La lettre juridique n°872 du 8 juillet 2021

La lettre juridique - Édition n°872

Avocats/Déontologie

[Focus] L'avocat dessaisi peut-il attendre d'être réglé du montant de ses honoraires pour transmettre le dossier à son successeur ?

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N8112BY4

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par Guillaume Royer, Avocat au Barreau de Nancy, Maître de conférences à Sciences-Po Paris (Campus franco-allemand de Nancy)

Le 07 Juillet 2021


Mots-clés : focus • avocat • honoraires • succession d’avocats • transmission du dossier • rétention


 

La succession d’avocats dans un dossier peut être délicate. Ayant reçu la lettre officielle de son successeur, l’avocat en charge du dossier va généralement établir son compte afin d’adresser ses honoraires finaux au client. D’ailleurs, le reliquat des honoraires restant dus est une question centrale dans le rapport naissant entre le client et le nouvel avocat désigné puisque l’article 9.1 du Règlement Intérieur National prévoit que le nouvel avocat a l’obligation de « s’enquérir des sommes pouvant lui rester dues ». Mais ses devoirs à l'égard de son prédécesseur ne vont pas plus loin : les règles de la Profession n’interdisent pas au nouvel avocat d’accomplir des diligences avant que son prédécesseur soit intégralement désintéressé et celui-ci n’est pas davantage garant des honoraires impayés. Et si l’on ajoute à cela que le client, insatisfait (à tort ou à raison), de son ancien conseil, peut être tenté de ne pas régler le solde des honoraires restant dû pour marquer son mécontentement, il faut bien reconnaître que la situation de l’avocat « débarqué » est souvent bien inconfortable… Dans ce cas, l’avocat « débarqué » pourrait être enclin, à son tour, de retarder la transmission du dossier jusqu’à règlement des honoraires… Stratégiquement, la rétention du dossier aurait forcément du bon, notamment à hauteur d’appel, où le non-respect du moindre délai de procédure peut avoir des conséquences fatales sur la conduite du procès…

Cela revient à aborder un éventuel droit de rétention au civiliste du terme, dont disposerait l’avocat sur le dossier dans l’attente du règlement de ses honoraires. D’emblée, il faut bien reconnaître que la brutalité du droit de rétention coïncide mal avec les principes essentiels, inhérents à la profession d’avocat. L’article 3 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d’avocat (N° Lexbase : L6025IGA) prévoit que l’avocat doit respecter, notamment les principes de délicatesse, de modération et de courtoisie à l’égard du justiciable.

Cela explique l’histoire, assez mouvementée, du droit de rétention. Dans un passé ancien, un arrêt rendu par la chambre civile de la Cour de cassation en date du 10 août 1870 avait admis que le droit de rétention des professionnels du droit pouvait porter sur les pièces qui avaient été confiées à ces professionnels pour l'accomplissement de la mission dont ils avaient été chargés [1].

Cependant, la rétention du dossier s’intègre mal dans le droit positif contemporain. D’une part, et au regard du droit commun des obligations, l’article 2286 du Code civil (N° Lexbase : L2439IBX) prévoit que « peut se prévaloir d'un droit de rétention sur la chose : 1° Celui à qui la chose a été remise jusqu'au paiement de sa créance ; 2° Celui dont la créance impayée résulte du contrat qui l'oblige à la livrer ; 3° Celui dont la créance impayée est née à l'occasion de la détention de la chose ; 4° Celui qui bénéficie d'un gage sans dépossession ». La situation de l’avocat dessaisi ne correspond à aucun de ces cas de figure. D’autre part, le droit de rétention ne pourrait trouver son fondement dans les règles propres à la Profession. Bien au contraire, le Règlement Intérieur National de la Profession consacre son article 9 à la « succession d’avocats dans un même dossier » et précise en son 2, que « l’avocat dessaisi, ne disposant d’aucun droit de rétention, doit transmettre sans délai tous les éléments nécessaires à l’entière connaissance du dossier ». D’initiative, l’avocat dessaisi ne peut donc exercer un droit de rétention sur le dossier. Une fois dessaisi, il lui appartient de transmettre son dossier « sans délai » et de manière exhaustive. Ainsi que l’écrivent Messieurs Ader et Damien, « tant les pièces de fond, y compris les pièces adverses, que les actes de procédure constituent les éléments d'un même dossier qui est la propriété du client et non celle de l'avocat, tous les originaux des pièces devant être restitués. En cas de remise du dossier au client, il est recommandé à l'avocat dessaisi dans la mesure du possible de remettre le dossier en établissant un bordereau portant décharge » [2].

Et d’ailleurs, ce droit de rétention pourrait davantage être institué par le règlement intérieur d’un Barreau. Par le passé, la première chambre civile de la Cour de cassation a déjà eu à connaître d’une hypothèse assez proche. Dans un arrêt en date du 16 décembre 2003 [3], elle a été saisie du pourvoi formé par un avocat inscrit au Barreau de Nice qui contestait l’existence d’une disposition du règlement intérieur de son Barreau prévoyant explicitement que « si des sommes restent dues à un avocat précédemment saisi du dossier, le nouvel avocat ne peut, sauf autorisation du Bâtonnier, accomplir de diligences tant que ces sommes ne seront pas réglées ». Il fallait y voir un droit de rétention à peine déguisé puisque, même en possession du dossier, le nouvel avocat ne pouvait accomplir de diligences avant le désintéressement de son prédécesseur, sauf le visa de son Bâtonnier. L’arrêt est cassé sur ce point au visa de l’article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 (N° Lexbase : L0860AHC) et de l’article 17 de la loi du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ), d’où découle le principe selon lequel « il n’entre pas dans les pouvoirs réglementaires du conseil de l’Ordre des avocats d’investir le Bâtonnier d’un pouvoir de décision de nature à paralyser, même sous certaines conditions, l’usage par une partie de voies de droit qui lui sont légalement ouvertes ». Par analogie, et dès lors que l’article 9.2 du Règlement intérieur national exclut explicitement le droit de rétention de l’avocat, aucun règlement local ne pourrait consacrer ce droit sans s’exposer à la censure de la Cour de cassation.

Reste que l’avocat dessaisi qui déciderait de retenir le dossier de son ancien client dans l’attente du règlement de ses honoraires s’exposerait à la procédure des articles 174 et suivants du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat (N° Lexbase : L8168AID). En effet, l’article 14 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat (N° Lexbase : L6025IGA) précise que : « lorsque l'affaire est terminée ou qu'il en est déchargé, l'avocat restitue sans délai les pièces dont il est dépositaire. Les contestations concernant la restitution des pièces sont réglées suivant la procédure prévue en matière de montant et de recouvrement des honoraires ». Bien évidemment, l’avocat dessaisi, invité à présenter ses observations dans le cadre d’un défaut de restitution de pièces à son ancien client pourrait, à titre reconventionnel, soumettre la taxation de ses honoraires impayés… Cependant, cette situation contentieuse n’est satisfaisante pour personne.

Faute de pouvoir légalement se prévaloir d’un droit de rétention du dossier du client, il appartient à tout avocat de suivre rigoureusement le suivi de sa facturation et d’appeler régulièrement des provisions sur l’affaire en cours. Car une fois dessaisi, l’avocat devra composer la récalcitrance du client mécontent et introduire une procédure de taxation qui pourrait déboucher, in fine, sur l’insolvabilité de l’ancien client. Ne dit-on pas : « mieux vaut prévenir que guérir » ?

 

[1] V., la jurisprudence citée par J.-M. Marmayou, in Juris-Cl.Code civil, art. 2286, Fasc. 10 : Privilèges : Droit de rétention-Notion et domaine d’application, n° 65.

[2] H. Ader et A. Damien, Règles de la profession d’avocats, Dalloz, Coll. Action, 16ème éd. 2018, n° 484, 122.

[3] Cass. civ. 1, 16 décembre 2003, n° 01-10.210, FS-P (N° Lexbase : A4741DAT).

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Bancaire

[Brèves] Précisions sur le droit régissant la clôture du compte ouvert à l’aide de la procédure du « droit au compte »

Réf. : Cass. com., 30 juin 2021, n° 19-14.313, FS-B (N° Lexbase : A21264YE)

Lecture: 8 min

N8261BYM

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par Jérôme Lasserre Capdeville

Le 20 Juillet 2021

► En matière de clôture d’un compte ouvert à l’aide de la procédure du droit au compte, constitue une utilisation délibérée du compte, au sens de l’article L. 312-1, IV, 1° du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L9624LGK), le fait, pour son titulaire, d’en communiquer les coordonnées à un cocontractant afin qu’il effectue un paiement par virement sur ce compte.

Le banquier peut, en principe, choisir son cocontractant. Cependant, l’ouverture d’un compte bancaire est devenue une nécessité depuis bien longtemps déjà. Fort de ce constat, le législateur est venu prévoir, par la loi n° 84-46, du 24 janvier 1984, relative au contrôle et à l’activité des établissements de crédit (N° Lexbase : L7223AGM), le droit pour tous à bénéficier d’un compte de dépôt. Ce droit au compte, qui témoigne des « fonctions sociales du banquier », fait partie d’un mouvement plus large, que l’on nomme aujourd’hui « l’inclusion bancaire ».

Or, il convient de noter qu’un compte ouvert ainsi grâce à la procédure du droit au compte, peut être clôturé par le banquier. Ce dernier devra simplement respecter une procédure particulière, qui a d’ailleurs été renforcée par l’ordonnance n° 2016-1808 du 22 décembre 2016 (N° Lexbase : L9156LBQ) ayant notamment assuré la transposition en droit interne de la Directive n° 2014/92/UE, du 23 juillet 2014, sur la comparabilité des frais liés aux comptes de paiement, le changement de compte de paiement et l'accès à un compte de paiement assorti de prestations de base (N° Lexbase : L1146I49).

C’est ainsi que, depuis, l’article L. 312-1, IV, du Code de commerce ne permet à l’établissement de crédit de résilier unilatéralement la convention de compte de dépôt assorti des services bancaires de base que si l’une au moins des conditions envisagées par ce passage est remplie. Il en va ainsi lorsque : le client a délibérément utilisé son compte pour des opérations que l’organisme a des raisons de soupçonner comme poursuivant des fins illégales ; le client a fourni des informations inexactes ; le client ne répond plus aux conditions de domicile ou de résident ; etc..

Par ailleurs, un délai de préavis de deux mois doit être octroyé au titulaire du compte. Il n’en va différemment que si le motif à cette résiliation est le fait que le client a délibérément utilisé son compte pour des opérations que l’organisme a des raisons de soupçonner comme poursuivant des fins illégales ou s’il a fourni des informations inexactes, c’est-à-dire les deux premiers cas envisagés comme légitimant une telle résiliation.

Or, l’arrêt de la Cour de cassation du 1er juillet 2021 démontre que l’hypothèse de l’utilisation délibérée du compte pour des opérations « douteuses » peut susciter des interrogations.

Faits et procédure. En l’espèce, la société K., spécialisée dans la fabrication de dispositifs utilisés dans l’industrie pétrochimique, ayant pour partenaire commercial la société iranienne T., a saisi la Banque de France au titre du droit à l’ouverture de compte prévu par l’article L. 312-1 du Code monétaire et financier à la suite du refus de la banque A. d’entrer en relation avec elle. Cette dernière, finalement désignée par la Banque de France, lui a ouvert un compte de dépôt le 15 mai 2017.

Par lettre recommandée du 14 février 2018, la banque a notifié à la société K. sa décision de clôturer son compte, sans préavis, en indiquant que le motif de la rupture était un « fonctionnement atypique de votre compte (article L. 312-1-IV-1° du code monétaire et financier) ».

Une ordonnance de référé, confirmée en appel, ayant dit que la clôture du compte de la société K. constituait un trouble manifestement illicite et ordonné le maintien du compte, la banque a assigné la société K. afin de voir constater la validité de la résiliation du compte.

La cour d’appel de Grenoble (CA Grenoble, 6 décembre 2018, n° 18/02616 N° Lexbase : A4495YP8) a considéré, par une décision du 6 décembre 2018, que la banque n’avait pas régulièrement notifié, ni dans la forme, ni au fond, la résiliation du compte de dépôt ouvert dans ses livres au nom de la société K. dans le cadre du droit au compte défini à l’article L. 312-1 du Code monétaire et financier.

Pourvoi. En réaction, la banque a formé un pourvoi en cassation. Elle rappelait, par l’intermédiaire de ce dernier, que « constitue une utilisation du compte le fait, pour son titulaire, d’en communiquer les coordonnées à un cocontractant afin qu’il effectue un paiement par virement sur ce compte. Or, en l’occurrence, la société [K.] avait transmis son relevé d’identité bancaire à sa contrepartie iranienne, laquelle l’avait communiqué aux intermédiaires composant le circuit financier mis en place pour contourner les sanctions financières décidées par la Communauté internationale ». Dès lors, « en retenant qu’il n’y aurait eu là qu’une tentative d’utilisation illicite du compte, cependant qu’il s’agissait d’une tentative consommée, assimilable à tout le moins à un commencement d’utilisation illicite, de nature à faire naître un soupçon, la cour d’appel [aurait] violé les articles L. 312-1, IV et L. 561-8 (N° Lexbase : L0667LWM) du Code monétaire et financier, dans leur rédaction applicable en la cause, lus à la lumière des articles 19 de la Directive n° 2014/92/UE du 23 juillet 2014 et de la Directive n° 2015/849 du 20 mai 2015 (N° Lexbase : L7601I8Z) ».

Décision. Ce moyen parvient à convaincre la Haute juridiction qui casse et annule en toutes ses dispositions l’arrêt rendu le 6 décembre 2018 par la cour d’appel de Grenoble.

La Cour de cassation commence par rappeler qu’il résulte de l’article L. 312-1, IV, 1° du Code monétaire et financier que l’établissement de crédit peut résilier unilatéralement la convention de compte assorti des services bancaires de base, ouvert en application du droit au compte, lorsque le client a délibérément utilisé son compte pour des opérations que l’organisme a des raisons de soupçonner comme poursuivant des fins illégales, auquel cas il est dispensé de lui accorder un préavis. Une importante précision est alors donnée par la Haute juridiction, « constitue une utilisation délibérée du compte, au sens de ce texte, le fait, pour son titulaire, d’en communiquer les coordonnées à un cocontractant afin qu’il effectue un paiement par virement sur ce compte ».

Or, pour écarter les conclusions de la banque qui soutenait qu’en communiquant son relevé d’identité bancaire à son cocontractant iranien pour que celui-ci lui fasse parvenir un virement par l’intermédiaire d’une société chinoise, la société K. avait délibérément utilisé son compte pour une opération qu’elle-même avait des raisons de soupçonner comme poursuivant des fins illégales, et juger que la résiliation du compte par la banque pour ce motif était irrégulière, l’arrêt de la cour d’appel de Grenoble avait considéré  que le virement annoncé le 21 décembre 2017, qui constituait l’opération atypique invoquée par la banque, n’était parvenu à cette dernière que le 2 mars 2018, soit postérieurement à la décision de clôture du compte, de sorte qu’il ne pouvait être soutenu qu’à la date de cette décision, la société K. avait déjà délibérément utilisé son compte de dépôt pour des opérations que la banque avait des raisons de soupçonner comme poursuivant des fins illégales.

Dès lors, en se déterminant par de tels motifs, impropres à exclure, en l’état des circonstances invoquées par la banque, l’utilisation délibérée du compte pour des opérations que celle-ci avait des raisons de soupçonner comme poursuivant des fins illégales, la cour d’appel n’avait pas donné de base légale à sa décision.

Observations. Voilà qui donne de larges pouvoirs à l’établissement teneur de compte. Le simple fait pour un client, ayant bénéficié de la procédure du droit au compte, de communiquer un RIB à un cocontractant iranien pour que celui-ci lui fasse parvenir un virement par l’intermédiaire d’une autre société est de nature à légitimer la rupture du compte en question. À vouloir ainsi donner une portée très large à ces cas permettant une clôture du compte, le juge n’affaiblit-il pas le régime juridique du droit au compte ? On peut légitimement se poser la question.

newsid:478261

Baux commerciaux

[Jurisprudence] L’indemnité d’occupation statutaire reste fixée à la valeur locative

Réf. : Cass. civ. 3, 17 juin 2021, n° 20-15.296, FS-B (N° Lexbase : A66544WD)

Lecture: 11 min

N8259BYK

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par Bastien Brignon, Maître de conférences à l’Université d’Aix-Marseille, Membre du Centre de droit économique (UR 4224), Directeur du Master professionnel Ingénierie des sociétés, Avocat au Barreau d’Aix-en-Provence

Le 19 Octobre 2021


Mots clés : expiration du bail • maintien du preneur dans les lieux • indemnité d’occupation • fixation • valeur locative • déplafonnement  

La règle du plafonnement du loyer s’applique à la fixation du prix du bail renouvelé ou révisé, mais non à l’indemnité d’occupation due par le preneur maintenu dans les lieux à l’expiration du bail en application de l’article L. 145-28 du Code de commerce qui doit être fixée en fonction de la valeur locative.


1. Le 17 juin 2021, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a rendu deux arrêts importants, publiés au Bulletin, en matière de baux commerciaux. L’un concerne l’application dans le temps de la loi « Pinel » du 18 juin 2014 (loi n° 2014-626 N° Lexbase : L4967I3D), et plus particulièrement le décret d’application sur les charges, qui se trouve, assez logiquement, applicable à compter de son entrée en vigueur, soit le 5 novembre 2014 (décret n° 2014-1317 du 3 novembre 2014 N° Lexbase : L7060I4A), la date du renouvellement du bail à prendre en considération étant celle de la date pour laquelle le congé avec offre de renouvellement a été donné, peu important que le loyer n’ait pas encore été fixé à cette date [1]. La loi « Pinel » et son décret d’application, étant applicables aux baux conclus ou renouvelés à compter du 5 novembre 2014, ils ne se trouvent par conséquent pas applicables en l’occurrence au bail dont la date de renouvellement par l’effet d’un congé avec offre de renouvellement est antérieure [2].

2. L’autre arrêt, de la même date, est relatif à l’indemnité d’occupation et à la très importante question de savoir si ladite indemnité doit être fixée à la valeur locative, et donc déplafonnée, ou si, au contraire, elle pouvait suivre les règles de fixation du loyer de renouvellement et ainsi être plafonnée.

3. En l’espèce, le 23 mars 2011, une SCI, propriétaire de locaux commerciaux, a délivré à sa locataire un congé, à effet du 1er octobre 2011, avec refus de renouvellement et de paiement d’une indemnité d’éviction. Un jugement du 11 mars 2013 a rejeté la demande de la SCI en validité du congé et a ordonné une expertise aux fins d'évaluation de l’indemnité d’éviction. Le 13 avril 2016, la SCI a exercé son droit de repentir et consenti au renouvellement du bail pour neuf ans. La locataire a formé un pourvoi en cassation contre l'arrêt d’appel [3] ayant fixé l’indemnité d’occupation pour la période écoulée entre le 1er octobre 2011 et le 13 avril 2016 à la valeur locative. La question qui se posait, après le refus de renouvellement avec offre de paiement d’une indemnité d’éviction par le bailleur et l’exercice de son droit de repentir, était de déterminer le mode de fixation de l’indemnité d’occupation dont la locataire était débitrice pendant la période, qualifiée de période intermédiaire, se situant entre la date d’effet du congé et la date d’exercice du droit de repentir.

4. La jurisprudence est fixée de longue date [4]. Elle considère que cette indemnité n’est pas une indemnité due par un occupant sans droit ni titre, mais est de nature statutaire et doit être déterminée en application de l’article L. 145-28 du Code de commerce (N° Lexbase : L0346LTY), puisque, pendant tout le temps où le locataire est débiteur de cette indemnité d’occupation, c’est à raison du fait qu’il a été maintenu dans les lieux comme, selon le texte, « pouvant prétendre à une indemnité d’éviction ». Aussi, la cour d’appel fixe-t-elle cette indemnité d’occupation à un certain montant, conformément à la valeur locative.

5. Cette solution est confirmée par l’arrêt sous commentaire [5], et même avec force puisque, même s’il s’agit d’un arrêt de rejet, il est publié au bulletin et rendu en des termes à la fois solennels et on ne peut plus clairs : « […] La règle du plafonnement du loyer s'applique à la fixation du prix du bail renouvelé ou révisé, mais non à l'indemnité d’occupation due par le preneur maintenu dans les lieux à l'expiration du bail en application de l’article L. 145-28 du Code de commerce […]. Par suite, la cour d'appel a retenu, à bon droit, que cette indemnité devait être fixée en fonction de la valeur locative ». Il en résulte très nettement que cette indemnité d’occupation doit être fixée à la valeur locative, déterminée en application de l’article L. 145-33 (N° Lexbase : L5761AI9), c’est-à-dire en fin de compte comme un loyer judiciaire déplafonné.

6. De l’avis de certains, « Dans les décisions précédentes [à l’arrêt du 17 juin 2021], le principe de la fixation de l’indemnité d’occupation de l’article L. 145-28 à la valeur locative, n’avait pas été affirmé avec autant de force. Cette règle prend ici valeur de principe, alors que dans l’arrêt du 14 novembre 1978, la motivation était autre, puisqu’il avait fallu écrire que "en l’absence de renouvellement, le plafonnement prévu par ces textes est inapplicable à la détermination de l’indemnité d’occupation due jusqu’au paiement de l’indemnité d’éviction" » [6]. La jurisprudence antérieure se trouve donc confirmée, éclairée et même précisée avec force.

7. De l’avis d’autres en revanche, notamment de l’Avocat général, l’invitation du preneur à « revirer » la jurisprudence établie ne manque pas d’argument. En effet, le preneur reprochait à la cour d’appel de ne pas avoir appliqué la règle du plafonnement alors que l’article L. 145-28 du Code de commerce dispose que l’indemnité d’occupation est déterminée conformément aux dispositions des sections 6 et 7 et que, précisément, la règle du plafonnement résulte de l’article L. 145-34 du Code de commerce (N° Lexbase : L5035I3U) qui appartient à la section 6, de sorte qu’il n’y aurait pas eu d’impossibilité juridique à appliquer ce plafonnement.

8. Comme le relève l’Avocat général, « On objectera que si l’indemnité d’occupation statutaire n’est plus le loyer du bail non renouvelé dont elle prend le relais, elle revêt néanmoins toutes les caractéristiques d’un loyer commercial, puisqu’elle n’est […] que la contrepartie de l’occupation du local commercial à un titre légal. Fiscalement elle est d’ailleurs assimilée à un loyer. Par ailleurs, la lettre de l’article L. 145-28 invite à la traiter comme un loyer, puisque cette disposition renvoie effectivement aux règles de la section 6 qui sont celles relatives au loyer, et comprennent notamment celles relatives au plafonnement du loyer renouvelé de l’article L. 145-34 ». De plus, toujours selon l’Avocat général, « La question n’est pas dénuée d’enjeux d’ordre économique, comme les circonstances de cette affaire l’illustrent de façon éclairante. À travers cette affaire on observe en effet que, non seulement l’indemnité non plafonnée est le plus souvent bien supérieure au loyer renouvelé qui s’appliquera à compter de la date du repentir (ici 19 600 euros annuels au lieu du loyer fixé provisionnellement à 12 200 euros), mais en outre cette période d’occupation peut s’avérer longue et même couvrir plusieurs années (ici près de 5 ans), générant ainsi pour le locataire "un différentiel" important à régler ».

9. La doctrine elle-même considère qu’« il y a lieu de s’étonner que la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 n’ait pas modifié le mode de calcul de l’indemnité d’occupation qui se trouve, très souvent, fixée à un montant supérieur au loyer plafonné qui sera décidé par les juges... Il est quelque peu étrange, dans un système qui fait du plafonnement une règle de justice, de l’ignorer au seul motif qu’il s’agit d’une indemnité d’occupation » [7].

10. Selon l’Avocat général, « L’indemnité statutaire "intermédiaire" n’est effectivement plus le loyer du bail expiré, mais elle constitue en réalité, en quelque sorte, un loyer "intermédiaire" qui n’est que le précurseur du loyer renouvelé et qui devrait donc le préfigurer "au plus près" dans son mode d’évaluation. Il parait dès lors très artificiel de la part de la défense de soutenir que les règles du plafonnement ne peuvent s’appliquer qu’à un loyer renouvelé, pour le refuser à l’indemnité statutaire "intermédiaire". Il est tout aussi "court" et vain de tenter de soutenir que le plafonnement de l’indemnité statutaire réaliserait une atteinte disproportionnée au droit de propriété du bailleur, alors même que vous avez déjà jugé [l’Avocat général s’adresse aux juges de la Cour de cassation] pour le loyer plafonné que celui-ci n’était ni une atteinte, ni une dénaturation de ce droit fondamental du bailleur. L’exclusion du plafonnement pour une telle indemnité statutaire d’occupation intermédiaire concède en réalité un avantage au bailleur qui n’a pas de logique économique et peut également contribuer à encourager le bailleur à retarder l’exercice de son droit de repentir ».

11. Malgré ces arguments qui ne manquent pas de poids, dont l’idée est, en synthèse, de rendre à la notion d’indemnité d’occupation due par le locataire lorsque le bailleur a refusé de renouveler son bail sans avoir payé l’indemnité d’éviction sa véritable nature, à savoir un loyer de substitution n’ayant aucun caractère indemnitaire, la Cour de cassation maintient sa référence à la valeur locative, alors pourtant que l’article L. 145-33, berceau de la valeur locative, ne fait référence qu’aux seuls loyer révisé et loyer renouvelé et non à l’indemnité d’occupation. En outre, certains n’excluent pas que l’indemnité statutaire puisse faire l’objet d’une révision triennale.

12. Pourquoi la Cour de cassation maintient-elle sa jurisprudence en vigueur ? Certainement parce que l’indemnité d’occupation, même statutaire, n’est pas un loyer (sauf fiscalement). En réalité, elle n’a pas la nature d’un loyer mais force est de constater qu’elle se substitue de plein droit au loyer dès la résiliation du bail jusqu'au paiement de l'indemnité d'éviction. Elle doit donc correspondre à la valeur locative des lieux, laquelle valeur ne doit pas être confondue avec la valeur de marché (loi de l’offre et de la demande).

13. La Cour de cassation aurait-elle pu juger autrement ? Sauf à ce que la loi change en la matière, la Cour de cassation, juge du droit, ne peut pas juger autrement. La loi « Pinel » du 18 juin 2014 aurait pu être le véhicule législatif brisant cette jurisprudence mais tel n’a pas été le cas. Elle aurait ainsi pu indiquer que l’indemnité d’occupation, du moins la statutaire, devait être plafonnée comme un loyer de renouvellement.

14. Dans l’attente que la loi soit éventuellement modifiée, il reste peut-être une piste à explorer, celle de la convention contraire. La Cour de cassation a en effet estimé « […] que l'indemnité d'occupation, qui est distincte du loyer auquel elle se substitue de plein droit dès la résiliation du bail jusqu'au paiement de l'indemnité d'éviction, doit, à défaut de convention contraire, correspondre à la valeur locative des lieux […] » [8]. L’article L. 145-33, tout comme l’article L. 145-28, n’étant pas d’ordre public, il est possible de stipuler que l’indemnité d’occupation qui viendrait à se substituer à un loyer pourrait être plafonnée comme un loyer de renouvellement. Il reste bien entendu à imposer cette rédaction à un bailleur, ce qui n’est pas chose aisée.

15. La question se pose enfin de savoir si une indemnité d’occupation déplafonnée doit se voir appliquer le lissage à 10 % issu de la loi « Pinel » ou si elle doit être complètement déplafonnée. La règle du plafonnement du déplafonnement concernant les loyers révisés, indexés ou renouvelés, à suivre la jurisprudence en vigueur, il nous semble que le déplafonnement doit être total. On peut encore se demander s’il est contractuellement possible de déroger à ce déplafonnement, à l’instar de la dérogation possible à l’article L. 145-34 du Code de commerce pour le loyer de renouvellement [9]. La réponse devrait être affirmative en cas d’assimilation totale de l’indemnité d’occupation au loyer de renouvellement. Mais, compte tenu de l’arrêt du 17 juin 2021, elle semble être négative, ce qui revient finalement, dans un cas comme dans l’autre, à ne pas plafonner l’indemnité d’occupation statutaire.


[1] Cass. civ. 3, 17 juin 2021, n° 20-12.844, FS-B (N° Lexbase : A66074WM), J. Prigent, Lexbase Affaires, juillet 2021, n° 682 (N° Lexbase : N8164BYZ).

[2] Il s’agissait du 1er avril 2014.

[3] CA Paris, Pôle 5, 3ème sect., 15 janvier 2020, n° 18/19291 (N° Lexbase : A14473B9)

[4] Cass. civ. 3, 14 novembre 1978, n° 77-12.032, publié (N° Lexbase : A7308AGR) – Cass. civ. 3, 30 juin 1999, n° 96-21-449, publié (N° Lexbase : A6645AHL), D., 1999, IR p. 207 – Cass. civ. 3., 29 mars 2000, n° 98-11.518, inédit (N° Lexbase : A9429C4Y), Gaz. Pal., 2001, jur. p. 406 – Cass. civ. 3, 27 novembre 2002, n° 01-10.058, FS-P+B (N° Lexbase : A1234A4H).

[5] Dalloz Actualité, 1er juillet 2021, note P. Gaiardo.

[6] J.-P. Blatter, Lettre d’actualité, juillet 2021.

[7] J. Monéger, Code de commerce, Dalloz, 2021, sous art. L. 145-28.

[8] Cass. civ. 3, 13 décembre 2018, n° 17-28.055, F-D (N° Lexbase : A6952YQK).

[9] Ce texte n’étant pas d’ordre public, il est possible de ne pas appliquer en renouvellement le lissage de 10 % du loyer.

newsid:478259

Baux d'habitation

[Brèves] Airbnb condamné à 8 millions d’euros d’amende pour publication d’annonces sans numéro de déclaration

Réf. : TJ Paris, référé, 1er juillet 2021, n° 19/54288 (N° Lexbase : A74934XS)

Lecture: 4 min

N8190BYY

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par Marie-Lou Hardouin-Ayrinhac

Le 07 Juillet 2021

► Par jugement du 1er juillet 2021 rendu en la forme des référés, le tribunal judiciaire de Paris condamne la société Airbnb Ireland unlimited company à payer une amende civile de 8 000 euros par annonce publiée sans numéro de déclaration, soit un total de 8 080 000 euros, outre une somme de 10 000 euros au titre des frais de procédure ; 

En effet, en publiant des annonces sans numéro d'enregistrement portant sur les 1010 logements considérés, ladite société neutralise toute intervention des pouvoirs publics permettant la régulation de ce secteur ; elle cause, par voie de conséquence, un préjudice, irréversible à l'ensemble de la collectivité tant que ces annonces demeurent publiées.

Faits et procédure. Estimant que la société Airbnb Ireland unlimited company avait méconnu les dispositions de l’article L. 324-2-1 du Code du tourisme (N° Lexbase : L6613LX9) en ne faisant pas figurer sur 1010 annonces mises en ligne sur son site le numéro de déclaration prévu par la loi, et devant le refus de cette société, malgré sa capacité technique de mettre en place un champ bloquant pour imposer ce numéro, la Ville de Paris l'assigne devant le tribunal judiciaire de Paris statuant en la forme des référés pour demander sa condamnation au paiement d’une amende de 12 500 euros par annonce publiée.

Respect des Directives n° 2000/31/CE, n° 2006/123/CE et n° 2015/1535/UE. Le tribunal judiciaire de Paris écarte tout d'abord les arguments tirés de la méconnaissance de la Directive n° 2000/31/CE du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (N° Lexbase : L8018AUI), de la Directive n° 2006/123/CE du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur (N° Lexbase : L8989HT4) ainsi que ceux tirés de la méconnaissance des notifications prévues par la Directive n° 2015/1535/UE du 9 septembre 2015 prévoyant une procédure d'information dans le domaine des règlementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l'information (N° Lexbase : L7234KHE).

Évaluation du manquement aux obligations du Code de tourisme. Retenant un manquement aux obligations du Code de tourisme, le tribunal judiciaire tient compte de la gravité du manquement en cause, de sa durée et de ses effets au regard de I'objectif d’intérêt général de lutte contre la pénurie de logements destinés à la location à Paris.

Objet de l'amende. En premier lieu, le tribunal judiciaire rappelle que le montant de l’amende n'a pas seulement vocation à s'approcher du gain réel ou supposé de la société par effet des 1010 annonces litigieuses mais à sanctionner, de la part d’une société dont l'équilibre économique repose sur la mise à disposition de logements par les Parisiens, une attitude incivique favorisant la conclusion de contrats portant sur des choses hors du commerce.

Objectifs du renseignement du numéro de déclaration. En second lieu, le tribunal judiciaire rappelle que le numéro de déclaration d'enregistrement permet de s'assurer que les loueurs de meublés de tourisme se conforment à la règlementation en vigueur. À défaut, les pouvoirs publics ne peuvent ni vérifier, ni évaluer, ni sanctionner la méconnaissance éventuelle, par les propriétaires contrevenants, de leurs obligations issues de la loi. Il constitue un élément essentiel du dispositif mis en place par la loi pour lutter contre la pénurie de logements, en particulier à Paris et pour préserver une raison impérieuse d'intérêt général reconnue par le droit de l'Union européenne.

Condamnation. Le tribunal judiciaire en déduit, qu'en publiant des annonces sans numéro d'enregistrement portant sur les 1010 logements considérés, la société neutralise toute intervention des pouvoirs publics permettant la régulation de ce secteur. Cette dernière cause, par voie de conséquence, un préjudice, irréversible à l'ensemble de la collectivité tant que ces annonces demeurent publiées.

La société Airbnb Ireland unlimited company est donc condamnée par le tribunal judiciaire de Paris à payer une amende civile de 8 000 euros par annonce publiée sans numéro de déclaration, soit un total de 8 080 000 euros, outre une somme de 10 000 euros au titre des frais de procédure.

Consultez les derniers articles concernant les locations type « Airbnb » :

  • J. Mel, Location meublée de courte durée : attention à respecter la règlementation sur le changement d’usage ! Victoire par KO de la Ville de Paris contre des centaines de propriétaires, Lexbase Droit privé, mars 2021, n° 856 (N° Lexbase : N6650BYX) ;  
  • X. Demeuzoy, Sous-location d’un bail d’habitation sur une plateforme de type « Airbnb » : la réponse des tribunaux, Lexbase Droit privé, février 2021, n° 853 (N° Lexbase : N6297BYU).

 

newsid:478190

Divorce

[Jurisprudence] Homologation des conventions de l’article 268 du Code civil : jurisprudence « constante » sur le « revirement » d’un divorçant

Réf. : Cass. civ. 1, 9 juin 2021, n° 19-10.550, FS-P (N° Lexbase : A41004UE)

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N8283BYG

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par Brice Perier - Avocat associé et chargé d’enseignement à l’Université Toulouse 1 Capitole et Alex Tani - Maître de conférences à l’Université de Corse EMRJ (UR 7311)

Le 08 Juillet 2021


 


Mots-clés : divorce • convention de divorce • homologation • article 268

Il résulte de l’article 268 du Code civil que le juge ne peut prononcer l’homologation d’une convention portant règlement de tout ou partie des conséquences du divorce qu’en présence de conclusions concordantes des époux en ce sens. Or, ladite convention ne reflète assurément plus la commune intention des intéressés sitôt qu’un époux change d’avis et prétend que l’acte ne préserve plus suffisamment ses intérêts.


 

Il existe un antagonisme apparent entre « divorcer » et « contracter ». Pour autant, chacun sait bien que la loi encourage, depuis d’ailleurs fort longtemps, les époux à contractualiser leur divorce ; et ce sans évoquer les cas de divorce ou de séparation de corps susceptibles de se réaliser sans intervention judiciaire (sur ces évolutions, v° « Divorce », in JurisClasseur Notarial Formulaire, fasc. 20, par. A. Tani).

Au titre de ces accords, l’article 268 du Code civil (N° Lexbase : L2835DZZ) permet aux époux, pendant l’instance, de soumettre à l’homologation du juge des conventions réglant tout ou partie des conséquences du divorce. Ce texte marque une incursion de la compétence gracieuse du juge au sein d’une procédure pourtant contentieuse. Il est à ne pas confondre avec les conventions de l’article 265-2 du Code civil (N° Lexbase : L2831DZU) qui ne sont pas soumises à l’homologation et qui ont un champ plus limité puisqu’elles ne portent que sur des aspects patrimoniaux (pour une synthèse de ces différentes conventions, v. not. Y. Puyo, Étude comparative des conventions de divorce, Dr. famille 2015, étude 19 ; M.-P. Murat-Sempietro et V. Trambouze, Les conventions de divorce, JCP N 2006, n° 28, 1238). L’article 268 du Code civil a ainsi pu être présenté comme une « sonnette d’alarme » contre le « tout conventionnel » (J. Casey, Sommaire de droit du divorce (janvier - août 2020), spéc. obs. 4, Lexbase Droit privé, septembre 2020, n° 835 N° Lexbase : N4475BYE) : les époux peuvent passer des accords, mais le juge y a son mot à dire (notamment parce qu’à la différence de l’article 265-2 du Code civil, ceux-ci peuvent ici être noués sur des aspects patrimoniaux et extrapatrimoniaux : la prestation compensatoire, la résidence des enfants…).

Or, que vaut la convention conclue sur le fondement de l’article 268 du Code civil tant que celle-ci n’a pas été homologuée par le juge aux affaires familiales ? Dans l’intervalle, un époux peut-il changer brutalement d’avis et tenter de revenir sur son engagement ?

Ces questions sont importantes tant en pratique qu’en doctrine et, en y répondant clairement, l’arrêt rendu le 9 juin 2021 par la première chambre civile de la Cour de cassation mérite de ce point de vue toute l’attention (cf. A.-L. Lonné-Clément, Lexbase Droit privé, juin 2021, n° 869 N° Lexbase : N7882BYL  ; D. actu., 22 juin 2021, Q. Guiguet-Schielé).

La parfaite compréhension des faits n’est pas sans enjeu. Marié sans contrat de mariage depuis 2003, un couple entreprit de divorcer et, durant l’instance, s’entendit pour établir, le 7 mai 2016, un acte notarié portant liquidation et partage de leurs intérêts patrimoniaux, qu’ils soumirent ensuite à l’homologation du juge aux affaires familiales. Mais avant même que celui-ci ne fit connaître sa décision, voici que l’épouse changea soudainement de conseil et qu’elle reconsidéra complètement l’opportunité de ladite convention.

Que lui reprochait-elle ? Plusieurs choses, que l’on découvre à la lecture du moyen annexe : elle jugeait la date de la jouissance divise trop éloignée du partage car la privant d’une partie de l’indemnité d’occupation ; elle critiquait le compte d’indivision postcommunautaire ; elle contestait l’évaluation de certains éléments d’actif et de passif ; elle considérait excessifs les frais de l’état liquidatif…

Prenant conscience que cet acte était loin de servir ses intérêts, elle revit sa position et, après avoir initialement demandé l’homologation de l’accord, elle tenta de solliciter sa non-homologation. Cependant, ses dernières conclusions en ce sens furent jugées irrecevables au motif qu’elles avaient été signifiées postérieurement à l’ordonnance de clôture. Les conclusions concordantes furent dès lors tenues comme les dernières écritures produites. C’est alors que, comme il en était saisi, le juge aux affaires familiales prononça le divorce et homologua la convention litigieuse par un jugement du 21 juillet 2017. L’ex-épouse ne se découragea pas pour autant, et elle interjeta aussitôt appel.

Par un arrêt infirmatif du 11 octobre 2018, la cour d’appel de Versailles la suivit dans son argumentation et dit n’y avoir pas lieu à homologuer l’acte notarié et à ordonner la liquidation et le partage. Ce revirement subreptice ne plut guère à l’ex-époux qui se pourvut en cassation, en contestant – aux termes d’un moyen unique en cinq branches – à la fois la recevabilité et le bien-fondé de l’appel relevé par son ex-épouse. Il appartenait à la Cour de cassation de trancher.

En rappelant qu’en changeant brusquement d’avis, le divorçant fait inexorablement échec à l’homologation de la convention, l’arrêt commenté est riche d’enseignements. Or, pour prendre la pleine mesure de ses apports substantiels (II), il convient au préalable de comprendre quelques subtilités processuelles (I) qui donnent à l’affaire une certaine singularité.

I. Aspects processuels

Sur le terrain procédural, il est vrai que l’infirmation du jugement de première instance avait de quoi surprendre au regard, notamment, du principe d’estoppel qui interdit de se contredire au détriment d’autrui. En effet, on voit mal comment celle qui avait demandé l’homologation de la convention et qui avait obtenu gain de cause en première instance pouvait solliciter sa non-homologation en appel. Cette apparente contradiction fut finement soulevée par l’ex-époux qui faisait valoir « qu’une partie est irrecevable à relever un appel partiel contre un chef du dispositif du jugement qui lui a donné entière satisfaction et ne lui cause en conséquence aucun grief », de sorte qu’il prétendait que l’arrêt d’appel avait violé, ensemble, les articles 31 (N° Lexbase : L1169H43), 122 (N° Lexbase : L1414H47) et 546 (N° Lexbase : L6697H78) du Code de procédure civile. L’argument semblait imparable.

Pour autant, la première chambre civile de la Cour de cassation – après avoir pris avis auprès de sa deuxième chambre, en application de l’article 1015-1 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1249H4Z) – rejette le moyen ; sans qu’il faille toutefois extrapoler sur ce choix.

Aux termes d’une motivation qui tient en six paragraphes, la Cour de cassation s’explique. Certes, « il résulte de la combinaison des articles 32 (N° Lexbase : L1172H48), 122 et 546, alinéa 1, du Code de procédure civile que l’intérêt à interjeter appel a pour mesure la succombance, qui réside dans le fait de ne pas avoir obtenu satisfaction sur un ou plusieurs chefs de demande présentés en première instance » (§ 5). Ce faisant, « la recevabilité de l’appel limité doit être appréciée en fonction de l’intérêt à interjeter appel pour chacun des chefs de jugement attaqués » (§ 6). À s’en tenir là, on avait le sentiment que la Cour de cassation suivait l’argument invoqué par l’ex-époux et l'on aurait pu s’attendre à ce que la Cour de cassation constate le défaut d’intérêt à interjeter appel de l’ex-épouse.

Or, c’était sans compter sur l’apparition d’un « mais » qui témoigne d’une rupture dans la motivation développée, en même temps qu’elle déplace le débat sur un autre terrain : « Mais selon l’article 954 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7253LED), la cour d’appel ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif » (§ 8). Aussi, il fallait en conclure que « contrairement aux énonciations du moyen, la cour d’appel, qui n’était saisie par le dispositif des conclusions de [l’ex-époux] d’aucune fin de non-recevoir, n’a pas statué sur la recevabilité de l’appel » (§ 9), de sorte que « le moyen ne peut donc être accueilli » (§ 10). Par conséquent, c’est bien parce que l’argument tenant à l’absence d’intérêt à agir n’avait pas été repris dans le dispositif de ses écritures devant la cour d’appel que celle-ci n’en était pas saisie. Ainsi qu’elle le donne régulièrement à voir, la Cour de cassation se montre une nouvelle fois très sourcilleuse dans la rédaction des conclusions d’appel (S. Amrani-Mekki, Exigences rédactionnelles du dispositif des conclusions d’appel : rigueur ou rigorisme ?, Procédure 2021, comm. 92 obs. sous Cass. civ. 2, 4 février 2021, n° 19-23.615, F-P+I N° Lexbase : A81614EY).

Sans jamais conclure ici à la recevabilité de l’appel (comment aurait-il pu en être autrement ?), la Cour de cassation retient simplement qu’il n’y avait pas lieu à statuer sur celle-ci.

Il faut bien comprendre : ce n’est pas que le moyen soulevé par l’ex-époux n’était pas fondé, c’est qu’il ne pouvait être accueilli. C’est plus qu’une nuance. La Cour de cassation ne parvient pas à la conclusion que l’appel était recevable, mais elle retient seulement que la cour d’appel n’avait pas été saisie et ne pouvait dès lors pas statuer sur ce point.

Partant, il faut se garder d’en tirer des conclusions hâtives et faire dire à l’arrêt plus que ce qu’il dit réellement. En effet, il n’est pas acquis qu’une partie puisse valablement interjeter appel afin d’obtenir la réformation d’un jugement après avoir, en première instance, pris des conclusions concordantes d’homologation. Une telle manière de faire heurterait sans doute le principe d’estoppel, voire pourrait caractériser une action dilatoire (CPC, art. 32-1 N° Lexbase : L6815LE7).

En l’espèce, les choses étaient même plus subtiles que cela, puisque les dernières conclusions de l’ex-épouse ont été déposées après l’ordonnance de clôture et ont donc été jugées irrecevables ; de sorte que les conclusions concordantes qu’elle avait initialement prises avant de changer d’avis furent tenues comme les dernières écritures produites. On voyait bien là le malaise. Quoiqu’elle fut regardée comme ayant conclu de manière concordante, la réalité était toute autre. Il faut rappeler qu’elle avait changé d’avocat durant l’instance et qu’elle fut, selon toute vraisemblance, conseillée différemment et encouragée à dénoncer l’accord initialement trouvé avec son ex-époux. On comprend, dès lors, que l’argument tiré de l’absence de saisine de la cour d’appel, faute de mention dans le dispositif des conclusions, apparut sans doute bien commode ici pour confirmer que la cour d’appel n’avait pas à statuer sur la recevabilité de l’appel. En revanche, on peut imaginer que si elle avait eu à le faire, il est probable qu’elle aurait conclu à un défaut d’intérêt à agir de l’ex-épouse.

C’est cette originalité de l’espèce qui permet de lever ici un obstacle procédural et qui, incidemment, offre la possibilité de discuter dans cette affaire de différents aspects substantiels de l’homologation de l’accord noué sur le fondement de l’article 268 du Code civil. En effet, après avoir contesté, en vain, la recevabilité de l’appel de son ex-épouse, l’ex-époux tentait aussi, mais sans plus du succès, d’en contester le bien-fondé.

II. Aspects substantiels

L’apport principal de l’arrêt tient en quelques mots : « il résulte de l’article 268 du Code civil que le juge ne peut prononcer l’homologation d’une convention portant règlement de tout ou partie des conséquences du divorce qu’en présence de conclusions concordantes des époux en ce sens » (§ 12).

La solution n’est pas nouvelle, elle fut affirmée il y a un peu plus d’un an à l’occasion d’un arrêt remarqué et très largement commenté (Cass. civ. 1, 12 février 2020, n° 19-10.088, FS-P+B+I N° Lexbase : A27283ER : D. act., 3 mars 2020, A. Bolze ; D. 2021, p. 499, M. Douchy-Oudot  ; AJ fam. 2020, p. 307, J. Casey  ; RTD civ. 2020, p. 353, A.-M. Leroyer  ; JCP N 2020, n° 10, act. 263, F. Sauvage ; Dr. famille 2020, comm. 68, A. Boulanger ; Gaz. Pal. 28 juillet 2020, p. 70, M. Bruggeman ; LEFP avril 2020, p. 5, J.-J. Lemouland ; ibid, mars 2020, p. 5, note L. Mauger-Vielpeau ; J. Casey, Sommaire de droit du divorce (janvier - août 2020), Lexbase Droit privé, septembre 2020, n° 835 N° Lexbase : N4475BYE). Dans cette autre affaire, la Cour de cassation avait déjà pu retenir, toujours au visa de l’article 268 du Code civil, que « la demande d’homologation d’une convention réglant tout ou partie des conséquences du divorce présentée par un époux seul est recevable, et qu’il appartenait [au juge homologateur] de tirer les conséquences de l’absence d’accord de l’autre époux sur cette demande ». Sur le terrain processuel, la demande d’homologation peut émaner d’un seul époux, mais sur le terrain substantiel, le juge ne peut homologuer ladite convention en l’absence de volonté commune.

Toutefois, une question demeure : suffit-il de constater le revirement d’un époux ou faut-il encore que celui-ci soit justifié ?

En l’espèce, l’ex-époux tentait de faire valoir que les juges du fond ne peuvent refuser d’homologuer la convention établie sur le fondement de l’article 268 du Code civil, « sans rechercher ni expliquer en quoi l’équilibre entre les intérêts des parties n’y était pas préservé ».

Là encore, l’argument avancé ne manquait pas de finesse ; mais, ici aussi, il ne trouva point d’écho.

Il est très clairement repoussé par la Cour de cassation qui juge que dès lors que l’ex-épouse faisait valoir en cause d’appel que l’acte notarié établi le 7 mai 2016 portant liquidation et partage ne préservait pas suffisamment ses intérêts, il fallait en déduire que ledit acte ne reflétait plus « la commune intention des intéressés » (§ 13). Elle va même plus loin, puisqu’elle retient que « par ces seuls motifs, abstraction faite de ceux, surabondants, critiqués par le moyen, la cour d’appel a légalement justifié sa décision » (§ 14). La condition d’un juste motif que tentait de faire admettre le pourvoi est qualifiée de « surabondante » ; le juge n’avait pas – comme le prétendait l’ex-époux – à « expliquer précisément en quoi la convention telle que rédigée avec l’assistance des avocats des parties, signée par-devant notaire, et homologuée par le juge de première instance qui l’avait jugée égalitaire, ne serait pas équilibrée et porterait atteinte aux intérêts des parties ». Plus simplement, le juge doit se contenter de tirer les conséquences de l’absence de volonté commune, sans toutefois vérifier si le changement d’avis d’un époux est justifié. D’ailleurs, on verrait mal comment justifier une telle immixtion judiciaire, à l’heure où la déjudiciarisation est galopante en droit des personnes et de la famille (v. not. C. Pérès, La déjudiciarisation du droit des personnes et de la famille, JCP N 2018, n° 14, 1151 ; S. Amrani-Mekki, Le sens de la déjudiciarisation, ibid, 1150). Ce n’est donc qu’en présence de conclusions concordantes que la procédure d’homologation peut véritablement suivre son chemin judiciaire, en permettant au juge – « après avoir vérifié que les intérêts de chacun des époux et des enfants sont préservés » (C. civ., art. 268, al. 2) – d’homologuer la convention en prononçant le divorce.

Une telle lecture peut de prime abord donner le sentiment d’une fragilisation de la convention établie en application de l’article 268 du Code civil : il faut bien reconnaître qu’elle ouvre indiscutablement aux signataires de l’accord la faculté de revenir sur leur engagement, du moins tant que celui-ci n’a pas été homologué judiciairement. Il suffirait alors, après avoir signé un tel acte, de prendre des conclusions discordantes pour paralyser l’homologation.

Cela étant, à la réflexion, il n’y a peut-être là rien de très surprenant ou à tout le moins rien de nouveau.

Les conventions sur lesquelles les parties sont susceptibles de se mettre d’accord durant l’instance sont soumises à une condition suspensive légale : le prononcé du divorce pour celles établies sur le fondement de l’article 265-2 du Code civil ; l’homologation du juge pour celles établies sur le fondement de l’article 268 dudit code. Même dans le divorce extrajudiciaire, c’est bien le dépôt au rang des minutes du notaire qui donne ses effets à la convention de divorce en lui conférant date certaine et force exécutoire (C. civ., art. 229-1, al. 3 N° Lexbase : L2609LBA).

D’ailleurs, si l’on veut bien faire un parallèle avec le changement de régime matrimonial, on ne peut qu’observer qu’il fut, là aussi, jugé que « le consentement des époux doit exister au jour de l’homologation » (Cass. civ. 1, 14 avril 2010, n° 09-11.218, FS-P+B+I N° Lexbase : A9199EUA : JCP G 2010, 1220, G. Wiederkehr ; Defrénois 2010, p. 1367, J. Massip ; ibid, 2011, p. 375, G. Champenois). Ainsi, s’il apparaît à la date où le juge statue que le consentement d’un époux a été vicié, l’homologation doit être refusée (Cass. civ. 1, 27 avril 1982, n° 81-12.459 N° Lexbase : A1928CKM : Defrénois 1982, p. 1371, G. Champenois). C’est aussi la raison pour laquelle il est retenu que lorsqu’un époux décède après la conclusion de la convention notariée mais avant le jugement d’homologation, « le changement de régime matrimonial ne [peut] plus être homologué » (Cass. civ. 1, 12 juillet 2001, n° 99-14.082 N° Lexbase : A1562AUE : JCP G 2002, I, 103, G. Wiederkehr ; Defrénois 2001, p. 1133, G. Champenois ; Dr. famille 2001, comm. 101, B. Beignier ; RJPF janvier 2002, p. 31, F. Vauville ; RTD civ. 2002, p. 133, B. Vareille – Cass. civ. 1, 12 juillet 2001, n° 99-21.029 N° Lexbase : A1563AUG).

Tout ceci souligne qu’il ne suffit pas que l’accord des parties soit exprimé au jour de la conclusion de l’accord, il faut que celui-ci se maintienne jusqu’à l’homologation : une convention ne peut être homologuée que si le consentement des époux persiste au jour où le juge statue.

On mesure bien qu’en ouvrant la faculté de « changer d’avis », on prend le risque d’affaiblir la convention ; mais, d’un autre côté, comment à l’inverse imaginer raisonnablement que le juge puisse imposer l’homologation d’une convention avec laquelle l’une des parties n’est plus en accord ?

Au fond, la solution retenue dit beaucoup de la nature singulière des conventions établies sur le fondement de l’article 268 du Code civil : ce sont des actes judiciaires qui relèvent de la matière gracieuse, et non des actes purement conventionnels. L’homologation judiciaire est « un véritable élément de formation de la convention » (Y. Puyo, préc., spéc. n° 6). Tant qu’elle n’est pas obtenue, l’accord conclu entre les divorçants est naturellement empreint d’une certaine précarité, puisqu’il peut souffrir de la volte-face de l’une des parties. Cela explique que le juge homologateur ne puisse consolider un tel acte s’il apparaît au jour où il statue que celui-ci ne reflète plus leur commune intention.

Voici donc un arrêt qui, s’il retient une solution qui n’est pas tout à fait neuve, témoigne assurément d’une jurisprudence désormais « constante » sur le « revirement » d’un divorçant…

newsid:478283

Droit des biens

[Brèves] Le Baiser de Brancusi finalement consacré monument historique !

Réf. : CE 9° et 10° ch.-r., 2 juillet 2021, n° 447967, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A30094Y4)

Lecture: 3 min

N8271BYY

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 07 Juillet 2021

► Par décision rendue le 2 juillet 2021, le Conseil d’État retient, contrairement à la décision rendue par la cour administrative d’appel de Paris, que le Baiser de Brancusi est un monument funéraire devant être considéré comme un « immeuble par nature » au sens de la loi, ce qui autorise l’État à l'inscrire comme monument historique sans l’autorisation de ses propriétaires.

L’affaire. Réalisée par Constantin Brancusi en 1909, la sculpture « Le Baiser » est implantée sur la tombe de Tatiana Rachewskaia au cimetière du Montparnasse à Paris. Souhaitant empêcher les descendants de la jeune femme de détacher la statue et de la vendre, l’État a inscrit l’intégralité de la tombe au titre des monuments historiques en 2010.

Décision de la cour administrative d’appel de Paris. Cette décision, contestée par la famille, avait été annulée par la cour administrative d’appel de Paris, qui avait considéré que la sculpture devait être qualifiée d’immeuble par destination, ayant été réalisé en amont de son incorporation à la sépulture et que, dès lors, son inscription au titre des monuments historiques nécessitait le consentement des ayants droit (CAA Paris, 4ème ch., 11 décembre 2020, n° 18PA02011 N° Lexbase : A8402393 ; obs. B. Cohen, Lexbase Droit privé, mars 2021, n° 856 N° Lexbase : N6665BYI).

Annulation par le Conseil d’État. L’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris est finalement annulé par le Conseil d’État, qui retient la qualification d’immeuble par nature, et juge alors que l’inscription au titre des monuments historiques du monument funéraire de Tatiana Rachewskaia – composé de la sculpture « Le Baiser », de la stèle et de la tombe – est légale (cf. le communiqué du Conseil d’État relatif à la décision).

En effet, comme le rappelle la Haute juridiction administrative, en application de l’article 518 du Code civil (N° Lexbase : L3092AB7), « les bâtiments sont immeubles par leur nature ». Selon l’article 524 du même code (N° Lexbase : L9489I7L), « sont aussi immeubles par destination tous effets mobiliers que le propriétaire a attachés au fonds à perpétuelle demeure ».

Le Conseil d’État constate qu’un monument funéraire érigé sur un caveau servant de fondation, fût-il construit par un autre que le propriétaire du sol, doit être regardé globalement, avec tous les éléments qui lui ont été incorporés et qui composent l’édifice, comme un bâtiment, au sens et pour l’application de l’article 518 du Code civil.

Appliquant cette règle au cas d’espèce, le Conseil d'État relève que la statue a été acquise spécifiquement pour la tombe de la jeune femme, qu’elle est fixée sur une stèle conçue exprès pour l’accueillir, réalisée dans la même pierre que la sculpture et implantée sur la tombe, et que « Le Baiser » et sa stèle font ainsi partie, avec la tombe, d’un ensemble indivisible qui constitue un monument funéraire.

Le Conseil d'État confirme ainsi que cet ensemble est un « immeuble par nature » au sens de la loi, ce qui permet à l’État de l'inscrire aux monuments historiques sans recueillir l’accord de ses propriétaires.

newsid:478271

Environnement

[Brèves] Émissions de GES : un nouveau sursis pour le Gouvernement jusqu’au 31 mars 2022

Réf. : CE 5° et 6° ch.-r., 1er juillet 2021, n° 427301, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A74954XU)

Lecture: 2 min

N8191BYZ

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par Yann Le Foll

Le 07 Juillet 2021

Est annulé le refus du Gouvernement de prendre des mesures supplémentaires pour atteindre l’objectif, issu de l’Accord de Paris, de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 % d’ici à 2030, ce qui implique l’édiction de nouvelles mesures avant le 31 mars 2022.

Rappel. Dans un arrêt du 19 novembre 2020, la Haute juridiction avait demandé au Gouvernement de justifier, dans un délai de trois mois, que la trajectoire de réduction des gaz à effets de serre pour 2030 (une baisse de 40 % par rapport à 1990) pourrait être respectée sans mesures supplémentaires (CE 5° et 6° ch.-r., 19 novembre 2020, n° 427301, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A944734N ; lire A. Bouillié, Lexbase éd. pub. n° 607, 2020 N° Lexbase : N5592BYR).

En 2021, dans la foulée de cette décision, le tribunal administratif de Paris avait reconnu l’existence d’un préjudice écologique lié au changement climatique et jugé que la carence partielle de l’État français à respecter les objectifs qu’il s’est fixés en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre engage sa responsabilité (TA Paris, 3 février 2021, n° 1904967, 1904968, 1904972, 1904976 N° Lexbase : A39684EP ; pour la réaction de Corinne Lepage, lire Y. Le Foll, Quotidien Lexbase, 3 février 2021 N° Lexbase : N6351BYU).

À la suite de la transmission par le Gouvernement de nouveaux éléments, une nouvelle instruction contradictoire a été ouverte et une audience publique s’est tenue le 11 juin 2021 au Conseil d'État.

Décision. Dans la décision du 1er juillet 2021, les juges du Palais-Royal, s’ils notent que le niveau d’émissions mesuré en 2019 respecte l’objectif annuel fixé pour la période 2019-2023, remarquent que la baisse des émissions observée, de 0,9 %, apparaît limitée par rapport aux objectifs de réduction visés pour la précédente période (2015-2018), qui étaient de 1,9 % par an et par rapport aux objectifs fixés pour la période suivante (2024-2028), qui sont de 3 % par an. Les bons résultats provisoires relatifs pour l’année 2021 s’expliquent, en outre, largement par les effets du premier confinement.

Par ailleurs, l’objectif de diminution des émissions de 12 % pour la période 2024-2028 ne pourra être atteint si de nouvelles mesures ne sont pas adoptées à court terme et l’objectif de 40 % pour 2030 prend en compte les hypothétiques effets de la future loi « climat et résilience ». Le Gouvernement a répondu par un communiqué rappelant « sa détermination à renforcer son action climatique, en accélérant encore les réductions d’émissions et en mettant en place des mesures pour protéger les Français des impacts déjà observables du changement climatique ».

newsid:478191

Fiscal général

[Focus] Cannabis « light » et produits dérivés à base de cannabidiol : une fiscalité avantageuse

Lecture: 9 min

N8216BYX

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par Yann Bisiou, Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles, Université Paul Valéry Montpellier 3, CORHIS EA 7400

Le 07 Juillet 2021

Mots-clés : cannabis • cannabidiol • fiscalité • stupéfiants

Sous l’influence de la jurisprudence européenne, les entraves au développement du marché du « cannabis light », dénué d’effets psychotropes, et de ses dérivés à base de cannabidiol sont progressivement levées. Non sans ironie, l’attentisme des pouvoirs publics qui rechignent à réglementer ce nouveau marché offre aux opérateurs un avantage fiscal par rapport aux produits concurrents participant ainsi à la promotion d’une filière que l’État voulait interdire.


Dans un pays où la prohibition des stupéfiants en général, et celle du cannabis en particulier, sont des dogmes aussi puissants que l’infaillibilité pontificale dans l’Église catholique, le titre de cet article peut surprendre puisque le juge national comme le juge européen ont depuis longtemps posé le principe d’une fiscalité rigoureuse des activités illicites.

Le Conseil d’État considère que les revenus d’un trafic de stupéfiants sont assujettis à l’impôt sur le revenu au titre des bénéfices industriels et commerciaux (CE 18 mars 1981, n° 6404 N° Lexbase : A5186AKB et n° 7359 N° Lexbase : A5187AKC ; CE 8° et 9° s-s-r, 28 juillet 1999, n° 185525 N° Lexbase : A9294B8Q). Quant à la Cour de Luxembourg, si au nom de la neutralité fiscale elle considère que le trafic n’est pas soumis à la TVA lorsqu’il s’inscrit hors de tout circuit économique autorisé et surveillé (CJCE, 5 juillet 1988, aff. C-289/86, Vereniging Happy Family Rustenburgerstraat c/ Inspecteur der Omzetbelasting N° Lexbase : A2006AI7), elle admet que les actes qui lui sont connexes puissent être assujettis à la TVA lorsqu’une concurrence existe, y compris entre marché illicite et marché licite (CJCE, 29 juin 1999, aff. C-158/98, Staatssecretaris van Financiën c/ Coffeeshop “Siberië” N° Lexbase : A2002AIY). À ces principes s’ajoutent des moyens extraordinaires de reconstitution du patrimoine des criminels pour déterminer l’assiette des droits à recouvrer (CGI, art. 1649 quater-0 B, bis N° Lexbase : L0225LNN et LPF, art. L.76 AA N° Lexbase : L0641IH9).

Pourtant, depuis quelques années, profitant d’une exception à la prohibition en faveur des activités industrielles et commerciales portant sur des variétés de cannabis dépourvues de propriétés stupéfiantes (CSP, art. R5132-86, II N° Lexbase : L9825IWS), un nouveau marché s’est développé. Il concerne à la fois le commerce de fleurs de cannabis séchées issues de variétés sélectionnées pour contenir moins de 0,2 % de Tétrahydrocannabinol (THC, la substance active du cannabis) et d’extraits de cannabidiol (CBD), une molécule non psychotrope qui aurait des effets relaxants et pourrait se substituer en partie aux consommations de cannabis récréatif illicite.

Malgré l’hostilité des pouvoirs publics, ce nouveau marché connait un développement considérable. L’enquête eurobaromètre de 2020 indique que 8 % des européens ont déjà consommé des produits contenant du cannabis (EU, Special Eurobarometer 506, fevrier 2021, p. 58). En France, une étude commandée par l’ANSES estime qu’un vapoteur sur 10 consomme du CBD (ANSES-BVA, Étude sur les pratiques des vapoteurs, février 2020, p. 46). Quant aux industriels du secteur, ils prévoient que ce marché représentera un chiffre d’affaires de plus de 3 milliards d’euros à l’horizon 2025 (Prohibition Partners, The European cannabis report, éd. 6, 2021, p. 15).

Plutôt que de réglementer cette nouvelle activité, les pouvoirs publics ont cherché à l’interdire. En 2018, une dépêche du ministère de la Justice assimilait le commerce de ces produits à un trafic de stupéfiants, réclamant que des poursuites soient engagées « avec une particulière fermeté ». Nous avions souligné la fragilité de l’argumentaire du garde des Sceaux (Note de la DACG relative au régime juridique applicable aux établissements proposant à la vente au public des produits issus du cannabis (coffee shop), Lexbase Pénal, septembre 2018 N° Lexbase : N5501BXZ) et, en effet, après 3 ans de procédures le juge européen lui a donné tort. Au nom du principe de libre circulation des marchandises, la CJUE d’abord (CJUE, 19 novembre 2020, n° C-663/18 N° Lexbase : A1514379), la Cour de cassation ensuite, ont considéré que le droit français ne pouvait s’opposer à la commercialisation de produits contenant du CBD légalement fabriqués dans un autre pays européen. Dans un arrêt du 23 juin 2021, la Cour de cassation a étendu ce principe aux fleurs séchées contenant du cannabis à l’état de trace (Cass. crim., 23 juin 2021, n° 20-84.212, FS-P N° Lexbase : A95734WH).

Faute d’une réglementation adaptée, c’est le droit commun qui s’applique à ces nouveaux produits. Et le moins que l’on puisse dire c’est que d’un point de vue fiscal ce droit est très favorable aux industriels du cannabis. Pour le comprendre il convient de distinguer trois sortes de produits :

  • les produits contenant du CBD
  • les produits de vapotage et d’inhalation au CBD
  • et enfin les fleurs séchées de cannabis « light ».

Le CBD est intégré à une multitude de produits, des cosmétiques en raison de ses propriétés anti-sébum, antioxydant, revitalisantes et protectrices pour la peau (Base CosIng, CAS #13956-29-1), des produits alimentaires, huiles, cookies, graines, des compléments alimentaires, des boissons et huiles « énergisantes » pour les sportifs, des aliments pour animaux de compagnie, etc. Ce sont les règles habituelles de TVA qui s’appliquent à ces différents produits ce qui permet aux produits alimentaires contenant du CBD de bénéficier du taux de TVA réduit à 5,5 % en application de l’article 278-0 bis, A, 1° du Code général des impôts (N° Lexbase : L9450LHH).

Lorsque le CBD est destiné au vapotage, la situation fiscale est plus complexe car les produits auraient pu être soumis aux dispositions relatives aux tabacs et produits assimilés. Toutefois, un récent rapport sur l’application de la Directive n° 2014/40/UE relative aux produits du tabac (N° Lexbase : L1190I3H) reconnaît que la réglementation des produits à base de CBD « n’est pas claire », formule pudique qui signifie qu’en l’état du droit ces produits échappent à la réglementation européenne sur les tabacs et produits assimilés (Rapport de la commission au parlement européen, au conseil, au comité économique et social européen et au comité des régions, COM(2021) 249 final, 20 mai 2021, § 9, p. 18).

En France également, les produits de vapotage à base de CBD échappent aux contraintes fiscales des tabacs. Jusqu’à son annulation par le Conseil d’État en 2017 (CE 1° et 6° ch.-r., 10 mai 2017, n° 401536, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1021WCS) et son abrogation par la loi de finances pour 2020 (loi n° 2019-1479, du 28 décembre 2019, de finances pour 2020, art. 21 N° Lexbase : Z839238Z), le prélèvement spécial imposé aux fabricants et importateurs de produits de vapotage au bénéfice de l’ANSES ne concernait pas le secteur du CBD puisque seuls les produits contenant de la nicotine étaient visés par l’ancien article L. 3513-12 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L9123LN9).

Par ailleurs, dans une affaire relative à l’interdiction de fumer dans les gares, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a considéré que cette infraction ne concernait pas le vapotage, le « liquide, mélangé à l'air, [étant] diffusé sous forme de vapeur » et non fumé (Cass. crim., 26 novembre 2014, n° 14-81.888, F-D N° Lexbase : A5343M4N). La Chambre commerciale, citant la direction générale des douanes et des droits indirects, a encore indiqué, dans une procédure pour concurrence déloyale engagée par un buraliste, que la cigarette électronique ne constitue pas un produit du tabac au sens fiscal (Cass. com., 24 mai 2016, n° 14-25.210, F-D N° Lexbase : A0217RRH). Sans combustion, sans tabac et sans nicotine, les e-liquides contenant du CBD ne sont pas soumis au droit de consommation sur les tabacs, mais seulement à la TVA au taux de 20 %.

Reste le statut de la fleur de cannabis « light » qui représente jusqu’à 70 % du chiffre d’affaires des boutiques spécialisées. Elle est généralement fumée ce qui la ferait dépendre des dispositions relatives au tabac. La directive européenne de 2014 sur les produits du tabac inclut en effet les plantes dans ses articles 21 et 22 et, en France, le Code général des impôts assimile aux tabacs manufacturés « Les cigarettes et produits à fumer, même s'ils ne contiennent pas de tabac, à la seule exclusion des produits qui sont destinés à un usage médicamenteux » (CGI, art. 564 decies N° Lexbase : L7482HLP).

Un certain nombre de producteurs et importateurs ont d’ailleurs déjà déclaré leurs produits auprès de l’ANSES. On trouve ainsi dans la liste des autres produits à base de plantes un certain nombre de « sticks » (terme qui désigne un joint étroit) préparés avec des variétés titrant moins de 0,2 % de THC sous des marques comme « Cyclone Hemp », « Juicy Jay Hemp » ou « Kingpin Hemp » (ANSES, Liste des autres produits du tabac et produits à base de plantes, version au 1er juin 2021). Mais la plupart des importateurs ont choisi d’avoir recours à un subterfuge en vendant leurs fleurs comme infusion. Nul n’est dupe du fait que ces produits sont bien souvent fumés, mais cette qualification dispense les commerçants de se soumettre aux règles relatives au tabac. Mieux encore ce régime leur permet de bénéficier d’une TVA au taux réduit de 5,5 % en application des dispositions de l’article 278-0 Bis, A, 1° du Code général des impôts (BOI-TVA-LIQ- 30-10-10, § 200 N° Lexbase : X3843ALW).

L’administration pourra-t-elle requalifier ces produits pour les soumettre aux droits d’accises des tabacs ? On peut en douter. Certes, compte tenu de la lecture extensive que fait la CJUE  de la Directive n° 2011/64/UE du 21 juin 2011 concernant la structure et les taux des accises applicables aux tabacs manufacturés (N° Lexbase : L1190I3H), l’administration pourrait se fonder sur les articles 2.2. et 5.1.a) de ce texte pour considérer que la fleur est susceptible d’être fumée sans transformation industrielle ultérieure. Elle entrerait alors dans le champ des produits assimilés aux tabacs. L’entreprise paraît toutefois bien aventureuse dès lors que les fleurs peuvent effectivement être consommées sous forme d’infusion. Dans une affaire concernant une pâte pour narguilé sans nicotine ni tabac, « Ice Frutz », la cour d’appel de Douai a refusé toute assimilation aux produits du tabac au motif que les douanes du pays d’exportation ne considéraient pas cette marchandise comme un produit assimilé au tabac et que les douanes françaises ne rapportaient pas la preuve que ce produit soit fumé (CA Douai, 21 mars 2019, n° 17/04163 N° Lexbase : A5215Y4W). De la même façon, si les douanes du pays d’exportation acceptent la qualification d’infusion et si ces produits sont effectivement consommables comme infusion, il est fort probable que le juge refuse la requalification.

Ainsi, à force de vouloir interdire le commerce du « cannabis light » et des produits contenant du CBD, les pouvoirs publics ont finalement offert aux opérateurs économiques un régime fiscal très avantageux si on le compare aux produits licites et illicites concurrents. Un argument de plus en faveur d’une réglementation spécifique du commerce du CBD et du « cannabis light » dans l’intérêt des consommateurs, de la santé publique et… des finances publiques.

newsid:478216

Procédure civile

[Brèves] Procédure orale : quid de la validité des prétentions dans le cadre d’un dépôt de dossier ?

Réf. : Cass. civ. 2, 1er juillet 2021, n° 20-12.303, F-B (N° Lexbase : A21064YN)

Lecture: 3 min

N8233BYL

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par Alexandra Martinez-Ohayon

Le 07 Juillet 2021

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation, dans son arrêt rendu le 1er juillet 2021, vient d’énoncer au visa de l’article 446-1, alinéa 1er, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1138INH), régissant la procédure orale, que les parties présentent oralement à l'audience leurs prétentions et les moyens à leur soutien et peuvent également se référer aux prétentions et aux moyens qu'elles auraient formulés par écrit ; en l'absence de formalisme particulier pour se référer à des écritures, satisfait aux prévisions de ce texte, la partie qui, hors le cas d'un refus opposé par le tribunal, dépose un dossier comportant ses écritures au cours d'une audience des débats à laquelle elle est présente ou représentée.

Faits et procédure. Dans cette affaire, la demanderesse a saisi le tribunal d’instance par déclaration au greffe, dans le but d’obtenir la condamnation d'une société à lui verser diverses sommes, d’un montant total inférieur à 4 000 euros.

Le pourvoi. La demanderesse fait grief au jugement rendu en dernier ressort le 19 novembre 2019, par le tribunal d'instance de Lyon, d’avoir prononcé d’office l’irrecevabilité de l’acte de saisine.

En l’espèce, le jugement retient que devant le tribunal d’instance la procédure est orale et que l’oralité de la procédure impose à la partie de comparaître ou de se faire représenter pour formuler valablement ses prétentions et les justifier. Dès lors, pour déclarer irrecevables les demandes formulées par écrit par la demanderesse, mais non soutenues oralement, il ressort de la décision, qu’après plusieurs demandes de renvois formulées par la demanderesse et accordées par le tribunal, le tribunal a constaté qu’il était opéré un dépôt de dossier.

Par ailleurs, le tribunal a déclaré irrecevables les demandes formulées, par déclaration au greffe, sans justification de diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige, en énonçant que le dépôt de dossier de la demanderesse ne contient pas la preuve d’un respect du formalise requis, et en rejetant le moyen noté dans ses écritures, tendant à indiquer qu’elle aurait été empêchée de recourir à un médiateur du fait du comportement de son contradicteur.

Solution. Énonçant la solution précitée sur les prétentions figurant dans le dépôt de dossier, la Cour de cassation censure le raisonnement du tribunal d’instance. Par ailleurs, la Haute juridiction a également rappelé sa position énoncée récemment (Cass. civ. 2, 15 avril 2021, n° 20-14.106, F-P (N° Lexbase : A80914PD), au visa de l’article 4 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 (N° Lexbase : L1605LB3) dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 (N° Lexbase : L6740LPC), et selon laquelle à peine d'irrecevabilité, que le juge peut prononcer d'office, la saisine du tribunal d'instance effectuée par déclaration au greffe doit être précédée d'une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, sauf, dans trois cas :

  • si l'une des parties au moins sollicite l'homologation d'un accord ;
  • si les parties justifient d'autres diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable de leur litige ; et enfin
  • si l'absence de recours à la conciliation est justifiée par un motif légitime.

Les Hauts magistrats relèvent que le tribunal s’est prononcé sans répondre aux écritures de la demanderesse qui faisait valoir et offrait de prouver diverses tentatives de résolutions amiables.

Relevant la violation des textes précités, la Cour de cassation casse et annule, en toutes ses dispositions, le jugement rendu par le tribunal d'instance.

Pour rappel : depuis le 1er janvier 2020, l’article 54 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L9077LTD) impose que la demande initiale soit formée, par assignation, ou par une requête remise ou adressée au greffe de la juridiction.

 

newsid:478233

Responsabilité médicale

[Brèves] Décès du conjoint après un accident médical non-fautif : réparation de la privation de relations sexuelles au titre du préjudice d’affection et non au titre du préjudice sexuel

Réf. : Cass. civ. 1, 30 juin 2021, n° 19-22.787, FS-B (N° Lexbase : A95404XM)

Lecture: 2 min

N8194BY7

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par Laïla Bedja

Le 07 Juillet 2021

► En application du principe d’une réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime, le préjudice sexuel, qui comprend tous les préjudices touchant à la sphère sexuelle, peut être éprouvé par ricochet par le conjoint de la victime directe qui, à la suite du fait dommageable, subit elle-même un tel préjudice ; cependant, dans le cas d’une indemnisation au titre de la solidarité nationale sur le fondement de l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L0696H9N), les préjudices de la victime indirecte éprouvés du vivant de la victime directe n’ouvrent pas droit à réparation et les conséquences personnelles éprouvées par la victime indirecte, à la suite du décès de son conjoint, telles que la privation de relations sexuelles avec lui, sont indemnisées au titre du préjudice d’affection.

Les faits et procédure. À la suite de deux opérations cardiaques, une patiente a présenté des complications et son taux d’incapacité permanente partielle a été évalué à 90 %. Cette dernière est décédée en 2014 après avoir saisi la commission régionale de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux, d’une demande d’indemnisation.

Son époux et ses enfants, agissant en qualité d’ayants droit et à titre personnel, soutiennent qu’elle a été victime d’un accident médical non fautif grave. Ils ont alors assigné l’ONIAM et mis en cause le RSI, ainsi que l’assureur.

L’indemnisation de leurs préjudices a été mise à la charge de la solidarité nationale sur le fondement de l’article L. 1142-1, II, du Code de la santé publique.

La cour d’appel. Pour allouer une indemnité au titre du préjudice sexuel de l’époux, la cour d’appel retient que les experts ont constaté, en raison de l’accident médical, l’existence d’un tel préjudice subi par le conjoint, qualifié de très important, et que celle-ci étant décédée des suites de cet accident, la réalité du préjudice sexuel par ricochet se trouve établie (CA Paris, Pôle 2, 2ème ch., 23 mai 2019, n° 17/12780 N° Lexbase : A2487ZC4).

Cassation. Énonçant la solution précitée, la Haute juridiction casse et annule l’arrêt rendu par les juges du fond en violation de l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique et du principe de réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime.

Pour en savoir plus : v. C. Lantero et C. Hussar, ÉTUDE : Le préjudice et l’indemnisation, Les préjudices personnels, in Droit médical, Lexbase (N° Lexbase : E44794IQ), spéc. B. Préjudice d’affection.

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Rupture du contrat de travail

[Brèves] Résiliation judiciaire : le juge doit examiner l’ensemble des griefs invoqués quelque que soit leur ancienneté

Réf. : Cass. soc., 30 juin 2021, n° 19-18.533, FS-B (N° Lexbase : A20214YI)

Lecture: 1 min

N8207BYM

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par Charlotte Moronval

Le 07 Juillet 2021

► Le juge, saisi d’une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail, doit examiner l’ensemble des griefs invoqués au soutien de celle-ci, quelle que soit leur ancienneté.

Faits et procédure. Une salariée est placée en arrêt maladie en juillet 2012. Elle demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail pour manquements de l’employeur à son obligation de sécurité en juillet 2015, soit trois ans après avoir été placée en arrêt de travail.

Pour débouter la salariée de sa demande, la cour d’appel (CA Versailles, 14 mars 2019, n° 17/01469 N° Lexbase : A9618Y3M) considère que les faits invoqués étaient prescrits. En effet, la demande présentée au titre du manquement à l’obligation de sécurité étant relative à l’exécution du contrat de travail, elle se prescrit par deux ans.

La solution. Énonçant la solution susvisée, la Chambre sociale casse et annule l’arrêt de la cour d’appel.

En statuant comme elle l’a fait, alors qu’il lui appartenait d’examiner l’ensemble des griefs articulés par la salariée au soutien de sa demande de résiliation judiciaire, la cour d’appel, qui a refusé d’examiner certains griefs, et a omis d’en examiner d’autres, a violé l’article L. 1231-1 du Code du travail (N° Lexbase : L8654IAR).

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Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Brèves] Application de l’article 257 bis : nécessité de qualifier et obligation d’information du notaire

Réf. : CA Colmar, 25 juin 2021, n° 19/03309 (N° Lexbase : A10324XI)

Lecture: 3 min

N8226BYC

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par Sarah Maubert-Mendez, Avocate au Barreau d'Aix-en-Provence

Le 09 Juillet 2021

► Par un arrêt en date du 25 juin 2021, la cour d’appel de Colmar a rappelé que l’obligation d’information du notaire peut trouver à s’appliquer en matière de TVA et notamment dans le cadre de la mise en œuvre du régime de l’article 257 bis du Code général des impôts ; le défaut d’information peut conduire le contribuable à une régularisation de TVA qui aurait pu être évitée.

Les faits :

  • une SCI acquiert une partie d’un ensemble immobilier à usage commercial et tertiaire pour un certain montant et déduit le montant versé au titre de la TVA ;
  • elle cède ensuite une partie de l’ensemble immobilier à deux acquéreurs. Les deux actes de cession mentionnent que les ventes n’entrent pas dans le champ d’application de la TVA ;
  • la SCI invoque un manquement du notaire à son devoir de conseil pour ne pas avoir attiré son attention sur le fait que les ventes auraient pu être soumises à la TVA et donc mis le notaire en demeure de l’indemniser du préjudice subi à la suite de l’obligation de remboursement de la TVA initialement déduite ;
  • sur les conseils de l’assureur du notaire, la SCI a sollicité un dégrèvement d’imposition sur la TVA. Cette demande n’ayant pas abouti, la SCI a assigné le notaire et son assureur aux fins d’obtenir indemnisation de son préjudice ;
  • le TGI de Strasbourg a condamné in solidum le notaire et son assureur à verser à la SCI une somme pour l’indemniser. Ils ont interjeté appel de ce jugement.

🔎Principe. Les ventes portant sur des biens immobiliers achevés depuis plus de cinq ans sont exonérées de TVA. À défaut d’application de la TVA, les cessions sont soumises aux droits d’enregistrement, ce qui entraîne l’application d’une régularisation en matière de TVA.

Au cas d’espèce. Les actes de vente ne mentionnaient ni la qualité de redevable de TVA des cessionnaires, ni la dispense de taxation prévue par l’article 257 bis du CGI (N° Lexbase : L7414IGP). Aussi, les cessions étaient soumises aux droits d’enregistrement, ce qui entraînait pour le vendeur une régularisation de TVA.

📌 Solution de la cour d’appel :

  • les actes reçus par le notaire mentionnent que le vendeur et l’acquéreur déclarent ne pas être soumis à la TVA et que la vente sera soumise aux droits d’enregistrement au taux de droit commun, ce qui entraîne une régularisation de TVA pour la SCI ;
  • le notaire conteste avoir commis une faute en faisant valoir que l’article 257 bis trouve à s’appliquer de plein droit sans nécessiter d’option, et que de ce fait la SCI était dispensée de régularisation de TVA ;
  • la cour conteste cette analyse en rappelant que la réclamation de la SCI a été rejetée par l’administration fiscale. Pour la cour, la dispense de TVA prévue par l’article suppose que les parties à l’acte soient toutes deux redevables de la TVA, et notamment les cessionnaires. Or les actes ne mentionnent pas cette qualité et précisent même le contraire ;
  • la cour retient que c’est à bon droit que les juges de première instance ont considéré que le notaire avait manqué à son devoir d’information et de conseil en s’abstenant de fournir à la SCI une information complète et circonstanciée sur les conséquences fiscales des ventes.

Le pourvoi est donc rejeté.

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