Le Quotidien du 9 août 2024

Le Quotidien

Collectivités territoriales

[Brèves] Publication de la loi renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus

Réf. : Loi n° 2024-247, du 21 mars 2024, renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux N° Lexbase : L8964MLL

Lecture: 4 min

N8897BZK

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/110658967-edition-du-09082024#article-488897
Copier

par Yann Le Foll

Le 02 Août 2024

► La loi n° 2024-247, du 21 mars 2024, renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux, publiée au Journal officiel du 22 mars 2024, vise notamment à accroître les sanctions encourues par les auteurs de faits de violences commis à leur encontre.

La protection contre les violences. Pour mieux protéger les élus en cas de violences commises à leur encontre (titre Ier), celles-ci, lorsqu’elles ont entraîné une incapacité totale de travail pendant plus de huit jours, sont punies de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende (dans la limite de six ans à compter de l'expiration du mandat). Toute destruction, dégradation ou détérioration d'un bien appartenant à l’un de ces élus en cette qualité est punie de vingt ans de réclusion criminelle et de 150 000 euros d'amende.

Les paroles, gestes ou menaces dont ils font l’objet constituent un outrage puni de 7 500 euros d'amende et d'une peine de travail d'intérêt général. Le fait de les harceler par des propos ou comportements répétés est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende lorsque ces faits ont causé une incapacité totale de travail inférieure ou égale à huit jours ou n'ont entraîné aucune incapacité de travail.

Le fait de révéler, de diffuser ou de transmettre, par quelque moyen que ce soit, des informations relatives à leur vie privée, familiale ou professionnelle pendant la durée de la campagne électorale, est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende.

La prise en charge des élus victimes. La loi a aussi pour objectif d’améliorer la prise en charge des élus victimes de violences, d’agressions ou d’injures dans le cadre de leur mandat ou d’une campagne électorale (titre II). Ainsi, la commune accorde sa protection (fonctionnelle) au maire, aux élus municipaux le suppléant ou ayant reçu délégation, ou à l'un de ces élus ayant cessé ses fonctions, lorsqu'ils sont victimes de violences, de menaces ou d'outrages à l'occasion ou du fait de leurs fonctions. Elle répare, le cas échéant, l'intégralité du préjudice qui en a résulté.

Toutefois, le conseil municipal peut retirer ou abroger la décision de protection accordée à l'élu par une délibération motivée prise dans un délai de quatre mois à compter de la date à laquelle l'élu bénéficie de la protection de la commune (sur le modèle du retrait d’une décision individuelle explicite créatrice de droits illégale, CE, ass., 26 octobre 2001, n° 197018 N° Lexbase : A1913AX7).

Cette protection implique notamment la prise en charge par la commune de tout ou partie du reste à charge ou des dépassements d'honoraires résultant des dépenses liées aux soins médicaux et à l'assistance psychologique engagées par les bénéficiaires de cette protection.

Chaque candidat bénéficie, pendant les six mois précédant le premier jour du mois de l'élection et jusqu'au tour de l'élection auquel il participe, de cette protection assurée par l'État. Celui-ci assure notamment la protection de l'intégrité physique du candidat.

Le rôle des acteurs judiciaires et étatiques. Le texte vise enfin à renforcer la prise en compte des réalités des mandats électifs locaux par les acteurs judiciaires et étatiques (titre III). Lorsque le procureur de la République est saisi de faits mettant en cause, comme auteur dans l'exercice de son mandat, un maire ou un adjoint au maire, peut, d'office, sur proposition du procureur de la République et à la demande de l'intéressé, transmettre la procédure au procureur de la République auprès du tribunal judiciaire le plus proche du ressort de la cour d'appel.

Dorénavant, le maire est systématiquement (et non plus à sa demande) informé par le procureur de la République des classements sans suite, des mesures alternatives aux poursuites, des poursuites engagées, des jugements devenus définitifs ou des appels interjetés.

Il est aussi systématiquement (et non plus à sa demande) informé, dans un délai d'un mois, par le procureur de la République des classements sans suite, des mesures alternatives aux poursuites, des poursuites engagées, des jugements devenus définitifs ou des appels interjetés lorsque ces décisions concernent des infractions signalées par lui.

Des conventions prévoyant un protocole d'information des maires sur le traitement judiciaire des infractions commises à l'encontre des élus peuvent être signées entre les associations représentatives des élus locaux, le représentant de l'État dans le département et le procureur de la République.

Signalons enfin que le procureur de la République du ressort de la cour d'appel compétent sur le territoire de la commune peut diffuser dans un espace réservé toute communication en lien avec les affaires de la commune, lorsque celle-ci compte plus de 1 000 habitants.

À ce sujet : lire le numéro spécial La protection du mandat des élus locaux avec le cabinet Seban Avocats, Lexbase Public, décembre 2023, n° 729 N° Lexbase : N7744BZT.

newsid:488897

Sûretés

[Brèves] Mention manuscrite de la caution : le paraphe ne vaut pas signature

Réf. : Cass. civ. 3, 11 juillet 2024, n° 22-17.252, F-D N° Lexbase : A76815QK

Lecture: 3 min

N0093B3T

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/110658967-edition-du-09082024#article-490093
Copier

par Vincent Téchené

Le 24 Juillet 2024

► Pour les cautionnements consentis avant le 1er janvier 2022, les mentions manuscrites doivent précéder la signature, de sorte que sont nulles les mentions écrites de la main de la caution figurant après sa signature, peu important qu’elles soient néanmoins suivies de son paraphe.

Faits et procédure. Dans le cadre d’un bail commercial, une personne s'est portée caution solidaire de la société locataire à concurrence d'une certaine somme.

Une contentieux est né entre la locataire et la bailleresse, cette dernière sollicitant à titre reconventionnel le constat de l'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail, l'expulsion de la locataire et sa condamnation, solidairement avec la caution, assignée en intervention forcée, à lui payer des loyers et une indemnité d'occupation.

La caution ayant été condamnée à payer une certaine somme (CA Aix-en-Provence, 6 avril 2022, n° 19/13157 N° Lexbase : A47167SH), elle a formé un pourvoi en cassation soutenant la mention manuscrite n’était pas valable cat non suivie de sa signature.

Décision. La Cour de cassation rappelle que les mentions manuscrites émanant de la caution, prescrites à peine de nullité de son engagement, doivent précéder sa signature.

Or, en l’espèce, la cour d’appel relève qu’en l’espèce, si les mentions écrites de la main de la caution figurent après sa signature, elles sont néanmoins suivies de son paraphe, de sorte que ni le sens ni la portée de son engagement n'en sont affectés, et qu'il n'existe aucune ambiguïté sur la date de l'acte et sur l'existence du consentement de la caution.

La Cour de cassation censure l’arrêt d’appel : en statuant ainsi, la cour d'appel, qui a retenu la validité du cautionnement en l'absence de signature de la caution sous les mentions manuscrites, a violé l’article L. 341-2 N° Lexbase : L5668DLI, devenu L. 331-1 N° Lexbase : L1165K7B, du Code de la consommation.

Observations.  Cette solution est identique à celle dégagée par la Chambre commerciale, laquelle avait déjà jugé qu'est nul l’engagement de la caution dès lors que sa signature est située au-dessus de la mention manuscrite bien que le paraphe de la caution se trouve, lui, en dessous de cette mention manuscrite (Cass. com., 8 septembre 2021, n° 19-16.012, F-D N° Lexbase : A255244B).

La première chambre civile de la Cour de cassation a, au contraire,  adopté une position diamétralement opposée puisqu’elle a jugé que la mention manuscrite, dont le texte était conforme aux dispositions du Code de la consommation et qui figure sous la signature de la caution, est immédiatement suivie du paraphe de celle-ci, de sorte que ni le sens, ni la portée, ni, en conséquence, la validité de cette mention ne s'en est trouvée affectée (Cass. civ. 1, 22 septembre 2016, n° 15-19.543, F-P+B N° Lexbase : A0176R4B, G. Piette, Lexbase Affaires, octobre 2016, n° 484 N° Lexbase : N4793BWG).

On relèvera, par ailleurs, qu’au contraire des anciens textes du Code de la consommation, l’article 2297 du Code civil N° Lexbase : L0171L8T, issu de la réforme du 15 septembre 2021 (ordonnance n° 2021-1192 N° Lexbase : L8997L7D) est muet quant à la signature de la caution. Celle-ci est évidemment requise, puisque la caution s’engage. Mais ce silence du texte va permettre de tarir le contentieux relatif à l’emplacement de la signature. Il ne devrait plus y avoir de débats stériles sur le fait de savoir si la mention doit ou non précéder la signature.

Pour aller plus loin :

  • pour les cautionnements conclus jusqu’au 31 décembre 2021, v. ÉTUDE : Les conditions de formation du cautionnement, Une mention écrite de la main même de la caution, in Droit des sûretés (dir. G. Piette), Lexbase N° Lexbase : E1857GAZ ;
  • pour les cautionnements conclus après le 31 décembre 2021, v. G. Piette, D. Nemtchenko, F. Julienne et V. Téchené, ÉTUDE : Le cautionnement, Le formalisme du cautionnement, , in Droit des sûretés (dir. G. Piette), Lexbase N° Lexbase : E8597B48.

 

newsid:490093

Voies d'exécution

[Focus] « Les constats impossibles ? »

Lecture: 15 min

N9849BZS

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/110658967-edition-du-09082024#article-489849
Copier

par Sylvian Dorol - Commissaire de justice associé (VENEZIA) - Directeur scientifique de la revue Lexbase Contentieux et recouvrement et Enseignant à Sciences Po Paris ENM EFB et Sébastien Racine – Commissaire de justice associé, Membre du comité scientifique de la revue Lexbase Contentieux et recouvrement, Enseignant ENM, EFB

Le 02 Août 2024

Mots-clés : constat • déontologie • impossible • preuve • loyauté

Dans le cadre de l'administration judiciaire de la preuve, les commissaires de justice sont souvent confrontés à des défis apparemment insurmontables. À travers l'examen de situations où la preuve devient difficile, voire impossible à obtenir, cet article explore les limites imposées par la déontologie, les contraintes technologiques et juridiques. En abordant les évolutions récentes de la jurisprudence et les avancées technologiques, nous analysons les cas où les constats demeurent hors de portée, mettant en lumière la quête incessante des commissaires de justice pour naviguer entre impartialité et innovation.


 

« Personne ne leur a dit que c'était impossible alors ils l'ont fait. » Cette citation, souvent attribuée à Mark Twain, appliquée à l’administration judiciaire de la preuve, suscite une réflexion : existe-t-il des constats impossibles ? Dans le cadre de l’examen de spécialisation des commissaires de justice, dont la première session s’est tenue en début d’année pour la mention « spécialiste en administration judiciaire de la preuve », le sujet suivant a été posé : « Existe-t-il encore des constats impossibles ? ».

Bien entendu, il ne s’agit pas de traiter des cas triviaux ou fantaisistes, mais plutôt de s’interroger sur les situations où les commissaires de justice se trouvent impuissants, malgré leur compétence. Ainsi, ils se trouvent souvent face à des situations où la preuve est difficile, voire impossible, à obtenir.

Les évolutions technologiques ont ouvert de nouvelles possibilités pour les commissaires de justice. Il est possible de constater des éléments du passé, aujourd’hui inaccessible, ou encore inaccessibles en raison de conditions physiques (hauteur, profondeur, conditions climatiques). Ces constats impossibles, il y a quelques décennies, sont désormais à la portée de tous, avec une force probante variable.

Cependant, certains constats demeurent à ce jour impossibles. Certes, certains le sont temporairement, en cas d’absence d’autorisation judiciaire préalable, en raison, notamment, du lieu ou de la nature des éléments constatés. Il n’y a donc pas de réelle impossibilité, mais plutôt des contraintes préalables et nécessaires pour des raisons juridiques établies et acceptables.

Pour les cas d’impossibilité plus « absolues », ils tiennent à divers facteurs notamment liés au statut des commissaires de justice (I) ; de manière plus « objective », d’autres facteurs liés aux éléments objets des constatations eux-mêmes (II).

I. Le cas des constats impossibles en raison du statut du commissaire de justice

L’évaluation de la faisabilité d’un constat par un commissaire de justice débute par la détermination de sa capacité à agir. Il s’interrogera alors sur sa capacité personnelle à constater en s’assurant qu’aucun élément ne remet en cause son impartialité (A). Il s’attachera ensuite, conformément à ses règles déontologiques, à garantir la loyauté de son intervention (B).

A. L’impartialité : facteur subjectif d’impossibilité de constater à caractère relatif

1) Le lien personnel

Les commissaires de justice doivent impérativement éviter tout conflit d'intérêts pour garantir l'impartialité et l'objectivité de leurs constatations. L’existence d’un lien personnel entre le commissaire de justice et les parties impliquées est souvent considérée comme étant de nature à nuire à cette qualité indispensable. Il est important de rappeler ici que l’apparence de partialité, fondée sur l’existence d’un lien personnel, est suffisante, peu importe qu’elle n’ait, dans les faits, aucune conséquence sur les constatations.

L'article 1 du Règlement déontologique national stipule que l'huissier de justice (nouvellement appelé commissaire de justice), officier public et ministériel, conserve en toutes circonstances la plus stricte indépendance vis-à-vis de la clientèle, des parties et des tiers afin de garantir l'impartialité, fondement de la confiance qu’on lui porte. Cette indépendance est cruciale pour assurer que les constatations effectuées soient acceptables en justice.

L’impossibilité qui en découle reste subjective et liée à la personne du constatant. Un autre constatant sans lien ne sera pas empêché pour cette raison. Il apparaît aussi que le commissaire de justice, en tant que consommateur de constat, peut recourir au service d’un(e) confrère/consœur, souvent sélectionné parmi les confrères exerçant sur une autre cour d’appel, en gage de garantie d’impartialité.

2) La communauté d’intérêt privé ou le conflit d’intérêts 

Le cas de la « communauté d’intérêt privé » a pu être qualifié lorsque le commissaire de justice partage des intérêts économiques ou sociaux avec une des parties. Par exemple, si le commissaire de justice est membre d'une même association professionnelle que l'une des parties, cela peut soulever des questions sur son impartialité. Le Règlement déontologique précise que l’huissier de justice doit éviter toute situation pouvant affecter son impartialité ou entraîner un conflit d’intérêts.

Dans un arrêt de la cour d’appel de Douai du 28 septembre 2023 (CA Douai, 28 septembre 2023, n° 22/02664 N° Lexbase : A43641ML), les enjeux liés à l’indépendance et à l’impartialité du commissaire de justice lorsqu’une relation d’intérêt privé est suspectée, sont mis en lumière. La cour a conclu à l’existence d’une relation d’intérêts privés entre la partie requérante et les intervenants auxiliaires de justice, induisant une apparence de partialité. Cette relation a conduit à la nullité des actes en question. Dans les faits, le commissaire de justice s’est vu reprocher des liens préexistants caractérisés par une précédente intervention dans une affaire, en l’occurrence un constat amiable pour lequel il a été nommé aux fins de constat sur ordonnance.

Là encore, l’impossibilité est appréciée subjectivement. Le commissaire de justice doit, face à cette situation, s’effacer au profit d’un autre confrère et se considérer comme empêché. Cependant, il est regrettable que l’apparence seule soit condamnée sans chercher si partialité il y a eu. La prudence est donc de rigueur.

B. La loyauté : facteur subjectif d’impossibilité de constater à caractère absolu

1) La règle déontologique : une impossibilité absolue

L'obligation de loyauté impose aux commissaires de justice de respecter les règles déontologiques de leur profession. Cela inclut le respect de l'honnêteté, de l'intégrité et de l'impartialité dans toutes leurs activités. L'article 2 du Règlement déontologique insiste sur la rigueur, la probité et la confraternité que doivent observer les huissiers de justice dans l’exercice de leurs fonctions.

Ainsi, l’huissier de justice est contraint à une parfaite loyauté dans l’exécution de sa mission. Cela signifie notamment qu’en matière de constatations, il ne peut agir personnellement à visage masqué et doit se déclarer avant toute intervention [1]. Cette obligation de loyauté peut parfois être un obstacle en matière d’acquisition de la preuve. C’est pourquoi des pratiques se sont dégagées jurisprudentiellement pour contourner cette problématique, par exemple en matière de constat d’achat avec le recours à un tiers. Il est important de préciser qu’aucune décision ne semble valider la possibilité pour le commissaire de justice d’être déloyal. Les décisions précisent qu’il n’y a pas d’atteinte au principe de loyauté pour valider un constat.

Certains pourraient citer une décision isolée rendue en matière de mesure d’instruction in futurum, où le commissaire de justice a été autorisé à signifier l’ordonnance l’autorisant à pratiquer son constat après la réalisation de ce dernier. La justification n’était cependant pas d’autoriser la déloyauté, mais plutôt de préserver la preuve et d’éviter de l’altérer avec une signification préalable [2].

Il est donc juste de dire qu’un constat nécessitant la mise en place d’un procédé ou d’une pratique déloyale pour obtenir une preuve ne peut être perpétré par un commissaire de justice.

Pour autant, qu’en est-il de la preuve résultant d’un procédé déloyal dont le commissaire de justice ne serait pas l’auteur [3] ? Si l’auteur de la déloyauté est un tiers, par exemple le client lui-même, il était jusqu’à peu recommandé au commissaire de justice de ne pas prêter son concours en réalisant des constatations portant sur ce type de preuve [4]. La raison est double : d’une part, s’agissant de preuve déloyale, elle n’était pas admise en justice [5] ; d’autre part, la faiblesse de la force probante rattachée à ce type de constat. Cette solution était à tempérer en matière pénale en raison d’une appréciation plus souple de la preuve et de la force probante amoindrie des constatations réalisées par commissaire de justice en cette matière.

En matière civile, la position était claire, notamment au visa de l’article 6, paragraphe 1 de la Convention européenne des droits de l’Homme N° Lexbase : L7558AIR : toute preuve déloyale était par principe écartée. Cependant, l’année 2023 [6] a vu un infléchissement de cette règle en France, dans la lignée de certains autres pays d’Europe, avec néanmoins un doute sur la réelle portée de ce revirement.

2) L’impact neutre de la nouvelle jurisprudence

L'usage de preuves obtenues de manière illicite ou déloyale est un point crucial. La Cour de cassation estime dorénavant que dans un litige civil, une partie puisse utiliser, sous certaines conditions strictes, une preuve obtenue de manière déloyale pour faire valoir ses droits. Toutefois, cela ne doit pas porter une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux de la partie adverse. Cette jurisprudence, bien que permettant un certain assouplissement, souligne l'importance de la loyauté dans la collecte des preuves.

La portée de cette jurisprudence, d’un point de vue pratique, interroge néanmoins. En réalité, ce qu’il convient d’aborder, c’est moins la loyauté du procédé que la matérialité et l’efficacité de la preuve rapportée. Ainsi, dans le cadre d’un enregistrement réalisé à l’insu d’une personne, il est intéressant d’évoquer l’admissibilité d’une telle preuve.

Cependant, que prouve-t-elle ? Outre les risques de deep fake, il est constaté que l’enregistrement ne permet pas de certifier l’identité des intervenants, le lieu ou encore la date. Ces éléments sont bien souvent déclaratifs et apportés par la partie qui se prévaut de la preuve déloyale. De même, lorsque ce type d’enregistrement est porté à la connaissance d’un commissaire de justice, il ne certifie pas plus ces éléments qui restent purement déclaratifs, dans la mesure où il n’a pu personnellement constater l’échange en étant présent.

En revanche, si le commissaire de justice est présent au moment de l’enregistrement à l’insu de la personne, alors il pourra attester des personnes présentes, du lieu et des propos tenus. Cependant, la jurisprudence lui permet-elle de le faire ? C’est-à-dire d’agir en toute déloyauté et de procéder à un constat sans se présenter préalablement ? En matière de constat de grève, il arrive souvent qu’une partie des manifestants ne nous ait pas identifiés. Cependant, les constatations que nous réalisons, souvent depuis la voie publique ou depuis chez notre client, ne sont pas attaquées, car nous ne provoquons pas de situation.

En revanche, il ne nous semble pas permis d’être l’auteur du procédé déloyal ayant permis de récupérer la preuve, conformément à nos obligations professionnelles, et il ne semble pas souhaitable que cela change. Il semble qu’en la matière, nous soyons malgré tout garants d’une certaine équité et d’une impartialité qui ne doivent souffrir d’aucune entorse, sauf sur autorisation judiciaire.

II. Le cas des constats impossibles en raison du contenu à constater

L’évaluation de la faisabilité d’un constat par un commissaire de justice se poursuit ensuite par la détermination de la faisabilité des constatations eu égard aux faits portés à sa connaissance. Sur quoi vont porter ses constatations matérielles ? Ainsi la faisabilité d’un constat sur du contenu illicite (A), non saisissable par les cinq sens ou inexistant (B) semble ne pas faire débat.

A. Le contenu illicite : une impossibilité absolue

Les commissaires de justice doivent souvent faire face à des limitations lorsqu’il s’agit de contenus illicites. Ces limitations peuvent être dues à l’interdiction de visualiser certains contenus ou à l’inaccessibilité de ces contenus sans enfreindre des droits spécifiques [7].

Certains contenus sont intrinsèquement illicites et leur constatation pourrait constituer une infraction. Par exemple, accéder volontairement à des sites de contenu illégal est strictement interdit et peut entraîner des sanctions pour le commissaire. Il s’agit notamment des contenus relatifs à la pédopornographie, aux activités terroristes ou à d’autres activités criminelles dont la seule visualisation est prohibée par la loi.

L’article 40 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L5531DYI impose aux officiers publics, dont les commissaires de justice, l’obligation de signaler au procureur de la République tout crime ou délit dont ils auraient connaissance dans l’exercice de leurs fonctions. Cette obligation légale signifie que si un commissaire de justice se retrouve face à ces contenus illicites, il doit les signaler immédiatement et refuser de prêter son ministère [8].

Dans certains cas, un commissaire de justice peut accéder fortuitement à des contenus illicites lors d’une mission légitime. Par exemple, lors d’une opération classique de constatation, un commissaire de justice peut tomber par hasard sur des documents illégaux. Ces situations doivent être gérées avec prudence. Lorsqu’un commissaire de justice découvre de manière fortuite des contenus illicites, il doit suspendre immédiatement ses opérations et signaler ces contenus aux autorités compétentes, conformément à l’article 40 du Code de procédure pénal

B. Le contenu insaisissable par les cinq sens

1) Le constat de comportement

Dans la définition du constat, il est souvent fait référence à ce que le commissaire de justice peut saisir au moyen de ses cinq sens. Si certains constats sensoriels sont épineux et difficilement efficaces, ils restent néanmoins possibles. À titre d’exemple, un constat d’éblouissement lié à une réverbération ou un constat de « mauvaise » odeur sont toujours des situations délicates et nécessitent une grande précision dans la rédaction, sous peine d’entacher notre constat de partialité.

En revanche, certaines preuves peuvent être difficiles à saisir par les moyens traditionnels en raison de leur nature intangible ou subjective. L'évaluation de comportements tels que l’agressivité repose souvent sur des témoignages et des observations contextuelles, qui peuvent être subjectives. Un commissaire de justice peut constater des altercations verbales ou physiques, mais l'interprétation de ces comportements reste subjective et peut varier d'un observateur à l'autre.

Il en va de même quand il s’agit de prouver l'intention nuisible, qui nécessite souvent des preuves indirectes telles que des messages ou des témoignages, car elle ne peut pas être observée directement. Idem pour des sentiments ou comportements positifs tels que l'affection ou l'amour entre des individus, qui ne peuvent pas être constatés de manière objective, car ce sont des sentiments internes.

Dans ces cas, le commissaire de justice procédera à des constats sur des éléments qui pourront peut-être amener le magistrat à apprécier et caractériser le comportement invoqué ou répréhensible. En revanche, le commissaire de justice, sous peine de partialité, ne pourra tirer aucune conséquence de ses constatations.

Un cas courant est le constat de vidéosurveillance. L'utilisation de systèmes de vidéosurveillance est une méthode courante pour fournir des preuves d'événements passés. Les enregistrements vidéo peuvent être utilisés pour documenter des incidents survenus dans le passé à condition que les images soient claires et non altérées.

Nous ne reviendrons pas sur les vidéos réalisées à l’insu de la personne, mais préférons évoquer ici le cas des vidéosurveillances dont la présence n’est pas cachée. Dans ce cas, il est courant de procéder à des constatations sur ces fichiers vidéo alors même que le commissaire de justice n’était pas présent au moment des faits. Ces vidéos lui permettent en quelque sorte de constater l’existence et le contenu des fichiers vidéo issus de ces enregistrements sans pour autant pouvoir attester avec certitude de la date réelle des événements ni du lieu. Le seul moyen de rattacher ces événements au temps et à l’espace est bien souvent la lecture du filigrane d’horodatage incrusté et de constater l’extraction des fichiers du système de vidéosurveillance.

Bien entendu, ces constatations restent dégradées ; cependant, la force probante qui y est rattachée n’est pas pour autant inexistante. Laissé à l’appréciation des juges du fond, il s’avère que ces éléments jouissent souvent d’une force probante totale, pour peu que le commissaire de justice ait pu saisir, au cours de ces constatations, les éléments matériels et techniques de nature à renforcer la vraisemblance du contenu.

2) Le constat du contenu disparu

Le constat du passé est par nature une tâche complexe pour les commissaires de justice, car il est impossible de revenir dans le temps pour constater des faits directement. Cette impossibilité manifeste réside dans l'absence de moyens physiques pour observer des événements déjà écoulés. Cependant, plusieurs méthodes permettent de fournir des preuves indirectes ou des indices de ces événements passés, avec une force probante souvent dégradée, mais bien réelle.

Lorsque les constats sur internet ne peuvent plus être établis parce que la page a été modifiée ou supprimée, il est possible de recourir à des sites d’archivage pour retrouver des versions antérieures des pages web. Les sites d’archivage comme WebArchive ou Google Cache conservent des copies de pages web à différentes dates, constituant ainsi une mémoire des pages internet en tant que patrimoine immatériel.

Bien que ces sites permettent de « remonter le temps » et de retrouver des versions antérieures de pages internet, ils ne fourniront que des indices rendant vraisemblables les allégations du requérant. La jurisprudence a évolué concernant la force probante de ces constats qui ont retrouvé une certaine acceptabilité juridique. Cependant, comme pour les constats de vidéo surveillance, la force probante ne portera que sur des éléments vérifiables par le commissaire de justice.

 

[1] M.-P. Mourre-Schreiber, La preuve par le constat d’huissier de justice, thèse de doctorat, EJT, 2014, p. 202, n° 530.

[2] Cass. civ. 2, 4 septembre 2014, n°13-22.971, FS-D N° Lexbase : A0530MWK ; H. Croze, Procédures,  2014, comm. 291 ; S. Dorol, Dr. et proc., 2014, 201 ; L. Raschel, Rev. Lamy dr. civ., novembre  2014, n° 120, p. 72.

[3] CA Lyon, 9 janvier 1974 : JCP G, 1974, IV, 6436.

[4] Cass. soc., 18 mars 2008, n° 06-45.093, FS-P+B+R N° Lexbase : A4953D7L ;  N. Fricero, Dr. et proc., 2008, p. 218.

[5]R. Perrot, Le constat d’huissier de justice, CNHJ, 1985, p. 72, n° 54.

[6] Cass. ass. plén., 22 décembre 2023, n° 20-20.648 N° Lexbase : A27172AU et 21-11.330 N° Lexbase : A27232A4, publiés au bulletin.

[7] En ce sens, Th. Guinot, L’huissier de justice : normes et valeurs, EJT, 2017, p. 232.

[8] Th. Guinot, L’huissier de justice : normes et valeurs, EJT, 2017, p. 232.

newsid:489849

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus