Le Quotidien du 30 décembre 2021

Le Quotidien

Données personnelles

[Brèves] Reconnaissance faciale : mise en demeure de la société Clearview AI de cesser la réutilisation de photographies accessibles sur internet

Réf. : CNIL, 26 novembre 2021, décision n° MED-2021-134 (N° Lexbase : X1394CNX)

Lecture: 4 min

N9868BY7

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par Marie-Lou Hardouin-Ayrinhac

Le 30 Décembre 2021

► En réponse à un traitement illicite de données personnelles et à l’absence de prise en compte satisfaisante et effective des droits des personnes, la présidente de la CNIL a mis en demeure la société Clearview AI de cesser la collecte et l’usage des données de personnes se trouvant sur le territoire français en l’absence de base légale, de faciliter l’exercice des droits des personnes concernées et de faire droit aux demandes d’effacement formulées.

Le fonctionnement du service de reconnaissance faciale de la société Clearview AI. La société a développé un logiciel de reconnaissance faciale dont la base de données repose sur l’aspiration de photographies et de vidéos publiquement accessibles sur internet. Cette collecte lui permet de commercialiser l'accès à son moteur de recherche où une personne peut être recherchée à l'aide d'une photographie. 

Un « gabarit biométrique » est ainsi constitué sans consentement des personnes concernées. Il s'agit d'une représentation numérique des caractéristiques physiques des personnes (ici, le visage). Ces données biométriques sont particulièrement sensibles, notamment parce qu’elles sont liées à l'identité physique et qu’elles permettent d'identifier les individus de façon unique.

À noter que la société offre ce service à des forces de l’ordre afin d’identifier des auteurs ou des victimes d’infraction et qu'elle s’est appropriée plus de 10 milliards d’images à travers le monde !

Procédure. À partir de mai 2020, la CNIL a reçu des plaintes de particuliers au sujet du logiciel de reconnaissance faciale de la société Clearview AI et a ouvert une enquête. En mai 2021, l’association Privacy International a également alerté la CNIL sur cette pratique.

Au cours de cette procédure, la CNIL a coopéré avec ses homologues européens afin de partager le résultat des investigations, chaque autorité étant compétente pour agir sur son propre territoire en raison de l’absence d’établissement de la société en Europe.

Un traitement illicite de données personnelles (« RGPD », art. 6). Pour être licite, un traitement de données personnelles doit reposer sur l’une des bases légales visées à l’article 6 du « RGPD » (Règlement n° 2016/679 du 27 avril 2016 N° Lexbase : L0189K8I).

Le logiciel de reconnaissance faciale Clearview AI, qui ne respecte pas cette règle, est donc illicite.

En effet, cette société ne recueille pas le consentement des personnes concernées pour aspirer et utiliser leurs photographies afin d’alimenter son logiciel.

Elle ne dispose pas non plus d’un intérêt légitime à collecter et utiliser ces données, notamment au regard du caractère particulièrement intrusif et massif du procédé qui permet de récupérer les images présentes sur internet de plusieurs dizaines de millions d’internautes en France. Ces personnes, dont les photographies ou vidéos sont accessibles sur divers sites web et réseaux sociaux, ne s’attendent raisonnablement pas à ce que leurs images soient traitées par la société pour alimenter un système de reconnaissance faciale pouvant être utilisé par des États à des fins policières.

La gravité de ce manquement conduit la présidente de la CNIL à enjoindre à la société Clearview AI de cesser, faute de base légale, la collecte et l’usage des données de personnes se trouvant sur le territoire français, dans le cadre du fonctionnement du logiciel de reconnaissance faciale qu’elle commercialise.

Les droits des personnes non respectés (« RGPD », art. 12, 15 et 17). Les plaintes reçues par la CNIL ont révélé les difficultés rencontrées par les plaignants pour exercer leurs droits auprès de la société Clearview AI.

D’une part, la société ne facilite pas l’exercice du droit d’accès des personnes concernées :

  • en limitant l’exercice de ce droit aux données collectées durant les douze mois précédant la demande ;
  • en restreignant l’exercice de ce droit à deux fois par an, sans justification ;
  • en ne répondant à certaines demandes qu’à l’issue d’un nombre excessif de demandes d’une même personne.

D’autre part, la société ne répond pas de manière effective aux demandes d’accès et d’effacement qui lui sont adressées. Elle fournit en effet des réponses partielles ou ne répond pas du tout aux demandes.

La société, qui manque à ses obligations en vertu du « RGPD », est donc mise en demeure de :

  • faciliter l’exercice des droits des personnes concernées ;
  • faire droit aux demandes d’effacement formulées.

La société Clearview AI dispose d’un délai de deux mois pour respecter les injonctions formulées dans la mise en demeure et en justifier auprès de la CNIL. Si, à l’issue de ce délai, elle ne s’est pas conformée, la présidente de la CNIL aura la possibilité de saisir la formation restreinte de la CNIL qui pourra prononcer une sanction, notamment pécuniaire.

newsid:479868

Procédure civile

[Brèves] Publication de la loi pour la confiance judiciaire : MARD et titre exécutoire

Réf. : Loi n° 2021-1729, du 22 décembre 2021, pour la confiance dans l'institution judiciaire (N° Lexbase : Z459921T)

Lecture: 2 min

N9861BYU

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par Alexandra Martinez-Ohayon

Le 05 Janvier 2022

La loi n° 2021-1729, du 22 décembre 2021, pour la confiance dans l’institution judiciaire a été publiée au Journal officiel du 23 décembre 2021 ; elle prévoit notamment de faciliter le recours aux MARD avec la création d’un Conseil national de la médiation et complète la liste exhaustive des titres exécutoires.

En effet, aux termes des dispositions de l’article 45, il découle la création d’un Conseil national de la médiation placé auprès du ministre de la Justice dont un décret en Conseil d’État fixera l’organisation, les moyens et les modalités de fonctionnement.

Le Conseil national de la médiation sera notamment chargé de :

  • prendre des avis dans le domaine de la médiation définie à l'article 21 et de proposer aux pouvoirs publics toutes mesures propres à l'améliorer ;
  • proposer un recueil de déontologie applicable à la pratique de la médiation ;
  • proposer des référentiels nationaux de formation des médiateurs et faire toute recommandation sur la formation ;
  • émettre des propositions sur les conditions d'inscription des médiateurs sur la liste prévue à l'article 22-1 A.

Il ressort de l’article 44 que les transactions, et les actes constatant un accord issu d'une médiation, d'une conciliation ou d'une procédure participative, lorsqu'ils sont contresignés par les avocats de chacune des parties et revêtus de la formule exécutoire par le greffe de la juridiction compétente, constituent un titre exécutoire, complétant d’un septième alinéa la liste des titres exécutoires de l'article L. 111-3 du Code des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L5301LUU).

L’article 47 alloue au Conseil national des barreaux un titre exécutoire sur le recouvrement de ses cotisations, après l’envoi d’une mise en demeure de payer laissant courir le délai d’un mois.

L’article 48 prévoit une amélioration de la prise en charge des frais irrépétibles, prévoyant que les parties pourront produire les justificatifs des sommes qu’elles demandent, comme les honoraires d’avocats, qui sont non compris dans les dépens.

Enfin, l'article 57 énonce l'abandon du projet de création d'une juridiction nationale des injonctions de payer (JUNIP).

 

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Retraite

[Brèves] Infirmités résultant de blessures reçues par suite d'accidents éprouvés entre le début et la fin d'une mission opérationnelle : ouverture subséquente du droit à pension

Réf. : CE, 3° et 8° ch.-r., 10 décembre 2021, n° 442111, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A83297E9)

Lecture: 3 min

N9784BYZ

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par Yann Le Foll

Le 29 Décembre 2021

► Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'accidents éprouvés entre le début et la fin d'une mission opérationnelle sont susceptibles d'ouvrir droit à pension au bénéfice des militaires qui y participent.

Rappel. C'est la loi n° 2005-270 du 24 mars 2005, portant statut général des militaires (N° Lexbase : L1292G8D), qui a fait en sorte que la présomption d'imputabilité s'applique désormais aux « infirmités résultant de blessures reçues par suite d'accidents éprouvés entre le début et la fin d'une mission opérationnelle, y compris les opérations d'expertise ou d'essai, ou d'entraînement ou en escale, sauf faute de la victime détachable du service ».

Cette extension de la présomption d'imputabilité aux accidents survenus en opération extérieure s'aligne sur les solutions du droit de la Sécurité sociale qui a connu une évolution quant au régime des accidents de mission : la Cour de cassation reconnaît désormais au salarié en mission la protection due aux accidents du travail sans distinguer entre l'acte professionnel et l'acte de la vie courante (Cass. soc., 19 juillet 2001, n° 99-21.536 N° Lexbase : A2489AUQ). Ces évolutions ne sont sans doute pas étrangères à la modification de la jurisprudence du Conseil d'État quant aux accidents de mission subis par les fonctionnaires civils (CE, Sect., 3 décembre 2004, n° 260786, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1097DED).

Principe. La présence militaire française à Djibouti résultant de la mise en œuvre du protocole provisoire du 27 juin 1977 fixant les conditions de stationnement des forces françaises conclu entre la France et la République de Djibouti, constitue une mission opérationnelle au sens du a) de l'article D. 1 du Code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre (N° Lexbase : L8997HW7). Dès lors, les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'accidents entre le début et la fin de cette mission sont susceptibles d'ouvrir droit à pension, en vertu du 4° de l'article L. 2 du même code (N° Lexbase : L0219KWZ), au bénéfice des militaires qui y participent.

Position CAA. Pour juger que l'administration avait pu à bon droit rejeter la demande du requérant tendant à la révision de sa pension, la cour administrative d'appel de Marseille (CAA Marseille, 16 juin 2020, n° 19MA05050 N° Lexbase : A58263QT) s'est fondée sur ce qu'il ne résultait pas de l'instruction que l'affectation temporaire de ce dernier à Djibouti entre le 19 juin et le 22 octobre 2008, au titre d'une mission de renfort temporaire à l'étranger, aurait été justifiée par la participation à une mission effectuée à l'étranger au titre d'unités françaises ou alliées ou de forces internationales conformément aux obligations et engagements internationaux de la France. 

Décision CE. En statuant ainsi, la cour a donc commis une erreur de droit au regard du principe précité.

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Santé et sécurité au travail

[Jurisprudence] Nullité d’un procès-verbal dressé par l’inspection du travail : conséquence du non-respect de l’obligation de mise en demeure préalable

Réf. : Cass. crim., 19 octobre 2021, n° 21-80.146, F-B (N° Lexbase : A465649C)

Lecture: 12 min

N9510BYU

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par Aurélie Salon, juriste et docteur en droit, cabinet Ledoux & Associés

Le 29 Décembre 2021

 


Mots clés : droit pénal du travail • procès-verbal • mise en demeure • inspection du travail • nullité • infraction au Code du travail

Par un arrêt du 19 octobre 2021, la Cour de cassation fait droit à l’exception de nullité dirigée contre le procès-verbal de l’inspection du travail, dressé en l’absence de mise en demeure préalable. D’une part, le procès-verbal n’ayant été dressé que le 30 août 2017, soit près de seize mois après l’accident, il devait être précédé d’une mise en demeure préalable. D’autre part, l’inobservation de cette formalité, dont l’objet est de permettre au contrevenant de se mettre en conformité avant toute poursuite, lui fait nécessairement grief.


 

En vertu du principe d’indépendance énoncé par la Convention n° 81 de l’OIT et repris par l’ordonnance du 7 avril 2016, relative au contrôle de l’application du droit du travail [1], les agents de l’inspection du travail décident librement des suites à donner à leurs constatations. Cette liberté présente toutefois des limites, comme est venue le rappeler la Chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt du 19 octobre 2021 [2].

Le 2 mai 2016, alors qu’il circulait à pied dans une zone de déchargement, le salarié d’une société de recyclage a été grièvement blessé par un engin de chantier. L’inspection du travail s’est rendue sur les lieux de l’accident le lendemain. Le 30 août 2017, soit plus d’un an après, un procès-verbal a été dressé à l’encontre de l’employeur pour un manquement aux prescriptions de l’article R. 4224-3 du Code du travail (N° Lexbase : L3086IAK) sans qu’il ne soit procédé à une mise en demeure préalable [3]. La société et son directeur général ont alors été poursuivis et condamnés pour avoir, au mépris du texte susmentionné, omis d’aménager les lieux de travail intérieurs et extérieurs de façon à ce que les piétons et les véhicules circulent de manière sûre.

Si les faits d’espèce sont assez classiques, l’argument invoqué par la défense devant les juridictions répressives est plus remarquable. Elle faisait valoir que le procès-verbal établi par les agents était nul, faute d’avoir procédé à la mise en demeure préalable de l’employeur comme l’exige l’article L. 4721-4 du Code du travail (N° Lexbase : L7432K97). Désavouant les juges d’appel ayant rejeté cet argument, les juges suprêmes ont validé la position de l’employeur et, pour la première fois, fait droit à l’exception de nullité visant un procès-verbal dressé par les services de l’inspection du travail. À cette occasion, la Haute juridiction apporte un éclairage sur les limites de l’obligation de mise en demeure préalable (I.) et sur la sanction du non-respect de cette formalité (II.).

I. Les limites de l’obligation de mise en demeure préalable

En application de l’article L. 8113-7 du Code du travail (N° Lexbase : L5737K7M), les agents de contrôle de l’inspection du travail constatent les infractions par des procès-verbaux qu’ils transmettent au procureur de la République [4]. L’établissement d’un procès-verbal peut être différé par une mise en demeure, invitant l’employeur à mettre en place, dans un délai fixé, des mesures de prévention. Lorsque certaines prescriptions en matière de santé et de sécurité - mentionnées à l’article R. 4721-5 (N° Lexbase : L3258IAW) - sont concernées, cette mise en demeure devient un préalable obligatoire [5]. L’article L. 4721-4 du Code du travail (N° Lexbase : L7432K97) prévoit en effet qu’avant de dresser un procès-verbal, les agents de contrôle de l’inspection du travail doivent mettre l’employeur en demeure de se conformer à la réglementation [6]. Ainsi, en l’absence de mise en demeure ou avant l’expiration du délai d’exécution, aucune infraction ne peut être relevée par voie de procès-verbal [7]. Par dérogation prévue à l’article L. 4721-5 du Code du travail (N° Lexbase : L7431K94), les agents sont autorisés à dresser immédiatement un procès-verbal lorsque les faits qu’ils constatent présentent un danger grave ou imminent pour l’intégrité physique des salariés [8].

Le champ d’application de l’obligation de mise en demeure préalable ne posait pas de difficultés en l’espèce. Les dispositions relatives à l’utilisation des lieux de travail - dont l’article R. 4224-3 du Code du travail (N° Lexbase : L3086IAK) visé par le procès-verbal de l’inspection du travail - font partie des prescriptions mentionnées à l’article R. 4721-5 du Code du travail et soumises à l’obligation. En principe, les agents de l’inspection du travail auraient donc dû délivrer une mise en demeure à l’employeur avant de dresser le procès-verbal.

Le débat portait sur le périmètre de la dérogation : les agents de contrôle faisaient-ils face à une situation de danger grave ou imminent pour l’intégrité physique des salariés leur permettant de dresser immédiatement un procès-verbal ? Pour écarter l’exception de nullité, les juges d’appel ont considéré que l’intervention des agents et l’établissement du procès-verbal avaient été suscités par la survenance d’un accident du travail. Le danger grave ou imminent pour l’intégrité physique des salariés étant caractérisé par cet accident, les agents pouvaient, selon eux, dresser un procès-verbal sans mise en demeure préalable.

De son côté, l’employeur estimait que les agents étaient soumis à l’obligation de mise en demeure dans la mesure où ils se prononçaient sur la méconnaissance de l’obligation d’aménager les lieux de travail. Autrement dit, le procès-verbal concernait uniquement l’application d’une disposition prévue par le Code du travail, indépendamment de la survenance d’un accident du travail. L’employeur ajoutait d’ailleurs que les agents avaient agi dans le cadre d’un contrôle général, le procès-verbal mentionnant expressément l’application « des articles L. 8112-1, L. 8112-2 et L. 8113-7 du Code du travail ».

Dans ce contexte, les magistrats de la Cour de cassation se sont prononcés sur le cadre de l’intervention des agents de l’inspection du travail et plus particulièrement, sur les contours de la notion de danger grave ou imminent pour l’intégrité physique des salariés. Au visa des articles L. 4721-4 (N° Lexbase : L7432K97) et L. 4721-5 du Code du travail (N° Lexbase : L7431K94), ils considèrent que n’ayant été dressé que le 30 août 2017, soit près de seize mois après l’accident, le procès-verbal devait être précédé d’une mise en demeure préalable.

Deux enseignements peuvent être tirés de cette solution.

D’une part, le fait accidentel en lui-même n’est pas pris en compte par les juges. Cela laisse entendre qu’un danger grave ou imminent pour l’intégrité physique des salariés peut résulter de la survenance d’un accident du travail. La Cour de cassation l’avait d’ailleurs déjà reconnu dans un arrêt rendu le 17 mars 1992 [9]. Les agents de l’inspection du travail, qui s’étaient autorisés à dresser immédiatement un procès-verbal, avaient été approuvés par les juges en raison de l’existence d’un danger résultant de l’accident mortel dont avait été victime un salarié.

D’autre part, la Cour de cassation introduit une dimension temporelle à l’appréciation du danger grave ou imminent. Sa décision est déterminée par le temps écoulé - seize mois - entre l’accident et l’établissement du procès-verbal. Les juges estiment implicitement que, si un accident du travail peut caractériser un danger exonérant l’agent de l’obligation de mise en demeure préalable, encore faut-il que le procès-verbal soit établi dans un temps voisin de cet accident. À l’inverse, les agents qui dressent un procès-verbal bien après la survenance de l’accident ne peuvent plus se prévaloir du danger qui les aurait dispensés de procéder à une mise en demeure préalable.

Les textes qui trouvent application dans l’arrêt commenté répondent à une certaine logique. Lorsqu’il existe un danger pour les salariés, l’inspection du travail doit immédiatement alerter le procureur de la République. L’urgence est la répression d’un comportement grave. En revanche, lorsqu’il n’y a aucun danger pour les salariés, l’inspection du travail doit faire preuve de clémence et de pédagogie, c’est-à-dire inviter dans un premier temps l’employeur à se conformer à la réglementation. L’urgence n’est plus répression, qui pourrait même être abandonnée au regard des diligences de l’employeur, mais la prévention. Ici, la Cour de cassation déconnecte, par la prise en compte de la temporalité, l’intervention de l’inspection du travail et l’accident survenu plusieurs mois auparavant. En limitant ainsi le champ d’application de la dérogation, elle favorise la prévention, ce qui n’est pas sans rappeler l’esprit de la loi du 2 août 2021, pour renforcer la prévention en santé au travail [10].

II. La sanction du non-respect de l’obligation de mise en demeure

Le second point de discussion portait sur la nécessité d’établir l’existence d’un préjudice subi par l’employeur. Il s’agissait, plus précisément, de savoir si la nullité du procès-verbal pris en l’absence de mise en demeure est soumise à l’exigence d’un grief.

Sur ce point, la cour d’appel a considéré que la nullité ne pouvait être prononcée dès lors que l’employeur ne justifiait d’aucun grief. Elle relevait d’ailleurs que, malgré les seize mois accordés à l’employeur pour régulariser la situation, aucune mesure additionnelle n’avait été prise par celui-ci avant la rédaction du procès-verbal.

L’employeur, au contraire, indiquait que la méconnaissance de l’obligation de mise en demeure devait être sanctionnée par la nullité de plein droit du procès-verbal établi par l’inspection du travail. En tout état de cause, il entendait convaincre les juges de l’existence d’un grief. Il expliquait qu’à compter de la réception du procès-verbal, des mesures de sécurité additionnelles avaient été prises, en plus de celles déjà mises en œuvre. La société aurait réalisé un marquage au sol, mis à disposition des salariés des voiturettes électriques, procédé à l’embauche d’une coordinatrice sécurité et mis en place des ateliers de sensibilisation.

La Cour de cassation a une nouvelle fois arbitré en faveur de l’employeur. Elle affirme que l’inobservation de l’obligation de mise en demeure, dont l’objet est de permettre au contrevenant de se mettre en conformité avant toute poursuite, lui fait nécessairement grief. La démonstration du grief subi par l’employeur n’est donc pas requise pour prononcer la nullité du procès-verbal dressé par l’inspection du travail en l’absence de mise en demeure.

La reconnaissance de cette nullité de plein droit laisse penser que les manquements d’un employeur aux dispositions du Code du travail en matière de santé et de sécurité peuvent rester impunis au seul motif que l’inspection du travail n’a pas respecté une formalité substantielle. Il faut néanmoins souligner que la nullité du procès-verbal de l’inspection du travail n’est pas une cause de nullité des poursuites [11]. Autrement dit, elle n’entache pas les actes de procédure effectués par les officiers de police ou de gendarmerie. La procédure menée par l’inspection du travail est, en effet, distincte de celle menée au titre du Code pénal [12]. Si dresser un procès-verbal permet aux agents de contrôle de l’inspection du travail de dénoncer les infractions au Code du travail au Parquet, il ne s’agit pas d’une condition préalable au déclenchement des poursuites. C’est au procureur de la République qu’il appartient de mettre en mouvement l’action publique et de diriger l’enquête pénale. Par conséquent, la preuve de la commission d’une infraction aux dispositions du Code du travail ne dépend pas du seul contenu du procès-verbal dressé par l’inspection du travail. Une condamnation pénale peut tout à fait résulter des éléments mis en évidence lors de l’enquête menée par les services de police ou de gendarmerie.

La nullité du procès-verbal présente quand même un intérêt pour l’employeur. Il arrive souvent que les éléments fournis par l’inspection du travail permettent au procureur de la République d’engager des poursuites et par suite, fondent la décision de la juridiction pénale. En effet, conformément à l’article L. 8113-7 du Code du travail (N° Lexbase : L5737K7M), le procès-verbal de l’inspection du travail fait foi jusqu’à preuve du contraire en matière correctionnelle [13]. Cela lui donne une importante valeur probante : l’agent de contrôle de l’inspection du travail n’a pas à rapporter la preuve des éléments constatés et c’est à l’employeur qui conteste le procès-verbal de rapporter la preuve contraire par écrit ou par témoignage [14]. Cette pièce matérialise donc les éléments constitutifs de l’infraction au Code du travail et leur imputabilité.

En outre, un manquement aux dispositions du Code du travail constitue souvent la faute permettant de caractériser les délits d’homicide et de blessures involontaires. Il s’agit de l’obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, visée par les articles 221-6 (N° Lexbase : L3402IQ3) et 222-19 (N° Lexbase : L3401IQZ) du Code pénal.

L’annulation du procès-verbal, retiré du dossier pénal et duquel les magistrats ne peuvent tirer aucun renseignement contre les parties, peut donc considérablement fragiliser les poursuites dans leur ensemble. Dans certains dossiers, cela constituera à n’en pas douter un sérieux moyen de défense.


[1] Convention OIT n° 81, art. 17-2 ; Ordonnance n° 2016-413, du 7 avril 2016, relative au contrôle de l’application du droit du travail (N° Lexbase : L5257K7T), art. 5 ; C. trav., art. L. 8112-1 (N° Lexbase : L7484K93).

[2] Cass. crim., 19 octobre 2021, n° 21-80.146, F-B (N° Lexbase : A465649C).

[3] C. trav., art. R. 4224-3 (N° Lexbase : L3086IAK).

[4] C. trav., art. L. 8113-7 (N° Lexbase : L5737K7M).

[5] C. trav., art. L. 4721-4 (N° Lexbase : L7432K97) à L. 4721-7 (N° Lexbase : L1922H93), R. 4721-4 (N° Lexbase : L3261IAZ) et R. 4721-5 (N° Lexbase : L3258IAW).

[6] C. trav., art. L. 4721-4 (N° Lexbase : L7432K97).

[7] C. trav., art. L. 4721-4 (N° Lexbase : L7432K97).

[8] C. trav., art. L. 4721-5 (N° Lexbase : L7431K94).

[9] Cass. crim., 17 mars 1992, n° 90-87.838, inédit (N° Lexbase : A6685CU7).

[10] Loi n° 2021-1018, du 2 août 2021, pour renforcer la prévention en santé au travail (N° Lexbase : L4000L7B).

[11] Cass. crim., 22 mars 1990, n° 89-83.018, inédit (N° Lexbase : A5418CYC).

[12] Cass. crim., 29 octobre 1991, n° 90-80.968, inédit (N° Lexbase : A1559C7U).

[13] C. trav., art. L. 8113-7 (N° Lexbase : L5737K7M).

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Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Brèves] Non-assujettissement à la TVA des personnes morales de droit public agissant en tant qu’autorités publiques : cas d’une commune exploitant un centre aquatique

Réf. : CE, 3° et 8° ch.-r., 9 décembre 2021, n° 439617, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A05407G4)

Lecture: 3 min

N9778BYS

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par Marie-Claire Sgarra

Le 29 Décembre 2021

► Le Conseil d’État est venu rendre un nouvel arrêt en matière d’exonération de TVA pour les centres aquatiques publics.

Les faits :

  • la commune de Nyons exploite en régie un complexe aquatique ;
  • elle a demandé au TA de Grenoble d'ordonner la restitution des droits de TVA qu'elle a spontanément acquittés à raison de cette activité au titre de la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014 ;
  • le tribunal administratif de Grenoble a déchargé la commune de Nyons de ces droits de TVA ;
  • la cour administrative d'appel de Lyon a annulé ce jugement (CAA Lyon, 14 janvier 2020, n° 18LY02896 N° Lexbase : A01083CY).

💡 Le contexte. Rappelons que le Conseil d’État a admis l’exonération de TVA pour les piscines communales dans un arrêt très important du 28 mai 2021.

Lire en ce sens, L. Lombard, Retour sur l’assujettissement à la TVA des collectivités territoriales, Lexbase Fiscal, septembre 2021, n° 875 (N° Lexbase : A48674TG).

🔎 Quelques rappels du Conseil d’État :

  • le non-assujettissement à la TVA prévu en faveur des personnes morales de droit public, qui déroge à la règle générale de l'assujettissement de toute activité de nature économique, est subordonné notamment à une condition tenant à ce que l'activité soit exercée par l'organisme agissant en tant qu'autorité publique ;
  • il résulte de l'article 256 B du CGI (N° Lexbase : L5161HLQ) que la France a fait usage de la possibilité, ouverte par la Directive TVA, de regarder comme des activités effectuées en tant qu'autorité publique les services à caractère sportif rendus par les personnes morales de droit public.

⚖️ Solution du Conseil d’État :

  • par suite, la seule circonstance qu'une commune n'exerce pas l'activité d'exploitation d'un complexe aquatique dans le cadre du régime juridique particulier aux personnes morales de droit public ne suffit pas à en déduire que cette activité n'entre pas dans le champ de l'article 256 B du CGI ;
  • il convient de rechercher si l'exploitation de ce complexe constitue l'activité d'un service sportif ;
  • selon la jurisprudence européenne, l'accès à un parc aquatique proposant aux visiteurs non seulement des installations permettant l'exercice d'activités sportives, mais également d'autres types d'activités de détente ou de repos, peut constituer une prestation de services ayant un lien étroit avec la pratique du sport, pour autant que l'élément prédominant est la possibilité d'y exercer des activités sportives.

👉 Dans le cadre de cette appréciation d'ensemble, il y a lieu de tenir compte, en particulier, de la conception du parc aquatique en cause résultant de ses caractéristiques objectives, à savoir les différents types d'infrastructures proposés, leur aménagement, leur nombre et leur importance par rapport à la globalité du parc. S'agissant, en particulier, des espaces aquatiques, il y a lieu de prendre notamment en considération le fait de savoir si ceux-ci se prêtent à une pratique de la natation de nature sportive, en ce qu'ils sont, par exemple, divisés en lignes d'eau, équipés de plots et d'une profondeur et d'une dimension adéquates, ou s'ils sont, au contraire, aménagés de sorte qu'ils se prêtent essentiellement à un usage ludique.

👉 En déduisant de la seule circonstance que la commune de Nyons n'exerce pas l'activité d'exploitation de son complexe aquatique dans le cadre du régime juridique particulier aux personnes morales de droit public que cette activité n'entre pas dans le champ des dispositions de l'article 256 B du CGI, sans rechercher si l'exploitation de ce complexe constitue l'activité d'un service sportif, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit.

 

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