Le Quotidien du 16 avril 2025

Le Quotidien

Actualité judiciaire

[Point de vue...] Imagine-t-on le Général... Libres propos sur l'exécution provisoire d'un jugement pénal

Lecture: 15 min

N2061B3Q

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/118058631-edition-du-16042025#article-492061
Copier

par Raphaël Naccach, WAN AVOCATS - Paris

Le 10 Avril 2025

Mots clés : assistants parlementaires • détournements de fonds publics • probité des élus • exécution provisoire • inéligibilité


 

L’auteur de ce billet est conscient qu’en prenant la plume pour s’exprimer sur le jugement rendu le 31 mars 2025, ce jour funeste comme la principale intéressée l’a défini avec des accents de tragédienne pour convaincre de son malheur les auditeurs du journal de 20h sur TF1 [1], il prend le risque d’ajouter au tumulte ambiant une parole vouée à rester inaudible. Plus encore si Marine Le Pen a « demandé » en direct et obtenu le lendemain que la justice « se hâte » de sorte qu’un calendrier de procédure accéléré devrait permettre qu’un arrêt d’appel voire de cassation fût rendu avant la prochaine élection présidentielle l’autorisant, en cas de succès judiciaire, à y concourir. Reconnaissons-lui donc immédiatement ce mérite : elle a fait beaucoup de bruit mais pas pour rien. Alors, à quoi bon ? Parce qu’on risque de percevoir longtemps encore l’écho de ce tapage à la faveur notamment d’appels indécents à des manifestations de rue, l’auteur se jette néanmoins dans la mêlée car l’intérêt général oblige à se préoccuper de celui de Marine Le Pen, surtout si, au-delà, des « millions de français vont être privés de la candidate donnée comme favorite » et leur « voix être éliminées » à cause d’une peine d’inéligibilité rendue exécutoire par provision.

Or ce n’est pas le tribunal qui a fait d’un procès pénal un procès politique comme on l’entend en boucle mais, à rebours d’un tel discours, les prévenus qui avaient mis au centre de leur système de défense [2] les possibles répercussions électorales que pourrait avoir l’application de la loi pénale pour convaincre de ne pas l’appliquer [3].  Seul l’avocat de Marine Le Pen avait ainsi estimé que « la seule récidive, ce serait qu’elle concoure à la présidentielle » et alors « propos(é) qu’on laisse le peuple souverain s’en charger, pas la justice [4]». L’option tactique s’étant avérée une impasse judiciaire, les prévenus sont restés Gros-jean comme devant. La décision commentée n’est pas politique mais sa critique, par ceux qui la subissent et ceux qu’elle trouble à l’instar du Premier ministre, est, à des degrés divers, populiste. Cette critique actionne le sempiternel levier consistant à opposer les juges au peuple, oubliant trop facilement que les premiers rendent leur décision au nom du second [5]. La légitimité populaire de leur décision n’est pas le fruit hasardeux d’un succès électoral temporaire mais l’effet d’un principe permanent qui dépasse leur personne. En plaçant donc cette tribune sous l’ombre tutélaire du fondateur de la Vème République, il s’agit de défendre une certaine idée de la justice quand celle de la France, de Moscou à Washington, est éhontément dénigrée.

Dans la polémique qui fait rage, l’approximation est la règle, l’exactitude pour ne pas parler de vérité, l’exception. Chacun y va de sa formule assassine tirée d’un fouillis d’éléments de langage convenus, prémâchés et répétés à l’envi, sans prendre le temps de lire ni encore moins de comprendre ce que les juges parisiens ont décidé. C’en est d’autant plus désespérant pour la qualité du débat public que, dans la forme, la décision au cœur de la querelle est d’excellente facture, qu’il s’agisse de sa construction ou de sa rédaction et dont la motivation fait ressortir un effort pédagogique constant tout au long des 121 pages où elle est exposée. Témoignent de ce débordement les tirades enflammées contre la loi « Sapin II » (loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique N° Lexbase : L6340MSM) qui, pour toute une série de délits, a en effet rendu obligatoire la peine d’inéligibilité, laquelle n’en reste pas moins une peine complémentaire selon l’article 432-17 du Code pénal N° Lexbase : L7405LGD. Ils sont nombreux déjà à avoir annoncé une nouvelle loi. Rien hélas de très classique de la part d’élus à qui la gesticulation sert trop souvent de réflexion. Même les opposants politiques se fourvoient sur le contenu de la décision quand ils veulent donner le sentiment de l’approuver. Eric Coquerel, un des leaders LFI au parlement, est de ceux-là qui, en se référant implicitement à l’article 131-26-2 du Code pénal mais en confondant le débat sur la peine avec celui sur son exécution provisoire, a déclaré que « la juge n’a fait qu’appliquer la loi » [6]. S’il avait pris le temps de lire avant de parler il aurait su que le tribunal parisien a écarté la loi « Sapin II » car postérieure aux faits poursuivis [7]. Ce n’est pas par obligation que des peines d’inéligibilité ont été prononcées mais par « nécessité… au regard de la gravité des faits et de la personnalité de chaque personne condamnée » [8].

Comme l’a déploré Marine Le Pen, les juges ont néanmoins pu donner l’impression désagréable de puiser dans la loi nouvelle des motifs de condamnation et ainsi appliquer rétroactivement une loi pénale plus sévère. Une lecture attentive de la décision montre qu’il n’en fut rien. Car d’abord c’est moins à la loi nouvelle qu’ils se sont référés qu’à la réflexion de l’ancien Procureur Général, Jean-Louis Nadal, qui l’avait inspirée telle qu’elle figure dans un rapport de 2015 [9]. Il n’a ensuite pas été question d’appliquer la loi nouvelle mais, à travers les préoccupations qui la justifiaient, de saisir au plus près la « volonté du législateur », boussole traditionnelle dans tout débat judiciaire, utilisée autant par les juges que par les parties et grâce à laquelle on soupèse la loi ancienne au regard de ce qu’elle est devenue, parfois en disparaissant purement et simplement. Si à cet égard la Cour de cassation rappelle constamment que nul ne peut se prévaloir d’un droit acquis à une jurisprudence figée, c’est parce qu’en dépit du risque d’insécurité juridique, la jurisprudence a vocation à évoluer et que son évolution peut correspondre à une mutation de l’environnement législatif tant qu’on respecte la non-rétroactivité de la loi pénale. Il est faux donc de suggérer que le 31 mars 2025 les juges parisiens auraient méconnu ce principe sacro-saint. Quelque sévère qu’on trouve leur décision, ils n’ont pas excédé leur pouvoir en considérant que « le prononcé d’une peine complémentaire d’inéligibilité à l’encontre de leurs auteurs, facultative à l’époque des faits, apparaît nécessaire…(et) répond de façon particulièrement adaptée à la double fonction punitive et dissuasive prévue par la loi ».

En son temps, et mal lui en prit, François Fillon, certainement le mieux placé aujourd’hui pour compatir au désarroi de l’élève Le Pen, avait interpellé le pays en lui demandant, ironiquement, d’imaginer le Général de Gaulle mis en examen. Or il faut au pays faire maintenant un effort d’imagination encore plus extrême en l’envisageant condamné à 4 ans de prison dont 2 fermes, le Général eût-il été autorisé à les passer à Colombey-les-deux-Eglises. Marine Le Pen n’a en effet pas tiré les enseignements du fiasco communicationnel de François Fillon en demandant, sur le plateau de TF1, d’« imaginer » de quelle « légitimité » pourra se réclamer le prochain chef de l’État alors qu’innocentée après l’élection de 2027, elle aura été empêchée d’y concourir à cause d’un jugement exécutoire par provision. « Un vrai sujet » a-t-elle ajouté alors qu’ainsi elle considère les choses par le mauvais bout [10]. Car ce n’est pas de la légitimité du successeur d’Emmanuel Macron, peu important son identité, dont il faut se soucier mais de celle de Marine Le Pen si, élue, la Cour d’appel de Paris confirmait, au moins sur le fond, sa culpabilité. Plus encore si, la condamnation étant réputée confirmée en appel avant l’élection, elle a répondu qu’elle maintiendrait sa candidature « plus que jamais », tenant ainsi pour acquis que les Français se compteraient encore par millions pour vouloir comme cheffe d’État une élue condamnée pour détournement de fonds publics !

L’arrogance de la posture et le mépris de la fonction présidentielle qui s’y attache forment une grille d’analyse utile pour comprendre le choix du tribunal, mûrement réfléchi sur quelques 10 pages, d’assortir la peine d'inéligibilité de l’exécution provisoire (Marine Le Pen) ou pas (Louis Aliot [11]).

Cela au bénéfice d’un double rappel de droit.

Le premier est que, selon une jurisprudence bien établie, la raison principale justifiant l’exécution provisoire d’une peine est « l’objectif d’intérêt général visant à favoriser l’exécution de la peine ».

Le tribunal a ainsi mis en relief « la convergence de jurisprudence entre la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel …sur la conciliation…des droits de la défense, c’est-à-dire du droit au recours effectif … avec l’impératif de bonne administration de la justice (et) l’objectif d’intérêt général de rendre exécutoire une peine par provision, et du caractère proportionné de cette conciliation [12]».

Le second est le statut juridique exorbitant conféré par l’article 67 de la Constitution N° Lexbase : L1333A9A au Président de la République prévoyant qu’« il ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction … faire l'objet d'une action, d'un acte d'information, d'instruction ou de poursuite… » et que « les instances et procédures auxquelles il est ainsi fait obstacle peuvent être reprises ou engagées contre lui à l'expiration d'un délai d'un mois suivant la cessation des fonctions ».

Or, si le tribunal ne s’est pas spécifiquement prévalu du statut hors norme du Président de la République, il a rappelé que « l’égalité devant la loi est l’un des piliers de la démocratie … (et) les élus ne bénéficient d’aucune immunité » pour conclure que « la proposition de la défense de laisser le peuple souverain décider d’une hypothétique sanction dans les urnes revient à revendiquer un privilège ou une immunité qui découlerait du statut d’élu ou de candidat, en violation du principe d’égalité devant la loi » [13]. Imaginons donc, suivant le vœu de Marine Le Pen, qu’elle soit élue pour 5 ans et, pourquoi pas, réélue pour un second mandat. Que deviendrait alors l’objectif d’intérêt général d’assurer à la peine sa pleine efficacité si la constitution y fait obstacle en permettant d’en remettre l’exécution aux calendes quand il est question de juger des faits dont les premiers se sont déroulés en 2004 ?

Aussi Marine Le Pen a raison et tort à la fois.

Raison d’affirmer que le jugement vise à l’empêcher de devenir présidente de la République, elle et non pas n’importe quel autre représentant du RN pour peu qu’il ne fasse pas partie de la cohorte de ceux qui ont été condamnés avec elle à l’inéligibilité assortie de l’exécution provisoire [14].

Tort de clamer urbi et orbi qu’elle serait ainsi victime d’une décision politique alors que celle-ci est au contraire justifiée en droit selon un équilibre subtil et proportionné entre la nécessité jurisprudentielle d’assurer une effectivité à la peine pénale, règle qui ne doit rien à son affaire et l’interdit constitutionnel d’en préserver le président de la République, règle qui ne lui doit rien non plus.

Marine Le Pen a le droit de qualifier la décision qui la déclare inéligible de « bombe nucléaire ». Elle n’a pas celui d’envisager le palais élyséen comme un abri antiatomique pour l’en prémunir dès lors que sa prétention à concourir à l’élection, plus que jamais, répond au souci de trouver dans le statut présidentiel l’immunité que lui refuse le statut de simple élue. En évoquant l’égalité devant la loi pour justifier l’exécution provisoire, le tribunal a seulement pris en compte l’intérêt général de la traiter comme n’importe quel Français au lieu de lui assurer la possibilité d’un statut qui romprait cette égalité.

Des commentateurs ont cependant considéré que « le tribunal correctionnel de Paris » s’était ainsi « placé dans une position intenable : celle d’arbitre de la compétition électorale [15] » pour avoir méconnu « la réserve d’interprétation » promue par le Conseil constitutionnel le 28 mars 2025 suivant laquelle «  sauf à méconnaître le droit d’éligibilité garanti par l’article 6 de la Déclaration de 1789 N° Lexbase : L1370A9M, il revient au juge, dans sa décision, d’apprécier le caractère proportionné de l’atteinte que (l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité) est susceptible de porter à l’exercice d’un mandat en cours et à la préservation de la liberté de l’électeur [16] ». Car, selon eux, cette « réserve d’interprétation s’applique non seulement aux mandats en cours, mais encore aux élections futures ». Dont acte. En réputant que les juges parisiens ont influencé la future élection présidentielle, ils n’ont pas moins accompli ce qu’il leur revient à eux seuls de faire, soit arbitrer non pas une élection mais le conflit entre la défense du principe d’égalité devant la loi et la préservation de la liberté de l’électeur. Ils ne sont pas allés à l’encontre de la jurisprudence du Conseil constitutionnel puisqu’au contraire ils ont apprécié qu’au cas de Marine Le Pen, eu égard à son rôle central dans le système de détournement et à sa situation, l’intérêt général commandait l’exécution provisoire alors que les faits reprochés à Louis Aliot et sa situation justifiaient de ne pas l’ordonner. Ils n’ont pas ignoré le principe de proportionnalité qu’ils ont ainsi mis en œuvre lequel implique qu’en certaines circonstances le droit d’éligibilité puisse être suspendu avec effet immédiat. Chacun peut estimer que l’exécution provisoire ne s’imposait pas mais pas qu’en la prononçant les juges se seraient affranchis du respect de la loi et seraient sortis de leur mission qui consiste à l’appliquer. La colère orchestrée et mise en scène d’électeurs partisans n’y change rien. La liberté de l’électeur ne commence-t-elle pas au reste par l’affirmation que sa voix n’est captive de personne, ni après qu’elle s’est portée sur un nom ou un parti dans le secret de l’isoloir ni avant des élections qui n’ont pas eu lieu ?

Pour conclure, s’il faut donner raison aux juges parisiens d’avoir jugé comme ils l’ont fait, personne n’y réussit mieux que le RN et ses innombrables porte-voix qui dénoncent une « décision politique » pour les plus sobres, la « fin de l’État de droit » pour les plus savants ou la « dictature des juges » pour les plus enragés afin de mieux défendre la candidature de celle qui voudrait ensuite, selon l’article 64 de la Constitution, être « le garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire » C’est parce qu’ils ne voient pas l’incompatibilité rédhibitoire entre leurs protestations et son ambition, ou feignent de l’ignorer, que leur appel au peuple contre les juges est la seule menace pour la démocratie, même si elle n’a pas dépassé à ce jour le stade de vociférations et récriminations mal venues. Si Marine Le Pen a éprouvé la piqûre douloureuse que peut valoir une déception judiciaire, elle se grandirait en appelant ses troupes et ses affidés à plus de mesure et en leur rappelant qu’il est bon, pour une démocratie, que les juges aient le dernier mot parce qu’ils sont indépendants et impartiaux. Pour paraphraser le philosophe, elle gagnerait alors le droit de devenir ce qu’elle pense être déjà : Présidente de la République.

 

[1] Marine Le Pen condamnée à l'inéligibilité immédiate : « Une décision politique », dénonce-t-elle sur TF1.

[2] Comme il y a eu, selon le jugement, un système de détournement de fonds publics.

[3] « Cette peine d’inéligibilité, qu’elle soit obligatoire avec possibilité de réserve ou facultative, constitue, en cas de violation de la loi pénale, une limite prévue par le législateur au pouvoir d’élection du peuple, qui se voit, comme soulevé à juste titre par la défense, restreint dans le choix de son représentant, Jugement, p. 36.

[4] Jugement, p. 37.

[5] Ne se laissant pas impressionner par l’image du nombre qu’on agitait déjà devant lui, le tribunal n’a pas manqué de souligner : « la question d’assortir ou non les peines d’inéligibilité prononcées de l’exécution provisoire se pose donc de façon singulière dans une décision pénale rendue au nom du peuple français, c’est-à-dire au nom des citoyens français dans leur ensemble et non d’une partie des électeurs », Jugement, p.37.

[6] Le député Eric Coquerel réagit à la condamnation de Marine Le Pen, AFP Extrait, Youtube.

[7] Jugement, p. 34, in Une peine d’inéligibilité non obligatoire compte tenu de la période des faits déterminée à l’issue des relaxes partielles prononcées.

[8] Jugement, p. 36

[9] Jugement, pp. 35 et 36.

[10] On passe sur le fait que cette sorte de prophétie interrogative pourrait lui revenir à la face comme un boomerang si l’élu de 2027 est issu de son camp.

[11] Exception notable qui a manifestement échappé à tous les contempteurs de la décision, lesquels ont ainsi fait d’un dossier concernant 24 prévenus une affaire centrée exclusivement sur Marine Le Pen, tout le monde, même au RN, semblant se désintéresser du sort des autres rouages du système délictueux.  

[12] Jugement, p. 39.

[13] Jugement, p. 38.

[14] L’inéligibilité « a néanmoins particulièrement vocation à être prononcée à l’encontre d’élus déclarés coupables d’atteintes à la probité et ne porte pas atteinte à la séparation des pouvoirs. A contrario, au regard du principe de nécessité des peines, il ne serait pas ou moins justifié de prononcer une telle peine complémentaire à l’encontre de personnes qui n’ont pas de mandat ou n’en briguent pas », Jugement, p.36.

[15] J.-P. Camby et J.-E. Schoettl in Réflexions sur une réserve d’interprétation méconnue, une proportionnalité ignorée et des électeurs en colère, Le Quotidien du 2 avril 2025, Lexbase N° Lexbase : N2003B3L.

[16] Cons. const., décision n° 2025-1129 QPC, du 28 mars 2025 N° Lexbase : A50490CY.

newsid:492061

Construction

[Dépêches] VEFA : Quand la surface réalisée n'est pas celle convenue...

Réf. : Cass. civ. 3, 3 avril 2025, n° 23-20.555, F-D N° Lexbase : A42280GP

Lecture: 2 min

N2105B3D

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/118058631-edition-du-16042025#article-492105
Copier

par Juliette Mel, Docteur en droit, Avocat associé, M2J AVOCATS, Chargée d’enseignements à l’UPEC, Responsable de la commission Marchés de Travaux, Ordre des avocats

Le 22 Avril 2025

L’acte de vente doit mentionner la consistance de l’immeuble.
Tout manquement supérieur à la surface de tolérance ouvre droit à une réduction du prix.

Lorsque la surface réalisée n’est pas conforme à la surface contractuelle, les acquéreurs peuvent agir contre le promoteur pour obtenir une réduction du prix. La présente espèce est l’occasion de le rappeler.

Un promoteur vend un appartement en l’état futur d’achèvement à un accédant à la propriété. Estimant que le bien livré était d’une surface habitable moindre que celle convenue, il assigne la société venderesse en réduction du prix de vente.

Dans un arrêt rendu le 27 juin 2023, la cour d’appel de Chambéry condamne le vendeur en l’état futur d’achèvement à payer au vendeur une certaine somme (CA Chambéry, 27 juin 2023, n° 21/00728, N° Lexbase : A898897Z). Le promoteur forme un pourvoi en cassation. Il y articule que :

  • les conseillers ont considéré qu’en cas de différence entre les stipulations du contrat de réservation et celles de l’acte authentique, ces dernières prévalent tout en objectant, à tort, que la superficie indiquée dans le contrat de réservation devait être retenue en l’espèce pour la raison qu’elle était la seule surface lisible dans les pièces contractuelles ;
  • les acquéreurs avaient accepté de ne se référer, en régularisant l’acte authentique, qu’aux seules spécifications du plan annexé.

Le pourvoi est rejeté.

La cour d’appel a retenu que l’acte authentique et la procuration pour vendre ne précisaient pas la contenance du lot vendu et que les plans annexés étaient illisibles si bien qu’il fallait se référer au contrat de réservation.

Le vendeur d’un immeuble à construire ne peut être déchargé, ni avant la réception des travaux, ni avant l’expiration d’un délai d’un mois après la prise de possession par l’acheteur, des vices de construction ou des défauts de conformité alors apparents (C. civ. art. 1642-1, al. 1 N° Lexbase : L8942IDK). Il est donc tenu de la garantie des vices apparents ou des défauts de conformité visibles. Si le vendeur s’oblige à réparer le désordre, il n’y a lieu ni à résolution de la vente, ni à diminution du prix (C. civ. art. 1642-1, al. 2). À noter que la réparation en nature ou par équivalent peut être demandée par l’acheteur même si le vendeur ne s’y engage pas (Cass. civ. 3, 2 mars 2005, n° 03-19.208, FS-P+B N° Lexbase : A1050DHD).

newsid:492105

Propriété intellectuelle

[Questions à...] ChatGPT, version « Ghibli », une menace pour le droit d’auteur ? Questions à Vanessa Bouchara, avocate et spécialiste en propriété Intellectuelle

Lecture: 8 min

N2100B38

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/118058631-edition-du-16042025#article-492100
Copier

Le 18 Avril 2025

Mots clés : ChatGPT • Ghibli •  droit d’auteur • propriété Intellectuelle • intelligence artificielle

Intégrée à la dernière version de ChatGPT, une option permet aux utilisateurs de créer des images qui reprennent le style du studio de dessins animés japonais Ghibli, ce qui a provoqué un raz-de-marée sur les réseaux sociaux. Outre les dommages conséquents à l’environnement causés par des data centers en surchauffe, se pose la question de la violation des droits d’auteurs de cette entreprise, son cofondateur Hayao Miyazaki ayant d’ailleurs vertement critiqué cette avancée technologique. Pour en savoir plus sur cette nouvelle polémique, Lexbase a donc interrogé Vanessa Bouchara, avocate et spécialiste en propriété Intellectuelle*.


 

Lexbase : En créant des images inspirées du Studio Ghibli sans accord de licence, ChatGPT a déclenché une fronde parmi les auteurs. Pouvez-vous nous expliquer la polémique ?

Vanessa Bouchara : Le studio Ghibli est un studio d’animation japonais fondé par Hayao Miyazaki et Isao Takahata en 1985 qui produit des longs-métrages et des courts-métrages d’animation, ainsi que des téléfilms, séries et jeux vidéo.

Le Studio Ghibli est notamment connu pour ses longs-métrages dont plusieurs ont remporté des succès auprès de la critique et du public. Par exemple : Mon voisin Totoro (1988), Princesse Mononoké (1997) ou encore plus récemment Le Garçon et le Héron (2023).

Depuis le début de l’année 2025, OpenAI a ouvert au grand public une nouvelle fonctionnalité de génération d’images intégrée à ChatGPT permettant aux utilisateurs de transformer une photographie en image qui reprend les codes visuels et emblématiques du Studio Ghibli, sans autorisation.

Cette nouvelle fonctionnalité a suscité un engouement de la part du public et une fronde parmi les auteurs qui considèrent que cela n’est pas respectueux de la propriété intellectuelle.

Effectivement, si on devait considérer que les œuvres du Studio sont protégeables, les déclinaisons de ces œuvres seraient une atteinte aux œuvres premières. Une œuvre est originale lorsqu’elle porte l’empreinte de la personnalité de son auteur, ce qui signifie qu’on reconnaît une patte, un style spécifique.

Dans cet exemple, les images générées par ChatGPT reprennent des éléments stylistiques propres au Studio Ghibli (thèmes, personnages, univers visuel), qui sont reconnaissables, et la question qui se pose est celle de savoir si cela porte effectivement atteinte aux droits de propriété intellectuelle du Studio, voire si cela ne crée pas des agissements parasitaires déloyaux au préjudice du Studio.

Lexbase : OpenAI a justifié sa position en invoquant le style d'un studio, « plus large » que celui d'un artiste vivant

Vanessa Bouchara : Lorsque OpenAI invoque le style d’un studio « plus large » que celui d’un artiste vivant pour justifier la création des images inspirées du Studio Ghibli, elle semble laisser entendre que le Studio n’aurait pas de droits, et fait référence à sa politique de contenu qui ne lui permet pas de répondre favorablement à une demande visant à copier le style d’un artiste vivant.

En effetChatGPT ne permet pas de réalisation « dans le style de (nom d’un artiste contemporain) ». Par exemple, il ne sera pas possible de reprendre des œuvres de Liu Bolin.

En revanche, si vous demandez à ChatGPT de générer une image « dans le style du studio Ghibli », cela fonctionne.

Cette nuance entre artiste et studio pose question dans la mesure où derrière un style se cache en réalité un ou plusieurs artistes comme c’est le cas pour le Studio Ghibli dont Monsieur Hayao Miyazaki est l’artiste et l’âme du studio. Ce n’est pas parce que c’est le style d’un studio qu’il n’y a pas de droits de propriété intellectuelle.

Cette tentative d’OpenAI de procéder à un fonctionnement différent selon l’auteur est surprenante, et ne s’explique pas de manière très cohérente.

Lexbase : Les géants de la tech souhaitent de plus en plus entraîner leurs modèles sur des contenus protégés par les droits d'auteur. Est-ce un danger selon vous ?

Vanessa Bouchara : Le fait que les géants de la tech souhaitent de plus en plus entraîner leurs modèles sur des contenus protégés par les droits d’auteur constitue un danger pour les titulaires de droits.

La problématique de la violation du droit d’auteur ne se pose que pour l’intelligence artificielle générative, c’est-à-dire l’intelligence artificielle utilisée pour créer un nouveau contenu (texte, image), par opposition à l’intelligence artificielle prédictive qui permet de prévoir des tendances.

La phase d’entraînement de l’intelligence artificielle consiste à absorber des données, contenues dans des œuvres, qui sont copiées temporairement lors du traitement de l’œuvre par l’algorithme.

L’utilisation d’œuvres protégées pour l’entraînement d’algorithmes d’intelligence artificielle peut être considérée comme une violation du droit d’auteur si elle est effectuée sans l’autorisation préalable du titulaire de droits.

En effet, l’entraînement des modèles d'intelligence artificielle sur des contenus protégés par les droits d'auteur constitue un danger pour les titulaires de droits qui subissent une atteinte injustifiée de leurs droits.

Par ailleurs et en tout état de cause, la reproduction ou l’imitation d’une œuvre existante sans autorisation constitue une contrefaçon selon l’article L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle N° Lexbase : L3360ADS.

Outre les atteintes aux droits de propriété intellectuelle, ces usages non autorisés par le Studio pourraient injustement restreindre la possibilité pour le Studio Ghibli de développer sa propre intelligence artificielle qui générerait ses propres images, étant précisé que les modèles sur lesquelles cette potentielle IA s’entraineraît disposeraient des autorisations pour le faire.  

Lexbase : Comment protéger efficacement les droits d'auteur des œuvres cinématographiques et musicales de ces nouvelles technologies ?

Vanessa Bouchara : En Europe, l’utilisation d’œuvres protégées pour entraîner des IA est encadrée par la Directive (UE) n° 2019/790 du 17 avril 2019, sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les Directives 96/9/CE et 2001/29/CE (N° Lexbase : L3222LQE. Son article 4 autorise la fouille de données à des fins d’entraînement, y compris sur des contenus sous droit d’auteur, sauf si les ayants droit exercent leur droit d’opt-out (de s'y opposer).

Cette exception européenne a été transposée en droit français à l’article L. 122-5-3, III du Code de la propriété intellectuelle N° Lexbase : L5287L9P par l’ordonnance n° 2021-1518 du 24 novembre 2021 N° Lexbase : L7654MSB :

« I.-On entend par fouille de textes et de données, au sens du 10° de l'article L. 122-5, la mise en œuvre d'une technique d'analyse automatisée de textes et données sous forme numérique afin d'en dégager des informations, notamment des constantes, des tendances et des corrélations.

II.-Des copies ou reproductions numériques d'œuvres auxquelles il a été accédé de manière licite peuvent être réalisées sans autorisation des auteurs en vue de fouilles de textes et de données menées à bien aux seules fins de la recherche scientifique par les organismes de recherche, les bibliothèques accessibles au public, les musées, les services d'archives ou les institutions dépositaires du patrimoine cinématographique, audiovisuel ou sonore, ou pour leur compte et à leur demande par d'autres personnes, y compris dans le cadre d'un partenariat sans but lucratif avec des acteurs privés.



Les dispositions du précédent alinéa ne sont pas applicables lorsqu'une entreprise, actionnaire ou associée de l'organisme ou de l'institution diligentant les fouilles, dispose d'un accès privilégié à leurs résultats.


Les copies et reproductions numériques effectuées lors d'une fouille de textes et de données sont stockées avec un niveau de sécurité approprié et peuvent être conservées à des fins exclusives de recherche scientifique, y compris pour la vérification des résultats de la recherche.

Les titulaires de droits d'auteur peuvent mettre en œuvre des mesures proportionnées et nécessaires afin d'assurer la sécurité et l'intégrité des réseaux et des bases de données dans lesquels les œuvres sont hébergées.


Un accord conclu entre les organisations représentatives des titulaires de droits d'auteur et les organismes et institutions mentionnés au premier alinéa du présent II peut définir les bonnes pratiques relatives à la mise en œuvre de ses dispositions.


III.-Sans préjudice des dispositions du II, des copies ou reproductions numériques d'œuvres auxquelles il a été accédé de manière licite peuvent être réalisées en vue de fouilles de textes et de données menées à bien par toute personne, quelle que soit la finalité de la fouille, sauf si l'auteur s'y est opposé de manière appropriée, notamment par des procédés lisibles par machine pour les contenus mis à la disposition du public en ligne.

Les copies et reproductions sont stockées avec un niveau de sécurité approprié puis détruites à l'issue de la fouille de textes et de données ».

En d’autres termes, cet article précise que des copies ou reproductions numériques des œuvres peuvent être réalisées en vue de fouilles de textes et de données menées à bien par toute personne, quelle que soit la finalité de la fouille. Il ajoute toutefois que l’auteur peut s’y opposer, notamment par des procédés lisibles par machine pour les contenus mis en ligne à la disposition du public.

Pour OpenAI, cela signifie que l’entraînement de son modèle sur des œuvres de Ghibli pourrait être légal au regard du droit européen, en l’absence d’un opt-out explicite. En revanche, entraînement ne veut pas dire génération…

*Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public

newsid:492100

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus