Le Quotidien du 13 décembre 2021

Le Quotidien

Avocats/Honoraires

[Brèves] Dépendance économique vis-à-vis de son client : l’avocat peut se prévaloir de la nullité de l'accord d'honoraires !

Réf. : Cass. civ. 2, 9 décembre 2021, n° 20-10.096, F-P+B (N° Lexbase : A48147EZ)

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par Marie Le Guerroué

Le 15 Décembre 2021

► L'avocat doit en toutes circonstances être guidé dans l'exercice de sa profession par le respect des principes de « dignité, conscience, indépendance, probité et humanité » et s'il doit, en particulier, veiller à préserver son indépendance, ces règles ne sauraient priver l'avocat, qui se trouve dans une situation de dépendance économique vis-à-vis de son client, du droit, dont dispose tout contractant, d'invoquer un consentement vicié par la violence, et de se prévaloir ainsi de la nullité de l'accord d'honoraires conclu avec ce client.

Faits et procédure. Une délégation Unedic AGS (l'AGS) avait confié à un avocat la défense de ses intérêts dans une série de dossiers concernant les salariés d'une même association, l'ARAST. Alors que l'avocat avait suivi l'ensemble de ceux-ci en première instance, l'AGS l'a chargé de suivre la procédure en appel pour sept cent quatre-vingt-quinze dossiers et en a confié cent quarante à un autre avocat. Ayant été dessaisi en cours d'instance, l'avocat a demandé au Bâtonnier de son Ordre de fixer ses honoraires en faisant valoir qu'il avait droit à un complément d'honoraires pour la première instance, à des honoraires pour la procédure d'appel et à une rémunération de son intervention lors de la procédure collective de l'ARAST. Devant la Cour de cassation, l'AGS fait grief à l'ordonnance de fixer à 252 350 euros TTC la somme qu'elle reste à devoir à l'avocat, alors « que si la violence économique exercée contre celui qui a contracté l'obligation est une cause de nullité, seule l'exploitation abusive d'une situation de dépendance économique, faite pour tirer profit de la crainte d'un mal menaçant directement les intérêts légitimes de la personne, permet de caractériser ce vice ; que la profession d'avocat est une profession libérale et indépendante quel que soit son mode d'exercice, et que, dès lors, l'avocat exerce ses fonctions avec indépendance, dans le respect des termes de son serment ; que ces principes guident l'avocat en toutes circonstances, en sorte qu'il ne saurait se placer en situation de dépendance économique vis-à-vis de l'un de ses clients.

Réponse de la Cour. Selon l'article 1111 ancien du Code civil (N° Lexbase : L1199ABZ) applicable à la cause, la violence exercée contre celui qui a contracté l'obligation est une cause de nullité. Selon l'article 1er de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ), la profession d'avocat est une profession libérale et indépendante et, selon son article 3, l'avocat prête serment d'exercer ses fonctions « avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité ». S'il résulte de ces deux derniers textes que l'avocat doit en toutes circonstances être guidé dans l'exercice de sa profession par le respect de ces principes et s'il doit, en particulier, veiller à préserver son indépendance, ces dispositions ne sauraient priver l'avocat, qui se trouve dans une situation de dépendance économique vis à vis de son client, du droit, dont dispose tout contractant, d'invoquer un consentement vicié par la violence, et de se prévaloir ainsi de la nullité de l'accord d'honoraires conclu avec ce client. C'est donc sans encourir le grief du moyen que l'arrêt, ayant caractérisé l'état de dépendance économique dans lequel l'avocat se trouvait à l'égard de l'AGS, ainsi que l'avantage excessif que cette dernière en avait tiré, en déduit que cette situation de contrainte était constitutive d'un vice du consentement au sens de l'article 1111 ancien du Code civil, excluant la réalité d'un accord d'honoraires librement consenti entre les parties, et fixe les honoraires dus à l'avocat en application des critères définis à l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971.

Rejet. Pour la Cour de cassation, le moyen n'est, par conséquent, pas fondé.

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Concurrence

[Brèves] Pratiques anticoncurrentielles : précision relative aux recours

Réf. : Cass. com., 1er décembre 2021, cinq arrêts ; n° 20-19.738, FS-B (N° Lexbase : A77567DM) ; 20-19.739, FS-D (N° Lexbase : A22707ES) ; 20-19.740, FS-D (N° Lexbase : A22187EU) ; 20-19.741, FS-D (N° Lexbase : A23287EX) et 20-19.745, FS-D (N° Lexbase : A21447E7)

Lecture: 4 min

N9648BYY

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par Vincent Téchené

Le 08 Décembre 2021

► Une entreprise qui a saisi l'Autorité de la concurrence de pratiques anticoncurrentielles, à laquelle la décision est notifiée et qui est partie au recours formé contre la décision rendue par cette Autorité devant la cour d'appel de Paris, doit pouvoir former un pourvoi en cassation tant contre l'arrêt de la cour d'appel statuant sur ce recours que contre l'ordonnance du premier président qui statue sur une demande de sursis à l'exécution de la décision ;

Le pourvoi formé contre l'ordonnance doit être introduit dans le même délai d'un mois que celui prévu pour former un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel.

Faits et procédure. Une société a formé un pourvoi en cassation contre une ordonnance rendue le 1er juillet 2020 par le premier président de la cour d'appel de Paris. La défense a contesté la recevabilité de ce pourvoi

Décision. La Cour de cassation relève qu’aux termes du 1er alinéa de l’article L. 464-8 (N° Lexbase : L0141LZA), les décisions de l'Autorité de la concurrence mentionnées aux articles L. 462-8 (N° Lexbase : L6284L4I), L. 464-2 (N° Lexbase : L6286L4L), L. 464-3 (N° Lexbase : L2071ICP), L. 464-5 (N° Lexbase : L2089ICD), L. 464-6 (N° Lexbase : L8607IBE), L. 464-6-1 (N° Lexbase : L8715IBE) et L. 752-27 (N° Lexbase : L0145LZE) sont notifiées aux parties en cause et au ministre chargé de l'Économie, qui peuvent, dans le délai d'un mois, introduire un recours en annulation ou en réformation devant la cour d'appel de Paris.

Il résulte du deuxième alinéa de ce même article que si le recours n'est pas suspensif, le premier président de la cour d'appel de Paris peut ordonner qu'il soit sursis à l'exécution de la décision si celle-ci est susceptible d'entraîner des conséquences manifestement excessives ou s'il est intervenu, postérieurement à sa notification, des faits nouveaux d'une exceptionnelle gravité.

En outre, aux termes du troisième alinéa de ce texte, le pourvoi en cassation, formé le cas échéant, contre l'arrêt de la cour, est exercé dans un délai d'un mois suivant sa notification.

Dès lors, pour la Haute juridiction, une entreprise qui a saisi l'Autorité de la concurrence de pratiques anticoncurrentielles, à laquelle la décision est notifiée et qui est partie au recours formé contre la décision rendue par cette Autorité devant la cour d'appel de Paris, doit pouvoir former un pourvoi en cassation tant contre l'arrêt de la cour d'appel statuant sur ce recours que contre l'ordonnance du premier président qui statue sur une demande de sursis à l'exécution de la décision. Le pourvoi formé contre l'ordonnance doit être introduit dans le même délai que celui prévu pour former un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel.

En l’espèce, il ressort des pièces de la procédure que la notification de la décision attaquée, reçue le 2 juillet 2020 par la société demanderesse au pourvoi, mentionnait le délai de pourvoi d'un mois.

En conséquence, la Cour de cassation en conclut, au visa de l'article L. 464-8, alinéas 1 à 3, que le pourvoi, formé le 1er septembre 2020, n'est pas recevable.

Observations. Le pourvoi ayant été formé avant le 5 décembre 2020, la version de l’article L. 464-8 applicable à l’affaire était celle antérieure à la loi « DDADUE » (loi n° 2020-1508 du 3 décembre 2020 N° Lexbase : L8685LYC) qui a modifié ce texte.

Désormais, ne sont plus visées les décisions de l'Autorité de la concurrence mentionnées à l’article L. 464-5, puisque ce dernier texte a été abrogé, et donc avec lui le plafond de 750 000 euros de la sanction pécuniaire susceptible d’être infligée dans le cadre de la procédure simplifiée. La solution énoncée par l’arrêt du 1er décembre reste donc pleinement applicable en ce qui concerne le pourvoi en cassation formé contre les décisions de la cour d’appel se prononçant sur les autres décisions de l’Autorité de la concurrence.

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Droit Administratif Général

[Questions à...] L’aléa dans la jurisprudence administrative – Questions à Clément Rouillier, Maître de conférences en droit public, Université Rennes 2

Lecture: 16 min

N9683BYB

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Le 13 Décembre 2021

 


Mots clés : aléa • droit administratif

Alors même que l'aléa déjoue la prévisibilité et la régularité attachées à la sécurité juridique, le droit apprivoise l'aléa et cherche à s'adapter à ses conséquences. Un bon exemple de ce paradigme est la pandémie actuelle de Covid-19. À travers la jurisprudence sur le risque des pesticides ou des OGM, sur la théorie de l'imprévision ou du fait du prince, sur les armes de la police ou l'aléa thérapeutique, le juge administratif cherche à consolider l'ordre juridique et, partant, l'ordre politique et social. Ainsi, l'aléa offre l'opportunité de comprendre les facteurs sociologiques et institutionnels qui expliquent la jurisprudence élaborée par le juge administratif. Pour faire ce point sur cette thématique, Lexbase Public a interrogé Clément Rouillier, Maître de conférences en droit public, Université Rennes 2, Laboratoire interdisciplinaires de recherche en innovations sociétales (LiRIS, EA 7481), auteur de l'ouvrage L'aléa dans la jurisprudence administrative, à paraître en janvier 2022 aux éditions Broché*.


 

Lexbase : Tout d'abord, comment définirez-vous l'aléa dans la jurisprudence administrative ?

Clément Rouillier : Il faut savoir que comme tout concept, l’aléa n’a pas de définition absolue. C’est une convention par laquelle on cherche à désigner la réalité. Pour définir l’aléa dans la jurisprudence administrative, je suis donc directement parti de la jurisprudence à ma disposition. C’est-à-dire que j’ai compilé toutes les occurrences du terme « aléa » que j’ai pu rencontrer et, à partir de cet ensemble jurisprudentiel, j’ai essayé de dégager la signification que les juges administratifs donnent à ce concept. Il en ressort deux choses complémentaires. Premièrement, les juges administratifs utilisent le concept d’aléa dans un sens plutôt ordinaire : il s’agit d’un événement imprévisible, ou d’un tour imprévisible que peuvent prendre les événements. En cela, on est très proche de l’étymologie de l’aléa qui dérive d’un jeu de hasard romain. Deuxièmement, l’aléa est un concept juridique dans la mesure où ce concept va servir aux juges administratifs à justifier la mise en œuvre d’un régime juridique particulier. Par exemple, il sert en droit des contrats à justifier la mise en œuvre de la théorie de l’imprévision ou du fait du Prince, c’est-à-dire à justifier la modification du contrat administratif ; en droit de la responsabilité, un événement aléatoire permet d’exonérer totalement ou partiellement l’auteur du fait dommageable (c’est alors une cause exonératoire), mais aussi, dans certains cas, entraîner un régime de responsabilité sans faute (c’est le cas de tous les régimes de responsabilité fondés sur le risque : armes dangereuses, ouvrage public dangereux, méthodes dangereuses, etc.) ; enfin, l’aléa peut aussi entraîner l’application du principe de précaution lorsqu’une incertitude scientifique demeure sur la dangerosité d’une technologie (les pesticides, les ondes des antennes-relais ou encore les OGM). Comme on peut le voir, on trouve la trace de l’aléa dans toute la jurisprudence administrative, sur les sujets les plus variés. Ainsi, l’aléa est un formidable prétexte pour étudier le fonctionnement plus général de la jurisprudence administrative et s’interroger sur le raisonnement juridique des juges administratifs, c’est-à-dire la manière dont ils rendent leurs décisions, la façon dont ils interprètent les règles de droit et qualifient les faits dans une affaire. L’apport de mon travail réside dans le fait que ce raisonnement juridique dépend la place et du rôle institutionnel, politique et social du juge administratif. C’est cette place et ce rôle particuliers qui expliquent la jurisprudence en matière d’aléa.

On peut l’illustrer avec deux exemples d’actualité. Premièrement, l’aléa permet de s’intéresser au régime de responsabilité des armes utilisées par la police. Les nombreuses blessures et mutilations infligées par les flashballs, les lanceurs de balle de défense (LBD 40) ou les diverses grenades utilisées par la police ces dernières années connaissent bien souvent un versant juridictionnel administratif : les victimes cherchent alors la responsabilité de l’État devant le juge administratif, comme la condamnation récente de l’administration dans la mort de Rémi Fraisse le 25 novembre 2021 [1]. Le juge administratif a créé un régime de responsabilité sans faute qui bénéficie à la victime dans le cas où l’arme utilisée présente un aléa, un risque grave. Toutefois, à l’intérieur de ce régime de responsabilité, la jurisprudence a posé des exceptions. Le régime de responsabilité sans faute du fait des armes dangereuses ne bénéficie pas aux manifestants à l’encontre desquels il est utilisé, seulement à l’égard des tiers aux opérations de police (un passant en marge d’une manifestation par exemple). On en a eu l’illustration avec la condamnation de l’État dans la mort de Rémi Fraisse, le juge ayant écarté ce régime de responsabilité en raison de la participation de la victime au rassemblement. Cette jurisprudence se construit autour de la manière dont les juges administratifs se représentent l’ordre public et les impératifs de son maintien. D’une part, en prévoyant un régime de responsabilité sans faute, le juge accorde une certaine faveur aux victimes puisqu’elles n’auront pas à prouver la faute. Mais ce régime permet aussi au juge de ne pas accuser l’administration policière, de lui laisser les coudées franches lorsqu’elle emploie la coercition. Elle évite au juge de porter un jugement de valeur sur l’administration. En somme, la responsabilité sans faute du fait des armes utilisées par la police entérine le fait que la violence physique est inhérente à l’action administrative, que le fonctionnement normal de l’administration peut entraîner des blessures graves, voire des morts. Cette jurisprudence engage une représentation de la place de l’individu, de l’État et de la force publique très structurée et spécifique (différente, par exemple, de celle qui existe en Allemagne [2]). D’autre part, en distinguant les manifestants des tiers aux opérations de police, la jurisprudence administrative se construit sur une représentation du manifestant largement moralisatrice. En substance, la plupart des manifestants blessés sont présentés de manière négative par les juges, qui mettent en avant leur caractère contestataire, leur dangerosité, voire même leur recherche du dommage.

Deuxièmement, l’aléa permet de s’intéresser au principe de précaution et à la façon dont le juge s’en sert en contentieux. Ce principe qui impose de prendre en compte un risque incertain pour la santé et l’environnement a connu une actualité toute particulière à propos des OGM [3], des antennes relais [4], des compteurs communicants (de type Linky) [5] et des pesticides [6]. Dans tous ces domaines, des maires avaient édicté des arrêtés de police pour limiter ou interdire sur le territoire de leur commune les innovations technologiques en question. Mais sur tous ces sujets, il existe une police spéciale qui appartient à l’État. En pareille situation, la jurisprudence administrative admet assez souvent que les maires puissent quand même intervenir concurremment à la police spéciale en cas de circonstances locales particulières ou de péril imminent. Les maires s’étaient donc fondés sur ces deux exceptions pour prendre des mesures de restriction supplémentaires : là où l’État avait autorisé l’implantation d’antennes relais, les maires les avaient interdites à proximité des écoles ou des maisons de retraite ; là où les OGM et les compteurs communicants avaient été autorisés par l’État, les maires les avaient interdits en raison de leurs conséquences environnementales ou sanitaires ; là où les agriculteurs avaient obtenu le droit d’épandre des pesticides à 5 mètres des habitations, les maires avait exigé de respecter 100 ou 150 mètres. Sur ces sujets, l’enjeu dépassait assez largement la simple question de compétence puisque la réponse qui serait apportée par le juge administratif conditionnerait aussi le déploiement de ces technologies sur le territoire : si le Conseil d’État reconnaissait l’exception de péril imminent ou de circonstances locales particulières, les arrêtés anti-OGM, anti-antennes relais, anti-compteurs communicants ou anti-pesticides se seraient multipliés. C’est pourquoi, sur ces quatre thématiques, le Conseil d’État a adopté une position de principe extrêmement stricte en excluant catégoriquement que le maire intervienne pour réglementer le déploiement de ces technologies sur le territoire communal, sans aucune exception. Ainsi, malgré le principe de précaution, parmi la variété de position qu’il pouvait adopter, le Conseil d’État a opté pour la plus stricte. Pourquoi ? Le Conseil d’État n’est pas un ardent promoteur de ces technologies, mais sa place institutionnelle en fait une instance proche de l’État, qui a à cœur de défendre l’uniformité des règles de droit et, surtout, l’uniformité des arbitrages de l’État. Sur les antennes relais, les OGM, les compteurs communicants et les pesticides, les gouvernements successifs ont fait des choix politiques destinés à garantir des filières agro-industrielles ou la couverture téléphonique du territoire. Accorder un pouvoir aux maires pour intervenir dans ces domaines remettrait en question ces intérêts. En somme, situé au cœur de l’État, le Conseil d’État se fait le gardien juridique de l’uniformité des règles de droit sur des sujets politiques et sociaux essentiels : si les conseillers d’État ne sont pas des thuriféraires convaincus de l’agriculture industrielle ou de la 5G, ils en sont les alliés juridiques objectifs. D’ailleurs, jusqu’à présent, le principe de précaution a été d’une utilité contentieuse quasi-nulle : même s’il est très fréquemment invoqué, on peut compter sur les doigts d’une main les arrêts dans lesquels une juridiction a annulé une décision administrative pour méconnaissance du principe de précaution.

À partir de l’aléa, ces deux exemples permettent de comprendre que la jurisprudence administrative s’explique par la position institutionnelle qu’occupe le Conseil d’État au sein de l’État et de la société française. Les juges administratifs ont toujours une marge de manœuvre : ils peuvent adopter un revirement de jurisprudence, inclure les manifestants dans le régime de responsabilité pour risque, reconnaître que les maires peuvent réglementer l’épandage des pesticides à proximité d’une crèche [7]. Leur jurisprudence actuelle est le résultat d’arbitrages idéologiques (au sens propre du terme), plus ou moins incorporés, qui découlent de leur place et de leur rôle au sein de l’État et de la société.

Lexbase : La pandémie actuelle de covid-19 amène-t-elle à reconsidérer cette notion ?

Clément Rouillier : Je pense que la pandémie actuelle n’aboutit pas à une remise en cause de la notion d’aléa mais qu’elle en confirme certains aspects. De manière générale les crises sont des moments où les institutions se « révèlent », où apparaissent de manière explicite et exacerbée les rapports de pouvoirs qui les structurent. La pandémie de Covid-19 ne fait pas exception : elle agit comme un révélateur et un accélérateur des arbitrages idéologiques sur lesquels s’est construit l’État et la jurisprudence administrative. Il ne s’agit pas d’un élément que j’ai étudié, mais pour en donner un exemple, je pense que la crise a mis à nu le fondement autoritaire et l’inégalité de pouvoir qui préside à l’État moderne. Du jour au lendemain, le gouvernement a pu prendre des mesures de limitation des libertés extrêmement fortes ou organiser une campagne de vaccination de toute la population française. Cette caractéristique du pouvoir est toujours présente dans la construction et le fonctionnement de l’État. Mais elle est apparue alors de manière palpable.

Pour évoquer un cas plus directement en lien avec l’ouvrage, on peut mentionner le pouvoir de police des maires sous l’état d’urgence sanitaire. La chose a été longuement étudiée par de nombreux universitaires : le 17 avril 2020, dès le début du confinement, le Conseil d’État a rendu une position extrêmement stricte sur le pouvoir de police des maires, en leur interdisant de prendre toute mesure de restriction à moins qu’elle ne soit justifiée par des raisons « impérieuses » liées à des circonstances locales, qu’elles soient « indispensables » et qu’elles ne compromettent pas « la cohérence » et « l’efficacité » des mesures prises par l’État. Dans cette décision, on voit apparaître de manière particulièrement patente la conception jacobine du pouvoir de police à l’échelle nationale et l’attachement du Conseil d’État au caractère unitaire des règles de droit à l’échelle nationale. L’incertitude entourant la propagation de l’épidémie et la crainte des conseillers d’État que les arrêtés de police des maires ne conduisent à une fragmentation juridique de la réglementation sanitaire, les ont conduits à adopter cette position restrictive à l’égard du pouvoir de police générale des maires. Cette décision « Commune de Sceaux » [8] fait pour moi écho à la jurisprudence du Conseil d’État en matière d’OGM, d’antennes relais, de compteurs communicants et de pesticides. Les enjeux politiques, sociaux et économiques diffèrent dans tous ces domaines mais le souci des conseillers d’État de garantir des choix politiques et une réglementation juridique uniformes sur tout le territoire est le même. Ce souci est toujours présent dans la jurisprudence du Conseil d’État mais avec la décision « Commune de Sceaux », il apparaît de manière explicite.

Pour moi, la pandémie est donc simplement un révélateur. Une institution (que ce soit une famille, une commune ou un État) ne se réinvente pas en période d’urgence : elle mobilise ses schèmes conceptuels de traitement des problèmes, ses habitudes de fonctionnement pour répondre à la situation de crise.

Lexbase : De quelle manière l'aléa façonne-t-il l'action récente du juge administratif ?

Clément Rouillier : La réponse à cette question dépend assez largement du type d’aléa dont on parle. Par exemple, les aléas contractuels ont peu fait bouger la jurisprudence du juge administratif qui applique avec une certaine constance les théories jurisprudentielles de l’imprévision, des sujétions imprévues ou encore du fait du Prince. La situation a en revanche beaucoup évolué en matière de perte de chance, celle-ci ayant été de mieux en mieux indemnisée par le juge administratif tout particulièrement en matière médicale. Dans ce domaine, le juge a développé une jurisprudence fournie sur la perte de chance de se soustraire à un risque lorsque l’équipe médicale n’a pas donné au patient toutes les informations qui lui auraient permis de prendre une décision éclairée sur l’opération qu’on lui propose. La jurisprudence avait construit une approche très utilitariste de la question, qui apparentait le patient à une sorte de médecin ultra rationnel et gommait assez largement toute subjectivité de la situation de soin. Récemment, la jurisprudence a ainsi pris en compte cette subjectivité du choix du patient, par exemple sa profession ou ses centres d’intérêts. Les juges ont su intégrer une vision plus large du patient, perçu comme une personne confrontée à un choix difficile, et non plus comme une sorte d’expert médical.

Les juges administratifs ne rendent pas leurs décisions in vitro ; ils sont immergés dans certains groupe sociaux, dans une certaine société et une certaine culture. Le juge administratif est un agent social et ses décisions ne peuvent pas être appréhendées sans cette insertion sociale. C’est pourquoi l’actualité fournit une caisse de résonnance toute particulière à la jurisprudence. L’État fait probablement l’objet d’une crise de légitimité récurrente. Celle-ci s’exprime tout particulièrement dans les mobilisations sociales de ces dernières années qui ciblent, entre autres, la verticalité du pouvoir décisionnel de l’État, voire son caractère autoritaire. Face à cela, les autorités publiques cherchent constamment à réaffirmer la légitimité de l’autorité étatique. La jurisprudence administrative en fait partie. Afin de préserver la verticalité du pouvoir administratif, les juges administratifs développent des jurisprudences qui permettent, ponctuellement, de corriger les aspects les plus visibles de cette verticalité, sans pour autant la remettre en question. C’est le sens des divers mécanismes de responsabilité sans faute. La responsabilité pour risque du fait des armes policières dangereuse, celle des choses dangereuses ou encore celle des méthodes dangereuses, comme tout régime de responsabilité sans faute, est un moyen pour le juge, via une indemnisation, d’intégrer les administrés à un jeu social inégalitaire. Concrètement, en garantissant une indemnisation à des administrés blessés, le juge cherche à rendre acceptable une activité dommageable : assurer a minima une indemnité financière renforce la légitimité des sujétions administratives (ce qui apparaît explicitement dans les écrits des magistrats administratifs eux-mêmes). Pour reprendre une citation de Pierre Bourdieu, « si vous n’avez pas un minimum de chances au jeu, vous ne jouez pas. Il faut un minimum de chances au jeu pour avoir envie de jouer. Si vous jouez aux billes avec votre fils, il faut le laisser gagner de temps en temps, sinon il vous dira : “Je ne joue plus avec toi, tu gagnes toujours” » [9]. Les conseillers d’État ont conscience d’intervenir dans un champ inégalitaire (entre l’administration et les administrés) et, sensibles à cette inégalité, tout autant qu’au souci de préserver la verticalité du pouvoir administratif, ils développent des mécanismes de compensation.

Cela ne signifie pas qu’il y ait une forme de concertation entre les conseillers d’État et les responsables administratifs ou les décideurs politiques. Du fait de leur position institutionnelle spécifique, au cœur de l’État, les conseillers d’État ont simplement une représentation de ce que doit être l’État, son autorité, les rapports entre la puissance publique et le marché, la société ou encore l’intérêt général, similaire à celle des hauts responsables administratifs et de nombre de décideurs politiques.

Lexbase : L'aléa peut-il entrer en conflit avec cette action, qui tend plutôt à consolider l'ordre juridique ?

Clément Rouillier : Il s’agit à mes yeux d’une question centrale : de prime abord, l’aléa s’oppose à la recherche de stabilité et de sécurité de l’ordre juridique. Pourtant, malgré cette apparente antinomie, le droit et la jurisprudence administrative prennent en compte l’aléa, cherchent à encadrer, écarter, limiter les effets ou encore apprivoiser l’événement imprévu dans le but qu’il ne déstabilise pas l’ordre juridique. L’aléa peut être une source potentielle de déstabilisation de l’ordre juridique. C’est pourquoi les juges administratifs cherchent à en limiter les effets et travaillent constamment à la consolidation de l’ordre juridique et à sa légitimation.

* Propos recueillis par Yann Le Foll, rédacteur en chef de Lexbase Public.


[1] TA Toulouse, 25 novembre 2021, n° 1805497 (N° Lexbase : A73307DT).

[2] A. Jacquemet-Gauché, La responsabilité de la puissance publique en France et en Allemagne. Étude de droit comparé, Paris : LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit public », 2013, 587 p.

[3] CE 3° et 8° ch.-r., 7 février 2020, n° 388649, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A74823DH).

[4] CAA Bordeaux, 4ème ch., 16 novembre 2018, n° 16BX02996 (N° Lexbase : A1317YMQ).

[5] CE 3° et 8° ch.-r., 11 juillet 2019, n° 426060, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6847ZIG).

[6] CE 3° et 8° ch.-r., 26 juillet 2021, n° 437815, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A36184ZZ).

[7] TA Cergy-Pontoise, 8 novembre 2019, n° 1912597 (N° Lexbase : A2850ZU4).

[8] CE référé, 17 avril 2020, n° 440057 (N° Lexbase : A87973KZ).

[9] P. Bourdieu, Sur l’État. Cours au Collège de France, 1989-1992, Paris : Raisons d’Agir / Seuil, 2012, p. 596.

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État civil

[Brèves] Transmission de la nationalité française à l’enfant mineur par l’effet collectif de la seule déclaration recognitive de nationalité française du père : censure du Conseil constitutionnel pour rupture d’égalité !

Réf. : Cons. const., 10 décembre 2021, décision n° 2021-954 QPC (N° Lexbase : A67327E3)

Lecture: 2 min

N9750BYR

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par Aude Lelouvier

Le 10 Décembre 2021

► Sont contraires au principe d’égalité de tous devant la loi et doivent être déclarées inconstitutionnelles, les dispositions du Code de la nationalité française qui retiennent que l’enfant mineur ne peut se voir transmettre la nationalité française que par l’effet collectif attaché à la déclaration recognitive de nationalité française souscrite par le père ; celle de la mère étant exclue sauf en cas de prédécès du père.  

Dans cette décision, le Conseil constitutionnel était saisi d’une QPC tendant à s’interroger sur la constitutionnalité de l’article 153 du Code de la nationalité française avec le principe d’égalité devant la loi et le principe d’égalité entre les hommes et les femmes. En effet, la requérante reprochait à cette disposition, combinée avec l’article 152 du même Code, de permettre aux enfants légitimes mineurs de bénéficier uniquement de la déclaration recognitive de nationalité française souscrite par leur père, celle effectuée par la mère n’emportant un tel effet qu’en cas de prédécès du père.  

Le Conseil constitutionnel, après avoir rappelé que le législateur peut déroger à l’égalité de tous devant la loi pour des raisons d’intérêt général, considère que les dispositions de l’article 153 du Code de la nationalité française instaurent « une différence de traitement, d’une part, entre les enfants légitimes selon que la déclaration a été souscrite par le père ou la mère, d’autre part entre le père et la mère ».  

L’objectif poursuivi par les dispositions du Code de la nationalité consiste à maintenir une unité familiale en s’assurant que tous les enfants légitimes mineurs d’un même couple possèdent la même nationalité. Or, ce motif ne permet pas de justifier une différence de traitement entre les enfants légitimes ou entre les père et mère selon que la déclaration cognitive de nationalité émane du père ou de la mère. Par conséquent, le Conseil constitutionnel a conclu à l’inconstitutionnalité du 1° de l’article 153 du Code de la nationalité française.  

newsid:479750

Fonction publique

[Brèves] Conditions de modification et de dénonciation des accords collectifs dans la fonction publique : la liberté syndicale et le principe de participation des travailleurs ne sont pas méconnus !

Réf. : Cons. const., décision n° 2021-956 QPC du 10 décembre 2021 (N° Lexbase : A67347E7)

Lecture: 2 min

N9749BYQ

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par Yann Le Foll

Le 14 Décembre 2021

► Les conditions de modification et de dénonciation des accords collectifs dans la fonction publique ne sauraient méconnaître la liberté syndicale et le principe de participation des travailleurs.

Rappel. Les organisations syndicales représentatives de fonctionnaires et les autorités administratives et territoriales compétentes ont qualité pour conclure des accords. Ces derniers sont valides s'ils sont signés par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ayant recueilli au moins 50 % des suffrages exprimés en faveur des organisations habilitées à négocier lors des dernières élections professionnelles.

Objet de la QPC. Les dispositions contestées du premier alinéa du paragraphe III de l'article 8 octies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires (N° Lexbase : L6938AG3), prévoient que les accords collectifs conclus dans la fonction publique peuvent être modifiés par des accords adoptés dans le respect de la condition de majorité précitée (renvoi CE 2° et 7° ch.-r., 5 octobre 2021, n° 451784 N° Lexbase : A3013484).

Les dispositions contestées du dernier alinéa du même paragraphe permettent la dénonciation totale ou partielle d'un accord par les parties signataires, et sous réserve, pour les organisations syndicales, du respect de la même condition de majorité.

Position des Sages. En premier lieu, les dispositions contestées du premier alinéa du paragraphe III n'ont, par elles-mêmes, ni pour objet, ni pour effet, d'interdire aux organisations syndicales représentatives qui n'étaient pas signataires d'un accord collectif de prendre l'initiative de sa modification.

En second lieu, d'une part, en réservant le droit de dénoncer un accord aux seules organisations qui sont à la fois signataires de cet accord et représentatives au moment de sa dénonciation, les dispositions contestées du dernier alinéa du même paragraphe III ont pour objectif d'inciter à la conclusion de tels accords et d'assurer leur pérennité.

D'autre part, les organisations syndicales représentatives respectant la condition de majorité peuvent, même sans être signataires d'un accord, demander d'ouvrir une négociation en vue de sa modification ou participer à la négociation d'un nouvel accord, dans le cadre prévu par l'article 8 quinquies de la loi du 13 juillet 1983.

Décision – rejet QPC. Les dispositions contestées ne méconnaissent donc pas l'exigence découlant des sixième (liberté d’adhésion syndicale) et huitième (participation des travailleurs aux conditions de travail) alinéas du Préambule de 1946. Ces dispositions, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent donc être déclarées conformes à la Constitution.

newsid:479749

Licenciement

[Brèves] Justification du licenciement pour faute grave pendant la période de protection suivant le congé de maternité

Réf. : Cass. soc., 1er décembre 2021, n° 20-13.339, FP-B (N° Lexbase : A77597DQ)

Lecture: 2 min

N9738BYC

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par Charlotte Moronval

Le 09 Décembre 2021

► Pendant les dix semaines suivant l'expiration des périodes de suspension du contrat de travail, l'employeur peut notifier un licenciement pour faute grave dès lors qu’il justifie qu’il n’est pas lié à l’état de grossesse.

Faits et procédure. Une salariée est en congé maladie puis en congé de maternité du 15 avril 2016 jusqu'au 17 décembre 2016. Convoquée le 28 décembre 2016 à un entretien préalable, elle est licenciée pour faute grave le 20 janvier 2017.

Considérant son licenciement nul car intervenu pendant la période de protection de dix semaines suivant le congé maternité, elle saisit la juridiction prud'homale. La cour d’appel (CA Chambéry, 27 août 2019, n° 19/00417 N° Lexbase : A4453ZLI) fait droit à sa demande et prononce la nullité de la rupture pour violation du statut protecteur. L’employeur forme un pourvoi en cassation.

La solution. Énonçant la solution susvisée, la Chambre sociale casse et annule l’arrêt rendu par la cour d’appel.

Selon l’article L. 1225-4 du Code du travail (N° Lexbase : L7160K93), aucun employeur ne peut rompre le contrat de travail d'une salariée lorsqu'elle est en état de grossesse médicalement constaté, pendant l'intégralité des périodes de suspension du contrat de travail auxquelles elle a droit au titre du congé de maternité, qu'elle use ou non de ce droit, et au titre des congés payés pris immédiatement après le congé de maternité ainsi que pendant les dix semaines suivant l'expiration de ces périodes. Toutefois, l'employeur peut rompre le contrat s'il justifie d'une faute grave de l'intéressée, non liée à l'état de grossesse, ou de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à la grossesse ou à l'accouchement. Dans ce cas, la rupture du contrat de travail ne peut prendre effet ou être notifiée pendant les périodes de suspension du contrat de travail.

En statuant comme elle l’a fait, alors qu'elle avait constaté que le congé de maternité avait pris fin le 17 décembre 2016, de sorte que l'employeur pouvait rompre le contrat de travail s'il justifiait d'une faute grave de l'intéressée non liée à son état de grossesse, et qu'il lui appartenait en conséquence de rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si le licenciement était justifié par une telle faute, la cour d'appel a violé l’article L. 1225-4 du Code du travail, dans sa rédaction issue la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016.

Pour en savoir plus : v. ÉTUDE : La protection de la femme enceinte, Le licenciement de la femme enceinte pour faute grave, in Droit du travail, Lexbase (N° Lexbase : E3340ETU).

newsid:479738

Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Brèves] La Commission européenne parvient à un accord sur les nouvelles règles régissant les taux de TVA

Réf. : Commission européenne, communiqué de presse, 7 décembre 2021

Lecture: 4 min

N9711BYC

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par Marie-Claire Sgarra

Le 09 Décembre 2021

La Commission européenne est parvenue à un accord intervenu le 7 décembre 2021, entre les ministres des Finances de l'UE en vue de mettre à jour les règles actuelles régissant les taux de TVA applicables aux biens et services.

🖊️ Parmi les changements, on notera :

  • mise à jour de la liste des biens et services (annexe III de la Directive TVA N° Lexbase : L7664HTZ) auxquels tous les États membres peuvent appliquer des taux réduits de TVA ;
  • suppression, d'ici à 2030, de la possibilité pour les États membres d'appliquer des taux réduits et des exonérations aux biens et services jugés préjudiciables à l'environnement et aux objectifs de l'UE en matière de changement climatique ;
  • mise à la disposition de tous les pays des dérogations et exonérations applicables à des biens et services spécifiques.

📌 Taux applicable par les États membres aux biens figurant sur la liste actualisée :

  • les États membres continueront d'appliquer un taux normal de TVA supérieur à 15 % ;
  • ils auront désormais aussi la possibilité d'appliquer deux taux réduits allant jusqu'à 5 % à des biens et services dans un nombre de catégories limité à 24 parmi celles figurant dans une version actualisée et modernisée de l'annexe III de la Directive TVA ;
  • ils pourront également appliquer un taux réduit inférieur à 5 % et une exonération (« taux nul ») à sept catégories au maximum inscrites sur la liste considérée pour couvrir des besoins fondamentaux, tels que les denrées alimentaires, les médicaments et les produits pharmaceutiques.

📌 Élargir la liste actuelle des biens et services (annexe III de la Directive TVA) pouvant bénéficier de taux réduits de TVA. Sont inclus :

  • les services numériques qui, auparavant, ne remplissaient pas les conditions pour bénéficier des taux réduits, comme l'accès à l'internet et la retransmission en direct d'événements culturels et sportifs ;
  • les biens qui protègent la santé publique et qui se sont révélés des outils essentiels dans la lutte contre la Covid-19 et qui pourraient s'avérer utiles lors de prochaines crises, tels que les équipements de protection individuelle, les masques et certains équipements médicaux ; ainsi que d'autres articles considérés comme des aides essentielles pour les personnes handicapées ;
  • certains articles tels que des bicyclettes, des systèmes de chauffage écologiques et des panneaux solaires installés dans les habitations privées et les bâtiments publics, qui peuvent avoir une incidence positive sur les priorités de l'UE en matière de changement climatique ;
  • divers produits et services jugés appropriés et utiles par les États membres, guidés par l'intérêt général des objectifs de politique publique.

📌 Sur les dérogations et exonérations dont disposent actuellement les différents États membres. Pour rappel, certains États membres ont été autorisés, lors de leur adhésion à l'UE, à appliquer des dérogations telles que des exonérations et des taux réduits à des articles spécifiques pour lesquels ce traitement n'est normalement pas admis. Ces dérogations ont donné lieu à une multiplicité du nombre de taux. Les États membres devront supprimer toutes les dérogations qui ne sont pas compatibles avec le pacte vert pour l'Europe en 2030 au plus tard. Un certain nombre d'articles susceptibles d'avoir un effet préjudiciable sur l'environnement et, par conséquent, sur les mesures d'atténuation du changement climatique ont été explicitement exclus de l'annexe III. Les États membres auront jusqu'en 2030 pour mettre fin à tout traitement préférentiel accordé à ces produits.

Ces nouvelles règles reposent sur un accord précédent qui prévoyait de passer du système de TVA de l'UE vers un système dans lequel la TVA est payée dans l'État membre du consommateur plutôt que dans l'État membre du fournisseur.

⏲️ Prochaines étapes :

  • les règles actualisées vont être transmises au Parlement européen pour consultation sur le texte définitif d'ici au mois de mars 2022 ;
  • une fois adoptée formellement par les États membres, la législation entrera en vigueur 20 jours après sa publication au Journal officiel de l'Union européenne, ce qui permettra aux États membres d'appliquer le nouveau système à partir de cette date.

 

newsid:479711

Urbanisme

[Brèves] Paris 2024 et centre aquatique d’Aubervilliers : quand un établissement sportif peut-il être qualifié d’équipement collectif d’intérêt public ?

Réf. : CAA Paris, 23 novembre 2021, n° 21PA05597 (N° Lexbase : A29837E9)

Lecture: 3 min

N9728BYX

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par Yann Le Foll

Le 09 Décembre 2021

► Dès lors qu’un établissement sportif comporte des installations pouvant être utilisées à la fois par les usagers du centre au sein desquels il est situé mais aussi par une clientèle spécifique y accédant par une entrée et un local d’accueil dédiés, il relève au moins pour partie des équipements collectifs d’intérêt public.

Rappel. Le 21 juillet 2021, le maire d’Aubervilliers avait autorisé la construction d’un centre aquatique destiné à l’entrainement des athlètes en vue des Jeux Olympiques et Paralympiques. Saisi par une association et par des particuliers, le juge des référés de la cour administrative d’appel de Paris avait provisoirement suspendu le permis de construire, dans l’attente du jugement au fond. Par son ordonnance du 20 septembre, il avait en effet relevé trois motifs de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité du permis (CAA Paris, 20 septembre 2021, n° 21PA04871 N° Lexbase : A9647443).

Si deux motifs ont été considérés comme régularisés, rappelons que dans son ordonnance du 20 septembre, le juge des référés avait en outre regardé comme illégale la présence, au sein du complexe aquatique, d’un restaurant doté d’une complète autonomie et d’un accès spécifique. Pour corriger ce point, le projet prévoit désormais un espace « forme et bien-être », à la place du restaurant initialement envisagé. Pour la commune, il s’agit d’une activité d’intérêt public, voire d’un accessoire du centre aquatique. Pour l’association et les particuliers opposants au projet, il s’agit d’une activité de commerce sans lien avec le centre.

Position CAA. Le juge des référés de la cour a estimé que l’espace « forme et bien-être » critiqué comporte, en particulier, une salle de musculation qui pourra être utilisée à la fois par les usagers du centre aquatique, en vue de leur entrainement préalable aux compétitions, et par une clientèle spécifique y accédant par une entrée et un local d’accueil dédiés. Il en a déduit que l’espace « forme et bien-être » relève au moins pour partie des équipements collectifs d’intérêt public, et que la construction ne peut être regardée comme limitée à une destination de commerce au sens du plan local d’urbanisme intercommunal de Plaine Commune.

Rappel. La même cour avait déjà jugé que les établissements sportifs constituent des équipements collectifs d'intérêt public dans la mesure où ils permettent d'assurer à la population résidente une pratique d'activités physiques dont elle a besoin dans un milieu urbain dense, sans que le caractère public ou privé de la personne chargée de la réalisation ou de la gestion de cet équipement puisse avoir une incidence (CAA Paris, 13 février 2020, n° 18PA03986 N° Lexbase : A19133LG).

Solution. Le juge des référés a levé les effets de la suspension qu’il avait ordonnée le 20 septembre, ainsi que l’injonction de mettre fin aux travaux concernés. Les travaux du centre aquatique peuvent donc légalement reprendre, la demande d’annulation au fond de l’arrêté accordant le permis de construire devant être examinée sous peu.

newsid:479728

Voies d'exécution

[Brèves] En l’absence d’engagement du débiteur dans la cession d’une créance, la mesure d’exécution forcée ne peut se fonder sur le jugement homologuant la transaction

Réf. : Cass. civ. 2, 2 décembre 2021, n° 20-14.092, F-B (N° Lexbase : A90907DZ)

Lecture: 3 min

N9680BY8

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par Alexandra Martinez-Ohayon
Lalaina Chuk Hen Shun, Docteur en droit

Le 19 Septembre 2022

Le jugement rendu dans un État membre doit répondre aux mêmes critères que ceux appliqués en droit interne ; lorsqu’il homologue la transaction entre le cédant et le cessionnaire d’une créance, il ne constate pas une créance liquide et exigible à l’encontre du débiteur ; à défaut d’engagement de ce dernier dans la transaction homologuée, le jugement ne peut fonder une mesure d’exécution sur ses biens.  

Faits et procédures. Par jugement du 30 novembre 1987, une condamnation au paiement d’une certaine somme a été prononcée par le tribunal de grande instance de Toulon au profit d’un établissement banquier. Par la suite, la banque cède la créance à une société luxembourgeoise qui, à son tour, par une transaction homologuée par le tribunal d’arrondissement de Luxembourg en février 2017, l'a cédée à son actionnaire unique. Ce dernier fait pratiquer plusieurs saisies-attributions et une saisie de droits d'associé et de valeurs mobilières à l'encontre du débiteur, condamné en 1987, qui saisit le juge de l'exécution du tribunal de grande instance d’Avignon pour contestation. 

Le juge avignonnais déboute le débiteur qui interjette appel en faisant valoir, entre autres, que le jugement d’homologation du 9 novembre 2017 ne crée aucune obligation à son égard. L’appelant demande ainsi que les saisies-attributions effectuées sur ses comptes soient déclarées nulles et de nul effet. La cour d’appel rejette les demandes (CA Nîmes, 19 décembre 2019, n° 19/01995 N° Lexbase : A8476Z8G). 

Pourvoi. Le débiteur forme un pourvoi contre l’arrêt en soutenant que la décision du 9 novembre 2017, en vertu de laquelle la créance est cédée ne constitue pas, à elle seule, un titre exécutoire pouvant servir de fondement aux mesures d’exécution forcée. Le demandeur au pourvoi ajoute que ce jugement se borne à homologuer la transaction sans comporter d’évaluation en argent de la créance, ni d’éléments suffisamment précis pour en déterminer le montant. Ce faisant, le débiteur soutient que la créance n’est, par conséquent, pas liquide et ne peut faire l’objet de mesures d’exécution forcée. 

Réponse de la Cour. La Haute juridiction rappelle qu’un jugement rendu dans un autre État membre doit répondre, indépendamment de son caractère exécutoire, aux mêmes critères que ceux appliqués, en droit interne. Énonçant les solutions précitées aux visas des articles L. 111-2 (N° Lexbase : L5790IRU) et L. 111-3, 1° et 2° (N° Lexbase : L5301LUU) du Code des procédures civiles d'exécution et l'article 41, § 1, du Règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 (N° Lexbase : L9189IUU), la Cour de cassation relève que les saisies litigieuses sont intervenues sur le fondement unique du jugement d’homologation du 9 février 2017. Or, celui-ci ne constatait pas une créance liquide et exigible à l’encontre du demandeur au pourvoi et ne pouvait, dès lors, fonder une mesure d’exécution forcée sur ses biens. 

Solution. La Cour de cassation casse et annule l’arrêt sur ces points.

Pour aller plus loin :

  • R. Laher, ÉTUDE : L’exécution du jugement, Les conditions générales de l’exécution, in Procédure civile, (dir. É. Vergès), Lexbase (N° Lexbase : E05124ZY) ;
  • ÉTUDE : Les conditions générales de l'exécution forcée, Le titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible, in Voies d'exécution, (dir. N. Fricéro et G. Payan), Lexbase (N° Lexbase : E8157E8M).

newsid:479680

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