La lettre juridique n°164 du 21 avril 2005 : Sociétés

[Jurisprudence] Société civile immobilière et appel public à l'épargne : le juge au coeur de la qualification de démarchage

Réf. : Cass. com., 8 mars 2005, n° 03-17.879, Société civile immobilière (SCI) Holdimmo c/ M. François Fortin, F-D (N° Lexbase : A2594DHK)

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par Jean-Baptiste Lenhof, Maître de conférences à l'ENS - Cachan Antenne de Bretagne, Membre du centre de droit financier de l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)

le 07 Octobre 2010


Alors que la notion d'appel public à l'épargne n'est, selon la doctrine, "pas loin de constituer l'une des summa divisio les plus importantes du droit des sociétés" (F.-G. Trébulle, L'émission de valeurs mobilières, Economica, 2002, n°41, p. 64), elle fait pourtant, rarement, l'objet de décisions de la Cour de cassation. L'arrêt rendu le 8 mars dernier par la Chambre commerciale, qui confirme un arrêt de la cour d'appel de Caen (du même auteur, note sous arrêt, Droit des sociétés, août-septembre 2003, p. 12 et 13), apparaît ainsi constituer un micro évènement dans la construction jurisprudentielle relative à l'offre de titres au public.

Le 14 novembre 1994 des époux se portent acquéreurs de trois titres de la société civile Holdimmo (la SCI) qui vient de faire l'objet d'une augmentation de capital le 15 avril précédent. Ces titres leurs sont cédés par la société Seater investissement, associée de la SCI. Une convention de compte courant est par ailleurs conclue, à la même époque, entre cette dernière et les acquéreurs. Les époux manifestent par la suite, en 1996 et 1997, leur intention de se retirer de la SCI. Celle-ci les assigne par acte du 16 octobre 1998 en paiement d'une somme de 90 000 francs (13 720 euros) correspondant à des appels de fonds non acquittés et les époux invoquent, alors, la nullité de la cession pour violation des dispositions interdisant aux sociétés civiles de faire appel public à l'épargne (APE).

Ils obtiennent gain de cause en première instance, solution que confirme la cour d'appel de Caen le 13 mai 2003 (CA Caen, ch. civ., 13 mai 2003, n° 00/03418, SCI Holdimmo c/ Monsieur François Fortin et Madame Françoise Certain N° Lexbase : A5084DHR). La SCI forme, alors, un pourvoi en invoquant, essentiellement, l'absence de démarchage et, partant, d'appel public à l'épargne.

La question posée à la Cour de cassation portait ainsi sur le point de savoir si les circonstances entourant la cession des parts (et surtout les modalités de l'offre de cession) pouvaient être constitutives d'un APE, non pas sous le régime actuel, qui relève maintenant de l'article L. 411-1 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L9395DYM), mais sous l'empire de l'article 72 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 (N° Lexbase : L2256G83). Il convient donc de mesurer l'importance de cette jurisprudence dans le contexte réglementaire et jurisprudentiel de l'époque, puisque les agissements à l'origine de l'affaire avaient été constitués avant que le législateur ne définisse l'appel à l'épargne de façon précise par la loi du 2 juillet 1998 portant diverses dispositions d'ordre économique et financier (loi DDOEF, n° 98-546 N° Lexbase : L2261G8A).

Pour autant, la décision rendue par la Cour de cassation est importante, dans le sens où ces nouvelles règles, si elles avaient eu à être appliquées, auraient été sans influence sur le raisonnement retenu. L'arrêt, en effet, tout en permettant de retracer l'évolution de la définition de l'appel public à l'épargne (I) à travers les différents arguments invoqués par l'auteur du pourvoi, contribue à mieux cerner la notion de démarchage qui en est l'un des éléments constitutif (II).

I - L'arrêt du 8 mars 2005 face à l'évolution de la notion d'appel public à l'épargne

La soumission de la SCI au régime de l'APE (A) constituait une question préalable à l'analyse des activités de commercialisation entreprises, analyse destinée à établir la qualification de démarchage (B).

A - La question de la soumission de la SCI au régime légale applicable à l'APE

Conçue et imaginée à l'origine pour les marchés financiers, la notion d'appel public à l'épargne, emporte un régime spécifique qui ne concerne, en principe, que les seules sociétés commerciales. En effet, la disposition est apparue suffisamment importante pour qu'elle figure dans le Code civil à l'article 1841 (N° Lexbase : L2012AB7). Il en résulte que les sociétés dont la forme ne permet pas l'APE encourent la nullité des contrats conclus ou des titres émis en violation de cette disposition. C'est ainsi que les seules sociétés anonymes et en commandite par actions ont été autorisées par la loi de 1966 à faire appel à l'épargne. Toutefois, le législateur a étendu progressivement les catégories de personnes habilitées à recourir à ce mode de financement. En vertu de textes spécifiques, cette faculté a été élargie à diverses formes de sociétés, et, notamment, aux sociétés civiles de placement immobilier (SCPI et sociétés d'attribution) dont l'objet est d'acquérir un patrimoine immobilier dans un but lucratif.

En l'espèce, la SCI requérante était bien une société civile mais son objet social ne pouvait être comparé à celui des sociétés précitées, car il apparaissait trop large "pour bénéficier du régime dérogatoire" (F.-G. Trébulle, Droit des sociétés, août-septembre 2003, p.12, à propos de l'arrêt d'appel). Ainsi, au regard du droit positif, la sanction des agissements de la SCI, s'il était démontré que l'appel public à l'épargne était constitué, aurait dû aboutir au prononcé de la nullité des actes de cession. L'argumentation principale de l'auteur du pourvoi portait donc, fort opportunément, sur la contestation de la qualification des actes matériels ayant entouré les offres de cession de titres.

La question était ainsi posée au juge de cassation, dans la première branche du moyen, de l'existence même du démarchage, puisque ce dernier conditionnait la soumission des cessions au régime de l'appel public à l'épargne. Le principe posé par l'article 72 de la loi du 24 juillet 1966, dans sa rédaction reprise à l'article 96 de la loi de modernisation des activités financières du 2 juillet 1996 (loi n° 96-537 N° Lexbase : L2263G8C) est en effet que : "sont réputées faire publiquement appel à l'épargne les sociétés dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé, à dater de cette inscription ou qui, pour le placement des titres, quels qu'ils soient, ont recours soit à des établissements de crédit, soit à des établissements mentionnés à l'article 99 de la loi n° 84-16 relative à l'activité et au contrôle des établissements de crédit (anciennes maisons de titres) ou sociétés de bourse (entreprises d'investissement), soit à des procédés de publicité quelconque, soit au démarchage".

Ainsi, la loi ne posait, à l'époque des faits, qu'un ensemble de présomptions légales résultant, dans l'espèce examinée, du recours par cette société à des techniques de placement consistant dans la publicité, le démarchage ou le concours de certains intermédiaires financiers. Appliquée à l'affaire, la mise en oeuvre de l'ensemble des textes susvisés aboutissait donc à la solution suivante : si de tels actes pouvaient être établis, la SCI pouvait être soumise au régime de l'APE mais, l'appel public étant interdit aux sociétés ayant sa forme sociale, la cession des titres encourait la nullité. Le problème de fond reposait donc sur la démonstration de l'existence d'actes de démarchage.

B - La question du démarchage dans la notion d'appel public à l'épargne

La SCI soutenait, dans la première branche de son moyen, que la cession de parts sociales effectuée par un associé, par le biais de l'un de ces procédés, n'est pas constitutive d'un appel public à l'épargne. En effet, elle était en mesure d'établir que ce n'était pas elle qui avait cédé les parts aux époux X, mais un de ses associés, ce qui -selon la société- excluait l'application du régime de l'APE. En d'autres termes, elle plaidait l'appel dissident, c'est à dire la situation dans laquelle l'offre faite au public soumet la société au régime de l'APE, alors même que cette offre émane d'un actionnaire sur lequel elle n'exerce, en principe, aucun contrôle.

Elle soutenait par ailleurs, dans la deuxième branche de son moyen -et ces arguments constituent le pendant pratique de ce qui précède- que le démarchage, s'il pouvait être caractérisé, n'était pas de son fait. Ayant été réalisé par un associé, la SCI ne pouvait être impliquée dans un éventuel appel public à l'épargne. Enfin, dans la troisième branche du moyen, elle reprochait à la cour d'appel de ne pas avoir caractérisé en quoi la décision d'augmenter le capital était de nature a établir que la société Agern, démarcheur, avait agi pour le compte de la société Holdimmo.

La Cour de cassation fait, toutefois, rapidement justice de ces différents arguments en relevant que, bien que les époux X aient acquis les parts de la société Seater investissement, le juge d'appel avait retenu que la cession avait pour acteur et bénéficiaire la seule SCI, que les opérations de cession avait coïncidé avec l'augmentation du capital, que cette augmentation avait été réalisée par un associé fondateur de la SCI ; l'ensemble des documents contractuels étant établi au nom de cette dernière. Le constat opéré au fond semblait donc, en l'espèce, suffisamment explicite : en dépit d'une indépendance juridique de façade, les dirigeants de la SCI pilotaient de facto les opérations de commercialisation des titres, la société participant à l'opération et en étant la principale bénéficiaire.

Il convient, toutefois, de souligner que cette solution n'était pas évidente à justifier pour le juge comme en atteste l'aboutissement d'une autre affaire qu'avait également eu à connaître la cour d'appel de Caen, le 4 décembre 2001. Circonstance qui est loin d'être anodine, elle concernait cette même société civile (qui décidément n'en était pas à son coup d'essai) dont les titres, dans le cadre d'une opération similaire, avaient été cédés à des tiers. L'APE n'avait pourtant pas pu être retenu à cette occasion, les allégations du requérant relatives à la façon dont il avait été démarché étant invérifiables, n'étant pas établi, par ailleurs, en quoi les actes de commercialisation présentaient un caractère habituel.

Tel n'était pas le cas dans l'espèce commentée puisque les opérations de commercialisation avaient été organisées après l'augmentation de capital, les demandeurs ayant pu établir avec précision le mode opératoire des vendeurs. On mesure, ainsi, l'importance des éléments de fait dans la qualification des actes susceptibles d'être soumis au régime de l'appel public à l'épargne : des éléments de preuve, d'abord ; du critère de répétition, ensuite, sans compter d'autres considérations puisque la cour d'appel avait pu relever le caractère équivoque des pratiques de la SCI, coutumière -comme nous l'avons vu- de divers embarras judiciaires. Cet arrêt donne ainsi l'occasion de souligner, si besoin était, que l'approche du démarchage laisse indiscutablement un pouvoir important au juge du fond, seul habilité à en relever les éléments substantiels.

II - Le démarchage, critère majeur de l'appel public à l'épargne

C'est, d'ailleurs, en partie en raison de l'insécurité juridique susceptible de découler des divergences d'appréciation des juges du fait sur la qualification du démarchage que les autorités boursières et judiciaires ont rapidement fait évoluer cette notion (A). Elle apparaît, notamment, grâce à cet arrêt, constituer un outil permettant de sanctionner des comportements qui se situent à la frange de l'appel public à l'épargne (B).

A - L'évolution de la notion de démarchage en tant que critère de l'APE

Le rôle de la jurisprudence a été primordial pour apprécier la notion d'appel public à l'épargne, dans un contexte législatif et réglementaire basé, jusqu'à une période récente, sur un régime de présomptions. Dans l'ensemble, la jurisprudence (voir à ce titre, le rapport au Sénat n° 413 présenté par M. le Sénateur Marini le 29 avril 1998 en préparation au vote de la loi DDOEF de 1998) a donné une interprétation extensive de la liste limitative énumérée par l'article 72 de la loi de 1966. Les juges ont, en effet, peu à peu considéré que le recours à des "démarcheurs spécialisés" ou à des "conseillers financiers", notions qui, à l'époque, ne pouvaient pas rentrer dans une catégorie définie par la loi, permettait de soumettre une société au régime de l'APE. Par la suite, il a même été admis que le recours à des intermédiaires professionnels au sens large était, en soi, une "mesure de publicité", c'est à dire une présomption d'APE aux termes de la loi susvisée.

Quant à cette notion de publicité, elle a été progressivement entendue de façon de plus en plus extensive puisque la Commission des opérations de bourse (COB) devait élargir le champ d'application du régime de l'appel public à l'épargne en décidant, qu'au-delà des techniques traditionnelles, il y avait publicité chaque fois que l'opération envisagée s'adressait à un "cercle de personnes n'ayant pas de liens personnels entre elles ou avec l'émetteur". Ces évolutions dont, au demeurant, l'utilité s'est trouvée justifiée par la protection de l'investisseur, n'ont pas pour autant permis de clarifier véritablement la définition de l'appel à l'épargne.

La teneur de la 4ème branche du moyen du pourvoi atteste, en effet, de la possibilité, pour un requérant avisé, d'utiliser certains de ces critères pour tenter de s'affranchir du régime de l'APE. Dans son pourvoi, la SCI prétendait, à ce titre, que la proposition de souscription de parts sociales faite par une société à ses clients ou plus précisément, comme en l'espèce, par une association de gestion à ses membres, ne pouvait entraîner son application. En effet, il y aurait eu, selon elle, des relations "professionnelles" antérieures qui auraient uni la société (ou l'association de gestion) et les personnes contactées. Elle affirmait ainsi, qu'à supposer que la société Agern ait agi pour le compte de la société Holdimmo, la cour d'appel avait pu constater que la SCI entretenait auparavant des "liens professionnels" avec les époux X, acquéreurs des titres litigieux. Dès lors, toujours selon le moyen, même si ces personnes ne connaissaient pas personnellement le dirigeant mis en cause dans l'opération, ils avaient, du moins, été en relation avec la société. En tout état de cause, ils "connaissaient" personnellement Mme Y., présente lors de l'entretien qui devait déboucher sur la cession litigieuse de titres. En conséquence, Holdimmo rejetait la qualification de démarchage. On voit, ainsi, assez paradoxalement d'ailleurs, que le critère qui avait été utilisé pour élargir le régime de l'appel public à l'épargne pouvait être détourné pour restreindre le champ d'application de la présomption légale.

La Cour de cassation ne tranchera pas dans ce débat, ce qui au surplus l'aurait sans doute contraint à examiner les faits. Elle se contente, pour écarter les arguments précédents, de renvoyer à l'arrêt d'appel. Ce dernier mentionnait, d'abord, que les époux ne connaissaient pas Monsieur Z. avant sa visite commerciale du 26 septembre 1994 et, ensuite, qu'ils ne connaissaient pas les dirigeants et les associés de la SCI. C'est ainsi que la Cour en conclut que les juges du fond avaient légalement justifié leur décision et qu'elle considère que l'opération avait été réalisée pour le compte de la SCI par l'intermédiaire des sociétés Agern et Seater investissement.

L'aménagement des présomptions légales ne se limite, toutefois, pas aux seuls éléments avancés précédemment, et va fournir un nouvel argument aux requérants : l'impossibilité d'appliquer la notion d'appel public à l'épargne lorsque la commercialisation a été limitée à un "cercle restreint de personnes". Cette limitation, bien que d'apparition récente, repose sur un principe assez ancien, puisque c'est dès 1968 (bulletin mensuel de la COB, novembre 1969) que la COB considérera que la notion d'APE devait être apprécié au regard de "l'étendue de la diffusion effective des titres dans le public". La soumission au régime de l'APE, dès lors que la diffusion des titres s'étend "au-delà d'un cercle restreint de personnes", est, toutefois, longtemps resté imprécise, le juge estimant qu'il s'agissait là d'une question de fait, insusceptible de faire l'objet d'une unification par la Cour de cassation, limitée qu'est cette dernière par ses compétences strictes de juge du droit. Face à l'insécurité juridique qui risquait d'en résulter et poussée par la nécessité d'adapter le droit des sociétés cotées aux standards internationaux, la COB délimitera précisément le champ d'application de l'APE en édictant le règlement n° 88-04 (du 6 juillet 1998 N° Lexbase : L4736A48) qui fixera le seuil de l'APE à 300 personnes, chiffre inspiré des critères du Securities and Exchange Committee, organe de régulation des marchés financiers américains.

Les requérant se faisaient ainsi fort, dans la cinquième branche de leur pourvoi, de prétendre que, la diffusion des offres ayant été réalisée dans un cercle inférieur à 300 personnes, elle : "excluait l'existence d'une opération d'appel public à l'épargne". La cour de Caen avait, en effet, décidé en appel que la société Holdimmo avait publiquement fait appel à l'épargne au motif qu'elle comptait 130 associés. La Cour de cassation, sur ce point, estimera cependant que les motifs de la cour d'appel étaient surabondants et se contentera de ce seul constat pour écarter l'argument. Pourtant, une interprétation stricte des textes précités aurait pu conduire à la solution inverse. Pourquoi écarter, alors, la cinquième branche du moyen comme l'a fait le juge du droit ? On peut en trouver la première justification dans certaines maladresses de l'arrêt qui lui était déféré, maladresses justement relevées à l'époque par la doctrine.

En effet, la cour d'appel, en s'interrogeant sur l'existence de relations personnelles à caractère professionnel a été conduite à examiner la qualité des personnes démarchées. Ces dernières s'avéraient être des agriculteurs du Nord et de l'Ouest de la France, ce qui aurait pu permettre de conclure à l'absence de nature professionnelle des relations entretenues avec les sociétés mises en cause, celles-ci ne disposant que d'une dimension locale. Pourtant, la cour de Caen invoque, assez curieusement, l'absence d'intuitu personae résultant de la dispersion géographique des clients et du grand nombre d'associés, arguant qu'il s'agissait d'un élément "essentiel" à toutes les sociétés civiles. Le commentateur précité de l'arrêt d'appel relèvera ainsi que la cour développait là une conception fort curieuse de l'intuitu personae qui, en toute hypothèse, était de surcroît insusceptible de justifier une sanction. Malheureusement, c'est à l'occasion du développement -a priori inutile- de cet argument que la cour d'appel établira que les personnes concernées étaient au nombre d'une centaine, soit un nombre inférieur au seuil de 300 visé par la COB. La voie était donc ouverte, par ce biais, à un recours de la SCI.

Il était toutefois évident, que dans l'état des textes de l'époque, l'argument ne pouvait prospérer car le seuil de 300 personnes n'excluait pas l'APE et ne concernait à l'époque que la présomption résultant de la loi de 1966. Rien n'interdisait en effet, même sous la loi ancienne, que des placements dits "privés", et donc inférieurs à ce seuil, puissent se voir appliquer le régime de l'appel public à l'épargne. La COB, elle même, devait confirmer cette solution en 1996 en affirmant que : "si le placement privé semble s'opposer aux notions d'appel public à l'épargne et d'offre au public au regard de la cible de l'opération, [...] le recours aux techniques de placement (publicité, démarchage, recours à un intermédiaire financier) qui caractérise l'appel public à l'épargne ou l'offre au public est susceptible de requalifier ce type d'opération". On ne saurait être plus clair : certes, le placement dans un cercle restreint de personnes fait tomber la présomption d'APE mais, lorsque, comme en l'espèce, le démarchage est démontré, le régime s'applique dans toute sa rigueur.

B - Les apports de l'arrêt à la notion de démarchage

On mesure ainsi mieux, et l'arrêt est particulièrement explicite sur ce point, l'importance de l'acte de démarchage dans le cadre de l'appel public à l'épargne. II est, en effet, à la fois la caractéristique du contact du public aux fins du placement des titres et l'assise matérielle de l'appel à l'épargne. C'est d'ailleurs en raison des critiques qui se sont élevées contre l'imprécision de cette notion à une époque, que le législateur a posé en 1998 une définition de l'APE qui s'est substituée à l'ancien mécanisme de présomption. Indépendamment de ces critiques, d'ailleurs, un débat s'était élevé entre la COB et l'association nationale des sociétés par actions (ANSA), s'agissant de la limite des 300 personnes séparant placement privé et appel public. L'ANSA, forte d'une logique applicable aux sociétés cotées, estimait (dossier 3010 de juillet-août 1999), qu'en dessous de ce seuil, la présomption d'absence d'appel public était irréfragable, alors que la COB retenait la solution contraire. L'arrêt du 8 mars 2005 confirme que c'est uniquement la position de la COB qui prévalait en jurisprudence à cette époque puisque, même en dessous de ce seuil, le démarchage avéré constituait un appel public à l'épargne.

Reste à savoir dans quelle mesure cette solution constitue un apport jurisprudentiel face aux textes qui ont réformé la notion d'APE après cette affaire. En effet, la définition de l'appel public à l'épargne applicable aujourd'hui est celle de l'article L. 411-1 du Code monétaire et financier, introduite par l'article 30 de la loi DDOEF du 2 juillet 1998. Cet article dispose que l'APE est non plus présumé mais "constitué" par "l'une des opérations suivantes :
1. l'admission d'un instrument financier aux négociations sur un marché réglementé ;
2. l'émission ou la cession d'instruments financiers dans le public en ayant recours, soit à la publicité, soit au démarchage, soit à des établissements de crédit ou à des prestataires de services d'investissement
".

Par ailleurs, l'article L. 411-2 (N° Lexbase : L9396DYN) établit des règles d'exonération pour la diffusion auprès d'investisseurs qualifiés, ainsi que dans les cercles restreints d'investisseurs. Le démarchage, dans sa nouvelle dimension, demeure ainsi un des vecteurs de l'APE .

Il y a, désormais, démarchage bancaire ou financier dès qu'une personne est contactée, par quelque moyen que ce soit, par une personne physique ou morale qui lui propose de réaliser des investissements. Ces investissements peuvent prendre des formes diverses : réalisation d'une opération sur instruments financiers (C. mon. fin., art. L. 211-1 N° Lexbase : L9871DYA), opération de banque ou connexe (C. mon. fin., art. L. 311-1 N° Lexbase : L0377DZY et L. 311-2 N° Lexbase : L0378DZZ), opération sur biens divers (C. mon. fin., art. L. 550-1 N° Lexbase : L2542DKD). Accessoirement, le démarchage peut, porter sur des prestations de services, qu'il s'agisse de la fourniture de services d'investissement ou de services connexes (C. mon. fin., art. L . 321-1 N° Lexbase : L9285DYK et L. 321-2 N° Lexbase : L6396DIQ), ou d'une prestation de conseil (C. mon. fin., art. L. 541-1, I N° Lexbase : L6308DIH).

Ceci posé, il est possible de mesurer la portée de l'arrêt. Bien que ce dernier ait été rendu sous l'empire de l'ancienne législation, il est riche d'enseignements quant à la possibilité de qualifier des actes réalisés à la marge de l'APE de démarchage, permettant ainsi de placer les investisseurs sous le régime protecteur du Code monétaire et financier.

Dans l'affaire examinée, en effet, il s'avère que, prises isolément, les circonstances qui avaient entouré la commercialisation pouvaient rendre contestable la sanction attachée au régime de l'APE. Réunies, en revanche, elles permettent à la cour d'appel de démontrer la réalité du démarchage, celle-ci entraînant l'application du régime de l'appel public. Pour mémoire, ce sont successivement (et avec quelques espoirs de succès) que les requérants prétendaient avoir réalisé l'opération : dans un cercle restreint de personnes -ce qui pouvait faire tomber la présomption-, dans un milieu professionnel d'adhérents -régime a priori exonératoire de l'APE-, entre personnes se connaissant -ce qui aurait eu le même effet que l'argument précédent- et, enfin, par un "actionnaire" -ce qui pouvait laisser supposer l'absence d'implication de la société-. D'ailleurs, à propos d'une autre affaire déjà citée, dans laquelle la même SCI avait été impliquée, l'ensemble de ces circonstances avait contraint le juge à écarter l'application du régime de l'APE, faute de preuve tangible des circonstances de la visite commerciale et, surtout, parce que les commerciaux avaient pris la précaution de se faire mandater par les futurs clients avant toute proposition de cession.

Dans l'espèce examinée, en revanche, le juge a pu, en l'absence des deux éléments précédents, retenir le démarchage et l'application du régime de l'APE. Ceci démontre l'importance de la preuve matérielle du démarchage, dans les faits, et l'importance du constat factuel des circonstances qui entourent la commercialisation d'instruments financiers. Par voie de conséquence, on ne peut que souligner le rôle central que va continuer à jouer le juge du fond dans cette approche et, indirectement, dans l'analyse de l'appel public à l'épargne. On mesure, également, que l'arrêt du 8 mars 2005 permet d'utiliser, de façon plus ou moins voilée, le régime de l'appel public à l'épargne comme une sanction du démarchage abusif. En tout état de cause, il ne s'agit pourtant pas là d'un déplacement critiquable de la notion dans le sens ou la législation sur l'APE n'est dédiée qu'à la protection de l'investisseur.

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