La lettre juridique n°212 du 27 avril 2006 : Délégation de service public

[Jurisprudence] "Jackpot" pour les nouveaux exploitants de casino !

Réf. : CE, 10 mars 2006, n° 264098, Commune d'Houlgate, Société d'exploitation du casino d'Houlgate (N° Lexbase : A4853DN3)

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par David Szymczak, Maître de conférences à l'IEP de Bordeaux, Membre du CRDE de Bordeaux

le 07 Octobre 2010

Près de cinquante ans après avoir été au centre de l'importante jurisprudence "Consorts Amoudruz" (CE, 23 mai 1958, Consorts Amoudruz), laquelle fondait la mise en jeu de la responsabilité pour faute simple des communes balnéaires dans leur activité de surveillance des plages, la commune d'Houlgate se trouve à nouveau sous les feux de l'actualité jurisprudentielle. Dans un arrêt du 10 mars 2006 "Commune d'Houlgate", le Conseil d'Etat confirme, en effet, l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 21 novembre 2003 (CAA Nantes, 4ème ch., 21 novembre 2003, n° 01NT01893, Société anonyme Groupe Emeraude N° Lexbase : A2036DBZ), annulant la délibération du 18 août 2000 du conseil municipal qui retenait l'offre de la SECH (ancien délégataire du casino local) au détriment de la Société Groupe Emeraude (nouvelle postulante), pour non-respect du principe d'égal accès des candidats "casinotiers" au contrat. A l'origine de cette affaire, la possibilité pour Houlgate, commune balnéaire, d'ouvrir un casino en vertu de la loi du 15 juin 1907, réglementant le jeu dans les cercles et les casinos des stations balnéaires, thermales et climatiques (N° Lexbase : L8161D7E). Inventés à Venise (par Giacomo Casanova, selon le mythe...), les casinos sont, de par la réglementation qui leur est appliquée, au coeur de ce que l'on pourrait qualifier de "schizophrénie administrative", entre ouverture à la concurrence et limitation de l'offre de jeux. Afin de mieux comprendre cette situation, il convient de retracer l'historique de la réglementation des jeux d'argent. Apparus en France au XVIIIème siècle, les jeux de hasard et d'argent des casinos, rapidement considérés comme des activités immorales, sont interdits dès 1804 par le Code pénal et, actuellement, par la loi n° 83-628 du 12 juillet 1983, relative aux jeux de hasard (N° Lexbase : L0919HUL), qui sanctionne pénalement le non-respect de l'interdiction des jeux d'argent dans les lieux publics. Par dérogation, ils sont cependant tolérés et réglementés pour les villes ou stations classées balnéaires, thermales ou climatiques (il en existe 260 de ce type en 2005 ; voir, Conseil de la concurrence, 13 mai 2005, décision n° 05-D-20, relative à une saisine de la société Le casino du Lac de la Magdeleine N° Lexbase : X1109ADG). A ces dérogations, doit aussi être ajoutée l'autorisation, donnée par la loi n° 87-306 du 5 mai 1987 modifiant certaines dispositions relatives aux casinos autorisés (N° Lexbase : L1106HIS), d'introduire dans les casinos, à côté des jeux de table traditionnellement déficitaires, des "machines à sous" dont l'exploitation a incontestablement re-dynamisé un secteur en déclin (pour plus de détail, voir B. Matthieu, Les jeux d'argent et de hasard en droit français, Petites affiches, 8 janvier 1999, pp. 8-15). Ce regain d'activité a généré une nette augmentation du nombre des casinos et, corrélativement, des postulants à l'implantation, c'est-à-dire tant des sociétés exploitantes, que des communes ainsi assurées de confortables ressources (elles peuvent, en effet, prélever 15 % du produit brut des jeux) et de retombées en terme d'activités touristiques. Constitutifs d'une importante manne financière, mais parallèlement perçus comme moralement peu recommandables, les jeux d'argent justifient de ce fait une surveillance particulière. Limités en nombre, les casinos font donc l'objet d'une police spéciale assurée par le ministère de l'Intérieur, mais sont aussi considérés comme des services publics depuis l'arrêt du Conseil d'Etat du 25 mars 1966 (CE Contentieux, 25 mars 1966, n° 46504, Ville de Royan et société anonyme de Royan et Couzinet N° Lexbase : A7093B89, Rec. 237), confirmé depuis lors (voir, notamment, CE, sect. Intérieur, avis du 4 avril 1995, n° 357274 N° Lexbase : L1109HIW ; et, pour des précisions sur le régime applicable à ce titre, CE 9° et 10° s-s., 3 octobre 2003, Commune de Ramatuelle N° Lexbase : A6510C9Y).

Ceci explique, d'une part, que la création et l'exploitation d'un casino fassent l'objet d'une procédure d'appel d'offre qui respecte les prescriptions de la loi du 29 janvier 1993, dite "loi Sapin" (loi n° 93-122 du 29 janvier 1993, relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques N° Lexbase : L8653AGL, insérée à l'article L. 1411-2 du Code général des collectivités territoriales N° Lexbase : L8316AAA), laquelle prescrit des obligations de publicité et de transparence incarnées, notamment, dans l'égalité d'accès au contrat des candidats. D'autre part, cette procédure impose l'obtention, après conclusion du contrat entre la commune et la société retenue, d'une autorisation d'exploitation délivrée par le ministre de l'Intérieur dans le cadre de la police spéciale des jeux, pour une période maximum de cinq ans, assortie de mesures de surveillance et de contrôle. Or, la pratique ministérielle veut que ne soit accordée à un nouvel exploitant qu'une autorisation partielle, la première année, sur les seuls jeux de tables, à l'exclusion des "machines à sous". Cette période probatoire n'est pas opposée, en revanche, aux sociétés déjà exploitantes lors du renouvellement de leur autorisation. Justifiée au nom de nécessités d'ordre public, cette différenciation s'avère, en fait, discriminatoire eu égard à l'interdépendance des exigences en matière de délégation de casino où, "sans contrat il n'y a pas d'autorisation" et "sans autorisation pas de contrat" (I). C'est ce noeud Gordien que tranche finalement l'arrêt présentement commenté. En partant de principes tout à fait classiques en droit administratif, le Conseil d'Etat donne, dès lors, une nouvelle orientation à la pratique des délégations de casino (II).

I. L'imbrication problématique des règles de police et de concurrence dans le cadre des délégations de casino

Que ce soit dans l'arrêt précité de la cour administrative d'appel de Nantes (AJDA, 22 décembre 2003, p. 2366, note C. Jacquier) ou dans celui du Conseil d'Etat, la combinaison ou la conciliation des règles de concurrence et des règles de police spéciale n'est évidemment pas une nouveauté. Le rappel selon lequel "l'application des règles relatives à la police spéciale des casinos ne doit pas avoir pour effet de conduire à empêcher, restreindre ou fausser le jeu de la concurrence sur un marché" est désormais classique. Ce qui fonde l'un des intérêts de cette jurisprudence c'est, en revanche, l'influence déterminante des conséquences pour une commune délégante de la pratique administrative de l'année probatoire. L'aspect factice ainsi conféré aux procédures de concurrence n'est finalement pas le fait des communes qui se trouvent plutôt captives d'une logique dévoyée ab initio.

  • La subordination biaisée de l'autorisation d'exploitation à la conclusion du contrat

Dans le cadre de la procédure de délégation de casino engagée par la commune d'Houlgate, la société Groupe Emeraude, nouvel exploitant, avait présenté sa candidature mais, avertie dès le début de la procédure de passation par les services compétents du ministère de sa soumission à l'année probatoire, elle en avait informé la commune en lui proposant une indemnisation compensatrice. Il faut noter, ici, que cette pratique est bien connue (voir, en ce sens, Cour des Comptes, Rapport public 2001, dénonçant l'opacité des avis de la Commission supérieure des jeux CSJ) et que cette prime au sortant désavantage tant le "challenger entrant", que la commune, captive en quelques sorte de renouvellements unilatéraux (voir, en ce sens, les observations de B. Jorion, Les délégations de casinos, Droit administratif, n° 1, janvier 2005 ; ainsi que S. Denaja, Casinos et concessions de service public, Contrats publics, Mélanges en l'honneur du Professeur Michel Guibal, Vol. 1, pp. 668 et s.).

  • Le lien entre continuité d'exploitation du service et ampleur de l'autorisation

Tout d'abord, il convient de rappeler que, dans le cas d'un ancien exploitant qui perdrait son autorisation, la commune délégante est autorisée à mettre fin au contrat de concession (CE, 4 juillet 1984, n° 51179, Société d'exploitation du casino de Luchon N° Lexbase : A7642ALM). La valeur marchande d'un casino réside donc bien dans l'autorisation d'exploiter les jeux (B. Jorion, Les délégations de casinos, op. cit.). Partant, il serait hypocrite de reprocher, du moins du point de vue de la rationalité économique, à la commune d'Houlgate d'avoir écarté l'offre de la Société Groupe Emeraude dans la mesure où, d'une part, et comme indiqué en introduction, l'essentiel des gains d'un casino (90 %) est fourni par les "machines à sous". D'autre part, et dans la logique de la reconnaissance du caractère de concession de service public aux concessions de casino, via les activités d'animation culturelle et touristique censées être assurées par ces derniers, la commune d'Houlgate avait cru pouvoir avancer l'insuffisance de la compensation financière "eu égard au risque de désaffection définitif de la clientèle de son casino si les machines à sous n'étaient pas exploitées ou y étaient exploitées en moins grand nombre durant une certaine période" (CAA Nantes, 21 novembre 2003). La cour d'appel avait alors considéré qu'il était illégal de tenir compte de l'avantage du renouvellement complet d'autorisation de jeu tiré de la qualité de précédent délégataire. Il fallait, donc, en déduire que l'égal accès des candidats au contrat avait été faussé, mais le paradoxe apparent -lié à une éventuelle hiérarchie entre mesures de police spéciales et règles de concurrence- restait posé, de même que la validité de la pratique de la période probatoire.

II. La résolution du paradoxe apparent : des principes classiques au service d'une nouvelle orientation

En réalité la question est bien moins manichéenne que ne le laissent supposer certains commentaires de solutions antérieures (voir CE, 3 octobre 2003, Commune de Ramatuelle, préc., dans lequel le juge, au sujet de la détermination de la durée des délégations de casino, a fait prévaloir les dispositions de la police spéciale des jeux sur les règles législatives de la loi "Sapin", dont on rappellera, qu'en l'espèce, elle fixe une durée empirique liée "à l'appréciation de la nature et du montant de l'investissement à réaliser" - CGCT, art. L. 1411-2). Le mouvement jurisprudentiel actuel, tant au niveau national qu'au niveau communautaire, n'est pas marqué par un antagonisme entre de "vertueux objectifs de police" et de "complaisantes procédures de marché". La solution ici donnée par le Conseil d'Etat s'inscrit dans cette lignée d'arrêts où, faute de trouver des règles spécifiques susceptibles de prévoir toutes les situations, juge et requérants utilisent des principes classiques. L'arrêt du 10 mars 2006 marque en ce sens le primat du principe d'égalité et l'importance des règles de proportionnalité et de transparence.

  • Le principe d'égalité

Confirmant l'analyse de la cour administrative d'appel de Nantes, le Conseil d'Etat rappelle le principe d'égal accès des candidats à l'octroi de la délégation et constate, au vu des circonstances ayant guidé le choix de la commune délégante, l'illégalité d'une délibération fondée sur une pratique administrative elle-même illégale, puisqu'elle fausse "le jeu de la concurrence [...] en limitant de façon excessive l'accès à ce marché". Ce recours au principe d'égalité est, désormais, une constante en matière d'action économique (voir CE avis du 22 novembre 2000, n° 223645, Société L&P Publicité SARL N° Lexbase : A9638AHG). Il convient d'y voir une application de principes généraux, en dehors du recours à tout autre principe plus spécifique. C'est également la logique suivie par la Cour de justice des Communautés européennes dans l'arrêt "Telaustria" (CJCE, 7 décembre 2000, aff. C-324/98, Telaustria Verlags GmbH et Telefonadress GmbH c/ Telekom Austria AG, en présence de Herold Business Data AG N° Lexbase : A1916AWU) dans lequel, bien que certains contrats soient exclus du champ d'application des Directives marchés publics dans le secteur des télécommunications, la cour de Luxembourg a pris soin de préciser que "les entités adjudicatrices les concluant sont, néanmoins tenues de respecter les règles fondamentales du traité en général".

  • Proportionnalité et transparence

La solution finalement retenue par le Conseil d'Etat a les vertus et, vraisemblablement, les vices de la simplicité. Elle ne remet pas en cause l'existence de la police spéciale des jeux ni même ses finalités. Elle reporte plutôt l'attention sur les critères de proportionnalité propres à toute mesure de police et à son caractère approprié nonobstant son objet spécifique. Ainsi, quel que soit le contexte, seul le respect de principes fondamentaux doit guider le choix du délégataire et, en "l'absence de justifications suffisantes tirées des nécessités de l'ordre public", aucune mesure ne peut "porter atteinte de façon excessive" à l'égalité des candidats. Au titre de ces principes de proportionnalité et de transparence, est-il nécessaire de rappeler que, là encore, la CJCE a admis, au fil d'une jurisprudence construite et mesurée, la limitation non discriminatoire des jeux de hasard dans un objectif double de protection des consommateurs et de l'ordre social (voir, en particulier, CJCE, 21 septembre 1999, aff. C-124/97, Markku Juhani Läärä, Cotswold Microsystems Ltd et Oy Transatlantic Software Ltd c/ Kihlakunnansyyttäjä (Jyväskylä) et Suomen valtio (Etat finlandais) N° Lexbase : A1690AWI, sur les "machines à sous" finlandaises).

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