Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 30 avril 2024, n° 454502, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A09505AG
Lecture: 17 min
N9576BZP
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Jérôme Mazeres, Fiscaliste - Diplômé en gestion de patrimoine, Les fourmis du patrimoine
Le 02 Août 2024
Mots-clés : fiscalité agricole • exploitant • plus-values professionnelles
1.- Le régime des sociétés de personnes regorge de « chausse-trappes », et il est aisé de se laisser piéger. Il est d’autant plus complexe à manier lorsque celui-ci s’acoquine avec les particularités de la fiscalité agricole, qui restent très attachées à la transparence des groupements agricoles d’exploitation en commun (GAEC).
2.- Le régime des plus-values professionnelles, appliqué aux sociétés de personnes exerçant une activité agricole, présente plusieurs particularités. Cela concerne notamment l’application du régime d’exonération en fonction du chiffre d’affaires, qui présente des spécificités en ce qui concerne l’appréciation du seuil de chiffre d’affaires.
Ce mécanisme d’exonération trouve à s’appliquer lorsque la société agricole cède un élément d’actif affecté à son activité, et que plusieurs conditions cumulatives sont remplies.
L’activité doit avoir été exercée à titre professionnel pendant au moins cinq ans.
La moyenne de chiffre d’affaires hors taxes, réalisée au cours des deux années civiles qui précèdent la date de clôture de l’exercice de réalisation des plus-values, doit être inférieure à un certain seuil. On rappellera ici, que la loi de finances pour 2024, a rehaussé pour les cessions intervenues à compter du 1er janvier 2023, le seuil d’exonération. Historiquement fixés à 250 000 euros pour une exonération totale, et 350 000 euros pour une exonération partielle, ceux-ci sont respectivement fixés à 350 000 euros et 450 000 euros en matière agricole (et pour certaines entreprises de travaux agricoles). On relèvera par ailleurs que la date d’entrée en vigueur pose d’importants problèmes pratiques pour les exploitants ayant opté pour l’application d’autres dispositifs (CGI, art. 151 octies N° Lexbase : L5581MAX ou 238 quindecies N° Lexbase : L0722MLC).
3.- Au cas d’une société agricole, si l’associé est un « associé exploitant », la condition tenant au chiffre d’affaires sera appréciée par rapport à la quote-part de l’associé.
Le Conseil d’État vient d’apporter, le 30 avril 2024, plusieurs précisions concernant l’articulation des articles 70 N° Lexbase : L3848KWG et 151 septies N° Lexbase : L0813MLP du CGI.
Dans le cadre de cette affaire, M. et Mme, exploitants agricoles au sein d'une EARL, ont réalisé une plus-value lors de la cession d'une partie de leurs actifs en 2012. Ils ont souhaité bénéficier de l'exonération prévue par l'article 151 septies du CGI, applicable aux plus-values réalisées dans le cadre d’activités agricoles exercées à titre professionnel pendant au moins cinq ans et dont les recettes annuelles sont inférieures à certains seuils.
4.- L’arrêt rendu par le Conseil d’État s’inscrit dans la lignée de décisions antérieures en ce qui concerne la caractérisation de l’associé exploitant (I). Celui-ci permet également d’apporter des précisions quant aux modalités d’appréciation du chiffre d’affaires en cas de cession d’actif par une société agricole (II).
I. L’associé exploitant n’est pas forcément un dirigeant
5.- Il est impératif de justifier de la réalité de l’activité professionnelle de l’associé d’une SCEA ou d’une EARL par exemple, au sens de l’article 151 nonies du CGI N° Lexbase : L9116LKT, afin de pouvoir faire application de l’article 70 du même Code.
On rappellera que l’article 70 du Code général des impôts dispose : « Pour l'application de l'article 151 septies, les plus-values réalisées par une société civile agricole non soumise à l'impôt sur les sociétés sont imposables au nom de chaque associé visé au I de l'article 151 nonies selon les règles prévues pour les exploitants individuels en tenant compte de sa quote-part dans les recettes de la société ».
A. L’exercice d’une activité personnelle, directe et continue
6.- Ainsi, dès lors que l’associé de la société agricole exercera son activité professionnelle au sein de la société, ce n’est pas l’intégralité du chiffre d’affaires de la société qu’il conviendra de retenir pour apprécier le seuil d’exonération, mais uniquement la quote-part lui revenant.
Cela pose nécessairement la question de la définition de l’associé exploitant donné par l’article 151 nonies, I du Code général des impôts.
7.- Si le Code général des impôts [1] ne définit pas exactement ce qu’il faut entendre par « associé exploitant », hormis le fait qu’il exerce son activité professionnelle au sein de la société agricole soumise à l’impôt sur le revenu, la doctrine administrative apporte quelques précisions [2].
Ils s'entendent des associés qui participent directement, régulièrement et personnellement à l'exercice de l'activité professionnelle de nature industrielle, commerciale ou agricole de la société. La participation à l'exercice de l'activité professionnelle au sens de l'article 151 nonies du CGI suppose que l'associé accomplisse des actes précis et des diligences réelles caractérisant l'exercice d'une profession et dont la nature dépend de la taille de l'exploitation, des secteurs d'activité et des usages (présence sur le lieu de travail, réception et démarchage de la clientèle, participation directe à la conception et à l'élaboration des produits, participation aux décisions engageant l'exploitation, etc.). Bien entendu, ces tâches peuvent faire l'objet d'une répartition entre les associés, et il n'est donc pas nécessaire que chacun d'eux accomplisse l'ensemble des actes et diligences caractérisant la profession exercée par la société.
8.- La jurisprudence n’est pas en reste. Cette dernière a également pu apporter des précisions.
À titre d’exemple [3], un associé majoritaire, unique gérant détenant seul le pouvoir de diriger la société et de l’engager, pourra être considéré exerçant son activité professionnelle au sens de l’article 151 nonies, I du CGI. Il y a une forme de présomption. Celle-ci est loin d’être anodine dans la mesure où au cas d’un associé unique gérant de la société, l’existence d’un mandat de gestion ne permet pas d’écarter la participation effective[4].
9.- Quid de l’associé salarié ? Celui-ci peut-il être qualifié d’exploitant ? Quelle doit être la nature de ses fonctions ? Doit-il s’agir de fonction de direction ou de simples tâches d’exécution peuvent-elles suffire ?
B. L’associé salarié peut être exploitant au sens de l’article 151 nonies I du CGI
10.- Cette question n’est nouvelle. Le Conseil d’État [5] a déjà eu l’occasion d’y apporter une réponse explicite, et favorable au contribuable souhaitant bénéficier des régimes d’exonération des plus-values professionnelles.
Dans cette affaire, il s’agissait de vignerons exerçant leur activité dans le cadre d’une société civile d’exploitation viticole (SCEV). Cependant, à la différence de son mari, madame n’était pas gérante, mais seulement associée salariée de cette société.
Elle exerçait des tâches administratives.
Elle avait cédé ses titres.
La question portait sur l’application du régime des plus-values, et la qualification de Madame d’associé exploitant au regard de l’article 151 nonies I du CGI.
11.- Le Conseil d’État apporte ici une réponse explicite sur plusieurs points : « Mais considérant qu'il ressortait des pièces du dossier soumis aux juges du fond, notamment des termes non contestés d'un contrat de travail conclu entre l'intéressée et la société, que Mme B...accomplissait régulièrement pour la société, à hauteur de dix-huit heures par semaine, des tâches consistant notamment en l'accueil téléphonique de la clientèle, l'accueil des clients à la propriété, la réception des commandes, la préparation des livraisons et le suivi des règlements ; qu'au demeurant, la rémunération perçue par Mme B...en contrepartie de la réalisation de ces tâches ne constituait pas, au regard de la loi fiscale, une charge déductible des bénéfices de la société mais devait être regardée, conformément aux dispositions combinées des articles 8, 34 et 60 du code général des impôts, comme une modalité particulière de répartition des bénéfices sociaux, convenue entre les associés et complétant sur ce point les stipulations des statuts ; que, dès lors, en jugeant que les modalités de participation de Mme B... à l'activité sociale ne caractérisaient pas l'exercice d'une activité professionnelle, au sens des dispositions du I de l'article 151 nonies cité ci-dessus, la cour a donné aux faits soumis à son appréciation une qualification juridique inexacte ».
12.- L’associé salarié peut être qualifié d’associé exploitant au regard de l’article 151 nonies, I du Code général des impôts. Le contrat de travail peut porter sur des tâches d’exécution. Il n’est pas obligatoire que celui-ci porte sur des tâches de direction. On relèvera ici le nombre d’heures par semaine, 18 heures en l’occurrence. Certains conseils ont depuis cet arrêt pu établir une véritable ligne de démarcation entre les contrats présentant au moins 18 heures, et les autres. Les premiers permettant de bénéficier de la qualification d’activité professionnelle, les autres non.
13.- On arguera en ce sens, que la rédaction de l’article 151 nonies, I du CGI n’exige pas que l’associé exerce obligatoirement une fonction de direction au sein de la société de personnes. Il doit exercer son activité professionnelle. Il n’y a d’ailleurs pas de lien spécifique effectué par l’article 151 nonies, I du CGI avec d’autres branches du droit.
14.- Dans le cadre de l’arrêt rendu par le Conseil d’État, ce 30 avril 2024, cette question était également posée. Dans cette affaire, l’EARL avait été créé en 1997. Cette société avait cédé en 2012 des éléments d’actifs. Madame n’était visiblement pas salariée de la société auparavant. Elle l’est devenue le 7 décembre 2011. Elle exerçait, à raison de 14 heures par semaine, en qualité d’ouvrier d’exécution. Ses missions consistaient à participer aux travaux de l’élevage porcin et occasionnellement au travail administratif.
Là encore, le Conseil d’État confirme que l’associé salarié réalisant des tâches d’exécution peut être un associé exploitant au sens de l’article 151 nonies I du Code général des impôts.
Sur ce point, le Conseil d’État s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence précédente. « Il n’y a rien de nouveau sous le soleil ».
15.- À noter une différence entre les deux affaires, le nombre d’heures hebdomadaires qui est plus faible dans l’affaire du 30 avril 2024. Cette première étape étant franchie, Madame relevait ainsi de l’article 70 du Code général des impôts. Il restait donc à vérifier les conditions d’application et d’articulation avec l’article 151 septies du CGI.
II. Appréciation du seuil de chiffre d’affaires et nécessité d’une antériorité de deux ans
16.- Afin de pouvoir bénéficier d’une exonération des plus-values professionnelles, la moyenne de chiffre d’affaires doit être inférieure à 350 000 euros. Entre 350 000 euros et 450 000 euros, l’exonération est partielle.
Le montant des recettes annuelles s'entend de la moyenne des recettes, appréciées hors taxes, réalisées au titre des exercices clos, ramenées le cas échéant à douze mois, au cours des deux années civiles qui précèdent la date de clôture de l'exercice de réalisation des plus-values. Si pour l’associé exploitant, il convient de raisonner par rapport à la quote-part de chiffre d’affaires, pour l’associé non exploitant c’est le chiffre d’affaires de la société qu’il convient de retenir.
A. La confirmation d’une antériorité minimum de deux ans comme associé exploitant
17.- L’une des questions posées par l’arrêt rendu le 30 avril 2024 consiste à savoir durant combien de temps, l’associé doit avoir été exploitant avant la cession des éléments d’actif.
Doit-il avoir été durant la période de référence associé exploitant ?
18.- Cette question avait déjà été posée par le passé au Conseil d’État. Là encore, cette question et la réponse apportée ne sont pas nouvelles. En effet, dans le cadre d’un arrêt [6] en date du 19 décembre 2018, le juge de l’impôt a précisé : « Il résulte de ces dispositions que l'associé d'une société civile agricole qui n'a pas exercé, pendant la période de référence définie au premier alinéa du IV de l'article 151 septies du code général des impôts, d'activité agricole au moyen des éléments d'actif dont la cession est à l'origine de la plus-value ne peut pas être regardé comme ayant exercé une activité dont les recettes annuelles, calculées conformément aux dispositions du second alinéa de l'article 70 du même code, sont inférieures aux seuils prévus au II de l'article 151 septies du code général des impôts ».
19.- Dans le cadre de cette affaire, les associés avaient acquis les titres d’un GAEC le 9 mars 2010 et réalisé des cessions d’actifs au titre de l’exercice clôturant le 31 mars 2010. Ils n’avaient donc pas les cinq ans d’antériorité et encore moins les deux ans. Cependant, ils se retranchaient notamment derrière la doctrine administrative [7] qui permet d’apprécier la durée de cinq ans par rapport à la société. Cependant, celle-ci n’apporte pas de précisions concernant l’appréciation du chiffre d’affaires.
Les conclusions de la rapporteure publique Emmanuelle Cortot-Boucher permettent de comprendre que le délai de deux ans pour l’appréciation du seuil de chiffre d’affaires, est inclus dans le délai de cinq ans.
En d’autres termes, il est impératif que l’associé ait exercé à minima durant les deux exercices précédents son activité à titre professionnelle. À défaut, la condition de chiffre d’affaires ne peut pas être considérée comme remplie.
20.- Cet arrêt pose de nombreuses questions pour les praticiens. Notamment, comment apprécier ce délai de deux ans, en cas d’apport en société ?
Comment apprécier ce délai de deux, lorsqu’un associé non exploitant devient exploitant ?
21.- L’arrêt du 30 avril 2024 répond clairement à cette question. En cas de passage d’un statut d’associé non exploitant à un statut d’associé exploitant, afin de remplir la condition de chiffre d’affaires, il faut que l’associé ait été à minima exploitant au sens de l’article 151 nonies I du CGI, durant une période de deux ans.
À défaut, la condition n’est pas remplie.
C’est la situation de Madame qui visiblement était associée dans la société antérieurement, et est devenu associé exploitant le 7 décembre 2011, alors que la cession des actifs a été effectuée en 2012. Ayant moins de deux ans d’ancienneté en tant qu’associé exploitant, la condition de chiffre d’affaires n’est pas respectée.
22.- Il faut donc réfléchir à deux fois avant d’opérer la bascule de l’associé exploitant vers l’associé non exploitant.
On peut se demander si ce positionnement, n’est pas susceptible de créer des difficultés d’application de la condition quinquennale de détention des titres, puisque dans certains cas, notamment d’apport, l’administration fiscale accepte la reprise de l’antériorité [8].
B. Quelle appréciation du délai de cinq ans ?
23.- La doctrine administrative spécifique aux bénéfices agricoles précise : « En cas de cession par une société ou un groupement soumis à l'impôt sur le revenu, le délai de cinq ans s'apprécie à compter du début effectif d'activité de la personne morale ou du groupement et s'achève à la date de clôture de l'exercice ou à la fin de la période d'imposition au titre duquel ou de laquelle la plus-value nette est déterminée […]. Ces modalités de décompte du délai de cinq ans s'appliquent également aux plus-values réalisées par les sociétés civiles agricoles relevant des dispositions de l'article 70 du CGI […]. Lorsque la société ou le groupement ne respecte pas la condition relative à la durée d'activité, cette condition peut être appréciée en fonction de la situation de chacun des associés qui exercent leur activité professionnelle dans la société ou le groupement, visés au deuxième alinéa de l'article 70 du CGI. Le point de départ du délai de cinq ans s'entend alors de la date de création ou d'acquisition de l'exploitation agricole individuelle apportée à la société ou au groupement qui réalise la plus-value ».
24.- Ainsi, la doctrine administrative semble permettre d’apprécier le délai de cinq ans au niveau de la société. Le Conseil d’État relève que ces énonciations comportent une interprétation différente de la loi fiscale.
25.- Le Conseil d’État considère que l’ensemble des conditions posées par l’article 151 septies du CGI, au cas de l’associé exploitant relevant de l’article 70 du CGI, s’apprécient « au niveau de chacun des associés exerçant, dans le cadre de la société en cause, une activité professionnelle agricole au sens de l'article 151 nonies du même Code ».
Là encore, le Conseil d’État semble opérer une démarcation entre le passage d’associé non exploitant à associé exploitant pour l’appréciation de la condition de durée.
La rédaction de l’arrêt invite à considérer que l’antériorité précédente n’est pas reprise, même si cela peut se comprendre dans une logique qui voudrait que les délais de 2 ans et de 5 ans forment un tout.
26.- Cela pose bien évidemment la question de l’application de l’article 151 septies du CGI dans l’hypothèse où le délai de 2 ans est respecté mais pas le délai de cinq ans. La rédaction de l’arrêt laissera dubitatif, même si on peut penser que la réponse est négative : « Il résulte de ce qui a été dit aux points 6 et 7 ci-dessus que Mme A... ne remplissait pas les conditions posées par la loi fiscale pour bénéficier, à raison de sa quote-part de la plus-value en litige, de l'exonération prévue par l'article 151 septies du code général des impôts ».
De même, est-il possible de ne pas raisonner sur le fondement de l’article 70 du CGI pour l’associé exploitant, et de rester sur l’application unique de l’article 151 septies du même Code, comme ce qu’a pu faire l’administration fiscale dans cette affaire, qui avait considéré qu’il convenait de raisonner au niveau de la société.
27.- Autant de questions dont le praticien attendra avec impatience quelques éléments de réponses de la part du juge de l’impôt.
[1] CGI, art. 151 nonies N° Lexbase : L9116LKT.
[2] BOI-BIC-RICI-10-10-20-50 n° 160, publié le 6 juillet 2016 [en ligne].
[3] CE 3° et 8° ssr., 8 mars 2002, n° 225151 N° Lexbase : A4096AYD.
[4] CE 9° et 10° ssr., 28 décembre 2012, n° 340135 N° Lexbase : A6824IZR.
[5] CE 9° et 10° ch.-r., 8 juin 2016, n° 381289, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7230RSL.
[6] CE 3° et 8° ch.-r., 19 décembre 2018, n° 412475 N° Lexbase : A0740YRT.
[7] BOI-BA-BASE-20-20-30-30, n° 50 N° Lexbase : X9001ALX.
[8] BOI-BIC-PVMV-40-10-10-20 n° 130, publié le 31 mars 2021 [en ligne] ; CE 3° et 8° ssr., 13 janvier 2010, n° 301985, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3286EQR
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:489576
Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 17 juin 2024, n° 474155, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A67475IQ
Lecture: 1 min
N0048B38
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Marie-Claire Sgarra
Le 24 Juillet 2024
► Les abandons de créance ne constituent pas des recettes ou autres produits devant être inclus dans les chiffres d'affaires retenus pour l'assujettissement à la taxe sur les salaires. Telle est la solution retenue par le Conseil d’État dans un arrêt du 17 juin 2024.
Les faits. À la suite d'une vérification de comptabilité d’une société portant sur les exercices clos au cours des années 2012 à 2014, l'administration fiscale a réclamé à cette société des rappels de taxe sur les salaires.
Procédure. La société Blue Solutions se pourvoit en cassation contre l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris confirmant le jugement par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande de décharge des rappels de taxe sur les salaires mis à sa charge au titre de ces deux années, ainsi que des pénalités correspondantes (CAA Paris, 15 mars 2023, n° 22PA02077 N° Lexbase : A23069IA).
Solution du Conseil d’État. En se fondant, pour rejeter la demande de décharge des rappels de taxe sur les salaires, sur la circonstance que les abandons de créance en litige constituaient des recettes, la cour administrative d'appel de Paris a commis une erreur de droit.
La société Blue est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.
Précisions. Le Conseil d'État, dans une décision du 16 avril 2012, impose à la TVA l'abandon de créance, après l'avoir qualifié de complément de prix (CE 10° et 9° ssr., 16 avril 2012, n° 323232, inédit au recueil Lebon [LXB= A1307IKM]). |
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:490048
Lecture: 5 min
N8191BZE
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Benoît Chaffois, Maître de conférences à CY Cergy Paris université, Membre du Laboratoire d'études juridiques et politiques (LEJEP) - EA n°4458
Le 02 Août 2024
Mots-clés : avocat • personnel • cabinet • secret professionnel • élèves-avocats
Un secret.
Traditionnellement défini comme l’« obligation, pour les personnes qui ont eu connaissance de faits confidentiels dans l’exercice ou à l’occasion de leurs fonctions, de ne pas les divulguer hors les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret »[1], le secret professionnel permet d’inspirer la confiance du client, laquelle est indispensable pour le travail de l’avocat.
En l’absence de secret, les fonctions de défense et de conseil ne pourraient pas être correctement exécutées puisque le client redouterait de livrer ses informations. Pire, les autorités de poursuite pourraient interférer dans la stratégie de l’avocat, rendant ainsi la défense inefficace. On explique ainsi que les textes protègent directement[2], ou indirectement[3], le secret. Protection dont la puissance n’est pas inébranlable, comme en témoigne la distinction récemment réalisée par les juges et le législateur entre les activités de conseil et de défenses[4]. Les activités de conseil bénéficiant, sans que cela se justifie au regard du caractère absolu du secret, d’une protection atténuée dans un contexte de perquisition ou de visite domiciliaire[5].
Inspirant la confiance du client, participant de la protection des droits de la défense, le secret est, comme la récemment rappelé la Cour de cassation[6], « institué dans l'intérêt du client ayant droit au respect du secret des informations le concernant et non dans celui de l'avocat ». Ce rappel était fort logique. L’avocat n’est pas le bénéficiaire du secret, il en est le gardien. Cette qualité de gardien et non de bénéficiaire explique ainsi que l’avocat ne puisse utiliser le secret pour cacher sa participation à une infraction[7].
Plusieurs gardiens.
Une interrogation surgit alors. Si l’avocat est le gardien du secret, que doit-il faire lorsque d’autres que lui accèdent aux informations confidentielles ? Précisément, quel régime faut-il appliquer à l’égard du personnel d’un cabinet ? Ce personnel est-il lui aussi tenu au secret ? Poser cette question revient à s’interroger sur le domaine subjectif du secret. Autrement dit, à identifier les personnes tenues au secret.
D’emblée, il faut préciser que les avocats employés au sein d’un cabinet sur la base d’un contrat de collaboration libéral ou salarial sont tenus au secret. La solution est évidente puisque ces collaborateurs sont avant tout des avocats tenus par les règles propres à la profession. Reste à s’interroger sur deux autres cas, les élèves-avocat et le personnel non-avocat.
Élèves avocats.
S’agissant des élèves avocats susceptibles de réaliser un stage au sein d’un cabinet, le régime est clair. En anticipation de leur future qualité d’avocat, les élèves avocats prêtent un « petit-serment », lequel vise à ritualiser leur obligation au secret. Les élèves jurent ainsi « de conserver le secret de tous les faits et actes » dont ils auront « eu connaissance en cours de formation ou de stage ». Il n’existe donc aucun doute à l’égard des élèves avocats, ils sont soumis au secret.
Personnel non-avocat
S’agissant du personnel employé au sein d’un cabinet sans pour autant avoir la qualité d’avocat[8], au premier abord, il serait tentant de considérer que ce personnel ne devrait pas être tenu au secret professionnel puisqu’il n’a pas la qualité d’avocat. Ce serait pourtant tenir un raisonnement tout à la fois erroné et dangereux.
Erroné, car la protection des informations confidentielles s’applique au personnel non-avocat sur la base de texte à portée générale protégeant la vie privée telle que l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, lequel ne distingue pas selon la qualité du récipiendaire de l’information. Au-delà, bien que la jurisprudence n’ait pas été encore saisie de cette question, il faudrait s’interroger sur l’application de l’article 226-13 du Code pénal à l’encontre du personnel non-avocat. Le texte réprime « La révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire ». Une interprétation extensive pourrait amener à considérer que le personnel d’un cabinet, dépositaire d’une information protégé par le biais de sa profession, soit concerné par l’article 226-13.
Par ailleurs, considérer que le personnel du cabinet ne serait pas tenu au secret serait extrêmement dangereux pour l’employeur avocat, car, en tant que gardien du secret, l’avocat se doit de le faire respecter. Aussi, est-il considéré comme responsable des violations au secret commises par les personnes présentent dans les locaux de son cabinet[9].
En définitive, il n’existe aucun doute sur le fait que le personnel du cabinet soit tenu au secret, et, si le doute subsistait encore dans l’esprit du lecteur, il suffit d’invoquer l’article 11 de la convention collective nationale des avocats et de leur personnel du 20 février 1979, aux termes duquel :
« Le personnel est tenu de se conformer à la discipline, aux règles et aux usages de la profession ainsi qu'à la hiérarchie intérieure de l'étude ou cabinet.
Il doit observer la discrétion la plus absolue quant aux affaires et aux frais dont il a pu avoir connaissance en raison de ses fonctions ou même de sa simple présence à l'étude ou cabinet ; il est tenu au secret professionnel et la violation de celui-ci constitue une faute grave »[10].
[1] G. Cornu, Vocabulaire juridique de l’association Henri Capitant, 2023, PUF, V° « Secret professionnel ».
[2] Loi 31 décembre 1971, art. 66-5 N° Lexbase : L6343AGZ ; décret n° 2023-552 du 30 juin 2023 portant Code de déontologie des avocats, art. 4 N° Lexbase : L0651MIX ; C. pén., art. 226-13 N° Lexbase : L5524AIG ; RIN, art. 2 N° Lexbase : L4063IP8 ; CPP, art. préliminaire N° Lexbase : L6580IXY ; CPP, art. 56-1-2 N° Lexbase : L1316MAY.
[3] CESDH, art. 6 N° Lexbase : L7558AIR, 8 N° Lexbase : L4798AQR ; Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 47 N° Lexbase : L0230LGM ; CJUE, 8 décembre 2022, aff. C-694/20, Orde van Vlaamse Balies N° Lexbase : A02048Y9 ; CEDH, 6 décembre 2012, req. n° 12323/11 N° Lexbase : A3982IY7.
[4] Parmi une jurisprudence malheureusement en expansion : Cass. crim., 10-01-2023, n° 21-85.526, F-D, N° Lexbase : A209889L ; Cass. crim., 25 novembre 2020, n° 19-84.304, FS-P+B+I N° Lexbase : A551937K ; Cass. com., 3 mai 2012, n° 11-14008 N° Lexbase : A6622IKH. Pour ce qui est du législateur, il suffit d’évoquer l’article 56-1-2 du Code de procédure pénale.
[5] Pour un exposé critique : J. Laurent, B. Chaffois, C. Boërio, K. Moya, Déontologie de la profession d'avocat (dir. T. Revet), 7e éd., 2023, LGDJ-Lextenso, EFB, coll. « La bibliothèque de l’avocat », n°275 et s..
[6] Cass. civ. 1, 6 décembre 2023, n° 22-19.285, FS-B N° Lexbase : A6695174.
[7] Pour des développements : J. Laurent, B. Chaffois, C. Boërio, K. Moya, Déontologie de la profession d'avocat (dir. T. Revet), préc., n°293 et s..
[8] Par exemple, le personnel administratif.
[9] Cette responsabilité est d’ailleurs si puissante qu’il a été jugé qu’un avocat commettait une violation du secret professionnel pour avoir laissé un « rabatteur de clientèle » accéder aux dossiers du cabinet, étant précisé que le rabatteur n’était ni avocat, ni employé du cabinet : Cass. civ. 1, 28 avril 2011, n° 10-15.444, F-D N° Lexbase : A5370HPL.
[10] Nous soulignons.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:488191