.-C. de janvier à mars 2006. En l'espèce, le travail procuré à M. C. dans l'établissement pénitentiaire où il était détenu a été effectué sous le régime de la "concession de main-d'oeuvre pénale" aux termes d'une convention conclue entre le directeur régional de l'administration pénitentiaire et le représentant de la société G., entreprise concessionnaire, sur le fondement des dispositions du Code de procédure pénale.
(8) TA Limoges, 22 août 2013, n° 1301113 et S. Tourneaux, Travail des détenus : le calme entre deux tempêtes ?, Lexbase Hebdo n°540 du 19 septembre 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N8527BTY). Le juge administratif se contente d'appliquer le régime spécial.
(9) Conseil constitutionnel, Commentaire (Cons. const., décision n° 2015-485 QPC du 25 septembre 2015), préc., p. 8-9.
(10) Conseil de prud'hommes de Paris, RG N° F 11/15185 du 8 février 2013 (N° Lexbase : A0400I9P), S. Tourneaux, Travail des détenus : vers l'application du droit commun du travail ?, Lexbase Hebdo n° 520 du 21 mars 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N6255BTT) ; G. Loiseau, CSBP, 2013, n° 251, p. 111 ; Dr. pén., 2013, p. 43, obs. A. Maron et M. Haas ; LSQ, n° 16283, 12 février 2013 et LSQ, n° 16275, 31 janvier 2013. La détenue, Mme M., était employée comme téléopératrice par la société M. en 2010 et 2011, alors qu'elle était en détention provisoire à la maison d'arrêt de Versailles. Le conseil des prud'hommes de Paris a requalifié le "déclassement" en licenciement abusif et condamné l'employeur à lui verser un préavis de licenciement, des congés payés, ainsi que des indemnités pour inobservation de la procédure de licenciement.
(11) D. Mazeaud, Le travail, c'est la Santé !, Edito, JCP éd. G, n° 40, 28 septembre 2015, 1014.
(12) Conseil économique et social, Avis, 22 février 2006 (LSQ, n° 14580, 7 mars 2006) ; "Travail et prison", Avis, 9 décembre 1987, RPDP, 1989.
(13) Rapp. Comité d'orientation restreint, 22 octobre 2007 (JCP éd. S, n° 44, 30 octobre 2007, act. 499).
(14) Ch. Radé, Lexbase Hebdo n° 522 du 4 avril 2013 - édition sociale, préc..
(15) A. Maron et M. Haas, Le droit de grève dans les prisons ?, note sous Conseil de Prud'hommes de Paris, 8 février 2013, n° 11/15185 et sous Cass. soc., 20 mars 2013, n° 12-40.104, Dr. pén., n° 5, mai 2013, comm. 83 ; Ch. Radé, L'application du Code du travail aux détenus en questions, Lexbase Hebdo n° 522 du 4 avril 2013 - édition sociale, préc..
(16) Sur l'évolution du régime juridique du travail du détenu, après la loi n° 87-432 du 22 juin 1987, V. Conseil constitutionnel, Commentaire de la décision n° 2015-485 QPC du 25 septembre 2015 (en ligne), p. 2-4.
(17) Commentaire de la décision n° 2015-485 QPC du 25 septembre 2015, préc., p. 18-19.

Décision

Cons. const., décision n° 2015-485 QPC du 25 septembre 2015 (N° Lexbase : A6743NPG)

Textes concernés : Loi n° 2009-1436, 24 novembre 2009, art. 3, art. 22 (N° Lexbase : L9344IES) ; cinquième, huitième, dixième et onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 (N° Lexbase : L6821BH4) ; C. trav., art. L. 5132-1 (N° Lexbase : L0822ICG) à 17 ; C. pr. pén., art. 717-3, al. 2 (N° Lexbase : L9399IET).

Mots-clés : Détenus ; travail ; cadre juridique ; acte d'engagement ; contenu ; droits et obligations professionnelles ; conditions de travail et rémunération ; absence de contrat de travail (oui) ; droits fondamentaux ; violation (non).

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