La lettre juridique n°502 du 18 octobre 2012 : Environnement

[Jurisprudence] Le maire, les OGM et le principe de précaution

Réf. : CE 4° et 5° s-s-r., 24 septembre 2012, n° 342990, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3663ITT)

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par Arnaud Le Gall, Maître de conférences à l'Université de Caen

le 18 Octobre 2012

L'arrêt du 24 septembre 2012 vient préciser et confirmer les solutions jurisprudentielles dégagées auparavant au sujet du principe de précaution et des ses relations avec l'ordonnancement juridique. Le principe de précaution est invoqué si souvent dans le langage courant et dans n'importe quelle acception qu'il est en passe de devenir une notion vide de sens. Il constitue le témoin d'une époque dans laquelle la perte des repères moraux individuels conduit la collectivité à mener des combats d'arrière-garde contre des innovations scientifiques dont le sort sera, en réalité, réglé par le jeu des intérêts, principalement financiers, qui sont en cause. Faute pour l'individu de respecter certaines limites, c'est à la société qu'il revient d'essayer de contrarier les effets de certaines évolutions techniques qui n'en paraissent pas moins inéluctables ou que leurs promoteurs tentent de faire passer pour telles. A ce titre, le principe de précaution peut se ranger sagement au nombre des indicateurs de l'état de notre civilisation occidentale, au côté, par exemple, de l'incontournable socialisation du risque qui a rempli la sphère de la responsabilité civile et administrative. Le principe de précaution constitue donc aujourd'hui un élément indispensable à la bonne conscience de l'Homme du XXIème siècle. Ce n'est, d'ailleurs, pas un hasard s'il s'agit d'un principe particulièrement mondialisé et qui a été introduit dans les législations nationales par l'intermédiaire de divers Traités. La Cour de justice de l'Union européenne, qui l'a érigé au rang de principe général du droit, le considère comme applicable de manière autonome dans l'ensemble des domaines d'action de l'Union européenne et constitue une norme de référence du droit (1). Il oblige les autorités compétentes à "prendre des mesures appropriées en vue de prévenir certains risques potentiels pour la santé publique, la sécurité et l'environnement, en faisant prévaloir les exigences liées à la protection de ces intérêts sur les intérêts économiques" (2).

La mise en oeuvre de ce principe place très clairement l'autorité dans la dépendance complète des milieux scientifiques, puisqu'il nécessite qu'on puisse identifier les conséquences potentiellement négatives de l'utilisation du phénomène concerné et impose de procéder à une évaluation complète du risque, fondée sur les données scientifiques disponibles les plus fiables et les résultats les plus récents de la recherche internationale (3). On voit donc à quel point ce "principe" est d'une nature résolument différente des approches juridiques traditionnelles. Les règles de droit essentielles tirent, en effet, leur origine de règles morales et ne sont donc pas dépendantes de considérations matérielles. Le principe de précaution est, en revanche, entièrement dépendant d'appréciations scientifiques qui ne sont pas du ressort de l'auteur de la règle de droit. D'où l'extrême dangerosité du principe qui tient à sa malléabilité : il faut être d'une grande naïveté pour croire que les scientifiques sont nécessairement objectifs. D'une part, ils ne sont pas à l'abri des formes de pression les plus variées. D'autre part, on rappellera qu'il ne suffit pas qu'un phénomène fasse l'objet d'études scientifiques pour être scientifiquement prouvé.

Les limites du principe apparaissent, ainsi, rapidement. D'un côté, la prise en compte d'un risque, fondé sur de simples suppositions scientifiquement non encore vérifiées est écartée (4). En revanche, des mesures de protection sont justifiées "lorsqu'il s'avère impossible de déterminer avec certitude l'existence ou la portée du risque allégué en raison de la nature insuffisante, non concluante ou imprécise des résultats des études menées, mais que la probabilité d'un dommage persiste dans l'hypothèse où le risque se réaliserait" (5). Comme le principe de précaution suppose qu'il soit invoqué en amont de la réalisation du risque, il peut être légitimement invoqué sans qu'on ait besoin d'attendre que la réalité et la gravité des risques soient pleinement démontrées (6).

La réforme constitutionnelle du 1er mars 2005 (loi n° 2005-205, relative à la Charte de l'environnement N° Lexbase : L0268G8G) a introduit le principe de précaution dans l'ordre juridique national par le biais de l'intégration de la Charte de l'environnement dans la Constitution. Le texte de la Charte délimite à peu près le champ d'application du principe au regard du droit public, puisqu'il concerne, en effet, les "seules hypothèses où un débat scientifique est ouvert mais non tranché quant à l'existence d'un risque pour l'environnement pouvant l'affecter de manière grave mais aussi irréparable" (7). En revanche, les incertitudes ne manquent pas sur son application en droit privé (8). Le flou qui entoure, néanmoins, ce principe dans l'esprit du plus grand nombre a conduit les autorités locales à l'invoquer pour intervenir dans divers domaines. En l'espèce, le maire d'une commune a cru pouvoir interdire, par voie d'arrêté municipal, la culture de plantes génétiquement modifiées, à quelque fin que ce soit, pour une période de trois ans dans certaines zones définies par le plan local d'urbanisme. A la suite du déféré préfectoral, le tribunal administratif de Grenoble a annulé cet arrêté, décision qui a été confirmée par la cour administrative d'appel de Lyon le 30 juin 2010 (9). La commune s'est alors pourvue en cassation contre cet arrêt.

Au titre de la légalité externe, la commune soulevait deux moyens qui ont été tous deux écartés par le Conseil, mais qui méritent d'être évoqués.

D'une part, elle invoquait l'irrégularité de l'arrêt, rendu sous la présidence d'un magistrat désigné par le président de la cour, au motif que la décision ne mentionnait pas que ce dernier avait été régulièrement désigné pour siéger en cette qualité en cas d'absence ou d'empêchement du président de la chambre qui a rendu la décision. La jurisprudence considère que les mentions procédurales des jugements font foi jusqu'à preuve du contraire (10). Le Conseil d'Etat en profite pour rappeler qu'aucune disposition légale ou réglementaire ne fait obligation au jugement d'apporter des précisions sur ce genre de considérations, confirmant, ainsi, une jurisprudence classique (11), et rejette donc le moyen tiré de l'irrégularité de la composition de la juridiction.

D'autre part, la commune soulevait l'irrégularité de la procédure au motif que le recours gracieux exercé par le représentant de l'Etat avait été signé par ce dernier en qualité de préfet de la Drôme le 15 octobre 2008, alors qu'il avait été nommé préfet du Haut-Rhin le 9 octobre précédent. La commune en concluait que le recours gracieux avait été signé par une autorité incompétente et n'avait donc pu interrompre le délai du déféré. L'argument était, pour le moins, douteux. Le Conseil, relevant que le décret de nomination ne devait prendre effet qu'à la date d'installation du préfet, écarte le moyen tiré de l'incompétence de ce dernier.

Sur le fond, le Conseil rejette le pourvoi de la commune. Les règles applicables au concours entre police générale et police spéciale viennent donc confirmer l'incompétence du maire pour restreindre l'autorisation accordée par le ministre. Le Conseil en profite, également, pour préciser les rapports entre police administrative et principe de précaution.

I - Police spéciale des OGM et compétence des autorités de police

Afin de confirmer l'incompétence du maire pour prendre l'arrêté contesté, le Conseil d'Etat rappelle, dans un premier temps, l'existence d'une police spéciale des organismes génétiquement modifiés (OGM).

Plusieurs textes instaurent un pouvoir de réglementation administratif en matière d'OGM. D'une part, l'article L. 533-1 du Code de l'environnement (N° Lexbase : L8857IAB) soumet la dissémination volontaire des OGM à une procédure d'autorisation administrative préalable. Cet article dispose, en effet, que "toute dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés à toute autre fin que la mise sur le marché, ou tout programme coordonné de telles disséminations, est subordonnée à une autorisation préalable [...] cette autorisation est délivrée par l'autorité administrative après avis du Haut Conseil des biotechnologies qui examine les risques que peut présenter la dissémination pour l'environnement et la santé publique. Elle peut être assortie de prescriptions. Elle ne vaut que pour l'opération pour laquelle elle a été sollicitée [...]".

D'autre part, l'article L. 533-3-1 du même code (N° Lexbase : L7115IRX) fait application du principe de précaution à la matière des OGM. Il prévoit, en effet, que, si des éléments d'information portés à la connaissance de l'autorité administrative font apparaître un risque pour l'environnement ou la santé publique, cette autorité les soumet pour évaluation à un Haut conseil des biotechnologies et peut modifier, suspendre ou retirer l'autorisation.

La procédure d'autorisation est donc précisément prévue par les textes. En principe, l'autorité administrative est le ministre chargé de l'Environnement, sauf si un texte particulier en dispose autrement. Dans ces cas, l'autorité doit, malgré tout, recueillir l'avis de ce dernier. En ce qui concerne les plantes, semences ou plants, la compétence pour délivrer ou refuser l'autorisation appartient au ministre de l'Agriculture. Comme toute procédure d'autorisation administrative, la demande est évidemment appuyée sur un dossier complet. Le maire n'intervient dans la procédure que d'une manière très périphérique, puisque son intervention se limite à organiser des réunions d'informations auxquelles doit participer le pétitionnaire.

L'ensemble de ces dispositions ne prête guère à interprétation. Le Conseil d'Etat en déduit, en effet, que "le législateur a organisé une police spéciale de la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés, confiée à l'Etat, dont l'objet est, conformément au droit de l'Union européenne, de prévenir les atteintes à l'environnement et à la santé publique pouvant résulter de l'introduction intentionnelle de tels organismes dans l'environnement". Afin d'éviter toute contestation sur ce point le Conseil rappelle également que la décision d'autorisation est prise, au cas par cas, après avis d'un organisme scientifique. L'instruction doit envisager toutes les conséquences de l'activité qui est susceptible d'être organisée, y compris son impact sur l'agriculture biologique.

En précisant ce point, le Conseil dévoile une partie du contrôle qu'il exerce sur l'instruction qui doit précéder la délivrance de l'autorisation. On sait que le juge administratif ne s'immisce pas dans les appréciations techniques que les organismes scientifiques peuvent être conduits à émettre lors de l'instruction d'une demande d'autorisation. En revanche, il conserve la possibilité de censurer l'erreur manifeste d'appréciation qui entacherait la décision accordant l'autorisation, s'il apparaissait que certains aspects déterminants du dossier n'ont pas été pris en compte. Ce contrôle apparaît souvent aux requérants comme formel en ce qu'il ne leur permet pas d'invoquer utilement devant le juge des considérations scientifiques contraires à l'appréciation sur la base de laquelle l'administration a statué. En revanche, il s'agit du seul contrôle que le Conseil d'Etat peut opérer dans une telle matière, étant par nature dépourvu des compétences scientifiques nécessaires pour remettre en cause les appréciations émises lors de l'instruction. L'arrêt rappelle donc les limites du contrôle que le juge doit opérer dans ce domaine et évoque au moins deux motifs éventuels de censure : encourrait l'annulation une décision qui serait générale en ce qu'elle porterait sur un produit ou sur un demandeur sans acception des circonstances de la demande. Il en irait de même pour une décision qui ne prendrait pas en compte les spécificités locales et, notamment, la présence d'exploitations d'agriculture biologique auprès de la zone de culture visée par la demande d'autorisation.

Dans un second temps, le Conseil d'Etat rappelle les principes régissant les relations entre police administrative spéciale et police administrative générale.

L'appréciation de considérations locales ne peut remettre en cause les principes juridiques qui gouvernent les hypothèses de concours de police. En effet, le simple critère géographique ne peut conduire à soumettre au pouvoir de l'autorité de police administrative générale une compétence que la réglementation attribue au seul pouvoir de police spéciale. En cas de combinaison de police générale et de police spéciale, la jurisprudence évite les détournements de procédure et les dessaisissements d'autorités.

Trois cas de figure peuvent se présenter. En premier lieu, la même autorité est titulaire des deux pouvoirs de police : dans ce cas, la mise en oeuvre des pouvoirs de police générale ne doit pas être utilisée pour éviter l'accomplissement des formalités imposées pour l'exercice des compétences de police spéciale (12). En deuxième lieu, plusieurs autorités sont susceptibles d'intervenir : dans ce cas, la solution est guidée par la bonne application des textes. Si l'autorité locale n'est pas nécessairement dépourvue de toute capacité d'intervention, elle ne peut, par sa seule compétence d'autorité de police générale, édicter une réglementation qui irait à l'encontre de la décision prise par l'autorité de police spéciale. En troisième lieu, l'exercice de la compétence de police spéciale épuise la matière et interdit au titulaire de pouvoir de police générale d'exercer sa compétence. C'est ce que rappelle le Conseil d'Etat lorsqu'il énonce que, "s'il appartient au maire, responsable de l'ordre public sur le territoire de sa commune, de prendre les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques, il ne saurait en aucun cas s'immiscer dans l'exercice de cette police spéciale par l'édiction d'une réglementation locale". Ce faisant, il confirme la décision de principe qu'il a rendu peu avant au sujet des antennes de télécommunications (13).

Le Conseil procède, ainsi, à une substitution de motifs et confirme l'incompétence du maire pour édicter une interdiction générale et absolue de culture des OGM sur certaines parties de la commune.

II - Le principe de précaution et police administrative

Le principe de précaution ne permet pas de déroger aux règles qui régissent la répartition des pouvoirs de police administrative. C'est là le second apport de cette décision.

Il faut rappeler, dans un premier temps, que la Haute juridiction a déjà abordé la question du principe de précaution. L'article 5 de la Charte de l'environnement le définit ainsi : "lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attributions, à la mise en oeuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage". Pour Renaud Denoix de Saint Marc, le Conseil conçoit ce principe "non comme un devoir d'abstention mais comme un principe d'action orienté vers l'évaluation et l'amélioration de la connaissance du risque [qui] doit se traduire par une exigence de prise en compte précoce des risques potentiels" (14). Le Conseil d'Etat estime que le principe de précaution n'impose pas aux autorités administratives "de fonder leurs décisions sur des certitudes scientifiques" (15).

Le Conseil a, notamment, délimité le champ d'application du principe de précaution par rapport au droit de l'urbanisme. Après avoir considéré que "le principe de précaution ne peut être utilement invoqué à l'appui de la contestation d'une autorisation relevant de la législation relative à l'urbanisme" (16), solution rendue avant l'introduction de la Charte de l'environnement dans la Constitution, le Conseil d'Etat a fait évoluer sa jurisprudence en précisant que les dispositions de la Charte "qui n'appellent pas de dispositions législatives ou réglementaires en précisant les modalités de mise en oeuvre s'imposent aux pouvoirs publics et aux autorités administratives dans leurs domaines de compétence respectifs", reprenant, ainsi, la formulation retenue par le Conseil constitutionnel (17).

Les autorités compétentes en matière d'urbanisme peuvent donc être amenées à faire application du principe de précaution (18). Un arrêt du 30 janvier 2012, tout en rappelant le principe essentiel de l'indépendance des législations, confirme cette solution qui s'appuie sur la prise en compte, par l'article R. 111-2 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L7368HZW), de la sécurité et de la salubrité publique lors de la délivrance des autorisations d'urbanisme. L'arrêt énonce, en effet, "que s'il appartient, dès lors, à l'autorité administrative compétente de prendre en compte le principe de précaution lorsqu'elle se prononce sur l'octroi d'une autorisation délivrée en application de la législation sur l'urbanisme, les dispositions de l'article 5 de la Charte de l'environnement ne permettent pas, indépendamment des procédures d'évaluation des risques et des mesures provisoires et proportionnées susceptibles, le cas échéant, d'être mises en oeuvre par les autres autorités publiques dans leur domaine de compétence, de refuser légalement la délivrance d'une autorisation d'urbanisme en l'absence d'éléments circonstanciés faisant apparaître, en l'état des connaissances scientifiques, des risques, même incertains, de nature à justifier un tel refus". En l'espèce, le Conseil a jugé qu'en l'état des connaissances scientifiques, aucun risque circonstancié pour le public ne pouvait être identifié (19).

Le principe de précaution a, également, été invoqué dans d'autres domaines. L'implantation d'antennes hertziennes a donné plusieurs fois à la Haute juridiction administrative l'opportunité de préciser sa jurisprudence. Dès avant l'introduction du principe dans la Constitution, un arrêt du 19 mai 2003 énonçait que le principe de précaution ne peut, à lui seul, constituer un motif d'intérêt général suffisant pour justifier de la résiliation unilatérale d'un contrat administratif (20). De même, le principe de précaution ne permet au maire de dépasser le champ de sa compétence pour édicter des réglementations de nature à porter atteinte aux autorisations délivrées régulièrement par l'autorité compétente en matière de police spéciale des communications électroniques (21).

Le Conseil d'Etat a, également, considéré que le ministre n'avait pas fait une application disproportionnée et paralysante du principe de précaution en imposant des contraintes techniques, et, notamment, l'utilisation d'un déflecteur, lors des semailles des semences de maïs entourées de substances phytopharmaceutiques (22). Son respect est évidemment contrôlé à l'occasion de la réglementation des installations nucléaires (23) ou de la réglementation des dates de chasse au gibier d'eau (24). Il peut, également, être utilement invoqué à l'appui d'un décret organisant le port du bracelet électronique, à charge, pour le requérant, de démontrer l'existence d'un quelconque danger pour la santé des personnes astreint à cette mesure (25).

En revanche, le principe de précaution ne peut être invoqué dans le cadre de la protection de la santé et de la sécurité des personnes pour critiquer une disposition législative autorisant les pilotes de ligne à continuer d'exercer leur activité au-delà de soixante ans (26). De même, il ne peut être utilement invoqué à l'appui d'un recours dirigé contre le refus du ministre d'édicter une interdiction générale et absolue de mise en circulation des véhicules dépassant la vitesse de 130 kilomètres à l'heure (27).

Dans un second temps, l'arrêt du 24 septembre 2012, dans le droit fil de la jurisprudence antérieure, rappelle donc la portée du principe de précaution. Il résulte de l'article 5 de la Charte de l'environnement "que le principe de précaution, s'il s'impose à toute autorité publique dans ses domaines d'attribution, n'a ni pour objet, ni pour effet de permettre à une autorité publique d'excéder son champ de compétence". La Charte ne peut donc être interprétée "comme habilitant les maires à adopter une réglementation locale portant sur la culture de plantes génétiquement modifiées en plein champ et destinée à protéger les exploitations avoisinantes des effets d'une telle culture". En effet, en vertu des dispositions législatives et réglementaires instituant la police spéciale des OGM, "il appartient aux seules autorités nationales auxquelles les dispositions précitées du Code de l'environnement confient la police spéciale de la dissémination des organismes génétiquement modifiés de veiller au respect du principe de précaution, que la réglementation prévue par le Code de l'environnement a précisément pour objet de garantir, conformément à l'objectif fixé par l'article 1er de la Directive du 12 mars 2001 (Directive (CE) 2001/18, relative à la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement N° Lexbase : L8079AUR ) qu'elle a pour objet de transposer".

La portée du principe de précaution est ainsi clairement précisée : il ne s'agit pas d'un outil juridique qui serait à la disposition de toutes les autorités administratives, quel que soit leur échelon, à l'aune duquel elles pourraient porter une appréciation sur les décisions prises par d'autres autorités. Plus généralement, ce principe ne se superpose pas à la réglementation, mais doit être apprécié dans le cadre de l'application de cette dernière. Il n'y a donc pas lieu de l'invoquer ou d'en poursuivre l'application, dès lors que cet objectif a déjà été réalisé. Le principe doit donc impérativement s'intégrer dans les procédures existantes et ne peut, en aucun cas, permettre de déroger aux procédures instituées par le législateur. On voit que le souci du Conseil d'Etat demeure d'éviter les détournements de procédure. En effet, le principe profite à tous, et particulièrement aux pétitionnaires dont la demande fait l'objet d'une instruction poussée, fondée, notamment, sur le principe de précaution. Il serait inique qu'au nom de ce principe, apprécié différemment par une autorité ne disposant pas des mêmes capacités d'analyse, l'autorisation accordée par le pouvoir de police spéciale soit réduite à néant par une autorité de police générale. Il ne faut pas, en effet, être naïf : du point de vue des élus locaux, le principe de précaution n'est conçu que comme un instrument d'interdiction de techniques jugées dangereuses. Ce principe doit donc s'apprécier à l'occasion de l'application des diverses réglementations et ne doit pas venir s'opposer à leur mise en oeuvre.

La solution n'est pas surprenante. D'une part, elle est parfaitement conforme aux textes applicables. Ceux-ci désignent l'autorité de police compétente et instaurent une procédure d'instruction complète qui conduit à l'avis d'une autorité scientifique sur des domaines particulièrement pointus, mettant, ainsi, en oeuvre le principe tel qu'il est défini par la Charte de l'environnement. D'autre part, elle est la seule solution supportable. En effet, toute autre réponse de la part du Conseil d'Etat aurait ouvert la boîte de Pandore : de nombreux maires auraient, à n'en pas douter, suivi l'exemple du maire de la commune en cause dans la décision du 24 septembre et on aurait vu une multitude d'arrêtés municipaux venir restreindre, sans autre fondement que le principe de précaution, entendu comme la recherche du risque zéro, la portée géographique de l'autorisation accordée par le ministre de l'Agriculture. Le désordre inhérent à une telle solution permettait de l'exclure d'office. Le fait que le principe de précaution soit déjà pris en compte dans la réglementation a, ainsi, permis au Conseil d'Etat d'éviter des contorsions juridiques pour faire prévaloir l'ordre et l'unité du système juridique. Le principe de précaution n'est donc pas susceptible d'ouvrir une brèche au sein des règles de répartition de compétence entre autorités de police.


(1) CJCE, 9 septembre 2003, aff. C-236/01 (N° Lexbase : A5262C9R), Rec. I. 8105.
(2) TPICE, 26 novembre 2002, aff. T-74/00 (N° Lexbase : A2158A4P).
(3) CJUE, 28 janvier 2010, aff. C-333/08 (N° Lexbase : A6689EQS).
(4) CJCE, 9 septembre 2003, aff. C-236/01, préc..
(5) CJCE, 23 septembre 2003, aff. C-192/01 (N° Lexbase : A5825C9M), Rec. I. 9693.
(6) CJUE, 28 janvier 2010, aff. C-333/08, préc..
(7) Y. Jégouzo, De certaines obligations environnementales : prévention, précaution et responsabilité, AJDA, 2005, p. 1164.
(8) P. Malinvaud, Le principe de précaution, un principe contagieux, Revue de droit immobilier, 2011, p. 353.
(9) CAA Lyon, 5ème ch., 30 juin 2010, n° 09LY01065, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A9868E7M).
(10) CE Sect., 5 mai 1986, n° 61219, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4748AMS), Rec., p. 127.
(11) CE 8° et 9° s-s-r., 8 février 1999, n° 168382, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4637AXZ).
(12) CE 1° et 4° s-s-r., 2 décembre 1983, n° 13205, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0816AM8), Recueil, p. 470.
(13) CE Ass., 26 octobre 2011, n° 326492 (N° Lexbase : A0172HZE), n° 329904 (N° Lexbase : A0173HZG), et n° 341767 (N° Lexbase : A0174HZH), publiés au recueil Lebon.
(14 ) R. Denoix de Saint Marc, Vers une socialisation raisonnée du risque, AJDA, 2005, p. 2201.
(15) CE 3° et 8° s-s-r., 5 juillet 2010, n° 309632, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1315E4H).
(16) CE 1° et 6° s-s-r., 23 novembre 2005, n° 262105, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7309DLB).
(17) Cons. const., 19 juin 2008, n° 2008-564 DC (N° Lexbase : A2111D93), AJDA, 2008, p. 1232.
(18) CE 2° et 7° s-s-r., 19 juillet 2010, n° 328687, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9950E4B).
(19) CE 2° et 7° s-s-r., 30 janvier 2012, n° 344992, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6872IB7).
(20) CE 3° et 8° s-s-r., 19 mai 2003, n° 251850, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1736B98).
(21) CE Ass., 26 octobre 2011, n° 326492, n° 329904 et n° 341767, préc..
(22) CE 3° et 8° s-s-r., 23 juillet 2012, n° 341726, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0725IRB).
(23) CE 9° et 10° s-s-r., 4 août 2006, n° 254948, publié au recueil Lebon ([LXB=A7922DQH)]).
(24) CE 1° et 6° s-s-r., 13 juillet 2006, n° 293764, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6599DQH).
(25) CE 1° et 6° s-s-r., 26 novembre 2010, n° 323694, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4316GLG).
(26) CE 2° et 7° s-s-r., 26 juillet 2011, deux arrêts, mentionné aux tables du recueil Lebon, n° 342454 (N° Lexbase : A8378HW9) et n° 342453 (N° Lexbase : A8377HW8).
(27) CE 2° et 7° s-s-r., 10 juillet 2006, n° 271835, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3915DQ3).

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