Le Quotidien du 9 janvier 2025

Le Quotidien

Éditorial

[A la une] L’élève-AvocIA de demain : il sera nécessairement meilleur !

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N1380B3I

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par Natalie Fricero, Professeure des Universités (Université Côte d’Azur), membre du Conseil national de la médiation

Le 08 Janvier 2025

De très nombreux colloques, travaux et réflexions sont - et seront - menés pour tenter de mesurer l’impact de l’intelligence artificielle sur l’activité des professionnels du droit ! Il est vrai que l’évolution permanente des systèmes d’IA rend rapidement obsolète toute conclusion en la matière. Devant cette véritable mutation civilisationnelle, il faut éviter de tomber dans l’irrationnel et le vertige d’un avenir entièrement contrôlé par la machine. Il faut repenser les activités professionnelles en intégrant les systèmes d’IA comme des assistants de la personne humaine, des assistants personnalisés des avocats. Les élèves avocats doivent donc maîtriser ce nouveau dialogue humain-machine, et apprendre à interagir avec l’IA : c’est en ce sens qu’ils deviendront « meilleurs », parce qu’ils auront acquis des compétences, un savoir-faire adapté aux nouveaux enjeux et à la règlementation, aux exigences professionnelles et à la déontologie.

Acquérir les fondamentaux du nouveau dialogue humain-machine

En psychologie du dialogue, la notion d'adaptation au partenaire, à savoir la capacité à prendre en compte ce que le partenaire est en mesure de comprendre ou non, est essentielle. Il faut établir ce que l’on nomme un “terrain commun”, c’est-à-dire que chacun doit être en mesure d'estimer ce que son partenaire de dialogue sait ou ne sait pas, et de se former une représentation mentale des connaissances et compétences qu’il partage avec lui. Si on envisage le dialogue avec ChatGPT, une difficulté apparaît actuellement : l'utilisateur a du mal à déterminer quelles connaissances il partage avec ChatGPT et à déterminer quelles informations font partie du terrain commun, d’autant que ChatGPT ne possède pas de mémoire du dialogue au même titre qu'un humain.

Les élèves avocats devront donc comprendre l’IA pour en connaître les limites (Guide du CNB, sept. 2024, Utilisation des systèmes d’intelligence artificielle générative, voir la 1re partie pour « comprendre l’IA générative »). Puis, ils devront exploiter le potentiel des différents systèmes d’IA (les barreaux apportent une aide financière aux avocats dans ce cadre en finançant un accès gratuit à des systèmes d’IA juridiques) : aide à la rédaction de contrats, d’actes divers, de courriels, de comptes rendus ; analyse de documents ; réalisation de synthèses ; analyse des conclusions afin d'en tirer les demandes et éléments qui sous-tendent les moyens et le cas échéant d'opposer les moyens adéquats et pertinents ; aide à la réflexion ; indexation de documents et gestion des archives ; création de statistiques à partir des données d’un tableur ; mise en place de divers supports de présentation… En facilitant les tâches chronophages, l’IA permet de gagner en innovation et en productivité.

En outre, le dialogue avec certaines juridictions impose aux futurs avocats la maîtrise de l’IA : à cet égard, le tribunal de commerce de Paris a rendu public le recours à l’IA dès 2025, afin, notamment,  d'effectuer le traitement des requêtes en injonction de payer ; pour préparer des rapports qui résument les faits pertinents les moyens de droit et la procédure et le cas échéant effectuer des recherches jurisprudentielles dans les affaires complexes; ainsi que pour améliorer le fonctionnement de la chambre des placements qui attribue les dossiers aux chambres compétentes du tribunal. D’autres expériences seront certainement tentées par les juridictions…

Devenir un juriste augmenté 

L’assistance de l’IA dans la recherche juridique et la découverte de la jurisprudence pertinente est un facteur évident de développement de l’activité professionnelle et d’innovation intellectuelle.  Il devient possible, en interrogeant une IA, de dresser un panorama ultra rapide des données relatives à une question et de faire des corrélations avec des problématiques annexes. Ce que l’on nomme le prompt engineering (processus d’écriture et d’optimisation des entrées, des requêtes, pour guider les systèmes d’IA générative dans la production de résultats spécifiques et de haute qualité), c’est-à-dire l’aptitude à poser les bonnes questions à l’outil d’intelligence artificielle pour obtenir les réponses souhaitées, fait indiscutablement partie des compétences indispensables à acquérir ! Pour le juriste, l’élève avocat, cela signifie qu’il faut au préalable qualifier la situation factuelle (prêt ? location ? vente ?) afin d’être précis dans les termes utilisés, quitte à présenter plusieurs formulations, et avoir acquis de bonnes connaissances dans le domaine juridique concerné.

Les connaissances solides dans la matière juridique et dans les systèmes d’IA, permettent d’exercer un contrôle rigoureux sur les réponses, même lorsque l’IA est spécialisée. L'actualité démontre qu'un recours immodéré et incontrôlé à ChatGPT peut entraîner la mise en œuvre de la responsabilité professionnelle : dans une affaire jugée par la Cour de district des États-Unis, S.D. New York le 22 juin 2023 (22-cv-1461/PKC), un avocat, en recourant à ChatGPT avait détaillé par leur nom et leur citation, plusieurs prétendues décisions qui étaient des hallucinations du système IA et qu’il n’avait pas vérifiées. Il est indispensable de contrôler les réponses, de les sourcer, de les actualiser le cas échéant ; de vérifier si le modèle d’acte proposé entre dans le cadre des exigences professionnelles imposées et d’exclure les informations non pertinentes. Il faut apprendre à synthétiser la masse d’informations et à sélectionner les données utiles.

Respecter les exigences légales, professionnelles et déontologiques

Le Règlement (UE) 2024/1689 du Parlement européen et du Conseil du 13 juin 2024 établissant des règles harmonisées concernant l’intelligence artificielle considère que les algorithmes en usage dans l’administration de la justice sont à haut risque, puisque les questions comme les réponses sont susceptibles de porter atteinte aux libertés individuelles, aux droits fondamentaux des personnes ainsi qu’à leur droit à un recours effectif à un juge.

Les avocats sont tenus au secret professionnel, et les données personnelles qu’ils recueillent de leurs clients sont soumises aux exigences du RGPD (Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données). Les requêtes formulées, les documents communiqués ne doivent donc comporter aucune information confidentielle : l’élève avocat doit apprendre à pseudonymiser les données (remplacer l’identité par X, Y ; remplacer les adresses par des zones géographiques..).

La formation de l’élève-AvocIA est essentielle : la connaissance des diverses fonctionnalités de l’IA et de leurs limites, l’évaluation des résultats de manière responsable, feront de lui un professionnel capable d’affronter les nouveaux défis technologiques !

newsid:491380

Marchés publics

[Brèves] Modalités de négociation avec les candidats à l'attribution d’une concession

Réf. : CE, 2°-7° ch. réunies, 30 décembre 2024, n° 491266, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A39896PG

Lecture: 2 min

N1423B34

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par Yann Le Foll

Le 13 Janvier 2025

Un candidat à l’attribution d’un contrat de concession dont l’offre initiale est irrégulière peut être admis à la négociation et régulariser son offre au cours de cette phase de la procédure.

La communauté d'agglomération Provence Alpes Agglomération a lancé une procédure tendant à l'attribution d'une concession portant sur la gestion, pendant une durée de cinq ans, d’un complexe cinématographique. La société Ciné Espace Evasion, qui s'était portée candidate à cette procédure et admise à participer à la négociation, a été informée du rejet de son offre, classée en seconde position, et de l'attribution du contrat à la seule autre candidate.

Rappelons que l’autorité concédante peut librement négocier avec les candidats à l'attribution d’une concession l'ensemble des éléments composant leur offre, dès lors que cette négociation ne conduit pas cette autorité à remettre en cause l'objet de la concession (comme cela a déjà été jugé dans une affaire de concession de piscines communautaires, TA Nantes, 18 décembre 2019, n° 1912361 N° Lexbase : A48233AU). Mais le respect du principe d’égalité de traitement des candidats implique toutefois qu’elle ne puisse retenir un candidat dont la régularisation de l’offre se traduirait par la présentation de ce qui constituerait une offre entièrement nouvelle.

La Haute juridiction précise ici la circonstance que la régularisation de l’offre pouvait même avoir lieu au cours de la négociation, pour rejeter le pourvoi de la société requérante.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE, Les marchés publics : définitions et champ d'application, Les contrats de concession, in Marchés Publics – Commande Publique (dir. P. Tifine), Lexbase N° Lexbase : E9091ZMN.

 

newsid:491423

Pénal

[Point de vue...] Le procès des viols de Mazan devant l’opinion publique - le point de vue d’un magistrat

Lecture: 7 min

N1392B3X

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par Jean-Luc Lennon, Procureur de la République-Adjoint, Tribunal judiciaire de Quimper

Le 06 Janvier 2025

Honte à la justice ! C’est en somme la conclusion à laquelle sont arrivées de nombreuses féministes à l’énoncé du verdict de la cour criminelle du Vaucluse le 19 décembre dernier. Pourtant, les 51 accusés ont tous été reconnus coupables de viols et le principal d’entre eux, Dominique Pélicot, a écopé de la peine maximale fixée à 20 ans de réclusion criminelle. Il est vrai qu’ici où là dans les rues d’Avignon avaient fleuri des banderoles sur lesquelles était inscrite cette phrase : « 20 ans pour tous ». Comme si la justice avait l’habitude de dispenser les peines à la volée sans autre préoccupation que celle de punir. En réalité, la cour criminelle a su faire fi du battage médiatique inédit qui a alimenté l’émotion bien légitime de l’opinion publique au cours de ces quinze semaines de procès. La ténacité de Gisèle Pélicot et son souhait de renoncer au huis clos ont permis la publicité de l’audience, ce qui n’est pas si fréquent lorsque sont jugés des faits de cette nature. Cette publicité est salutaire et, faut-il le rappeler, coutumière du monde de la justice qui travaille au su et au vu de tous les justiciables qui peuvent à chaque instant prendre place dans une salle d’audience pour voir et écouter ce qui s’y dit : les audiences sont publiques, c’est une règle d’ordre public.

Reste que le caractère atypique du mode opératoire par lequel des dizaines d’hommes ont commis ces viols n’est sans doute pas étranger au retentissement médiatique de ce procès. Les journalistes présents au fil des audiences ont pu faire partager le verbatim des débats d’où la figure de Gisèle Pélicot est apparue en pleine lumière et, à travers elle, celle de toutes ces femmes violées que la justice peine à entendre. Cette figure tautologique de l’institution judiciaire, jugée incapable de poursuivre et de sanctionner les auteurs de viols, est ancrée dans l’opinion commune et mérite que l’on s’y attarde un instant : cette critique est-elle fondée ?

Répondre à cette question suppose de s’attacher à la définition juridique du viol tel qu’il a été défini par le législateur et tel qu’il s’impose par conséquent à la justice. Le crime de viol est prévu et réprimé par l’article 222-23 du Code pénal N° Lexbase : L2622L4U : « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. Le viol est puni de 15 ans de réclusion criminelle ». Voilà ce que dit la loi. Ajoutons que la peine sera portée à 20 ans de réclusion en raison de circonstances particulières : l’auteur est le conjoint, le concubin ou le partenaire pacsé de la victime, ou encore celle-ci était sous soumission chimique au moment des faits. On voit bien qu’à travers cette définition le consentement de la victime n’est abordé que de manière sous-jacente, non explicite. Si les faits ont été commis avec violence, contrainte, menace ou surprise, c’est bien que la victime n’était pas (ou plus) consentante à l’acte, et dès lors le viol sera juridiquement constitué. En soi, une telle définition ne pose pas de difficulté particulière lorsque les faits reposent sur des éléments de preuve tangibles : témoignages, aveux, surveillance audio-visuelle, etc. Il en ira différemment lorsque le viol intervient dans une situation d’intimité : cadre familial, rencontre d’un soir. Ici les choses se compliquent en l’absence de violence, contrainte, menace ou surprise. Comment prouver le viol ? Deux paroles antagonistes s’affrontent : celle qui accuse et celle qui se défend. À la justice de trancher. Pour le dire autrement, la seule parole de la victime ne suffira pas à entraîner la conviction de la justice. Cette parole, aussi juste et sincère soit-elle, et quand bien même reflèterait-elle la stricte vérité, ne peut et ne doit pas entraîner une condamnation pénale. Pourquoi ? Parce que l’état de droit s’y oppose et ceci pour deux raisons principales : c’est à l’accusation de prouver le viol, d’une part ; l’accusé est présumé innocent tant qu’il pas été condamné, d’autre part.

Ce sont ces considérations qui expliquent que la justice, trop souvent, ne soit pas perçue comme une institution fiable par les victimes de viol. Les travaux menés par la sociologue Véronique Le Goaziou sont parfaitement éclairants sur ce point [1]. D’où l’idée de réécrire la définition du viol en y faisant figurer la notion de consentement, ce qui serait de nature à en faciliter la preuve. Schématiquement, il y aurait viol, outre lorsque l’acte aura été commis avec violence, contrainte, menace et surprise – cet aspect de l’infraction demeurerait inchangé – mais aussi en l’absence de ces critères lorsque la victime n’était pas consentante. Ainsi, croit-on, la parole de la victime sera réellement prise en considération et la justice à même de faire son office sans entrave. De prime abord cette idée paraît séduisante et même frappée d’une forme de bon sens. En apparence seulement. Or, la justice ne peut se contenter des apparences. Car se pose la question de savoir sur qui va reposer la preuve du consentement : sera-ce à la victime de démontrer l’absence de celui-ci, ou à l’accusé de rapporter la preuve inverse ? La chose ne va pas de soi et dans les deux situations le caractère probant sera difficile à rapporter, voire impossible. Comment établir un consentement ou une absence de consentement ? Avec quelles modalités ? Nous sommes très vraisemblablement là face à une véritable aporie. Et la justice ne sera guère plus éclairée qu’auparavant. Une loi nouvelle serait par conséquent inefficace car ce n’est pas à l’accusé de prouver qu’il est innocent, c’est au ministère public de prouver qu’il est coupable. Admettre le contraire autoriserait à accuser sans preuve, comme le font les régimes totalitaires sous couvert de justice.

Le procès de Mazan a apporté incontestablement de l’eau au moulin de celles et ceux qui voudraient faire accroire à l’existence d’une véritable culture du viol dont les hommes seraient pour ainsi dire naturellement dotés. Le patriarcat faisant souche depuis les débuts de l’histoire de l’humanité serait ainsi le vecteur de cette culture ravalant la femme à l’état de victime perpétuelle. Un tel réductionnisme revient à affirmer que tous les hommes sont des violeurs patentés ou en passe de le devenir. Une telle outrance s’oppose au débat d’idées. Or, la société gagnerait à s’emparer du sujet des violences sexuelles d’où qu’elles viennent. Le viol est l’apanage des hommes. Ce fait est incontestable, et cela pose question. Il ne s’agit pas de le nier. Mais gardons-nous de toute généralisation. À en croire le Professeur Israël Nisand, la paucité de l’éducation de nos enfants depuis le plus jeune âge dans le domaine affectif et sexuel serait la cause de tous les désordres. Nul déterminisme à l’œuvre ici, mais une forme de continuité immémoriale puissante qui laisse libre cours aux pulsions que tout mâle normalement éduqué serait en capacité de maîtriser, pour peu qu’on lui donne les clés de son émancipation. C’est ici, plus qu’au plan judiciaire, que réside le projet de société vers lequel il convient de résolument se tourner. Le constat opéré par les féministes, quelles que soient les obédiences derrière lesquelles elles inscrivent leur combat, est juste. Mais leur analyse contemporaine du patriarcat est trop idéologique et par là, trop caricaturale, pour être prise au pied de la lettre.

Le viol est condamnable et la justice le punit dans le cadre de la loi, dès lors que les éléments probants apparaissent suffisants pour établir une culpabilité. Le procès de Mazan en est la preuve éclatante : Gisèle Pélicot n’a jamais exprimé un quelconque consentement parce qu’elle était placée dans un état de soumission chimique par son mari, ce qui ne lui permettait pas d’avoir conscience de ce qu’elle subissait. Pourtant, ces faits sont bien juridiquement constitutifs de viols commis avec surprise. Ce dernier critère était nécessaire pour que la cour criminelle du Vaucluse entre en voie de condamnation ; et il se suffisait à lui-même pour que la justice fît son office. 

 

[1] V. Le Goaziou, Viol. Que fait la justice ?, SciencesPo, Les Presses, 2019.

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