Lexbase Droit privé n°521 du 28 mars 2013 : Construction

[Jurisprudence] La difficile qualification des éléments d'équipements : le cas du carrelage

Réf. : Cass. civ. 3, 13 février 2013, n° 12-12.016, FS-P+B (N° Lexbase : A0449I87)

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par Anne-Lise Lonné-Clément, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition privée

le 28 Mars 2013

Comme malheureusement bien d'autres notions du droit de la construction, l'"élément d'équipement", qui se trouve notamment cité aux articles 1792 (N° Lexbase : L1920ABQ), 1792-2 (N° Lexbase : L6349G9Z) et 1792-3 (N° Lexbase : L6350G93) du Code civil, à savoir trois dispositions phares de la responsabilité des constructeurs, n'a pas été doté de définition légale. L'article 1792 relatif à la garantie décennale, prévoit que "tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination" ; cette présomption de responsabilité établie par l'article 1792 est étendue par l'article 1792-2 "aux dommages qui affectent la solidité des éléments d'équipement d'un ouvrage, mais seulement lorsque ceux-ci font indissociablement corps avec les ouvrages de viabilité, de fondation, d'ossature, de clos ou de couvert" (l'alinéa 2 du texte définissant le critère d'indissociabilité) ; quant à l'article 1792-3, il dispose que "les autres éléments d'équipement de l'ouvrage font l'objet d'une garantie de bon fonctionnement d'une durée minimale de deux ans à compter de sa réception". Malgré l'apparente simplicité des règles ici posées, la mise en oeuvre du régime de garantie applicable aux désordres affectant un élément d'équipement est particulièrement ardue, la difficulté étant accentuée s'agissant, plus spécifiquement, des éléments inertes. Chaque décision de la Cour de cassation à ce sujet est toujours bienvenue pour les praticiens, dans l'espoir d'une clarification des notions en cause. L'arrêt rendu le 13 février 2013 par la Cour de cassation venant fixer le sort des carrelages -qui constituent un parfait exemple d'élément inerte- était à cet égard très attendu. La question de la qualification d'un élément d'équipement doit se poser à plusieurs niveaux. Il convient avant tout de se demander si l'élément est dissociable ou indissociable.

L'article 1792, alinéa 1er, du Code civil prévoit, en effet, que la présomption de responsabilité établie par l'article 1792 s'étend également aux dommages qui affectent la solidité des éléments d'équipement d'un ouvrage, mais seulement lorsque ceux-ci font indissociablement corps avec les ouvrages de viabilité, de fondation, d'ossature, de clos ou de couvert. L'alinéa 2 précise alors qu'"un élément d'équipement est considéré comme formant indissociablement corps avec l'un des ouvrages de viabilité, de fondation, d'ossature, de clos ou de couvert lorsque sa dépose, son démontage ou son remplacement ne peut s'effectuer sans détérioration ou enlèvement de matière de cet ouvrage". Il en découle clairement que les éléments d'équipement indissociables du corps de l'ouvrage relèvent de la garantie décennale.

Sur cette question de la "dissociabilité", ou non, de l'élément, la difficulté en jurisprudence s'est portée essentiellement sur les éléments de revêtement, tels que les peintures. La troisième chambre civile de la Cour de cassation a ainsi exclu les peintures n'ayant qu'un rôle purement esthétique du champ de la garantie décennale, estimant qu'elles ne constituaient pas un ouvrage au sens de l'article 1792 du Code civil (Cass. civ. 3, 27 avril 2000, n° 98-15970, publié N° Lexbase : A1961CKT ; Cass. civ. 3, 16 mai 2001, n° 99-15.062 N° Lexbase : A4673ATA), ce contrairement à l'application d'un enduit extérieur d'étanchéité (Cass. civ. 3, 3 mai 1990, n° 88-19.642 N° Lexbase : A4042AH8).

S'agissant des dallages et carrelages, le critère de dissociabilité doit s'apprécier au regard de la technique de pose. Ainsi, il a été jugé que le carrelage qui adhère non par une colle mais par une barbotine de ciment est indissociable de l'ouvrage (CA Paris, 19ème ch., sect. B, 16 mars 2001) ; en effet, la cour a pu considérer qu'ainsi cimenté, sa dépose impliquait une détérioration ou enlèvement de matière de ladite chape, de sorte qu'il faisait indissolublement corps avec elle, au sens du deuxième alinéa de l'article 1792-2 du Code civil.

Toutefois, on retiendra que le plus souvent, il doit être considéré que le carrelage constitue un élément dissociable (Cass. civ. 3, 20 juin 2001, n° 99-20.245 N° Lexbase : A6145ATR ; Cass. civ. 3, 1er février 2006, n° 04-17.361, FS-D N° Lexbase : A6555DMQ). Il a également pu être relevé l'interposition d'un isolant phonique entre la dalle en béton armé et la chape de scellement du carrelage a pour effet de désolidariser cette dernière du gros oeuvre ; il s'en déduit que cette chape, dite maigre et le carrelage qu'elle supporte sont des éléments dissociables (CA Grenoble, 2ème ch., 25 janvier 2011, n° 08/01321 N° Lexbase : A4679GRQ).

Dans un arrêt du 28 octobre 2003, la Cour de cassation est venue rappeler le critère légal posé par le deuxième alinéa de l'article 1792-2, consistant à s'interroger sur les conséquences de la dépose, du démontage ou du remplacement de l'élément d'équipement (Cass. civ. 3, 28 octobre 2003, n° 02-14.589, F-D N° Lexbase : A6145ATR) ; ainsi, alors elle a censuré l'arrêt qui avait retenu que la chape incorporée pouvait être assimilée à un élément d'équipement superficiel de protection qui ne faisait pas indissociablement corps avec la structure, sa réparation n'impliquant pas la démolition du dallage ou du plancher, et pouvant se faire avec une chape rapportée, après avoir relevé qu'en se fondant sur les modalités de réparation, sans constater que la dépose, le démontage ou le remplacement de la dalle pouvait s'effectuer sans détérioration ou enlèvement de matière des ouvrages de viabilité, de fondation, d'ossature, de clos ou de couvert, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

La qualification de l'élément d'équipement au regard du critère dissociable/indissociable, permet de préciser le régime de garantie applicable.

Si l'élément en cause est indissociable, il découle de l'article 1792-2 que les dommages affectant la solidité de cet élément relèvent de la garantie décennale.

Si, en revanche, l'élément d'équipement est dissociable du corps de l'ouvrage, il faudra veiller à ne pas procéder à une application trop hâtive des dispositions de l'article 1792-3, qui prévoient que "les autres éléments d'équipement de l'ouvrage [sous-entendu les éléments dissociables] font l'objet d'une garantie de bon fonctionnement d'une durée minimale de deux ans à compter de sa réception". En effet, malgré la clarté apparente de la règle ici posée, les dommages affectant les éléments d'équipement dissociables ne relèveront de la garantie biennale de fonctionnement prévue de l'article 1792-3, que sous deux réserves, l'une pouvant encore conduire à l'application de la garantie décennale (elle n'est pas totalement exclue du fait du caractère dissociable de l'élément), l'autre à l'application de la responsabilité contractuelle de droit commun.

Ainsi, en premier lieu, un élément d'équipement dissociable du corps de l'ouvrage peut encore relever de la garantie décennale, en application de l'article 1792, dont les dispositions méritent ici d'être rappelées. Elles prévoient en effet une responsabilité de plein droit du constructeur s'agissant "des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination". Il en découle que les dommages affectant les éléments d'équipement, lorsqu'ils rendent l'ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination, relèvent de la garantie décennale. Ainsi en est-il, par exemple, des désordres de dysfonctionnement de l'installation de chauffage (Cass. civ. 3, 28 février 1996, n° 94-17.154 N° Lexbase : A6442AH3). S'agissant justement de désordres affectant les carrelages qualifiés d'élément d'équipement dissociables, la cour d'appel de Grenoble, dans l'arrêt précité du 25 janvier 2011 (CA Grenoble, 2ème ch., 25 janvier 2011, n° 08/01321, préc.), a pu retenir qu'ils avaient atteint une gravité telle qu'ils rendaient l'ouvrage impropre à sa destination (jugeant que "la présence de fissures désaffleurantes, auxquelles s'ajoutent des irrégularités de niveaux consécutives au remplacement de carreaux antérieurement fissurés, rendent impropres à leur destination le hall d'entrée, le bureau et la salle d'examen, soit une surface globale de 32,50 m² de locaux à usage de cabinet médical, dans lesquels se déplacent à pieds nus des personnes affaiblies, parfois impotentes"). Au contraire, dans un arrêt du 20 juin 2001, la Cour de cassation a approuvé la cour d'appel qui avait considéré que les désordres affectant le carrelage d'un hypermarché, dont elle avait constaté qu'il était dissociable, n'avaient pas rendu l'ouvrage impropre à sa destination (Cass. civ. 3, 20 juin 2001, n° 99-20.245, préc.).

On peut tirer comme conclusion que les dommages affectant les éléments d'équipement peuvent relever de la garantie décennale dans deux cas :

- s'ils portent sur des éléments d'équipement indissociables, dès lors qu'ils affectent la seule solidité de ces éléments ;
- s'ils portent sur des éléments d'équipement dissociables, dès lors qu'ils rendent l'ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination.

En second lieu, en prévoyant que les autres éléments d'équipement de l'ouvrage, autrement dit ceux qui sont dissociables (et autres que ceux rendant l'ouvrage impropre à sa destination), font l'objet d'une garantie de bon fonctionnement d'une durée de deux ans, l'article 1792-3 contient implicitement, selon certains auteurs (cf. infra), un critère de fonctionnalité de l'élément d'équipement en cause. C'est ce qui ressort peu à peu de l'analyse de la jurisprudence et notamment de l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 13 février 2013.

La Cour de cassation a, ainsi, estimé que ne relevaient pas de la garantie de bon fonctionnement : des cloisons et des plafonds (Cass. civ. 3, 22 mars 1995, n° 93-15.233 N° Lexbase : A7797ABE ; Cass. civ. 3, 14 décembre 2004, n° 03-18.142, F-D N° Lexbase : A4830DEM), des peintures n'ayant qu'un rôle esthétique (Cass. civ. 3, 27 avril 2000, n° 98-15.970 N° Lexbase : A1961CKT), ou encore des enduits de façade (Cass. civ. 3, 22 octobre 2002, n° 01-01.539, F-D N° Lexbase : A3409A3N). Dans un arrêt du 30 novembre 2011 (Cass. civ. 3, 30 novembre 2011, n° 09-70.345, FS-P+B préc..), la troisième chambre civile a été amenée à préciser que "les moquettes et tissus tendus" ne constituaient pas des éléments d'équipement soumis à la garantie de bon fonctionnement de l'article 1792-3 du Code civil. Selon certains, cet arrêt marquait ainsi la volonté de la Cour de cassation de redonner à la notion d'élément d'équipement le critère de fonctionnement (cf. M.-L. Pagès de Varenne, obs. sous Cass. civ. 3, 30 novembre 2011, n° 09-70.345, FS-P+B N° Lexbase : A4708H3R). On comprend en effet difficilement comment un élément inerte, tel que de la moquette, ou du carrelage, pourrait être atteint de désordres de fonctionnement.

C'est dans ce contexte que l'arrêt rendu le 13 février 2013 est venu fixer le sort des "carrelages", au regard de cette notion d'élément d'équipement, en retenant, dans la lignée de l'arrêt du 30 novembre 2011, que "les dallages ne constituent pas des éléments d'équipement soumis à la garantie de bon fonctionnement de l'article 1792-3 du Code civil".

Dans cette affaire, des fissurations et des décollements de carrelages avaient affecté le sol d'une galerie marchande. Pour dire que les désordres relevaient des dispositions de l'article 1792-3 du Code civil et déclarer irrecevable la demande fondée sur l'article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT), la cour d'appel d'Amiens avait retenu qu'il n'y avait pas d'impropriété à destination du centre commercial mais uniquement impropriété à destination de l'élément d'équipement lui-même, que l'action en garantie biennale de l'article 1792-3 du Code civil applicable aux éléments d'équipement dissociables était expirée et que, dès lors que les désordres relevaient de l'article 1792-3 du Code civil, les demandes fondées sur la théorie des dommages intermédiaires étaient irrecevables (CA Amiens, 10 novembre 2011, n° 10/03023 N° Lexbase : A9905H3A).

La décision est censurée par la Cour suprême qui, après avoir énoncé que les dallages ne constituaient pas des éléments d'équipement soumis à la garantie de bon fonctionnement de l'article 1792-3 du Code civil, retient que la demande en réparation des désordres les affectant, lorsqu'ils ne rendent pas l'ouvrage impropre à sa destination ou n'affectent pas sa solidité, ne peut être fondée, avant comme après réception, que sur la responsabilité contractuelle de droit commun. Si le sort des carrelages est bien fixé, on regrettera que la formulation retenue par la Haute juridiction ne soit cependant pas plus explicite.

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