Réf. : Cons. const., décision n° 2020-801 DC, du 18 juin 2020, Loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet (N° Lexbase : A81893NM)
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par Adélaïde Léon
le 16 Juillet 2020
► La loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, dite « Avia » modifie et ajoute à la désormais célèbre loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique dite « LCEN » (N° Lexbase : L2600DZC) ;
Comme cette dernière, la loi « Avia » constitue une mesure de transposition en droit interne de la Directive européenne 2000/31/CE, du 8 juin 2000, dite « e-commerce » (N° Lexbase : L8018AUI) ;
Largement décriée tout au long de son processus législatif, la loi « Avia » a été, ce jeudi 18 juin 2020, largement censurée par le Conseil constitutionnel.
Contexte. Le Conseil constitutionnel a été invité à se prononcer sur la constitutionnalité des régimes d’obligations de retrait institués par la loi, ainsi que du système de surveillance administrative organisé par ce texte afin de veiller au respect des nouvelles obligations de moyens de plateformes, sous le contrôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA).
Sur l’obligation de retrait sous 1 heure de certains contenus à caractère terroriste ou pédopornographique
Le paragraphe I de l’article 1er de la loi « Avia » entendait réduire à 1 heure l’actuel délai de 24 heures, imparti aux hébergeurs et éditeurs par l’article 6-1 de la « LCEN » pour retirer, sur demande de l’autorité administrative, certains contenus à caractère terroriste ou pédopornographique. Il introduisait également, en cas de manquement à cette obligation de retrait, une peine d’un an d’emprisonnement et de 250 000 euros d’amende.
Pour censurer le paragraphe I de l’article 1er de la loi « Avia » en ce qu’il porte une atteinte à la liberté d’expression et de communication non adaptée, non nécessaire et disproportionné au but poursuivi de préservation de l’ordre public et des droits des tiers, les Sages ont constaté que la détermination du caractère illicite des contenus litigieux était soumise à la seule appréciation de l’administration, que les hébergeurs et éditeurs se trouvaient dans l’impossibilité d’obtenir une décision judiciaire avant d’être contraints de retirer le contenu en cause et enfin que la peine encourue en cas de manquement à ces obligations de retrait était particulièrement sévère.
Sur l’obligation, pour certains opérateurs de plateforme en ligne dont l’activité dépasse des seuils définis par décret de retirer ou rendre inaccessible dans un délai de 24 heures des contenus illicites en raison de leur caractère haineux ou sexuel
Le paragraphe II de l’article 1er de la loi différée créait un nouvel article 6-2 renforçant le régime de responsabilité de certains hébergeurs. Alors que sous le régime actuel de la « LCEN » les hébergeurs ne pouvaient voir leur responsabilité engagée qu’en cas de connaissance de l’illicéité « manifeste » des contenus stockés et à défaut de les avoir retirés « promptement », la loi « Avia » créait, à l’égard des grands réseaux sociaux et moteurs de recherche, une obligation de retrait des contenus manifestement illicites dans un délai de 24 heures après notification, sous peine d’être sanctionnés par une amende pénale. Elle précisait que ce délit pouvait résulter de l’absence même d’examen proportionné et nécessaire du contenu.
Pour censurer le paragraphe II de l’article 1er de la loi « Avia », le Conseil constitutionnel pointe l’obligation faite aux opérateurs concernés d’examiner tous les contenus qui leur auraient été signalés sans que leur nombre, s’il s’avérait trop important, ne puisse constituer une cause d’exonération. Il souligne également la technicité qu’engendre l’appréciation du caractère manifestement illicite de certaines des infractions visées par le texte. Le nombre de demandes potentielles et ces difficultés d’appréciation sont par ailleurs incompatibles avec le délai de 24 heures octroyé aux opérateurs concernés pour procéder au retrait. Enfin, les Sages n’ont pas manqué de relever le caractère démesuré de la sanction envisagée, laquelle est encourue pour chaque manquement et non en considération de leur répétition. Selon le Conseil, de telles dispositions auraient pu conduire les opérateurs à supprimer tous les contenus signalés sans en étudier le caractère manifestement illicite.
Sur les obligations de contrôle des contenus illicites
Pour censurer le dispositif de surveillance permanente et exhaustive mis à la charge des importants réseaux sociaux et des moteurs de recherche par les articles 4 et 5 le Conseil souligne que la plupart des obligations mentionnées par ces articles sont directement liées aux conditions de mise en œuvre de l’obligation de retrait de certains contenus institués par le paragraphe II de l’article 1er de la loi déférée. Par voie de conséquence, les Sages déclarent les articles 4 et 5 contraires à la Constitution. Ils censurent sur la même logique l’article 7 de la loi déférée lequel fixe les compétences du CSA pour veiller et encourager au respect des dispositions du paragraphe II de la loi « Avia ».
Sur la prévention des « sites miroirs »
Le Conseil constitutionnel censure également les articles 8 et 9 de la loi déférée lesquels déterminaient les conditions dans lesquelles l’administration pouvait solliciter d’un opérateur qu’il empêche l’accès à un site reprenant des contenus dont un juge aurait considéré qu’ils relevaient des infractions prévues par le paragraphe II de l’article 1er de la loi « Avia ». Toujours par voie de conséquence, les juges ont censuré ces dispositions en raison de la censure préalable de l’article 1er de la loi déférée.
Sur la méconnaissance de l’article 45 de la Constitution
Enfin, estimant que les articles 11 et 12 ont été amendés en première lecture sans que les dispositions ainsi introduites ne présentent de lien, même indirect, avec celles qui figuraient dans la proposition de loi déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale, le Conseil constitutionnel censure ces modifications adoptées selon une procédure contraire à la Constitution.
Pour aller plus loin : B. Nicaud, Censure de la loi « Avia » par le Conseil constitutionnel : non-conformité plus-que-partielle, Lexbase Pénal, juillet 2020 (N° Lexbase : N3986BYB). |
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