Réf. : Loi n° 2025-127 du 14 février 2025, de finances pour 2025 N° Lexbase : L4133MSU
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Le 28 Juillet 2025
Dans le cadre du renforcement des mesures visant à lutter contre les pratiques d’arbitrage de dividendes dites « CumCum », la loi de finances pour 2025 a introduit certaines modifications concernant l’imposition des personnes physiques associées résidant fiscalement hors de France. Lexbase a interrogé Antoine Aufrand, Ingénieur Fiscal et patrimoniale, Fondateur et Gérant du cabinet Hypérion Strategy*.
Lexbase : Pouvez-vous nous expliquer les règles relatives à la retenue à la source sur les dividendes ?
Le régime français de la retenue à la source sur les dividendes distribués à des non-résidents repose sur une assise normative claire, fondée sur l'article 119 bis, 2 du Code général des impôts N° Lexbase : L5816M8W. Ce dernier dispose que les revenus distribués par des personnes morales établies en France à des personnes qui n'y ont ni leur domicile fiscal ni leur siège sont soumis à une retenue à la source, prélevée au moment de la mise en paiement des revenus.
Cette retenue est opérée au taux de droit commun de 12,8 % lorsqu'il s'agit de personnes physiques, taux aligné depuis 2018 sur le prélèvement forfaitaire unique. Pour les personnes morales, le taux est fixé à 25 %, également depuis 2022, en cohérence avec le taux de droit commun de l'impôt sur les sociétés. Ce taux peut toutefois être porté à 75 % lorsque le bénéficiaire est résidant d'un État ou territoire non coopératif au sens de l'article 238-0 A du CGI N° Lexbase : L6050LMZ.
Ces taux, posés en droit interne, sont à considérer sous réserve des stipulations contraires des conventions fiscales internationales. Celles-ci peuvent prévoir des taux réduits, voire une exonération pure et simple de retenue à la source en France lorsque la convention consacre une imposition exclusive dans l’État de résidence. C'est notamment le cas de certaines conventions conclues avec les Émirats arabes unis, le Qatar ou encore le Koweït.
Ce cadre conventionnel, conjugué à l'absence de retenue à la source pour certains résidents français (exonération de plein droit ou à raison de leur statut), a donné lieu à des pratiques d'arbitrage de dividendes dites « CumCum ». Celles-ci consistent, pour un investisseur non-résident, à transférer temporairement la propriété des titres à un résident fiscal français à l'approche de la date de détachement du dividende, afin de bénéficier d'une imposition allégée, voire nulle. Le dividende est ainsi perçu sans ou avec une faible retenue à la source, avant que les titres ne soient rétrocédés à leur propriétaire initial. Le gain net est partagé entre les parties au montage.
Pour lutter contre ces schémas, la loi de finances pour 2019 a introduit l'article 119 bis A du CGI N° Lexbase : L5817M8X. Ce texte prévoit que les dividendes versés à raison de cessions ou de transferts temporaires de titres intervenus dans une période de 45 jours incluant la date de détachement sont réputés être soumis à la retenue à la source, sauf preuve contraire. Il s'agit d'un dispositif anti-abus spécifique, fondé sur une présomption de fraude.
Lexbase : Quels sont les changements opérés par la loi de finances sur ces aspects ?
La loi de finances pour 2025 modifie en profondeur l'équilibre du régime existant, en réponse à une jurisprudence du Conseil d'État venue censurer la position administrative précédente. Elle apporte trois ajustements notables.
Premièrement, elle insère, à compter du 16 février 2025, une référence expresse au « bénéficiaire effectif » dans le texte de l'article 119 bis du CGI. Jusqu'alors, cette notion n'était présente que dans la doctrine administrative, laquelle avait été invalidée par le Conseil d'État dans son arrêt du 8 décembre 2023 (CE Contentieux, 8 décembre 2023, n° 472587, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A859817L). Le juge administratif avait estimé que l'administration ne pouvait subordonner l'application des conventions fiscales à la qualité de bénéficiaire effectif sans base légale expresse.
Deuxièmement, à compter du 1er janvier 2026, la loi prévoit que, même en présence d'une convention exonératoire, la retenue à la source devra être appliquée par défaut. Le bénéficiaire pourra obtenir son remboursement uniquement s'il démontre qu'il est le bénéficiaire effectif des dividendes et qu'il satisfait à toutes les conditions prévues par la convention. Il s'agit d'un renversement de la logique jusqu'alors admise : la preuve de l'exonération repose désormais sur le contribuable.
Enfin, les établissements payeurs auront l'obligation de pratiquer systématiquement la retenue selon les taux de droit interne, à moins que le bénéficiaire ne fournisse dès l'origine l'ensemble des éléments justifiant de son droit à exonération, notamment l'attestation de résidence fiscale (formulaire 5000) et les documents probants relatifs à la qualité de bénéficiaire effectif.
Ce nouveau dispositif consacre une approche matérialiste, orientée vers la réalité économique des flux et des entités. Il s’agit d’une réorientation claire vers une logique de transparence, fondée sur la substance plutôt que sur la forme.
Lexbase : L'administration fiscale a, dans un rescrit en date du 17 avril dernier, donné des précisions sur ces nouvelles mesures. Quels sont les éléments apportés par l'administration ?
Le rescrit du 17 avril 2025 fournit deux types de précisions attendues : d'une part, sur le fait générateur de la retenue à la source, et d'autre part, sur les modalités temporelles d'application du nouveau régime.
Concernant le fait générateur, l'administration opère une distinction entre les versements directs de dividendes et les transferts de valeur. Dans le premier cas, la retenue est exigible à la date de mise en paiement. Dans le second, elle devient due dès lors que l'accord sur la chose (c.-à-d. la nature des actifs ou droits transmis) et le prix est considéré comme définitivement conclu entre les parties. Cette précision est essentielle pour appréhender les montages contractuels qui permettent de découpler la propriété juridique des titres et la perception effective du dividende.
Quant à l'entrée en vigueur, l'administration distingue également les deux situations. Les distributions effectuées à compter du 16 février 2025 sont soumises aux nouvelles règles. En revanche, pour les transferts de valeur, le dispositif ne s'applique qu'à ceux pour lesquels l'accord sur la chose et le prix intervient postérieurement à cette date. Cette clarification permet d'éviter toute remise en cause des opérations antérieures non encore dénouées, sous réserve qu'elles aient été convenues avant le 16 février.
Lexbase : Ces éléments sont-ils pleinement clarifiants ou laissent-ils encore place à des incertitudes sur certains montages ?
Si ce rescrit constitue une avancée dans la délimitation du champ d'application des mesures, il subsiste des incertitudes notables.
En premier lieu, la définition exacte des « transferts de valeur » demeure lacunaire. Le texte laisse entendre qu'il vise notamment les schémas de prêt-emprunt de titres, mais il ne s’exprime pas de manière exhaustive sur les opérations hybrides, telles que les conventions de gestion fiduciaire, les contrats de swap économique ou les montages impliquant des entités relais.
En deuxième lieu, la preuve de la date de l'accord sur la chose et le prix pourrait se révéler délicate en pratique, en particulier pour les opérations réalisées sur plateformes ou dans le cadre de mandats de gestion sans formalisation expresse. L'absence de formalisme exigé laisse place à une forte insécurité juridique.
Enfin, le traitement des opérations dites "mixtes", c'est-à-dire celles initiées avant le 16 février 2025 mais finalisées postérieurement, reste ambigu. Le rescrit n'indique pas si la date à retenir est celle de l'intention, de la résolution contractuelle, ou de l'exécution effective.
Dans ce contexte, il est recommandé aux opérateurs en particulier aux établissements financiers et aux entités résidentes distribuant des dividendes de constituer une documentation probatoire rigoureuse, et d'envisager, dans les situations complexes, le recours au rescrit individualisé. La sécurisation juridique des montages passe nécessairement par une traçabilité accrue et une vigilance documentée sur les éléments de substance économique.
*Propos recueillis par Marie-Claire Sgarra, Rédactrice en chef de Lexbase Fiscal et Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public
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Réf. : Cass. civ. 1, 28 mai 2025, n° 23-18.737, F-D N° Lexbase : B0979AEY
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par Adèle Chikouche, Avocate, Droit des affaires
Le 28 Juillet 2025
Par acte reçu le 30 octobre 2014, M. et Mme [E] ont consenti une promesse unilatérale de vente d’un terrain non bâti. L’option a été levée en janvier 2018, et la vente conclue au prix de 1 025 000 euros en février suivant. Par la suite, les vendeurs ont dû s’acquitter de taxes additionnelles qu’ils estimaient avoir pu négocier si l’information leur avait été donnée plus tôt. Ils ont alors assigné le notaire en responsabilité civile.
Le problème de droit qui se posait était le suivant ; Le notaire est-il tenu d’informer ses clients, avant l’engagement définitif, de l’existence et du montant déterminable de taxes fiscales susceptibles de leur incomber ?
La cour d’appel de Toulouse avait écarté la responsabilité du notaire, estimant que les vendeurs avaient été informés de « l’éventualité de taxes additionnelles » dès le compromis, et que l’acte authentique mentionnait leur fondement. Selon elle, « le notaire [...] n’avait pas à fournir de façon spontanée une donnée chiffrée quant au montant des taxes additionnelles ». M. et Mme [E] ont formé un pourvoi en cassation, reprochant notamment à l’arrêt de ne pas avoir exigé du notaire un devoir de conseil effectif et anticipé.
La Cour de cassation casse l’arrêt. Elle rappelle fermement que « le notaire est tenu d’informer et d’éclairer les parties, de manière complète et circonstanciée, sur la portée et les effets, notamment quant aux incidences fiscales, de l’acte auquel il prête son concours » (C. civ., art. 1240 N° Lexbase : L0950KZ9).
Or, « la charge des impositions additionnelles [...] était déterminable, dans son principe comme dans son montant, dès la promesse de vente du 30 octobre 2014 », en vertu d’une délibération municipale de 2008. Dès lors, le devoir d'information devait s’exercer spontanément avant tout engagement, et non après coup.
La cour d’appel ayant méconnu cette exigence en se fondant sur l’acte définitif, alors que les vendeurs étaient déjà liés, la Haute juridiction casse l’arrêt en toutes ses dispositions et renvoie l’affaire devant la cour d’appel d’Agen.
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Réf. : CAA Paris, 8ème ch., 11 mars 2025, n° 22PA03906 N° Lexbase : A554864A
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Le 28 Juillet 2025
Mots clés : pollution • chlordécone • indemnisation • préjudice d'anxiété • faute de l’État
Dans un arrêt du 11 mars 2025, la cour administrative d’appel de Paris juge que l’État a commis des fautes en accordant des autorisations de vente d’insecticides à base de chlordécone, en permettant leur usage prolongé, en manquant de diligence pour évaluer la pollution liée à cet usage, y mettre fin, en mesurer les conséquences et informer la population touchée. Elle juge que l’État doit réparer, lorsqu’il est démontré, le préjudice moral d’anxiété des personnes durablement exposées à cette pollution. Elle estime, toutefois, que la seule invocation d’une exposition au chlordécone, indépendamment de ses conséquences personnelles et en l’absence de justification les étayant de façon individuelle, ne permet pas de justifier d’un préjudice réparable. Pour nous éclairer sur cette décision, Lexbase a interrogé Christophe Lèguevaques, avocat au barreau de Paris, l'un des avocats qui a porté cette action devant les juridictions administratives en complément du volet pénal*.
Lexbase : Comment le juge s'est-il positionné jusqu'ici dans cette affaire de contamination au chlordécone ?
Christophe Lèguevaques : Dans cette affaire, la position des juges varie selon la juridiction saisie.
Tandis que les juridictions administratives se montrent enclines à reconnaître cette contamination et à sanctionner les responsables, les juridictions pénales ont pour l’instant adopté une approche plus timide.
En effet, alors que le 24 juin 2022, le tribunal administratif de Paris reconnaissait la responsabilité de l’État pour « négligences fautives » [1], le Pôle de santé publique, accidents collectifs et environnement du tribunal judiciaire de Paris rendait, le 2 janvier 2023, une ordonnance de non-lieu. Il faut bien reconnaître que depuis le début, le Parquet fait tout pour empêcher toutes les investigations affirmant péremptoirement des arguments de droit (prescription, application de la loi dans le temps) tout minimisant la gravité des faits et en ne tirant pas toutes les conséquences des connaissances acquises de la science depuis … 1962.
Néanmoins, nous avons bon espoir que l’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris fasse date et permette de relancer le dossier pénal devant la Chambre de l’instruction tout comme l’arrêt rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation qui a statué sur notre question prioritaire de constitutionnalité.
Lexbase : Quel est l'intérêt essentiel de l'arrêt rendu le 11 mars 2025 par la CAA de Paris ?
Christophe Lèguevaques : Compte tenu de l’histoire rattachée à cette pollution, cet arrêt revêt une portée majeure, je laisse aux universitaires le soin de vérifier si le qualificatif d’ « historique » est opportun.
En reconnaissant les nombreuses fautes commises par l’État – notamment, l’octroi de renouvellement d’autorisations de vente de produits insecticides à base de chlordécone sans étude sanitaire requise, l’octroi de dérogations pour prolonger leur usage en dépit de leur dangerosité, le manque de diligence dans l’évaluation, la cessation, la gestion et l’information de la pollution engendrée et de ses conséquences – et en le condamnant à indemniser le préjudice moral et/ou d’anxiété des personnes durablement exposées, la cour franchit une étape essentielle dans la prise de conscience collective de ce scandale sanitaire et pose la première pierre de sa réparation.
Ce faisant, cette décision représente un précédent significatif en matière de contentieux environnemental. Il appartient aux victimes d’un préjudice corporel – les ouvrières et les ouvriers des bananeraies en premier lieu – de s’en saisir pour obtenir réparation. On peut même espérer que cette jurisprudence soit transposable dans d’autres sortes de pollutions comme le glyphosate ou les PFAS.
Lexbase : Vous avez néanmoins jugé cette décision en partie décevante. Pouvez-vous nous dire pourquoi ?
Christophe Lèguevaques : Cette déception résulte du champ d’indemnisation retenu. Sur les 1286 appelants, la cour ne condamne l’État à n’indemniser que onze (neuf hommes et deux femmes) d’entre eux, ayant pu établir le lien entre leur exposition et le risque, la survenue ou la récidive du cancer de la prostate, le risque accru de naissance prématuré et un risque d’impact sur le développement cognitif et le comportement de l’enfant.
Cette grille d’indemnisation, particulièrement restrictive, souffre des lacunes scientifiques encore existantes. En effet, toutes les conséquences de la contamination au chlordécone ne sont pas pleinement connues. Faute de financement adéquat, les études sur les cancers hormonodépendants « féminins » sont en retard sur celles concernant le cancer de la prostate. Mais il n’en demeure pas moins vrai que depuis 1979, le CIRC/OMS a classé le chlordecone comme cancérigène probable, quel que soit le sexe. Depuis 1990, on sait qu’il s’agit d’un perturbateur endocrinien. Et il est établi, comme pour le distilbène, qu’il a un effet épigénétique qui peut se transmettre à des générations qui n’ont jamais été exposées directement au chlordécone (un enfant né dans l’hexagone de parents ayant vécu les trente premières années de leur vie aux Antilles, par exemple).
Ainsi, il est donc essentiel d’encourager les pouvoirs publics à mener des études et expertises plus approfondies, en particulier s’agissant des femmes – éternelles oubliées – afin d’améliorer notre connaissance scientifique sur ce polluant organique persistant et partant, mieux en anticiper les effets.
Lexbase : Y a-t-il d'autres décisions à venir en la matière ?
Christophe Lèguevaques : D’autres décisions sont attendues dans le cadre de la procédure pénale notamment.
Pour rappel, par arrêt du 13 novembre 2024, la Chambre de l’instruction avait sursis à statuer sur l’appel de l’ordonnance de non-lieu du 2 janvier 2023 dans l’affaire du chlordécone et renvoyée la question prioritaire de constitutionnalité que nous avions soulevée au sujet du dol spécial (animus necandi) exigé pour le crime d’empoisonnement tel qu’interprété depuis l’arrêt de la Chambre criminelle du 18 juin 2003 [2] rendu dans l’affaire du sang contaminé.
La Cour de cassation ayant, par un arrêt du 5 février 2025, jugé n’y avoir pas lieu à renvoi de cette question prioritaire de constitutionnalité, nous avons récemment appris que le dossier pourrait être renvoyé à une audience qui se tiendra fin septembre prochain.
À cet égard, l’arrêt du 11 mars 2025 constitue un appui fondamental que nous comptons mobiliser dans nos nouvelles écritures. Par ailleurs, les récentes et nombreuses constitutions de parties civiles dans cette procédure pénale pourraient constituer des moyens sérieux dans la perspective d’une infirmation de l’ordonnance de non-lieu.
Enfin, dans un contexte plus large, nous examinons enfin les suites à donner à cet arrêt eu égard à la pollution rémanente des sols et des eaux, telle que confirmée par l’arrêt de la cour administrative d’appel.
*Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public.
[1] TA Paris, 24 juin 2022, n° 2006925 N° Lexbase : A616878X.
[2] Cass. crim., 18 juin 2003, n° 02-85.199 N° Lexbase : A8130C8M.
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