Le Quotidien du 24 juillet 2025

Le Quotidien

Éditorial

[A la une] Face à l’urgence de la surpopulation carcérale, les incantations et l’improvisation ne suffisent plus

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N2706B3M

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par Benjamin Monnery, Maître de conférences en économie à l’Université Paris Nanterre, chercheur à EconomiX (CNRS), fondateur de l’Observatoire des disparités dans la justice pénale

Le 23 Juillet 2025

Le constat est désormais largement connu : nos prisons débordent. Au 1er juillet 2025, on compte 85 000 détenus pour 63 000 places, et déjà près de 6 000 matelas au sol.

Si les détenus subissent directement les effets néfastes de cette surpopulation (promiscuité, tensions entre codétenus, moindre accès aux activités, etc.), nos 30 000 surveillants pénitentiaires sont également en première ligne : la détention est bien plus difficile à « gérer », les menaces et violences contre les personnels sont plus fréquentes, et leur travail perd beaucoup de son sens… Des conditions de travail d’autant plus difficiles que près de 10 % des postes de surveillants sont vacants alors même que le calcul des effectifs est basé uniquement sur la capacité opérationnelle des établissements, et non sur le nombre réel de détenus hébergés.

La société toute entière est perdante également : l’indignité de nos prisons surpeuplées entraîne des condamnations régulières de l’Etat par la justice administrative et européenne (près de 50 établissements ont déjà été visés) ; elle réduit aussi les chances de réinsertion des condamnés, et alimente les effets de pairs criminogènes entre codétenus, le passé pénal des uns favorisant la récidive des autres.

Une inflation carcérale intenable

Si le problème de la surpopulation carcérale est chronique en France depuis plusieurs décennies, la situation actuelle n’a en réalité rien d’habituel : depuis janvier 2024, nos 185 prisons accueillent en moyenne 500 détenus de plus par mois. C’est l’équivalent d’un établissement de taille standard à construire chaque mois… quand on peine à en ouvrir plus de 2 par an ! L’inflation carcérale actuelle est presque dix fois plus rapide que la hausse régulière que l’on a connu durant la décennie 2010-2020.

Cette situation critique ne s’explique d’ailleurs pas par une hausse des incarcérations qui seraient décidées par les magistrats face à une flambée de la délinquance : le nombre de peines d’emprisonnement ferme prononcées en 2024 – 129 000 – est même inférieur à celui observé en 2019. Elle s’explique quasi-exclusivement par un net allongement des durées des peines fermes qui atteignent désormais 10,5 mois en moyenne contre 8,6 mois en 2019 (soit +21 % en 5 ans), probablement par un effet de contournement des réformes pénales récentes (réforme du bloc-peines en 2020, des réductions de peines en 2023). C’est cet allongement continu des durées de détention qui rend aujourd’hui la situation intenable.

Trop d’échecs et d’improvisation

Jusqu’à présent, toutes les tentatives des pouvoirs publics pour limiter la surpopulation ont échoué – certaines ont même empiré la situation par des effets pervers mal anticipés.

Depuis son arrivée place Vendôme, le nouveau garde des Sceaux traite avec légèreté ce sujet. En mars, Gérald Darmanin avait d’abord indiqué que « nous avons plus de 19 000 détenus étrangers […]. Le calcul est simple : si ces étrangers, ou même une partie d’entre eux, purgeaient leur peine dans leur pays, nous n’aurions plus de problème de surpopulation carcérale ». Or, sans même parler des nombreux obstacles juridiques et diplomatiques, comment accepter que des personnes condamnées par notre justice pour des faits commis en France exécutent leur peine à l’étranger, si éloignées du regard de la société et des victimes ?

Depuis, les annonces gouvernementales pour 2026-2027 s’accumulent – prisons low-cost en préfabriqué, locations de cellules à l’Espagne, réhabilitations d’EHPAD ou d’hôtels – mais partagent les mêmes faiblesses : bien trop peu (par rapport au déséquilibre de 22 000 détenus à héberger), bien trop tard (par rapport à l’urgence quotidienne dans nos établissements). Le fameux « Programme 15 000 », censé aboutir à 15 000 nouvelles places entre 2018 et 2027, est un échec cuisant : il permettra probablement d’en livrer moitié moins, faute de terrains et de budgets. Il faut dire que chaque place de prison coûte à l’État près de 400 000 euros à construire, puis environ 50 000 euros par an en frais de fonctionnement…

La régulation carcérale comme seule solution à court terme

On le voit bien, l’approche actuelle faite de réformes mal conçues, d’annonces improvisées et d’incantations contradictoires en matière de politique pénale, n’est pas adaptée aux enjeux et à l’urgence de la situation. Un large consensus est désormais bien établi entre professionnels, magistrats, associations et chercheurs : la seule solution à court terme passe par une régulation carcérale.

Afin d’être vraiment efficace et d’arrêter de faire reposer la responsabilité des libérations anticipées sur les seules épaules des juges d’application des peines, le mécanisme de régulation carcérale devra être national et contraignant. Au-delà d’un certain seuil de densité carcérale dans un établissement (100 %, 120 % ou même 150 %), toute nouvelle incarcération se ferait en parallèle de la libération du détenu le plus proche de sa fin de peine (hors exceptions pour des profils de condamnés spécifiques).

Un tel mécanisme aurait l’avantage de produire des résultats très rapides en termes de baisse de la surpopulation, et d’adapter la durée d’exécution des peines à la réalité concrète des conditions de détention. Celles-ci sont relativement satisfaisantes dans certains établissements (en centre de détention par exemple) et très dégradées dans d’autres (les maisons d’arrêt surpeuplées). En raccourcissant de quelques semaines ou quelques mois les durées d’emprisonnement, la situation redeviendrait rapidement plus respirable pour beaucoup de détenus et de surveillants – même si la surpopulation ne disparaitra pas totalement en un coup de baguette magique bien sûr. À titre d’illustration, au 1er juillet 2025, 2 800 détenus ont un reliquat de moins d’un mois de prison à purger, et environ 5 000 supplémentaires moins de 3 mois…

En préparant bien ces libérations anticipées et en assurant un suivi effectif des détenus par les SPIP à leur sortie, les conséquences en matière de récidive pourraient être tout à fait maitrisées, comme ont pu le montrer les exemples plus ou moins récents de l’Italie, du Royaume-Uni, voire de la France pendant l’épidémie de Covid-19.

Faute de volonté du ministre de la Justice pour aller dans cette voie en période pré-électorale, ce sont les députés de la Commission des Lois qui auront bientôt à se prononcer sur ce sujet, avec une proposition de loi annoncée par leur président pour la rentrée… L’esprit de responsabilité viendra-t-il des parlementaires ?

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Concurrence

[Podcast] Prix de revente imposés : un piège pour les entreprises ?

Lecture: 1 min

N2698B3C

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Le 17 Juillet 2025

► Dans cet épisode, Maître Agathe Esch, avocate en droit de la concurrence chez Herbert Smith Freehills, nous éclaire sur un sujet sensible dans les relations commerciales : l’interdiction des prix de revente imposés ou minimums.

Pourquoi cette pratique est-elle interdite ? Quels risques pour les entreprises qui y auraient recours ? Comment concilier politique tarifaire et respect du droit de la concurrence ? Un point rapide et pratique sur une notion clé, à destination des professionnels, fournisseurs, distributeurs et juristes d’entreprise.

► Un épisode à retrouver sur Youtube, Deezer, Spotify et Apple Podcasts.

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Immobilier et urbanisme

[Textes] Loi « Daubié » du 16 juin 2025 : un tournant pour la transformation urbaine ?

Réf. : Loi n° 2025-541 du 16 juin 2025, visant à faciliter la transformation des bureaux et autres bâtiments en logements N° Lexbase : L9878M9Q

Lecture: 10 min

N2688B3X

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par Michèle Raunet, Notaire associée, Cheuvreux

Le 22 Juillet 2025

Mots clés : immobilier • bureaux • logements • urbanisme • transformation

Promulguée le 16 juin 2025, la loi n° 2025-541 visant à faciliter la transformation des bureaux et autres bâtiments en logements, dite « loi Daubié », intervient dans un contexte marqué par une pénurie aiguë de logements et une vacance croissante du parc tertiaire.


 

Selon les chiffres de l’Institut de l’Épargne Immobilière et Foncière (IEIF) [1], près de 5,3 millions de m² de bureaux étaient vacants en Île-de-France au 1er trimestre 2025, soit un taux de vacance de 8,5 %, avec des pics dépassant 15 % dans certaines zones de la première couronne. À cela s’ajoute une demande résidentielle croissante, exacerbée par les dynamiques de télétravail, la désindustrialisation de certains territoires urbains, et l’impératif environnemental de sobriété foncière. Face à ce paradoxe, la loi Daubié entend lever les freins normatifs, fiscaux et opérationnels à la reconversion des bâtiments non résidentiels en logements. Elle prolonge des mesures amorcées par la loi de Finances pour 2025 [2], et offre un cadre juridique structuré pour accompagner cette transformation nécessaire des bureaux vacants. Dans ce contexte, la transformation de bureaux en logements apparaît comme une piste prometteuse, capable de répondre simultanément à plusieurs enjeux : redonner une utilité à des immeubles vacants, renforcer l’offre résidentielle dans les zones denses, contribuer à la décarbonation de l’immobilier, limiter l’artificialisation des sols. Elle ne saurait toutefois constituer une solution unique, mais elle représente un levier opérationnel réaliste et complémentaire des stratégies de production de logements neufs et de transformations de l’existant (entrées de villes, pavillonnaires, friches notamment).

I. Un socle législatif structuré autour de quatre champs d’intervention : urbanisme, fiscalité, copropriété, commande publique

A. Les mesures en matière d’urbanisme

Le cœur du dispositif repose sur une série de dérogations aux règles des documents d’urbanisme, pensées pour faciliter la transformation des locaux non résidentiels en logements sans attendre des modifications des documents d’urbanisme.

Tout d’abord, la loi permet à l’autorité compétente d’accorder une dérogation explicite aux règles relatives aux destinations prévues par le plan local d’urbanisme ou le document en tenant lieu. Ainsi, même dans les zones où la destination « habitation » n’est pas autorisée, un changement de destination pourra être accordé, sauf si certains motifs précis s’y opposent. Ces motifs, au nombre de quatre, sont limitativement énumérés par la loi : l’existence de nuisances avérées pour les futurs habitants, une accessibilité insuffisante par des transports alternatifs à la voiture individuelle, des conséquences négatives sur la démographie scolaire par rapport aux capacités d’accueil existantes ou prévues, et enfin, une remise en cause des objectifs de mixité sociale et fonctionnelle du territoire. Lorsqu'elle souhaite accorder la dérogation, l'autorité compétente pour délivrer l'autorisation d'urbanisme recueille l'avis conforme de l'autorité compétente en matière de plan local d'urbanisme ou de document en tenant lieu. Un avis défavorable ne peut être rendu qu'au regard des critères mentionnés ci-avant. Lorsque l'autorité compétente pour délivrer l'autorisation d'urbanisme n'est pas le maire, elle recueille l'avis du maire de la commune où est implanté le bâtiment (C. urb., art. L. 152-6-5 N° Lexbase : L0316NAX).

La loi introduit également la possibilité pour les collectivités, de créer des secteurs dans lesquels les logements issus de telles transformations seront réservés à un usage de résidence principale. Cette disposition reprend le principe de la « servitude de résidence principale » introduite en matière de construction neuve par la loi « Le Meur » (loi n° 2024-1039 du 19 novembre 2024, visant à renforcer les outils de régulation des meublés de tourisme à l'échelle locale N° Lexbase : L6356MS9), mais l’applique ici aux opérations de transformation, renforçant la lutte contre les logements vacants et les usages touristiques détournés (C. urb., art. L. 151-14-1 N° Lexbase : L0314NAU).

Par ailleurs, la loi introduit une dérogation aux règles des PLU relatives à la taille minimale des logements (C. urb., art. L. 152-6-6 N° Lexbase : L0205NAT). Ce levier vise à permettre, notamment dans les centres-villes denses, la reconversion de locaux très compartimentés ou techniquement complexes, dans une logique de pragmatisme.

Autre nouveauté majeure : l’article 5 de la loi prévoit la possibilité d’instituer dans des secteurs définis par délibération de l’autorité compétente en matière de PLU ou du document en tenant lieu, le cas échéant sur avis conforme du conseil municipal des communes concernées, un permis de construire à destinations multiples, décliné en deux régimes juridiques distincts, chacun encadré par une durée maximale de validité de vingt ans à compter de la délivrance du permis (C. urb., art. L. 431-5 N° Lexbase : L0206NAU). Ainsi si les pièces fournies à l'appui de la demande de permis de construire permettent de vérifier la conformité des états futurs du projet, propres à ses destinations postérieures, à l'ensemble des règles d'urbanisme applicables au moment de sa délivrance, le permis autorise ces états futurs par anticipation, sans qu'il puisse être exigé ultérieurement de nouvelle autorisation d'urbanisme.

Ce dispositif, dont les modalités d’application doivent être précisées par décret en Conseil d’État, s’inspire du projet TEBiO à Bordeaux [3]. Ce dernier, conduit dans le cadre d’un permis d’innover, permet d’alterner usages tertiaires et résidentiels. Le 119e Congrès des notaires avait également, dès 2023, proposé l’intégration du permis à destinations multiples dans le Code de l’urbanisme, assortie de garanties sur la sécurité juridique des transitions d’usage [4].

D’autres mesures enrichissent ce socle.

La transformation des bâtiments non résidentiels est intégrée dans les missions de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), afin de soutenir les collectivités dans leurs projets (CGCT, art. L. 1231-2 N° Lexbase : L0267NA7).

Par ailleurs, la loi prévoit que les résidences universitaires définies à l'article L. 631-12 du Code de la construction et de l’habitation N° Lexbase : L5094LR4 font partie au même titre que les logements locatifs sociaux au sens de l'article L. 302-5 du même code N° Lexbase : L4879MBC des biens susceptibles d’être intégrés dans des secteurs du PLU permettant de bénéficier d'une majoration du volume constructible tel qu'il résulte des règles relatives au gabarit, à la hauteur et à l'emprise au sol (C. urb., art. L. 151-28 N° Lexbase : L0315NAW).

B. Les mesures fiscales : prolongement et amplification du PLF 2025

La loi de Finances pour 2025 avait déjà amorcé un tournant en introduisant deux outils fiscaux. Le texte prévoit en effet une exonération de la taxe annuelle sur les bureaux en Ile-de-France et de la Taxe annuelle sur les bureaux dans les départements des Bouches-du-Rhône, du Var et des Alpes-Maritimes, lorsque les locaux, passibles de la taxe, sont (i) vacants au 1er janvier de l’année d’imposition, (ii) pour lesquels une déclaration préalable ou une demande de permis de construire a été déposée au cours de l'année civile précédant la déclaration de la taxe et (iii) ont fait l’objet d’un engagement de transformation en logements dans un délai de 4 ans à compter de la délivrance de l’autorisation – étant précisé que l’engagement de transformation est réputé respecté lorsque l'achèvement des travaux de transformation ou de construction intervient avant l'expiration du délai de quatre ans (CGI, art. 231 ter N° Lexbase : L0745NAT et 231 quater N° Lexbase : L0746NAU).

La deuxième mesure consiste en la possibilité pour les collectivités de percevoir la taxe d’aménagement afin de réaliser les investissements publics rendus nécessaires par l’accueil de nouveaux habitants par suite d’un changement de destination de locaux non destinés à l’habitation en locaux d’habitation (CGI, art. 1635 quater B N° Lexbase : L5960M8A).

La loi « Daubié » étend cette logique de mobilisation financière des bénéficiaires de la transformation en permettant également le recours au projet urbain partenarial (PUP). Ce mécanisme contractuel permet de faire participer les opérateurs immobiliers aux coûts des équipements publics induits par leur projet, en leur offrant un cadre de sécurisation juridique et de prévisibilité financière. En lien avec la fiscalité incitative, le PUP constitue ainsi un levier de compensation pertinent, assurant un équilibre entre souplesse offerte aux porteurs de projets et maintien des capacités d’investissement des collectivités locales (C. urb., art. L. 332-11-3 N° Lexbase : L0318NAZ).

C. Les mesures en matière de copropriété

Un point de blocage fréquent dans les opérations de transformation concerne le vote en assemblée générale pour modifier l’usage d’une partie privative. La loi assouplit la règle en prévoyant que le changement d’usage vers l’habitation, lorsqu’il ne concerne pas un local commercial, ne nécessite plus qu’une majorité simple au sens de l’article 24 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 N° Lexbase : L5536AG7, et non plus la majorité qualifiée.

D. Les mesures relatives à la commande publique

Les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (CROUS) peuvent désormais conclure des marchés de conception-réalisation sans avoir à justifier du caractère complexe de l’opération, facilitant la transformation de bâtiments en résidences étudiantes.

Sur le plan opérationnel, dans le prolongement du texte, le Gouvernement a lancé plusieurs initiatives :

– le plan présenté le 27 mars 2025 par Valérie Létard prévoit l’activation de comités locaux d’accompagnement sur le modèle des Champs-Élysées ou de La Défense ;

– en Île-de-France, un appel à manifestation d’intérêt a été lancé par le préfet Marc Guillaume, visant à accompagner les collectivités dans leurs stratégies et diagnostics de transformation ;

– deux groupes de travail ont été installés : l’un sur le financement (Xavier Lépine et Nadia Bouyer), l’autre sur la simplification normative (Laurent Girometti, Roland Cubin et Julien Antoine).

II. Des perspectives critiques : vers une transformation maîtrisée et régulée

Si la loi « Daubié » marque un tournant important, elle mérite une double mise en perspective critique.

La première concerne le périmètre de la réflexion : pensée à l’échelle de l’immeuble, elle néglige l’approche territoriale systémique. Or, toute transformation génère des effets sur les réseaux, les équipements, la vie sociale. À défaut d’un encadrement à l’échelle intercommunale ou d’une articulation avec les documents de planification (SCOT, PLH), ces effets peuvent se révéler contre-productifs.

La seconde critique tient à l’affaiblissement de la régulation. En permettant de déroger quasi systématiquement aux règles de destination, le législateur dessaisit les collectivités de leur pouvoir de planification. Comme le souligne Amaury Krid [5], une telle logique « affaiblit la portée des PLU » et favorise un urbanisme d’opportunité. La régulation des usages doit rester une boussole, même dans un contexte de flexibilité accrue.

La proposition de loi sur la simplification du droit de l’urbanisme, en cours de discussion [6], introduit des outils de planification renforcés, dont le schéma cadre pour l’OIN de La Défense. Ce document, supérieur aux PLU, redonne une place à l’État stratège. Une articulation entre cette planification d’ensemble et les outils de transformation de la loi « Daubié » est indispensable.

L’enjeu des prochaines années sera d’intégrer cette souplesse nouvelle dans une logique d’urbanisme de la transformation maîtrisée, conjuguant droit, projets et cohérence territoriale.


[1] Institut de l’Épargne Immobilière et Foncière (IEIF), Note de conjoncture Île-de-France, T1 2025.

[2] LOI n° 2025-127 du 14 février 2025, de finances pour 2025 N° Lexbase : L6315MSP, JO du 15 février 2025.

[3] Ville de Bordeaux, Permis d’innover TEBiO, expérimentation 2023–2025 ; voir également le site internet de Canal architecture

[4] 119e Congrès des notaires de France, 2023, Proposition sur le permis à destinations multiples.

[5] A. Krid, Faut-il vraiment transformer des bureaux en logements lorsque le PLU l’interdit ?, Le Moniteur.fr, 9 Juillet 2025 

[6] Proposition de loi n° 169 du Sénat du 9 juillet 2025 de simplification du droit de l’urbanisme et du logement, texte de la petite loi.

newsid:492688

Institutions

[Dépêches] Publication de la lettre de la justice administrative de juillet 2025

Réf. : Communiqué du Conseil d’État, 21 juillet 2025

Lecture: 1 min

N2731B3K

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par La Rédaction

Le 23 Juillet 2025

Le 21 juillet 2025 est parue la lettre de la justice administrative n° 84 qui retrace toute l’actualité jurisprudentielle et consultative du Conseil d’État.

Elle contient les décisions du Conseil d'État les plus marquantes du mois de juin 2025, les dernières QPC examinées et transmises (du 13 juin au 26 juin, 20 questions prioritaires de constitutionnalité ont été examinées par le Conseil d'État dont 13 ont fait l'objet d'une transmission au Conseil constitutionnel, en droit des affaires, droit du travail et droit fiscal notamment) et les lettres de jurisprudence des cours administratives d'appel de Bordeaux, de Paris, de Nancy et des tribunaux administratifs de Besançon, Châlons-en-Champagne, Nancy, Strasbourg, Montreuil et Melun.

Elle comprend aussi un éclairage sur l'avis consultatif du Conseil d'État relatif aux conséquences d'une peine d'inéligibilité assortie de l'exécution provisoire sur le mandat d'un représentant au Parlement européen et sur l'examen par le Conseil d'État du décret n° 2025-309 du 2 avril 2025, portant restitution de restes humains à la République de Madagascar N° Lexbase : L1563M9R.

Elle revient enfin sur la décision « Époux Lemonnier » du 26 juillet 1918 (CE, n°s 49595 et 55240 N° Lexbase : A8025B8Q, au Recueil p. 761, concl. Blum) relative à la responsabilité de l'administration à raison de fautes commises par ses agents. Pour rappel, cette décision ouvre la voie au cumul des responsabilités, c'est-à-dire qu'une faute personnelle commise par un agent public peut aussi engager la responsabilité de l'administration, si elle est liée au service. 

 

 

 

 

 

newsid:492731

(N)TIC

[Questions à...] La protection des mineurs à l’exposition de contenus pornographiques - Questions à Sacha Bettach, Avocate, Bird & Bird

Réf. : CE, 5 ch., 15 juillet 2025, n° 505472, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : B8888AW4

Lecture: 11 min

N2732B3L

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Le 24 Juillet 2025

Mots clés : contenus pornographiques • mineurs • CNIL • ARCOM • libertés

Dans une ordonnance rendue le 15 juillet 2025, la Haute juridiction administrative a maintenu l’arrêté imposant de vérifier l’âge des utilisateurs de sites pornographiques. Elle a estimé que n’était pas démontrée une atteinte grave et immédiate à la situation économique de la société requérante. Par ailleurs, selon les juges, le dispositif imposé ne constitue pas une interdiction de diffuser du contenu pornographique à destination des personnes majeures. Pour faire le point sur cette problématique appelée à connaître de nouveaux développements à l’avenir, Lexbase a interrogé Sacha Bettach, Avocate, Bird & Bird*.


 

Lexbase : Quel est le cadre légal de lutte contre l’exposition à des contenus pornographiques ?

Sacha Bettach : La loi n° 2024-449 du 21 mai 2024, visant à sécuriser et à réguler l'espace numérique (N° Lexbase : L6024MSW), dite loi « SREN », a profondément refondu le dispositif de protection des mineurs face aux contenus pornographiques en ligne. Elle impose désormais aux services en ligne diffusant de tels contenus — qu’il s’agisse de plateformes gratuites ou sur abonnement — de mettre en place des systèmes de vérification de l’âge robustes et conformes à un référentiel élaboré par l’Arcom, après avis de la CNIL.

Ce référentiel, formalisé par la délibération n° 2024-20 du 9 octobre 2024, relative au référentiel déterminant les exigences techniques minimales applicables aux systèmes de vérification de l'âge mis en place pour l'accès à certains services de communication au public en ligne et aux plateformes de partage de vidéos qui mettent à disposition du public des contenus pornographiques, et publié le 11 octobre 2024, fixe des exigences techniques minimales dont le respect est obligatoire depuis le 11 avril 2025.

L’accès aux contenus pornographiques est désormais conditionné à une vérification d’âge préalable, obligatoire à chaque session.

Les exigences désormais posées sont strictes : interdiction d’accès dès la page d’accueil sans vérification préalable, recours à des tiers indépendants pour l’authentification, interdiction de couplage des données permettant une réidentification, et anonymat garanti tant pour l’utilisateur que pour la plateforme. Le système doit également être auditable, sécurisé, et ne permettre aucun stockage des données à caractère personnel, sauf preuve d’âge pendant une durée limitée.

Le référentiel impose que la vérification soit robuste face à la fraude, notamment aux deepfakes, à l’usurpation et à la réutilisation d’images ou de vidéos. Lorsqu’elle repose sur une estimation de l’âge, la solution doit garantir l’absence de faux positifs et empêcher tout contournement par des mineurs.

Le référentiel consacre également (i) les principes de protection de la vie privée : exactitude, proportionnalité, minimisation des données, accessibilité, transparence et sécurité ainsi que (ii) le principe de double anonymat : la plateforme ne connaît pas l’identité de l’utilisateur, et le prestataire chargé de vérifier l’âge ignore le site concerné.

Depuis le 11 avril 2025, les plateformes devaient proposer au moins une méthode de vérification conforme à ce principe, en plus d’une double modalité de preuve d’âge (par exemple : estimation biométrique et justificatif d’identité anonymisé).

Une période transitoire de trois mois a permis, jusqu’au 11 avril 2025, le recours à des systèmes fondés sur la carte bancaire, sous réserve d’un service opéré par un tiers indépendant, d’une sécurisation forte (type 3D Secure) et d’une vérification effective de la validité de la carte.

Le référentiel a été rendu applicable par l’arrêté du 26 février 2025, désignant les services de communication au public en ligne et les services de plateforme de partage de vidéos établis dans un autre État membre de l'Union européenne soumis aux articles 10 et 10-1 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004, pour la confiance dans l'économie numérique N° Lexbase : L2600DZC, à plusieurs prestataires établis dans l’Union européenne (notamment PornHub, YouPorn, ou encore Hammy Media Ltd, éditeur de xHamster).

En cas de manquement, l’Arcom peut non seulement prononcer des sanctions pécuniaires, mais aussi demander le blocage ou le déréférencement du site concerné. Ce cadre repose ainsi sur une logique de coresponsabilité technique et juridique, pensée pour protéger efficacement les mineurs tout en garantissant les libertés fondamentales des utilisateurs majeurs.

Lexbase : Quel était le raisonnement de l'ordonnance du 16 juin 2025 ici attaquée ?

Sacha Bettach : À la demande de l’un des prestataires - la société Hammy Media Ltd (site « xhamster ») – visé dans l’arrêté par ces nouvelles obligations établies dans le référentiel, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a suspendu l’exécution de cet arrêté le 16 juin 2025 par ordonnance [1].  

Cette décision faisait suite à une première tentative de la société requérante, rejetée par le juge des référés le 2 mai 2025 [2] faute d’urgence caractérisée, celui-ci ayant estimé que l’arrêté ne portait pas, en lui-même, une atteinte grave et immédiate à sa situation.

Dans cette nouvelle ordonnance du 16 juin, le juge des référés avait estimé que les deux conditions prévues par l’article L. 521-1 du Code de justice administrative N° Lexbase : L3057ALS pour prononcer une telle suspension, à savoir l’urgence et l’existence d’un doute sérieux sur la légalité, étaient satisfaites.

S’agissant de l’urgence, le juge a admis que l’impact économique immédiat sur l’éditeur justifiait la suspension. Il avait également admis l’existence d’un doute sérieux sur la légalité de l’arrêté, notamment en raison du contexte transfrontalier et de la question, toujours pendante devant la CJUE depuis le 6 mars 2024, du respect du principe de reconnaissance mutuelle entre États membres.

L’affaire illustre plusieurs enseignements procéduraux. D’abord, si les ordonnances du juge des référés sont exécutoires, elles ne bénéficient pas de l’autorité de chose jugée, en raison de leur caractère provisoire. Il en résulte qu’un requérant peut saisir à nouveau le juge des référés d’une demande de suspension identique, y compris sur les mêmes fondements juridiques, dès lors qu’il fait valoir des éléments nouveaux - ce qui a permis à la société Hammy Media Ltd d’introduire deux référés-suspension successifs à un mois d’intervalle -.

Ensuite, cette affaire illustre que l’appréciation de l’urgence peut être influencée par l’évolution du contexte contentieux, en particulier lorsqu’un doute sérieux sur la légalité d’un acte administratif entre en conflit avec le droit de l’Union européenne. Le renvoi préjudiciel opéré par le Conseil d’État en mars 2024 sur un dispositif antérieur, ou encore un sursis à statuer, peuvent ainsi peser dans la balance de l’urgence. Cela explique que le juge des référés ait pu, dans un second temps, suspendre l’exécution de l’arrêté contesté malgré le rejet initial d’une demande identique.

Saisi par la ministre de la Culture et la ministre déléguée chargée du numérique, le Conseil d’État a rejeté le 15 juillet 2025 pour défaut d’urgence, la demande de suspension.

Lexbase : Pourquoi la Haute juridiction prend-elle ici une décision inverse ?

Sacha Bettach : Constatant l’absence d’urgence, le Conseil d’État a rejeté la demande de suspension l’arrêté du 26 février 2025 sans avoir à se prononcer ni sur sa légalité, ni sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée à l’encontre de la loi par le prestataire. 

Le Conseil d’État a considéré que le juge de première instance avait commis une erreur de droit en assimilant à tort l’existence d’un doute sérieux sur la légalité de l’arrêté à une situation d’urgence. Or, la jurisprudence constante impose que ces deux conditions soient appréciées distinctement.

En statuant lui-même en référé, le Conseil d’État rejette la demande de suspension. Il relève d’abord que la société Hammy Media Ltd ne démontre pas une atteinte grave et immédiate à sa situation économique. Elle se borne à produire des statistiques issues de certains États américains sans établir de lien concret avec sa fréquentation en France ni chiffrer l’impact sur son chiffre d’affaires global.

Ensuite, aucune atteinte disproportionnée à la liberté d’expression ou à la vie privée ne résulte de l’arrêté contesté. Celui-ci ne vise pas à interdire la diffusion de contenus pornographiques à destination des majeurs, mais impose simplement un système de vérification de l’âge respectueux de la vie privée, validé par la CNIL, et conforme aux exigences du RGPD.

Enfin, le Conseil d’État insiste sur l’intérêt public majeur attaché à la protection des mineurs. Il juge que, même si certains contournements sont techniquement possibles, les obligations issues de la loi « SREN » et du référentiel Arcom sont, en l’état, susceptibles de contribuer utilement à l’objectif poursuivi.

L’urgence n’étant pas caractérisée, la demande de suspension est rejetée sans que le juge ait besoin de se prononcer sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société requérante.

Lexbase : À l'avenir, quelle solution technique serait satisfaisante pour assurer la protection des mineurs ?

Sacha Bettach : Plusieurs pistes sont aujourd’hui explorées afin de concilier efficacité de la vérification de l’âge et respect des droits fondamentaux.

La solution la plus prometteuse repose sur un modèle en « double anonymat », recommandé par la CNIL : un tiers de confiance certifie que l’internaute est majeur, sans révéler son identité au site consulté, ni savoir lui-même de quel site il s’agit. Ce type d’architecture, fondée sur la séparation des rôles et la minimisation des données, permet d’assurer une véritable barrière à l’entrée tout en préservant la vie privée.

En parallèle, des travaux avancent sur des solutions décentralisées ou fondées sur des technologies de preuve à divulgation nulle (« zero-knowledge proofs »). Ces systèmes permettent de prouver un attribut – en l’occurrence, l’âge – sans transmettre aucune information personnelle. Ils sont au cœur des réflexions européennes autour du portefeuille d’identité numérique, qui doit intégrer des fonctions d’attestation d’âge interopérables, sécurisées et conformes au RGPD.

Ces travaux s’inscrivent dans une dynamique portée par la Commission européenne, qui œuvre à une approche harmonisée de la vérification d’âge à l’échelle de l’Union. Le 14 juillet 2025, elle a publié un blueprint de solution technique, surnommé « mini-wallet », qui permet aux utilisateurs de prouver qu’ils ont plus de 18 ans sans partager d’autres données personnelles. Cette solution, conçue pour être respectueuse de la vie privée, interopérable et facile d’usage, s’appuie sur les spécifications techniques des futurs portefeuilles d’identité numérique européens, attendus d’ici fin 2026. Le code source, publié en open source, pourra être adapté par les États membres — notamment pour des usages comme l’accès aux contenus réservés, aux jeux d’argent ou à la vente d’alcool en ligne — sans que ses garanties en matière de confidentialité puissent être altérées.

Cette solution entre actuellement en phase de test pilote dans plusieurs États membres, dont la France. Elle est expérimentée avec des plateformes, des utilisateurs et des éditeurs de solutions logicielles, avec le soutien du consortium T-Scy (Scytales/T-Systems).

En parallèle, la Commission a lancé des enquêtes formelles contre plusieurs plateformes soupçonnées de ne pas respecter leurs obligations de vérification d’âge dans le cadre du Digital Services Act.

Le déploiement à grande échelle de ces dispositifs impose une mobilisation coordonnée entre plateformes, prestataires techniques, régulateurs (comme l’Arcom ou la CNIL) et institutions européennes. Il ne s’agit pas seulement d’un défi technologique, mais aussi éthique et démocratique : protéger sans surveiller, filtrer sans censurer, responsabiliser sans exclure.

Autrement dit, bâtir une vérification de l’âge robuste, accessible, proportionnée et digne de la confiance numérique que le législateur entend restaurer.

*Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public

[1] TA Paris, 16 juin 2025, n° 2514377/5.

[2] TA Paris, 2 mai 2025, n° 2511655 N° Lexbase : A12070R7.

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