La lettre juridique n°212 du 27 avril 2006 : Collectivités territoriales

[Le point sur...] L'attribution par les collectivités territoriales de subventions aux structures locales des organisations syndicales

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le 07 Octobre 2010

Le régime des subventions de fonctionnement octroyées par des collectivités territoriales à des structures locales d'organisations syndicales a fait l'objet de deux interventions récentes du ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du territoire, interrogé, sur ce point, par un membre du Sénat et un membre de l'Assemblée nationale. Dans une question posée le 5 mai 2005, réitérée le 15 décembre 2005, car demeurée sans réponse, le sénateur Jean-Louis Masson demande au ministre de l'Intérieur si un conseil général a le droit d'allouer des subventions de fonctionnement aux fédérations départementales d'organisations syndicales et, le cas échéant, si la clé de répartition entre les différentes fédérations départementales doit être proportionnelle à leur importance respective, ou si elle relève du libre choix de la collectivité. Parallèlement, dans une question publiée le 6 décembre 2005, la députée Marie-Jo Zimmermann attire l'attention du même ministre sur le fait que le décret n° 2005-849 du 25 juillet 2005, relatif à l'attribution par des collectivités territoriales de subventions de fonctionnement aux structures locales des organisations syndicales représentatives (N° Lexbase : L8947G9A), permet aux collectivités d'octroyer des subventions de fonctionnement aux structures locales des organisations syndicales représentatives. Elle le sollicite, alors, pour avoir des précisions sur les "organisations syndicales représentatives" et obtenir des indications sur les garde-fous permettant d'éviter que lesdites subventions ne soient entachées de partis pris politiques ou autres. Les deux réponses du ministre publiées, respectivement, le 23 février 2006 dans le Journal officiel du Sénat et le 21 février 2006 dans celui de l'Assemblée Nationale, dressent un tableau de la législation et de la réglementation applicables, ainsi que de la jurisprudence dégagée en la matière (1). Tout d'abord, il rappelle au sénateur Masson que l'article 216 de la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002, de modernisation sociale, pose le principe selon lequel l'ensemble des collectivités territoriales est autorisé à verser des subventions aux structures locales des organisations syndicales (N° Lexbase : L1304AW9). Les dispositions du Code général des collectivités territoriales codifiant l'article 216 définissent précisément ce droit : les articles L. 2251-3-1 (N° Lexbase : L1825GU7), L. 3231-3-1 (N° Lexbase : L1862GUI) et L. 4253-5 (N° Lexbase : L1977GUR) du Code autorisent, ainsi, respectivement, les communes et groupements de communes, les départements et, enfin, les régions, à attribuer des subventions de fonctionnement aux structures locales des organisations syndicales représentatives.

Les réponses apportées par le ministre visent à préciser quels sont les critères d'attribution desdites subventions (I), déterminer le degré d'appréciation de la collectivité, au regard de la jurisprudence (II) et enfin sérier la procédure applicable (III).

I. Les critères d'attribution de subventions de fonctionnement à des structures locales d'organisations syndicales

Dans la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002, le législateur ne dégage aucun critère lié à la définition des structures syndicales susceptibles de recevoir des subventions de collectivités territoriales, renvoyant à un décret d'application pour l'appréciation des conditions et des modalités d'attribution. Le décret n° 2005-849 du 25 juillet 2005, codifié dans les articles R. 2251-2 (N° Lexbase : L7903HBC), R. 3231 (N° Lexbase : L7905HBE) et R. 4253-4 (N° Lexbase : L7912HBN) du Code général des collectivités territoriales, énonce des conditions précises. En premier lieu, les entités recevant des subventions doivent impérativement être dotées de la personnalité morale. Elles doivent, en second lieu, être suffisamment représentatives (1) et exercer des missions d'intérêt général sur le plan local (2).

1. Le critère de représentativité

Aux termes du décret n° 2005-849, les structures locales d'organisations syndicales pouvant recevoir des subventions de la part de collectivités territoriales doivent être des entités représentatives. La question de la députée Marie-Jo Zimmermann porte sur la définition même de ce critère de représentativité. Le ministre, reprenant les dispositions législatives applicables, rappelle qu'en application de l'article L. 133-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5695ACW), la représentativité des organisations syndicales est déterminée d'après cinq critères : les effectifs ; l'indépendance (notamment financière) ; les cotisations ; l'expérience et l'ancienneté du syndicat ; ainsi que l'attitude patriotique pendant l'Occupation. Certains syndicats bénéficient d'une présomption irréfragable de représentativité. Cinq organisations ont, ainsi, été déclarées représentatives de droit au plan national, par un arrêté du 31 mars 1966 : la Confédération Générale du Travail (CGT) ; la Confédération Générale du Travail - Force ouvrière (CGT-FO) ; la Confédération française démocratique du travail (CFDT) ; la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) et la Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC). Tout syndicat affilié à l'une de ces cinq organisations est considéré comme représentatif de droit.

La jurisprudence a dégagé des critères supplémentaires liés à l'activité réelle du syndicat, l'étendue et l'efficacité de son action, la capacité à mobiliser les salariés et l'audience de la structure (2). Dans un arrêt du 3 décembre 2002, la Cour de cassation a développé une jurisprudence extrêmement claire, en dégageant des critères permettant d'attester la représentativité d'organisations syndicales ne bénéficiant pas de la présomption irréfragable. Le juge judiciaire se fonde essentiellement sur l'influence de l'organisation syndicale (3). Déjà, dans un arrêt du 18 décembre 2000, la Cour de cassation avait précisé que l'influence d'un syndicat pouvait se caractériser par "la diffusion de tracts, la demande de négociations et une instance en annulation d'élections professionnelles" (4). Il ressort, donc, de la jurisprudence que deux critères doivent être retenus de manière prépondérante : l'indépendance, critère légal, et l'influence, critère prétorien (5).

2. L'exercice de missions d'intérêt général sur le plan local

Les dispositions du décret n° 2005-849 fixent, comme critère essentiel à l'attribution de subventions à une structure syndicale locale, que ledit organisme remplisse des missions d'intérêt général sur le plan communal, intercommunal, départemental ou régional. Le décret demeure, toutefois, silencieux quant à une éventuelle appréciation ou classification de ces missions d'intérêt général. Les collectivités peuvent-elles opérer leur choix en fonction des missions exercées par les différentes structures syndicales susceptibles de recevoir une subvention de fonctionnement ?

Le Conseil constitutionnel est intervenu sur ce point avant même l'adoption du décret, lors du contrôle de constitutionnalité de la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002. Il a, ainsi, jugé que le texte qui lui était soumis "ne saurait avoir pour effet d'autoriser une assemblée locale à traiter inégalement les structures locales des organisations syndicales représentatives également éligibles à l'octroi de telles subventions du fait des missions d'intérêt général qu'elles remplissent au plan local" (6).

Le Conseil d'Etat a, quant à lui, précisé la latitude de libre appréciation dont disposent les collectivités pour attribuer des subventions aux structures locales d'organisations syndicales représentatives. Les conventions conclues par les collectivités avec les organisations concernées peuvent dégager des critères affinant les conditions générales posées par le législateur. Ainsi, la collectivité peut déterminer un certain nombre de préoccupations prioritaires d'intérêt local, ce qui lui permettra d'attribuer les subventions suivant un ordre de priorité bien précis. La décision d'attribution ne sera pas contraire à la réglementation en vigueur dès lors qu'aucun traitement inégal n'est opéré entre structures effectuant des missions d'un intérêt local équivalent selon la grille de la collectivité. Dans l'arrêt "Commune d'Argentan" du 4 avril 2005, le Conseil d'Etat a, ainsi, jugé que des subventions, allouées à des unions syndicales locales, finançant diverses actions de caractère social correspondant à des préoccupations d'intérêt local jugées prioritaires par la commune et bénéficiant au public local, n'étaient pas illégales (7).

II. Le degré d'appréciation de la collectivité au regard de la jurisprudence

Le second volet de la question de la députée Marie-Jo Zimmermann soulève une inquiétude légitime, celle d'attributions partisanes ou, pour le moins, inéquitables de subventions par des collectivités à des structures syndicales. La parlementaire s'interroge, donc, sur l'existence de garde-fous permettant d'éviter de tels débordements.

La jurisprudence du Conseil Constitutionnel, déjà citée, montre clairement que les collectivités ne peuvent décider arbitrairement d'attribuer des subventions à des organisations syndicales pour des raisons de pure opportunité. L'interdiction posée de traiter inégalement les structures locales des organisations syndicales représentatives également éligibles à l'octroi de subventions s'impose à l'ensemble des collectivités locales, lesquelles disposent, donc, en la matière, d'une compétence liée et non d'un total pouvoir discrétionnaire. Dès lors que les conditions fixées par le législateur et précisées par le pouvoir réglementaire sont réunies, les autorités territoriales ne peuvent écarter, de manière arbitraire, une structure au profit d'une autre, toutes deux étant également éligibles.

Cette nécessaire objectivité et le respect requis d'une stricte égalité entre les organisations candidates interdit l'attribution de subventions pour des motifs politiques. Une jurisprudence ancienne et régulièrement confirmée va en ce sens. Dans un arrêt de 1941, le Conseil d'Etat affirmait, d'ores et déjà, l'interdiction d'octroyer des aides à caractère politique (8). Deux arrêts plus contemporains, du 28 octobre 2002 (9) et du 4 avril 2005 (10) réaffirment le caractère illégal de subventions accordées à des structures syndicales pour des motifs politiques. A contrario, dans un arrêt du 25 octobre 1957, le Conseil d'Etat a logiquement considéré comme légale la subvention allouée par une commune à la section locale de l'"Union des travailleurs de France", en raison de l'"objet principalement social sur le plan local" poursuivi par cette section, la motivation n'ayant aucun objet politique (11).

Par ailleurs, le Conseil d'Etat a dégagé le principe selon lequel une subvention accordée ne doit pas viser à apporter un soutien financier dans le cadre d'un conflit social. Ainsi, dans son arrêt "Commune d'Aigues-Mortes" du 20 novembre 1985, le juge administratif a estimé que le fait que la commune accorde une subvention à une structure syndicale dans le but de manifester sa solidarité à l'égard de travailleurs en grève d'une importante entreprise de la commune était illégal car constitutive d'une aide apportée à une partie dans un litige social (12). De même, la création, en faveur du personnel communal en grève, d'un fonds de solidarité géré par l'association "Entraide du personnel communal" et le fait de lui allouer une dotation est illégal car s'assimile à une intervention directe dans un conflit collectif du travail en apportant un soutien financier à l'une des parties en litige (13). L'arrêt "Commune d'Argentan" de 2005 confirme, également, cette jurisprudence.

III. Les obligations des deux parties dans le cadre de la procédure d'attribution

Selon les termes du décret n° 2005-849, tel que codifié dans le Code général des collectivités territoriales, les subventions doivent être attribuées par délibération de l'assemblée de la collectivité concernée. Une convention doit, ensuite, être conclue par la collectivité avec les structures locales des organisations syndicales représentatives, conformément à l'article 10, alinéa 3, de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 modifiée, relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations (N° Lexbase : L0420AIE). Le décret n° 2001-495 du 6 juin 2001 (N° Lexbase : L1102HIN) précise, dans son premier article, que l'obligation de conclure une convention s'applique aux subventions dont le montant annuel dépasse la somme de 23 000 euros. Ces conventions permettent de préciser les modalités de versement des subventions attribuées.

Enfin, l'article 10 de la loi n° 2000-321 modifiée fixe l'obligation de dépôt de la délibération et de la convention auprès de la Préfecture. En application de l'article 2 du décret n° 2001-495, l'obligation de dépôt s'applique aux subventions dont le montant annuel dépasse la somme de 153 000 euros. Les actes d'attribution de subventions ne sont exécutoires qu'après publication et notification aux intéressés mais également transmission au représentant de l'Etat (14).

Notons, pour terminer, que les structures bénéficiant des subventions allouées par l'assemblée communale, départementale ou régionale doivent, elles aussi, respecter des obligations légales et réglementaires. Elles ont, d'une part, l'interdiction de reverser leurs subventions à d'autres personnes morales ; d'autre part, elles doivent rendre compte de l'utilisation des subventions dans un rapport mentionné aux articles L. 2251-3-1 (N° Lexbase : L1825GU7), L. 3231-3-1 (N° Lexbase : L1862GUI) et L. 4253-5 (N° Lexbase : L1977GUR) du Code général des collectivités territoriales.

Les collectivités territoriales peuvent, donc, accorder des subventions de fonctionnement aux structures locales d'organisations syndicales. Mais elles doivent effectuer la répartition des subventions dans le respect de critères précis dégagés, à la fois, par le législateur et la jurisprudence. Pour être éligibles, les organisations syndicales doivent être dotées de la personnalité morale, être suffisamment représentatives et exercer des missions d'intérêt général sur le plan local ; en outre, la commune ne doit pas accorder de subventions pour des motifs politiques ou dans le but de soutenir une partie dans un conflit collectif de travail.


Florence Nguyen-Rouault
Docteur en droit, Attaché territorial



(1) JO Sénat du 23 février 2006, n° 17469, p. 502 (N° Lexbase : L1091HIA) ; JOAN du 21 février 2006, n° 79691, p. 1902 (N° Lexbase : L1095HIE).
(2) La Cour de cassation s'est, ainsi, fondée sur l'audience électorale, c'est-à-dire sur l'influence exercée sur les salariés, mesurée en fonction des résultats obtenus aux diverses élections professionnelles, pour apprécier la représentativité d'un syndicat (voir, Cass. soc., 12 février 1985, n° 84-60.857, Saint-Cas, Figarede, Landais c/ Mme Thomas, Mme Chastenet, Mme Renaut N° Lexbase : A3862AG7).
(3) Cass. soc., 3 décembre 2002, n° 01-60.729, Caisse d'épargne et de prévoyance d'Alsace c/ Syndicat sud Caisse d'épargne (N° Lexbase : A1569A4U).
(4) Cass. soc., 18 décembre 2000, n° 99-60.472, société Abilis, société anonyme c/ M. Hachmi et autres (N° Lexbase : A9727ATG).
(5) Voir, sur ce point, l'article de Charlotte d'Artigue, Représentativité prouvée : la Cour de cassation revoit ses critères d'appréciation, Lexbase Hebdo, n° 51, 11 décembre 2002 - édition sociale (N° Lexbase : N5131AAB).
(6) Cons. const., n° 2001-455 du 12 janvier 2002, Loi de modernisation sociale (N° Lexbase : A7588AXC).
(7) CE 3° et 8° s-s-r., 4 avril 2005, n° 264596, Commune d'Argentan (N° Lexbase : A8473DHB).
(8) CE, 16 juillet 1941, Syndicat de défense des contribuables de Goussainville.
(9) CE 9° et 10° s-s-r., 28 octobre 2002, n° 216706, Commune de Draguignan c/ Mme Lalanne (N° Lexbase : A3701A3H) : l'affaire visait une subvention de fonctionnement à la section locale d'une association, la LICRA -Ligne internationale contre le racisme et l'antisémitisme-, mais il semble que la jurisprudence puisse être étendue à des structures syndicales professionnelles.
(10) CE 3° et 8° s-s-r., 4 avril 2005, n° 264596, Commune d'Argentan (N° Lexbase : A8473DHB).
(11) CE Ass., 25 octobre 1957, Commune de Bondy.
(12) CE contentieux, 20 novembre 1985, n° 57139, Commune d'Aigues-Mortes (N° Lexbase : A3317AMS) ; voir, dans le même sens, CE contentieux, 11 octobre 1989, n° 89325, Commune de Gardane (N° Lexbase : A1719AQQ).
(13) CE contentieux, 12 octobre 1990, n° 91325, Commune de Champigny sur Marne (N° Lexbase : A6091AQN).
(14) Depuis la loi n° 2004-809 du 13 août 2004, relative aux libertés et responsabilités locales, la transmission peut s'effectuer par voie électronique (N° Lexbase : L0835GT4).

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