Le Quotidien du 24 mars 2025

Le Quotidien

Avocats/Secret professionnel

[Dépêches] Perquisition dans un cabinet : pas de protection du secret du conseil relatif à la sollicitation d’informations avant toute commission d'infraction

Réf. : Cass. crim., 11 mars 2025, n° 24-82.517, FS-B+R N° Lexbase : A302664T

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N1925B3P

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par Yann Le Foll

Le 02 Avril 2025

Peuvent être saisis lors d’une perquisition dans un cabinet d'avocat les éléments en lien avec la consultation, avant la commission de l'infraction d'homicide involontaire par conducteur dont le permis de conduire a été suspendu, qui a eu pour finalité d'éclairer la personne sur son droit de conduire après la suspension de son permis.

Une personne a été mise en examen du chef d'homicide involontaire par conducteur d'un véhicule dont le permis de conduire a été suspendu à la suite du retrait de la totalité des points. Avant les faits, l'intéressé avait consulté une avocate pour connaître l'état de son droit de conduire.

Autorisé en ce sens par le juge des libertés et de la détention, le juge d'instruction a effectué une perquisition dans le cabinet de cette avocate, pris copie d'un courriel présent dans son ordinateur professionnel et accepté la remise spontanée, par cette dernière, de la convention conclue entre elle et son client et de l'extrait bancaire faisant apparaître le paiement d'honoraires.

Le bâtonnier s'étant opposé à l'annexion des deux documents au procès-verbal de perquisition et saisie, le juge d'instruction a placé les trois éléments sous scellés et saisi le juge des libertés et de la détention aux fins de voir statuer sur la contestation. Ce magistrat a ordonné que les trois éléments placés sous scellés soient versés à la procédure d'information.

Le bâtonnier a formé un recours contre cette décision, rejeté par l’ordonnance attaquée, au motif que le secret du conseil est protégé en tant qu'il se rapporte à l'exercice des droits de la défense, lorsqu'une personne a commis ou pense avoir commis une infraction, non lorsque des conseils sont sollicités avant toute commission d'infraction ou auprès de personnes exerçant des missions de conseil juridique.

Cette décision ici confirmée par la Cour suprême, au visa de l'article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques N° Lexbase : L6343AGZ.

Elle énonce que le conseil pris auprès de l'avocat, avant la commission de l'infraction, a eu pour finalité d'éclairer la personne sur son droit de conduire un véhicule après une suspension de permis de conduire, et les éléments qui ont été saisis, en lien avec cette consultation, ne sont pas relatifs à une procédure juridictionnelle ou à une procédure ayant pour objet le prononcé d'une sanction.

Ils ne relèvent pas de l'exercice des droits de la défense et pouvaient donc être saisis.

Pour aller plus loin : 

  • v. ÉTUDE, Le secret et la confidentialité des échanges, Le régime des perquisitions des cabinets d'avocats, in La Profession d’avocat N° Lexbase : E43153RA.
  • v. Infographie, Secret professionnel et perquisition N° Lexbase : X9457APX.

 

newsid:491925

Environnement

[Questions à...] Quel avenir pour l’autoroute « fantôme » A69 ? Questions à Raphaëlle Jeannel, Avocate à la cour, cabinet Huglo Lepage Avocats

Réf. : TA Toulouse, 21 janvier 2025, n° 2407799 N° Lexbase : A38026RA et n° 2407798 N° Lexbase : A35866RA

Lecture: 7 min

N1872B3Q

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Le 18 Avril 2025

Mots clés : environnement • autoroute • espèces protégées • intérêt général • infrastructures

Saisi notamment par des associations environnementales, le tribunal administratif de Toulouse a annulé le 27 février 2025 les projets d’autoroute A69 et d’élargissement de l’autoroute A680, qui avaient été autorisés par les préfets de la Haute-Garonne et du Tarn en mars 2023. Au vu des bénéfices très limités qu’auront ces projets pour le territoire et ses habitants, il a estimé qu’il ne peut être dérogé aux règles de protection de l’environnement et des espèces protégées. Pour faire le point sur cette décision, Lexbase a interrogé Raphaëlle Jeannel, Avocate à la cour, spécialiste en droit de l’environnement, cabinet Huglo Lepage*.


 

Lexbase : Le tribunal a estimé que ce projet ne constituait pas une « raison d'intérêt public majeur ». À raison, selon vous ?

Raphaëlle Jeannel : Savoir si oui ou non un projet est justifié par une raison impérative d’intérêt public majeur ou « RIIPM » relève d’une appréciation au cas par cas. Je pourrais vous donner mon avis personnel sur l’opportunité ou non de mener à bien ce projet, mais l’avis d’une praticienne du droit me paraît plus pertinent.

Avec cette casquette de juriste, il faut souligner que c’est précisément l’opportunité de réaliser l’A69 qu’avait à apprécier le tribunal de Toulouse au regard du contexte bien particulier de l’effondrement de la biodiversité. Il n’y a rien de militant dans cette appréciation, c’est tout simplement le cadre juridique dans lequel s’inscrivent les projets réalisés dans le milieu naturel.

Les législateurs européens et français ont décidé que la préservation de certaines espèces de faune et de flore, dont la survie est menacée, est indispensable afin d’assurer un développement durable en Europe. Ces espèces sont les espèces dites « protégées ». Compte tenu de la menace d’effondrement de la biodiversité, ils ont décidé d’interdire par principe les atteintes qui pourraient y être portées et de ne les autoriser qu’à titre d’exception. Autrement dit, c’est le porteur de projet qui doit démontrer que ce qu’il veut réaliser est plus important que l’impératif de préservation des espèces protégées. S’agissant d’une exception à un principe d’interdiction, l’opportunité de réaliser le projet est appréciée strictement et doit évidemment être solidement établie.

La question soumise au juge de Toulouse était de savoir si le préfet avait légalement décidé que la création de l’A69 était plus importante que la destruction d’espèces de faune et de flore dont l’effondrement des populations est acté. Il a donc apprécié les justifications retenues par le préfet sur la base des éléments transmis par la société ATOSCA.  Ces justifications étaient d’ordre social, économique, et de sécurité publique. À la lecture du jugement, je constate que le tribunal a considéré que nombre des éléments de preuves et notamment des études produites par le porteur de projet étaient insuffisants, entachés d’erreurs, d’omissions, de contradiction ou encore de biais de confirmation. Le tribunal a donc considéré que ni l’État, ni la société ATOSCA n’avaient apporté la preuve d’un bénéfice suffisamment important sur les plans sociaux, économiques et de sécurité, pour constituer une raison impérative d’intérêt public majeur.

Compte tenu de la motivation largement détaillée du jugement et de la défaillance de l’Etat et de la société ATOSCA dans l’administration de la preuve, j’estime que c’est à raison que le tribunal a annulé l’autorisation environnementale permettant la réalisation de l’A69.

Lexbase : Cette décision est-elle préjudiciable au développement économique local comme le défendent les élus locaux ?

Raphaëlle Jeannel : À la lecture du jugement il apparaît clairement qu’il n’est pas établi que la création de l’A69 soit un facteur suffisant de développement économique et que le coût élevé du péage sera dissuasif pour les acteurs économiques. La participation de l’A69 au développement économique local me paraît donc relever bien plus de la croyance que du constat ou du fait.

Lexbase : Un ancien ministre de l'Environnement a dit qu'il considérait que le juge avait outrepassé ses prérogatives. Qu'en pensez-vous ?

Raphaëlle Jeannel : Qu’un ancien ministre de l’Environnement méconnaisse à ce point le droit de l’environnement et remette en cause la légitimité du juge administratif est très inquiétant. Le juge de Toulouse a appliqué la loi française et a largement motivé sa décision.

Le respect du droit par l’administration est un des piliers de notre démocratie. L’administration n’est pas infaillible, raison pour laquelle le juge administratif a le pouvoir de censurer ses décisions. C’est ce qu’il a fait dans ce dossier.

En l’occurrence, ce sont les préfets du Tarn et de la Haute-Garonne qui ont outrepassé leurs prérogatives en délivrant un arrêté illégal.

Plus largement, les prises de position comme celle de ce ministre viennent nourrir une remise en cause de l’état de droit qui me préoccupe au plus haut point en ma qualité de citoyenne et d’avocate. À cet égard, je voudrais citer Monsieur Dider-Roland Tabuteau, vice-président du Conseil d’État, qui formule parfaitement le fondement de ma préoccupation : « Quand il n’y a pas d’État de droit, on règle nos différends par la force, et c’est le plus fort ou le plus violent qui l’emporte ».

Lexbase : De manière plus générale, tous les grands projets d'infrastructures à venir peuvent-ils se retrouver fragilisés par cette décision ?

Raphaëlle Jeannel : Ça n’est pas ce jugement du tribunal de Toulouse qui les fragilise. C’est la décision insuffisamment pesée de les mener à bien à tout prix.

Déjà, ça n’est pas le premier jugement à mettre un coup d’arrêt à un projet d’infrastructure pour le même motif d’absence de RIIPM. C’est également le cas du contournement routier de Beynac, par exemple [1]. L’État ou la société ATOSCA ne pouvaient donc pas ne pas connaître le risque de remise en cause de l’A69 au stade de sa réalisation. Ce risque a été pris en engageant les travaux sans attendre que le contentieux soit purgé, il doit être assumé.

Ensuite, ça n’est pas parce qu’un projet revêt un intérêt public qu’il est justifié par une raison impérative qui doit au surplus être constitutive d’un intérêt public majeur. Un projet d’infrastructure dans le milieu naturel, doit représenter bien plus qu’un « simple » intérêt public pour pouvoir être mis en œuvre. C’est cette pondération que les porteurs de projets d’infrastructure doivent intégrer à leur prise de décision pour les sécuriser.

À titre d’exemple, la Commission européenne a précisé ce qui peut constituer une RIIPM dans sa communication du 25 janvier 2019 « Gérer les sites Natura 2000 – les dispositions de l’article 6 de la Directive « Habitats » (92/43/CEE) » (2019/C 33/01).

Elle vise « des situations où les plans ou projets envisagés se révèlent indispensables :

dans le cadre d’initiatives ou de politiques visant à protéger des valeurs fondamentales pour la population (santé, sécurité, environnement);

- dans le cadre de politiques fondamentales pour l’État et pour la société;

- dans le cadre de la réalisation d’activités de nature économique ou sociale visant à l’accomplissement d’obligations spécifiques de service public ».

La seule option possible pour sécuriser les grands projets d’infrastructures est que celui qui le porte réponde objectivement à la question de savoir si oui ou non son projet peut être plus important que la perte de biodiversité menacée qu’il entraîne.

Cette question doit se poser au même titre que celle de son intérêt public. Et il doit évidemment y être répondu avant de lancer les procédures d’obtention des autorisations nécessaires et notamment la demande de dérogation à l’interdiction de porter atteinte à des espèces protégées.

Ce sont ainsi, à mon sens, en réalité les porteurs de projets qui fragilisent leur projet et prennent le risque d’engager des fonds publics à perte en s’engageant, et parfois s’obstinant à le mener à bien sans avoir répondu à cette question en toute objectivité, dans le contexte de l’effondrement de la biodiversité.

*Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public


[1] CE, 6° ch., 28 décembre 2018, n° 419918 N° Lexbase : A8500YRA.

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Fiscalité des entreprises

[Podcast] Loi de finances 2025, un tournant décisif pour la fiscalité des management packages

Réf. : Loi n° 2025-127 du 14 février 2025, de finances pour 2025 N° Lexbase : L4133MSU

Lecture: 1 min

N1901B3S

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Le 20 Mars 2025

La loi de finances 2025 pourrait bien marquer un tournant majeur dans la fiscalité des management packages. Entre durcissement des contrôles fiscaux, nouvelles mesures et impacts pour les dirigeants et investisseurs, quelles seront les conséquences concrètes ? David Smadja, avocat associé chez Milestone Avocats, analyse les évolutions législatives prévues, le traitement fiscal des management packages avant/après 2025 et les enjeux pour les entreprises et les cadres dirigeants.

► Retrouvez cette intervention sur Spotify, Apple, Deezer, et Youtube.

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Marchés publics

[Jurisprudence] Résiliation pour faute aux torts exclusifs et rémunération du cocontractant

Réf. : CE, 7° ch., 25 février 2025, n° 490616, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A41716ZI

Lecture: 9 min

N1881B33

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par Laurent Bidault, avocat au barreau de Paris, Novlaw Avocats et Nicolas Machet, élève avocat

Le 18 Mars 2025

Mots clés : marchés publics • résiliation du contrat • paiement des prestations • inexécution fautive • réparation du préjudice

La résiliation du contrat ne fait pas perdre à son titulaire son droit contractuel au paiement des prestations qu’il a exécutées avant cette résiliation, et cela même si cette résiliation a été prononcée à ses torts exclusifs.


 

I. Sur le contexte de l’affaire

À l’origine, la commune de La Croix-Valmer avait attribué le 20 mars 2018 à un groupement d’entreprises solidaire, dont la société Entreprise Rénovation et Génie civil (ERGC) était mandataire, un marché portant sur la conception-réalisation d’un parc de stationnement aérien.

Un an plus tard, le 21 mars 2019, le maire de la commune a décidé de résilier ce marché pour faute aux torts exclusifs du groupement.

La société ERGC, qui devait établir pendant la phase d’avant-projet un calendrier prévisionnel avec pour horizon l’achèvement des travaux en septembre 2019, a tardé à établir ce calendrier pour finalement proposer au pouvoir adjudicateur une version de ce calendrier dépourvue de dates correspondantes aux différentes étapes des travaux en vue de leur livraison pour septembre 2019, en méconnaissance des stipulations contractuelles.

Après mise en demeure, la société ERGC conditionnait le point de départ du calendrier à la validation par la commune d’une nouvelle décomposition du prix global et forfaitaire du marché.

Il est ainsi apparu que la société ERGC entendait exercer une pression sur la commune pour obtenir la validation d’un nouveau prix global et forfaitaire du marché, réhaussé de 64,1 %, afin de tenir compte de problématiques non anticipables.

À la suite de la notification de la décision de résilier du maire, la société ERGC a saisi le tribunal administratif de Toulon afin qu’il condamne la commune de La Croix-Valmer à lui payer la somme de 82 494 euros, correspondant au solde du décompte de résiliation et correspondant aux prestations réalisées avant la résiliation du contrat.

Après avoir validé le bien-fondé de la décision de résiliation au regard de la gravité de la faute commise, le tribunal administratif a fait droit à cette demande, tout en rejetant les demandes reconventionnelles présentées par la commune de La Croix-Valmer qui mettait en cause la responsabilité contractuelle de la société ERGC et qui invoquait des préjudices nés des retards et manquements de cette dernière.

Reconnaissant à son tour le bien-fondé de la décision de résiliation, la cour administrative de Marseille a néanmoins annulé le jugement du tribunal administratif de Toulon.

D’une part, elle a estimé que, lorsque les prestations exécutées par le titulaire du marché sont privées d’utilité en raison de la résiliation du contrat aux torts exclusifs du titulaire, ce dernier ne dispose pas du droit d’être rémunéré des prestations en cause, qui ont été rendues inutiles par sa seule faute.

Elle en a déduit que c’est à tort que le tribunal administratif avait fait droit à la demande la société ERGC, dont les prestations avaient été rendues inutiles par la résiliation à ses torts exclusifs.

D’autre part, elle a reconnu la responsabilité contractuelle de la société ERGC au regard des manquements commis et a condamné cette dernière à indemniser la commune de La Croix-Valmer des préjudices subis en raison de sa faute.

II. Sur l’apport de la décision du Conseil d’État

Saisi en cassation, le Conseil d’État n’a admis le 5 juin 2024 le pourvoi seulement en tant que la cour administrative d’appel de Marseille a annulé l’article du jugement du tribunal administratif de Toulon mettant à la charge de la commune de La Croix-Valmer la somme de 82 494 euros à verser à la société ERGC et a rejeté les conclusions présentées à ce titre par cette société.

Dit autrement, seul restait à trancher la question du droit à rémunération de la société ERGC pour les prestations accomplies avant la résiliation, cette dernière n’étant donc plus en débat.

A. L’utilité des prestations : un débat erroné

C’est en réalité le critère d’utilité des prestations réalisées par le titulaire résilié à ses torts exclusifs qui demeurait lui en débat.

Pour la cour, la rémunération du titulaire résilié à ses torts exclusifs était subordonnée à ce critère d’utilité.

Partant, privées d’utilité en raison de la faute du titulaire, les prestations qu’il a réalisées avant la mesure de résiliation ne pouvaient être payées par le pouvoir adjudicateur.

Or, le Conseil d’État relève que « en statuant ainsi, alors que la résiliation du contrat ne faisait pas perdre au titulaire son droit contractuel au paiement des prestations qu'il avait exécutées avant cette résiliation, fût-elle prononcée à ses torts exclusifs, le maître d'ouvrage ayant la faculté de rechercher par ailleurs, le cas échéant, la responsabilité contractuelle du titulaire s'il estime que ces prestations se sont révélées inutiles par sa faute, la cour administrative d'appel de Marseille a commis une erreur de droit ».

La Haute Juridiction refuse que soit exclue toute rémunération du titulaire résilié à ses torts exclusifs lorsque les prestations qu’il a réalisées se sont trouvées privées d’utilité par sa faute.

Ce critère mis en œuvre par la cour n’a en réalité pas de fondement juridique.

Le CCAG travaux de 2009 [1], applicable au marché de travaux en litige, ne prévoit en son article 47.2 aucun critère d’utilité quant au paiement des prestations exécutées par le cocontractant.

Ainsi, en vertu de cet article, figure notamment au crédit du titulaire dans le décompte de liquidation du marché « la valeur contractuelle des travaux exécutés », sans qu’un critère d’utilité des travaux exécutés ne soit précisé.

Aucune exception n’est à ce titre identifiée dans ces dispositions lorsque la résiliation du contrat est prononcée aux torts exclusifs du titulaire du marché.

Instaurer un critère d’utilité impliquerait pour l’administration de devoir trier au sein des prestations réalisées lesquelles méritent d’être payées ou non.

Or, cela aurait pour effet de dénaturer la force obligatoire du contrat.

À partir du moment où l’une des parties à un contrat a accompli une partie de ses obligations, elle doit pouvoir obtenir de son cocontractant l’exécution de ses obligations réciproques, et ce quand bien même ces prestations deviendraient inutiles en raison de l’intervention d’une décision de résilier le contrat.

B. Pas de principe d’exception d’inexécution au bénéfice de l’administration en cas d’inexécution fautive du titulaire

Par conséquent, le Conseil d’État relève à juste titre que la résiliation du contrat ne fait pas perdre au titulaire son droit contractuel au paiement des prestations qu’il avait exécutées avant cette résiliation, l’exécution de ces prestations n’ayant pas fait, au demeurant, l’objet de débats.

Autrement dit, le Conseil d’État refuse de consacrer une forme d’exception d’inexécution au bénéfice de la personne publique lorsque la faute de son cocontractant a privé d’utilité les prestations qu’il avait jusqu’ici exécutées.

En effet, ce n’est pas tant la faute du cocontractant qui a fait perdre son caractère d’utilité aux prestations réalisées mais plutôt la sanction qu’a entendu lui appliquer le pouvoir adjudicateur, à savoir la décision de résilier, laquelle met un terme à l’exécution du contrat.

Envisager que le titulaire résilié à ses torts exclusifs soit privé de rémunération si ses prestations se sont révélées inutiles reviendrait à créer une nouvelle sanction alors que celui-ci a déjà fait l’objet d’une résiliation, le cas échéant à ses frais et risques, et qu’il est susceptible de voir sa responsabilité contractuelle engagée.

Ainsi, non seulement le pouvoir adjudicateur peut décider de résilier aux frais et risques du titulaire le contrat en raison de sa faute [2] (ce que permet notamment l’article 48 du CCAG travaux de 2009), ce qui lui permettra de porter au décompte à son débit le supplément des dépenses résultant de la passation d’un nouveau marché (article 47.2 du CCAG travaux de 2009).

Tel n’a pas été le cas de la résiliation prononcée à l’encontre de la société ERCG, laquelle consistait dans une résiliation simple pour faute.

C. La faculté pour le maître d’ouvrage d’obtenir réparation de son préjudice

Mais, surtout et indépendamment de la possibilité d’infliger des pénalités, le pouvoir adjudicateur a la faculté d’obtenir réparation, sur le terrain de la responsabilité contractuelle, des éventuels préjudices que lui a causé la faute de son cocontractant, de sorte qu’il n’y a pas de sens à le priver de la rémunération à laquelle il a droit pour les prestations exécutées avant la résiliation, alors même qu’elles se seraient finalement révélées inutiles.

C’est ainsi que, dans l’affaire ici commentée, la commune de La Croix-Valmer a pu obtenir de la cour administrative d’appel de Marseille la condamnation de la société ERCG à lui restituer la part des acomptes correspondant à des prestations non exécutées ainsi qu’à rembourser la valeur des dépenses supplémentaires directement imputables à sa faute et exposées en pure perte par la commune.

Outre ces postes de préjudice, aurait également pu être sollicitée l’indemnisation du préjudice né du retard dans l’accomplissement des prestations, dans l’hypothèse où le parking n’aurait, en raison de la faute du titulaire, pas pu être livré à la date contractuellement prévue, exposant ainsi la commune à des pertes d’exploitation.

Dès lors, le Conseil d’État juge que la cour administrative d’appel de Marseille a commis une erreur de droit en subordonnant à un critère d’utilité la rémunération des prestations exécutées par le titulaire du marché avant sa résiliation.

Dans cette mesure, il annule l’arrêt de la cour administrative d’appel et lui renvoie l’affaire.

Par conséquent, priver le titulaire résilié à ses torts exclusifs de la rémunération à laquelle il a droit pour les prestations exécutées avant la résiliation ne figure pas parmi les possibilités offertes pour le sanctionner.

 

[1] Cahier des clauses administratives générales (CCAG) applicables aux marchés de travaux adopté par arrêté du 8 septembre 2009 N° Lexbase : L8345IES. À noter que s’applique désormais, pour les nouveaux marchés de travaux, le CCAG adopté par arrêté du 30 mars 2021.

[2] Voir CE, 9 novembre 2016, n° 388806 N° Lexbase : A0614SGT ; CE, 5 avril 2023, n° 463554 N° Lexbase : A10519NA.

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Procédure civile

[Dépêches] Le moyen qui tend à obtenir la nullité du commandement de payer valant saisie immobilière est une exception de procédure !

Réf. : Cass. civ. 2, 6 mars 2025, n° 22-12.742, F-B N° Lexbase : A441763Y

Lecture: 3 min

N1920B3I

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par Alexandre Autrand, doctorant, Université de Limoges, école doctorale Gouvernance des Institutions et des Organisations, Observatoire des Mutations Institutionnelles et Juridiques

Le 26 Mars 2025

La Cour de cassation rappelle et précise sa jurisprudence au sujet de la qualification du moyen qui tend à obtenir la nullité, du commandement de payer valant saisie immobilière (V. Cass. civ. 2, 25 mars 2010, n° 08-17.196 N° Lexbase : A1471EUZ). Elle considère que ce moyen est une exception de procédure qui, en cas de succès, entraîne la nullité de tous les actes de la procédure que le commandement de payer engage.

Faits et procédure. Le 20 mai 2008, Mme J. a conclu un contrat de prêt avec un établissement de crédit luxembourgeois. Le 2 septembre 2015, le prêteur fait signifier à Mme. J un commandement de payer valant saisie immobilière. Par la suite, la débitrice décide de formuler des contestations au cours de l’audience d’orientation du juge de l’exécution. Par un jugement d’orientation du 3 mai 2017, le juge de l’exécution rejette l’ensemble des contestations de Mme J. et ordonne la vente forcée des biens saisis. Par la suite, un appel est interjeté devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence, qui statue sur l’affaire dans un arrêt du 22 janvier 2015 (CA Aix-en-Provence, 16 septembre 2021, n° 18/08253 N° Lexbase : A656044Q). L’établissement luxembourgeois décide d’attaquer cette décision devant la Cour de cassation.

Pourvoi/Appel. Le demandeur au pourvoi fait grief à l’arrêt de déclarer nul le commandement de payer, et d’invalider la procédure de saisie immobilière.  Au soutien de son pourvoi, le prêteur affirme que le moyen tiré de la nullité du commandement de payer valant saisie immobilière, soulevée après l’assignation du créancier poursuivant, constitue une exception de procédure. Or, les juges aixois ont considéré que ce moyen constitue une défense au fond, qui avait été discuté devant les juges de l’exécution. La Cour d’appel considère que cette défense au fond permet de combattre la portée juridique du commandement de payer, acte qui fonde la procédure de saisie immobilière. En statuant ainsi, l’établissement de crédit luxembourgeois considère que la Cour d’appel a violé les articles 71 N° Lexbase : L1286H4E, 73 N° Lexbase : L1290H4K et 74 N° Lexbase : L1293H4N du Code de procédure civile, ainsi que l’article R. 311-10 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L2396ITW.

Solution. Au visa des articles des articles 73 et 74 du Code de procédure civile, et des articles L. 321-1 N° Lexbase : L0430L8G, R. 321-1 N° Lexbase : L2398ITY et R. 322-4 N° Lexbase : L7886IUM du Code des procédures civiles d’exécution, la Cour de cassation approuve l’argumentation du prêteur. Après avoir rappelé la lettre de ces articles, elle considère que la nullité du commandement de payer valant saisie immobilière atteint tous les actes de la procédure qu’il engage. De ce fait, les juges du droit considèrent que le moyen pris de la nullité du commandement de payer, qui tend à faire déclarer irrégulière ou éteinte la procédure judiciaire introduite par l’assignation du créancier poursuivant à l’audience d’orientation, constitue une exception de procédure. La Haute juridiction rappelle que, conformément à l’article 74 du Code de procédure civile, une exception de procédure doit être soulevée avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir. Ainsi, la Haute juridiction n’a pas d’autre choix que de casser et annuler partiellement, la décision des juges du fond.  

 

 

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