La lettre juridique n°164 du 21 avril 2005 : Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] Cessation d'activité et déduction de la TVA

Réf. : CJCE, 3 mars 2005, aff. C-32/03, I/S Fini H c/ Skatteministeriet (N° Lexbase : A1773DH7)

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par Yolande Sérandour, Professeur à la Faculté de droit de Rennes, Directrice du Master de Droit Fiscal des Affaires de Rennes et du département Droit fiscal du CDA

le 07 Octobre 2010

La cessation d'entreprise fait-elle perdre à son exploitant le droit de déduire la TVA ayant grevé les frais supportés après la survenance de cet événement ? Telle était la question que devait trancher la CJCE le 3 mars 2005.

La société Fini H, créée en 1989 et dont l'objet social était l'activité de restauration avait, pour l'exercice de celle-ci, loué des locaux pour une durée de dix ans, sans droit de résiliation. Fini H a cessé son activité de restauration à la fin de l'année 1993 et les locaux sont, ensuite, restés inutilisés. Malgré ses diligences, Fini H n'a pu trouver un repreneur du contrat de bail, ni y mettre fin. Elle a continué à récupérer la TVA afférente aux locaux inoccupés. Faute d'activité effective génératrice de TVA, cette récupération se traduisait par des remboursements de TVA effectués par le trésor public danois. L'administration fiscale danoise a contesté ces remboursements, au motif que Fini H n'exerçait plus aucune activité soumise à la TVA depuis le troisième trimestre de l'année 1993. La première juridiction saisie a suivi cette argumentation en ajoutant que Fini H avait perdu sa qualité d'assujetti.

Fini H a interjeté appel. La cour d'appel a décidé de surseoir à statuer et de poser à la CJCE les questions préjudicielles suivantes :

"1) Une personne peut-elle être réputée exercer une activité économique indépendante au sens de l'article 4, paragraphes 1 à 3, de la sixième directive-TVA (N° Lexbase : L9279AU9) dans une situation où l'intéressée avait à l'origine conclu un bail dans le cadre d'une activité économique indépendante, aujourd'hui disparue, alors que le contrat de location s'est perpétué durant une certaine période du fait de la clause de non-résiliation et sans que des opérations imposables, fondées sur le bail, soient intervenues après la cessation effective de l'activité, en vue d'en retirer des recettes ayant un caractère de permanence ?

2) La réponse à la première question serait-elle différente si l'intéressée a cherché activement, pendant le reste de la période à courir où elle ne pouvait pas dénoncer le bail, à se servir du bail commercial pour effectuer des opérations imposables en vue d'en retirer des recettes ayant un caractère de permanence, ou à céder le bail. La durée de la période de non-dénonciation ou la part restante de cette période revêtent-elles une importance à cet égard?"

La CJCE répond que "L'article 4, paragraphes 1 à 3, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme, telle que modifiée par la directive 95/7/CE du Conseil, du 10 avril 1995, doit être interprété en ce sens qu'une personne qui a cessé une activité commerciale, mais qui continue de payer le loyer et les charges afférents au local ayant servi pour cette activité, en raison du fait que le contrat de location contient une clause de non-résiliation, est considérée comme un assujetti au sens de cet article et peut déduire la TVA sur les montants, ainsi, acquittés, pour autant qu'il existe un lien direct et immédiat entre les paiements effectués et l'activité commerciale et que l'absence d'intention frauduleuse ou abusive est établie".

La cessation d'activité ne fait pas perdre la qualité d'assujetti ni le droit de déduire la TVA sur les dépenses effectuées en tant que tel.

1. La qualité d'assujetti malgré la cessation d'activité

L'article 4 de la sixième directive-TVA dispose : "1. Est considéré comme assujetti quiconque accomplit, d'une façon indépendante et quel qu'en soit le lieu, une des activités économiques mentionnées au paragraphe 2, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité. 2. Les activités économiques visées au paragraphe 1 sont toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Est, notamment, considérée comme activité économique une opération comportant l'exploitation d'un bien corporel ou incorporel en vue d'en retirer des recettes ayant un caractère de permanence". Ce texte lie la qualité d'assujetti à l'exercice d'une activité professionnelle indépendante sans expressément distinguer dans le temps. Seule importe la recherche de revenus par l'exploitation de moyens affectés à une entreprise. A priori, il n'y a pas lieu de découper l'activité indépendante selon que l'exploitant agit en vue de créer une entreprise, de l'exploiter effectivement ou de la fermer. Il suffit de déployer une activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services "quels que soient les buts ou les résultats de cette activité". Personne ne peut contester que cette activité puisse nécessiter l'engagement de frais d'ouverture et de clôture.

Depuis 1985, la CJCE considère que la personne ayant l'intention, confirmée par des éléments objectifs, de commencer une activité économique et qui acquiert, dans ce but, des biens et des services taxés doit être considérée comme un assujetti agissant en tant que tel. Cette qualité l'autorise à déduire immédiatement la TVA relative aux dépenses effectuées pour les besoins de ses futures opérations taxées sans devoir attendre le début de l'exploitation de l'entreprise, quand bien même celle-ci ne commencerait jamais (CJCE, 14 février 1985, aff. C-268/83, D.A. Rompelman et E.A. Rompelman-Van Deelen c/ Minister van Financiën N° Lexbase : A8121AUC ; CJCE, 29 février 1996, aff. C-110/94, Intercommunale voor zeewaterontzilting (INZO) c/ Belgische Staat N° Lexbase : A9700AUS ; CJCE, 15 janvier 1998, aff. C-37/95, Belgische Staat c/ Ghent Coal Terminal NV N° Lexbase : A9657AU9 ; CJCE, 21 mars 2000, aff. C-110/98,à C-147/98 Gabalfrisa SL e.a. c/ Agencia Estatal de Administración Tributaria (AEAT) N° Lexbase : A1997AIS ; CJCE, 8 juin 2000, aff. C-396/98, Grundstückgemeinschaft Schlossstrasse GbR c/ Finanzamt Paderborn [LXB=A180AWM] ; CJCE, 8 juin 2000, aff. C-400/98, Finanzamt Goslar c/ Brigitte Breitsohl N° Lexbase : A1912AWQ ; lire Yolande Sérandour, Le droit à déduction de la TVA en jurisprudence communautaire, JCP, éd. E., 1999, p. 1954).

Avant le 3 mars 2005, la CJCE n'avait pas spécifiquement statué sur la situation inverse dans laquelle un assujetti a cessé une activité économique, mais continue, cependant, de supporter des dépenses en exécution des obligations contractées pour l'exercice de cette activité. Néanmoins, le juge communautaire a, déjà, jugé que le transfert, avec continuité d'exploitation, d'une entreprise relevant de la TVA justifie le droit à déduction sur les services acquis par le cédant, afin de réaliser la cession. Ces derniers font partie des frais généraux de l'entreprise antérieurs à la cession (CJCE, 22 février 2001, aff. C-408/98, Abbey National plc c/ Commissioners of Customs & Excise, § 35 et s. N° Lexbase : A1648AWX ; CJCE, 29 avril 2004, aff. C-137/02, Finanzamt Offenbach am Main-Lan c/ Faxworld Vorgründungsgesellschaft Peter Hünninghausen und Wolfgang Klein GbR, § 39 N° Lexbase : A9946DBY : lire Yolande Sérandour, Frais préparatoires et TVA, la création d'entreprise encouragée par la CJCE, Lexbase Hebdo, n° 119, du 5 mai 2004 - édition fiscale N° Lexbase : N1501AB9). Rappelant ces arrêts au point 23 de la décision commentée, la CJCE souligne que "Toute autre interprétation reviendrait à procéder à une distinction arbitraire entre, d'une part, les dépenses effectuées pour les besoins d'une entreprise avant l'exploitation effective de celle-ci et celles réalisées au cours de ladite exploitation et, d'autre part, les dépenses effectuées pour mettre fin à cette exploitation".

Selon l'article 2 de la première directive-TVA, "Le principe du système commun de taxe sur la valeur ajoutée est d'appliquer aux biens et aux services un impôt général sur la consommation exactement proportionnel au prix des biens et des services, quel que soit le nombre des transactions intervenues dans le processus de production et de distribution antérieur au stade d'imposition. À chaque transaction, la taxe sur la valeur ajoutée, calculée sur le prix du bien ou du service au taux applicable à ce bien ou à ce service, est exigible déduction faite du montant de la taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé directement le coût des divers éléments constitutifs du prix" (première directive 67/227/CEE du Conseil, du 11 avril 1967, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires N° Lexbase : L7913AUM). Il en résulte que le droit à déduction vise à soulager entièrement l'entrepreneur du poids de la TVA supportée dans le cadre de toutes ses activités économiques. Ce principe de neutralité de la TVA doit jouer "quels que soient les buts ou les résultats de ces activités, à condition que celles-ci soient, en principe, elles-mêmes soumises à la TVA" (§ 25 ; CJCE, 14 février 1985, aff. C-268/83, D.A. Rompelman et E.A. Rompelman-Van Deelen c/ Minister van Financiën, § 19, précité ; CJCE, 15 janvier 1998, aff. C-37/95, Belgische Staat c/ Ghent Coal Terminal NV, § 15, précité ; CJCE, 21 mars 2000, aff. C-110/98 à C-147/98 Gabalfrisa SL e.a. c/ Agencia Estatal de Administración Tributaria (AEAT), § 44, précité ; CJCE, 8 juin 2000, aff. C-98/98, Commissioners of Customs and Excise c/ Midland Bank plc., §19 N° Lexbase : A2016AII ; CJCE, 22 février 2001, aff. C-408/98, Abbey National plc c/ Commissioners of Customs & Excise, § 24, précité). Encore faut-il que les dépenses en cause se rattachent aux opérations imposables.

2. Les dépenses effectuées en qualité d'assujetti malgré la cessation d'activité

L'article 17-2 de la sixième directive-TVA subordonne la déduction de la TVA ayant grevé les dépenses d'un assujetti à leur affectation aux besoins des opérations taxées. Selon la CJCE, ce texte signifie qu'il doit exister un lien direct et immédiat entre les frais d'exercice d'une activité et les livraisons ou prestations de services effectuées par l'exploitant (CJCE, 6 avril 1995, aff. C-4/94, BLP Group plc c/ Commissioners of Customs & Excise, § 19 N° Lexbase : A9796AUD ; CJCE, 8 juin 2000, aff. C-98/98, Commissioners of Customs and Excise c/ Midland Bank plc., § 20 et s. N° Lexbase : A2016AII ; CJCE, 27 septembre 2001, aff. C-16/00, Cibo Participations SA c/ Directeur régional des impôts du Nord-Pas-de-Calais, § 35 N° Lexbase : A5734AWB). Il n'est, toutefois, pas indispensable de relier précisément, sinon physiquement, les dépenses aux opérations imposables. Seule importe l'intention d'affecter les biens et services reçus aux biens et services produits ou à produire. Le juge communautaire admet la déduction et le remboursement de la TVA ayant grevé les dépenses engagées avant l'exercice effectif d'une activité économique (CJCE, 14 février 1985, aff. C-268/83, D.A. Rompelman et E.A. Rompelman-Van Deelen c/ Minister van Financiën, § 22 et 23, précité et arrêts préc. § 1.). Selon l'arrêt "Lennartz", "c'est l'acquisition des biens par un assujetti agissant en tant que tel qui détermine l'application du système de la TVA et, partant, du mécanisme de déduction [...] l'utilisation ne détermine que l'étendue de la déduction initiale et l'étendue des éventuelles régularisations" (CJCE, 11 juillet 1991, aff. C-97/90, Hansgeorg Lennartz c/ Finanzamt München III, § 15 N° Lexbase : A7275AHW). L'affectation initiale à l'activité économique marque la naissance du droit à déduction. La nature de l'utilisation effective importe peu car l'utilisation non-professionnelle rend la TVA exigible au titre des livraisons et prestations à soi-même .

Le raisonnement suivi en matière de création d'entreprise vaut, également, en cas de fermeture d'entreprise. Si l'exercice d'une activité indépendante nécessite l'engagement de frais préparatoires, il comporte inévitablement un risque d'échec exposant à devoir supporter des frais de cessation d'activité. Dans la mesure où les frais d'entrée en activité ouvrent droit à déduction de la TVA les ayant grevé au motif qu'ils sont directement et immédiatement liés à l'exercice d'une activité économique, il doit en aller de même des frais de cessation. La TVA ne frappant que la valeur ajoutée produite par une exploitation, il apparaît évident que les dépenses de fermeture diminuent ladite valeur. Ce rattachement direct et immédiat aux opérations antérieurement imposées commande de permettre la récupération de la TVA acquittée sur les frais de cessation d'activité. Tel est le sens de la jurisprudence communautaire. Selon l'arrêt "Abbey National", le droit à déduction de la TVA sur les dépenses effectuées en vue de la cessation de l'activité reste acquis, alors même qu'aucune opération taxée en aval n'a été effectuée par la suite. De telles dépenses font partie des frais généraux afférents à l'exploitation de l'activité de restauration dans son ensemble depuis sa création jusqu'à sa cessation (préc. § 28 et 29).

En l'espèce, la CJCE considère que "dans la mesure où le contrat de location a été conclu par Fini H en vue de pouvoir disposer d'un local nécessaire à l'exercice de son activité de restauration et compte tenu du fait que le local a été effectivement affecté à cette activité, il convient d'admettre que l'obligation qu'avait la société de continuer à payer le loyer et les autres charges après que cette activité eut cessé découle directement de l'exercice de celle-ci" (§ 28).

Néanmoins, ce principe du droit à déduction de la TVA ayant grevé les frais de cessation d'activité ne vaut que dans la limite de la fraude ou de l'abus, notamment, en cas d'utilisation des dépenses en cause à des fins privées (§ 32 et s.).

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