Jurisprudence : Cass. soc., Conclusions, 10-07-2024, n° 22-19.675

Cass. soc., Conclusions, 10-07-2024, n° 22-19.675

A98936BZ

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Cass. soc., Conclusions, 10-07-2024, n° 22-19.675. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/112300753-cass-soc-conclusions-10072024-n-2219675
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AVIS ET AVIS COMPLEMENTAIRE de Mme ROQUES, AVOCATE GÉNÉRALE RÉFÉRENDAIRE

Arrêt n° 839 du 10 juillet 2024 (B+R) – Chambre sociale Pourvoi n° 22-19.675⚖️ Décision attaquée : Cour d'appel de Paris du 19 mai 2022 le comité d'établissement Service Communication aux Entreprises de l'Unité économique et sociale (UES) Orange le comité d'établissement Orange France Siège de l'UES Orange le syndicat CFE-CGC Orange C/ la SA Orange la SA Orange Caraïbes la fédération Syndicaliste Force Ouvrière de la Communication le syndicat Fédération Communication Conseil Culture CFDT la Fédération des syndicats solidaires, unitaires et démocratiques des activités postales et de télécommunications PTT la Fédération CGT des activité postales et de télécommunications ________________ Faits et procédure Les sociétés Orange et Orange Caraïbes constituent une Unité Economique et Sociale (UES). Elles emploient plus de 88.000 personnes et disposaient de 17 comités d'établissement, parmi lesquels ceux dénommés Service Communication aux Entreprises (SCE) et Orange France Siège (OFS).

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Ces deux comités d'établissement géraient directement l'activité de restauration pour les salariés et fonctionnaires de leur périmètre. Courant 2019, des négociations ont débuté en vue de la mise en place des Comités Sociaux et Economiques (CSE) au sein de l'UES 1. Dans ce cadre, un accord collectif a été régularisé le 31 mai 2019 avec certaines organisations syndicales, le syndicat CFE-CGC Orange ne l'ayant pas signé. Cet accord était relatif à la gestion de l'activité sociale et culturelle de restauration au sein de l'UES Orange. Considérant qu'il portait atteinte aux prérogatives des comités d'établissement ainsi qu'à celles des futurs CSE, les comités d'établissement SCE et OFS ainsi que l'organisation syndicale non signataire ont saisi le tribunal de grande instance de Paris aux fins d'annulation de cet accord. Dans un jugement du 5 novembre 2019, le tribunal judiciaire a, entre autres : - dit que les comités d'établissement n'avaient pas qualité pour agir en nullité de cet accord et déclaré leurs demandes irrecevables, - débouté le syndicat CFE-CGC Orange de ses demandes, - condamné in solidum les demandeurs aux dépens ainsi qu'à verser diverses sommes aux défendeurs au titre de leurs frais irrépétibles. Par arrêt en date du 19 mai 2022, la cour d'appel de Paris a confirmé le jugement, précisant que les CSE des établissements SCE et OFS venaient aux droits des comités d'établissement, et condamné in solidum les appelants aux dépens ainsi qu'au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile🏛. C'est l'arrêt attaqué. Les demandeurs au pourvoi développent deux arguments. Ils contestent l'irrecevabilité des demandes des CSE d'établissements. Ils soutiennent que ces derniers ont intérêt et qualité à agir en annulation d'un accord collectif qui porte atteinte à leurs prérogatives reconnues par la loi en matière d'activités sociales et culturelles. Ils considèrent donc que la cour d'appel a violé diverses dispositions du code du travail en jugeant le contraire. Ils critiquent également l'arrêt rendu en ce qu'il n'a pas annulé l'accord collectif du 31 mai 2019 alors même que ce dernier méconnaît les prérogatives des CSE. Ils estiment, en effet, que, puisque la loi confère aux CSE un monopole de gestion des activités sociales et culturelles, les partenaires sociaux ne peuvent négocier un accord collectif fixant les modalités de délégation de cette gestion, sans l'accord des premiers.

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14 CSE d'établissement ont été instaurés en lieu et place des 17 comités d'établissement

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Ils ajoutent que l'accord en question porte atteinte à la liberté de choix des CSE s'agissant des modalités de délégation de la gestion de l'activité de restauration et qu'il méconnaît aussi les règles de financement des activités sociales et culturelles car il fixe un taux unique pour cette activité et pour tous les établissements. En réplique, la société Orange et les organisations syndicales constituées concluent au rejet du pourvoi.

1. Discussion et avis A titre préliminaire, je ferai quelques développements sur la question de la recevabilité du pourvoi évoquée par Mme le rapporteur Ott. Elle relève dans son rapport que la déclaration de pourvoi a été faite au nom des deux comités d'établissement et de l'organisation syndicale, alors qu'à la date à laquelle cet acte a été formalisé ces comités n'avaient plus d'existence puisqu'ils avaient été remplacés par deux CSE, conformément aux dispositions transitoires de l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017🏛 relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique dans l'entreprise et favorisant l'exercice et la valorisation des responsabilités syndicales 2. Il a déjà été jugé pour la déclaration d'appel que la désignation inexacte de l'appelant pouvait : - constituer une erreur matérielle, si les autres mentions de la déclaration d'appel permettaient de le penser 3, - constituer une irrégularité de fond, sanctionnée par la nullité de l'acte 4. Je considère que le même raisonnement peut être appliqué à la déclaration de pourvoi. Dans notre espèce, il convient de relever que : - si la cour d'appel a déclaré que les CSE SCE et OFS venaient aux droits des comités d'établissement des mêmes noms, elle ne l'a fait que dans le dispositif de sa décision mais pas dans son en-tête qui mentionne les seconds, en tant qu'appelants, - la déclaration de pourvoi a repris les termes de cet en-tête, sans préciser que les CSE venaient aux droits des comités d'établissement, - le mémoire ampliatif indique que les demandeurs au pourvoi sont les deux CSE et l'organisation syndicale, - les écritures adverses mentionnent les CSE et aucune ne soulève la question de la recevabilité de la déclaration de pourvoi.

Ces dispositions figurent à l'article 9 et prévoient plusieurs délais pour la mise en place des CSE qui expiraient, pour les plus longs, au 31 décembre 2019. 2

Voir 2e Civ., 15 février 1978, pourvoi n° 76-11.284⚖️, Bulletin des arrêts Cour de Cassation Chambre civile 2 N 036 p029 a contrario : la déclaration d'appel mentionnait l'idée du fils mais toutes les autres mentions le concernaient également de sorte qu'il a été jugé qu'il ne s'agissait pas d'une erreur matérielle mais une irrégularité de fond rendant l'acte nul

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Cf. 2e Civ., 12 juin 1991, pourvoi n° 90-12.594⚖️, Bulletin 1991 II N° 178

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Il me semble donc que l'on peut considérer que les mentions de cet acte procèdent d'une erreur matérielle qui a été corrigée, certes pas par une seconde déclaration de pourvoi mais dans le mémoire ampliatif. Si la chambre ne partageait pas mon analyse, il s'agirait alors d'un vice de forme rendant la déclaration de pourvoi irrégulière pour les seuls comités d'établissement puisque nous serions en présence d'un défaut de capacité d'ester en justice. Toutefois, en vertu des dispositions de l'article 120 du code de procédure civile🏛, le juge n'est pas tenu de relever d'office ce vice de forme. Et, la chambre ne pourrait le faire d'office sans avoir recours à l'avis prévu par l'article 1015 du code de procédure civile🏛, ce qui n'a pas été fait en l'état de la procédure. J'aborderai donc le fond du dossier qui pose deux questions distinctes : l'une relative à la possibilité pour un CSE d'agir en justice pour demander la nullité d'un accord collectif auquel il n'est pas partie ; l'autre concernant la possibilité pour des partenaires sociaux de conclure un accord collectif portant sur les prérogatives propres du CSE. •

sur la possibilité pour un CSE d'agir en nullité contre un accord collectif dont il n'est pas signataire

L'article L. 2312-78 du code du travail🏛 prévoit que le CSE « assure, contrôle ou participe à la gestion de toutes les activités sociales et culturelles établies dans l'entreprise ». L'article R. 2312-35 de ce même code dresse une liste de ces activités parmi lesquelles figurent « les cantines ». Estimant que l'accord collectif du 31 mai 2019, en ce qu'il réglementait les conditions de la délégation de la gestion de l'activité de restauration d'entreprise et imposait ce mode de gestion, méconnaissait le texte précité, les deux comités d'établissement puis les deux CSE et le syndicat CFE-CGC Orange en ont demandé l'annulation. Ils reprochent aux juges du fond d'avoir déclaré les deux premiers irrecevables à agir en nullité d'un accord collectif, faute de qualité à agir. Ils estiment que, dès lors qu'un accord collectif porte atteinte aux prérogatives d'un CSE, celui-ci est en droit d'agir en nullité contre cet acte pour défendre ses droits. L'article L. 2231-1 du code du travail🏛 prévoit, dans son premier alinéa, que « La convention ou l'accord est conclu entre : - d'une part, une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives dans le champ d'application de la convention ou de l'accord ; - d'autre part, une ou plusieurs organisations syndicales d'employeurs, ou toute autre association d'employeurs, ou un ou plusieurs employeurs pris individuellement. » Puis, ce même code dispose ce qui suit : - « Les organisations ou groupements ayant la capacité d'agir en justice, liés par une convention ou un accord, peuvent intenter en leur nom propre toute action visant à

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obtenir l'exécution des engagements contractés et, le cas échéant, des dommagesintérêts contre les autres organisations ou groupements, leurs propres membres ou toute personne liée par la convention ou l'accord. » (article L. 2261-11) - « Les personnes liées par une convention ou un accord peuvent intenter toute action visant à obtenir l'exécution des engagements contractés et, le cas échéant, des dommages-intérêts contre les autres personnes ou les organisations ou groupements, liés par la convention ou l'accord, qui violeraient à leur égard ces engagements. » (article L. 2262-12), - « Il appartient à celui qui conteste la légalité d'une convention ou d'un accord collectif de démontrer qu'il n'est pas conforme aux conditions légales qui le régissent. » (article L. 2262-13), - « Toute action en nullité de tout ou partie d'une convention ou d'un accord collectif doit, à peine d'irrecevabilité, être engagée dans un délai de deux mois à compter : 1° De la notification de l'accord d'entreprise prévue à l'article L. 2231-5, pour les organisations disposant d'une section syndicale dans l'entreprise ; 2° De la publication de l'accord prévue à l'article L. 2231-5-1 dans tous les autres cas. Ce délai s'applique sans préjudice des articles L. 1233-24, L. 1235-7-1 et L. 1237-19-8 du code du travail🏛🏛🏛. » (article L. 2262-14). Il convient de préciser que les deux derniers textes ont été introduits dans le code du travail par l'ordonnance n°2017-1385 du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective. Auparavant, il n'existait pas dans ce code de texte régissant spécifiquement les actions en nullité des conventions ou accords collectifs. Pour autant, la chambre avait eu l'occasion de se prononcer sur la légalité de tels actes et d'en prononcer l'annulation. A titre d'exemples, non exhaustifs, elle avait ainsi pu déclarer nuls des conventions ou accords collectifs conclus sans respecter les règles relatives aux négociations5. Dans ces espèces, elle était saisie par une ou plusieurs organisations syndicales se plaignant du non-respect de ces règles. Dans le cadre de contentieux individuels, elle a aussi pu estimer des conventions et accords collectifs illégaux, au regard des normes constitutionnelles garantissant le droit à la santé et au repos ainsi que des normes européennes relatives au temps de travail, et déclarer, de ce fait, nulles les conventions de forfait conclues en application des premiers 6. S'agissant des comités d'entreprise ou d'établissement, la chambre avait précisé ce qui suit : 5

Voir, par exemple, Soc., 8 mars 2017, pourvoi n° 15-18.080⚖️, Bull. 2017, V, n° 46 ou Soc., 10 octobre 2007, pourvoi n° 0642.721, Bull. 2007, V, n° 156 6

Cf. pour quelques unes des nombreuses espèces Soc., 14 mai 2014, pourvoi n° 12-35.033⚖️, Bull. 2014, V, n° 121, Soc., 13 novembre 2014, pourvoi n° 13-14.206⚖️, Bull. 2014, V, n° 262 , Soc., 8 novembre 2017, pourvoi n° 15-22.758⚖️, Bull. 2017, V, n° 191 ou Soc., 17 janvier 2018, pourvoi n° 16-15.124⚖️, Bull. 2018, V, n° 2

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- « le comité d'entreprise n'a pas qualité pour intenter une action ou intervenir dans une action tendant au respect ou à l'exécution de dispositions légales ou conventionnelles, cette action étant réservée aux organisations ou groupements définis à l'article L. 22311 du code du travail » 7, - « le comité d'entreprise, dès lors qu'il était signataire de l'accord [...], avait par làmême qualité pour demander, conjointement avec les organisations syndicales signataires, son application ou l'indemnisation du préjudice résultant de son inexécution par l'employeur » 8. Ainsi, à raison du monopole de négociation des normes collectives conféré aux organisations syndicales, un comité d'entreprise ou d'établissement ne pouvait agir seul en justice pour obtenir l'exécution forcée d'une convention ou d'un accord collectif. Il pouvait toutefois agir conjointement avec les syndicats signataires pour en obtenir l'exécution, s'il était lui-même partie à l'acte. S'agissant plus spécifiquement du contentieux de la légalité d'un accord collectif, la chambre avait énoncé que : - « le comité d'établissement, qui n'était ni partie à cet accord, ni de droit partie à sa négociation, n'avait pas, quel que soit son intérêt à agir, qualité pour en critiquer la validité » 9 - « Mais attendu, qu'ayant relevé que [le Conseil supérieur consultatif des comités mixtes à la production d'Electricité de France et de Gaz de France, qui exerce au sein d'EDF et de GDF l'ensemble des attributions d'un comité d'entreprise,] soutenait, notamment, qu'il aurait dû être consulté préalablement à la signature de l'accord en cause et que l'inobservation de cette obligation légale entachait l'accord de nullité, ce dont il résultait qu'il invoquait un droit qui lui était propre, la cour d'appel en a justement déduit, qu'il avait un intérêt à agir et qualité pour ce faire »10 - « le défaut de consultation d'un comité d'entreprise préalablement à la conclusion d'un accord collectif portant sur l'une des questions soumises à l'avis de ce comité, qui peut être sanctionné selon les règles régissant le fonctionnement des comités d'entreprise, n'a pas pour effet d'entraîner la nullité d'un accord collectif d'entreprise conclu au mépris de ces dispositions et dont la validité et la force obligatoire demeurent soumises aux règles qui lui sont propres »11. Ainsi, en principe, un comité d'entreprise, ou toute institution ayant les mêmes attributions que lui, ne pouvait agir en nullité d'une convention ou d'un accord collectif ou en suspension de son application que s'il n'avait pas été consulté lors de la négociation de cet acte, alors qu'un texte imposait cette formalité. 7

Soc., 19 novembre 2014, pourvoi n° 13-23.899⚖️, Bull. 2014, V, n° 271 et Soc., 14 décembre 2016, pourvoi n° 15-20.812⚖️, Bull. 2016, V, n° 255 8

Soc., 5 juillet 2006, pourvoi n° 04-43.213⚖️, Bull. 2006, V, n° 238

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Soc., 1 juin 1994, pourvoi n° 92-18.896⚖️, Bulletin 1994 V N° 186

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Soc., 5 mai 1998, pourvoi n° 96-13.498⚖️, Bull. 1998, V, n° 219

Voir l'arrêt du 5 mai 1998 cité dans la note précédente et Soc., 19 mars 2003, pourvoi n° 01-12.094⚖️, Bulletin civil 2003, V, n° 105

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Cependant, dans cette hypothèse, s'il avait intérêt et qualité à agir, le défaut de consultation n'entachait pas l'acte contesté de nullité. C'est sur le fondement de ces jurisprudences que, dans notre espèce, les juges du fond ont estimé que les comités d'établissement n'avaient pas qualité pour agir en nullité contre l'accord du 31 mai 2019, quand bien même ils y avaient intérêt. Il ne me semble pas que cette solution soit critiquable au regard des nouvelles dispositions du code du travail, introduites par l'ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017 et des derniers arrêts rendus par la chambre en la matière. Les dispositions de l'ordonnance précitées ont été inspirées par certaines des préconisations du rapport sur « La négociation collective, le travail et l'emploi » sous la présidence de M. Combrexelle. Il y est écrit notamment ce qui suit : « 10.1. La contestation des accords En matière de négociation collective, le recours au juge devrait rester exceptionnel. On ne peut que regretter une forme de juridictionnalisation dont les organisations syndicales et professionnelles portent la responsabilité principale puisque que le juge ne peut se saisir lui-même d'une affaire. Les jurisprudences les plus polémiques de ces dernières années ont été initiées par des organisations syndicales. Pour autant, l'accord collectif n'est pas une zone de non-droit et il va de soi que le droit au recours contentieux est ouvert à toute personne ou organisation intéressée. Ce recours doit, en revanche, être organisé de façon à ce que cette source de droit réponde à l'exigence de sécurité juridique. [...] Dès lors que l'accord collectif est un acte créateur de normes juridiques, à l'instar d'un acte réglementaire pris par les pouvoirs publics, les règles qui lui sont applicables doivent s'inspirer du régime des actes réglementaires notamment en ce qui concerne les règles contentieuses. Le dépôt des accords de branches à la DGT et la déclaration des accords d'entreprise aux Direccte seraient accompagnés d'une procédure de publicité vis-à-vis des tiers. Ces formalités seraient de nature à faire courir un délai de deux mois opposable à l'action directe visant à contester devant le tribunal de grande instance la validité de l'accord. Au-delà, l'invalidité de telle ou telle clause de l'accord ne pourrait être invoquée devant le juge que par la voie de l'exception d'illégalité, à l'occasion d'un litige particulier, et à la condition que les moyens ne portent que sur le fond du droit et non sur la forme et la procédure de négociation et de signature. » Ainsi, l'introduction des articles L. 2262-13 et L. 2262-14 a été dictée par le souci de garantir une certaine sécurité juridique afin que les conventions et accords collectifs ne puissent plus être annulés, passé un certain délai. Ces textes figurent dans un chapitre du code du travail🏛🏛 traitant des « Effets de l'application des conventions et accords », et plus précisément dans une section régissant les « Actions en justice ».

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Les premières dispositions de cette section traitent des actions en justice exercées par les « organisations ou groupements ayant la capacité d'agir en justice dont les membres sont liés par une convention ou un accord » ou « Les personnes liées par une convention ou un accord ». Certes, il est vrai que les article L. 2262-13 et L. 2262-14 qui nous intéressent ne reprennent pas ces expressions mais il me semble que ces textes ne sont pas totalement indépendants et dissociables de ceux qui les précèdent. Par ailleurs, dans le cadre de l'instance pendante devant le Conseil Constitutionnel qui a donné lieu à la décision du 21 mars 201812, le Gouvernement avait présenté des observations écrites. Il avait notamment indiqué ce qui suit : « III/ Pour des raisons de sécurité juridique et de stabilité de la règle de droit, l'article L. 2262-14 du code du travail créé par l'article 4 de l'ordonnance n° 2017-1385 fixe à deux mois, au lieu de cinq ans auparavant, le délai pour engager une action en nullité de tout ou partie d'un accord collectif et les députés auteurs de la saisine y voient une violation du droit à un recours juridictionnel effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration de 1789. Mais cette critique procède, en premier lieu, d'une mauvaise interprétation des dispositions contestées. [...] Quant au fond, il y a lieu de rappeler que le délai ne s'applique qu'aux actions directes en nullité avec effet erga omnes, sans affecter d'aucune manière la possibilité pour un salarié d'invoquer à tout moment une exception de nullité (sur le caractère perpétuel de l'exception de nullité voir notamment Cass. 1ère civ., n° 94-10.812⚖️, Bull. 1995, I, n° 477 p. 330) pour écarter l'application d'une stipulation conventionnelle dans ses rapports contractuels avec l'employeur. Il convient également de relever par analogie que la contestation directe des arrêtés d'extension des accords collectifs est enfermée, devant le juge administratif, dans un délai de deux mois. S'agissant enfin des tiers, ils ne sont en tout état de cause pas recevables à engager les actions directes seules visées à l'article L. 2262-16 du code du travail. » Cette volonté de n'ouvrir la voie de l'action en nullité qu'aux parties à la négociation de la convention ou de l'accord collectif a aussi été exprimée dans l'"Étude d'impact du projet de loi d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social puisqu'il y est indiqué « Conditions de contestation d'un accord collectif au regard du régime de la preuve applicable devant le juge, aménagement des délais de recours et modulation par le juge des effets dans le temps de ses décisions : [...] Par ailleurs, préciser les délais de recours et les délais de prescription pour un recours introduit par les organisations syndicales et les organisations professionnelles permettrait de sécuriser les conventions et accords collectifs. [...] Elle pourrait s'appliquer sur le flux des nouveaux accords, dans un délai de quelques mois à compter de leur publicité, et sur le stock des accords dans un délai plus long, décompté

Décision n° 2018-761 DC du 21 mars 2018 Loi ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017🏛 d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social 12

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à partir de l'entrée en vigueur de la loi. Le recours par exception d'illégalité ne serait quant à lui pas limité. [...] » Enfin, les rédacteurs de l'ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017🏛
pouvaient infléchir ou mettre un terme à la jurisprudence de la chambre relative aux comités d'entreprise en prenant des dispositions ouvrant plus largement la voie de l'action en nullité d'un accord collectif. Pour autant, ils ne l'ont pas fait alors qu'ils ont exercé cette faculté dans d'autres hypothèses13. Il résulte de tout ceci que les dispositions du code du travail n'ouvrent pas la voie de l'action en nullité à toutes les personnes qui ont intérêt à contester la légalité d'une convention ou d'un accord collectif. Pour autant, les CSE disposent de voies de droit s'ils entendent se plaindre de l'illégalité d'un tel acte et ne se trouvent donc pas privés du droit à un recours effectif. Les décisions récentes rendues par la chambre ont permis de préciser les possibilités qui leur sont offertes. Dans un arrêt du 2 mars 202214, la chambre a énoncé, au visa des articles L. 2262-4 et L. 2231-5 du code du travail🏛🏛, que : « 7. Toutefois, dans sa décision n° 2018-761 DC du 21 mars 2018, le Conseil constitutionnel⚖️ a précisé que l'article L. 2262-14 ne prive pas les salariés de la possibilité de contester, sans condition de délai, par voie d'exception, l'illégalité d'une clause de convention ou d'accord collectif, à l'occasion d'un litige individuel la mettant en oeuvre, de sorte que l'article L. 2262-14 ne méconnaît pas le droit à un recours juridictionnel effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. 8. Eu égard au droit à un recours juridictionnel effectif garanti tant par l'article 16 de la Déclaration de 1789 que par l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, applicable en l'espèce du fait de la directive 2002/14/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2002 établissant un cadre général relatif à l'information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne, et l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales🏛, un comité social et économique est recevable à invoquer par voie d'exception, sans condition de délai, l'illégalité d'une clause d'un accord collectif aux motifs que cette clause viole ses droits propres résultant des prérogatives qui lui sont reconnues par la loi. 9. L'exception d'illégalité d'une convention ou d'un accord collectif ne relève pas des dispositions de l'article 1185 du code civil🏛. A titre d'exemple, ils ont introduit l'article L. 2262-15 qui permet au juge de moduler les effets dans le temps de l'annulation d'une convention ou d'un accord collectif alors qu'aux termes de décisions antérieures de la chambre, « un accord nul ne peut produire aucun effet » (voir par exemple Soc., 9 décembre 2014, pourvoi n° 13-21.766⚖️, Bull. 2014, V, n° 283) 13

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Soc., 2 mars 2022, pourvoi n° 20-16.002⚖️

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10. Lorsque l'illégalité de tout ou partie d'une convention ou d'un accord collectif est invoquée par voie d'exception, la durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance objet de la demande. 11. La reconnaissance de l'illégalité d'une clause d'une convention ou d'un accord collectif la rend inopposable à celui qui a soulevé l'exception. 12. C'est dès lors à bon droit que la cour d'appel a retenu, par motifs adoptés, que l'employeur ne pouvait pas se prévaloir des nouvelles dispositions de l'article L. 226214 du code du travail issues de l'ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017 instaurant un délai de recours en annulation de deux mois, dès lors que ces dispositions ne sont pas applicables lorsque l'illégalité de tout ou partie d'une convention ou d'un accord collectif est invoquée par voie d'exception. » Puis, dans une décision du 19 octobre 202215, elle a jugé, au visa des articles L. 33222 alinéas 1er et 2ème du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012🏛, L. 3322-6 du même code🏛, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007🏛 et L. 2262-14 que : « 9. Il résulte de l'article L. 2262-14 précité que le comité d'entreprise, signataire d'un accord de participation, n'est pas recevable à invoquer, par voie d'exception, l'illégalité d'une clause de cet accord. 10. L'arrêt constate que le comité d'entreprise, aux droits duquel vient le comité social et économique, est signataire de l'accord de participation du 24 juin 2013. 11. Il s'ensuit que le comité social et économique n'est pas recevable à invoquer, par voie d'exception, l'illégalité de la clause de cet accord qui, dans le silence de la loi, a déterminé le mode de calcul des capitaux propres d'une succursale française d'une société étrangère. 12. Par ce motif de pur droit après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du code de procédure civile, l'arrêt se trouve justifié. » Ainsi, le CSE ne peut agir en nullité contre une convention ou un accord collectif que s'il en est signataire. En revanche, quand il n'y est pas partie, il peut toujours en invoquer l'illégalité, par la voie d'une exception, dans le cadre d'un litige relatif à l'application de cet acte. Dans notre espèce, il est constant que les comités d'établissement n'ont été ni associés à la négociation de l'accord contesté, ni signataires. Ils ne pouvaient donc agir en nullité de cet accord. Je considère que les juges du fond ont, à juste titre, retenu qu'ils n'avaient pas qualité à agir et déclaré leurs demandes irrecevables. Je suis d'avis de rejeter le premier moyen. •

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sur la possibilité pour les partenaires sociaux de conclure un accord collectif portant sur certaines des prérogatives d'un CSE Soc., 19 octobre 2022, pourvoi n° 21-15.270⚖️

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Tous les demandeurs au pourvoi présentent des arguments relatifs à l'impossibilité pour les partenaires sociaux de conclure un accord collectif portant sur les prérogatives propres des CSE en matière d'activités sociales et culturelles. Toutefois, comme le relève Mme le rapporteur Ott, les demandes des deux CSE ayant été déclarées irrecevables, seul le syndicat, qui a été débouté de sa demande d'annulation, est recevable à présenter de tels arguments à hauteur de cassation. Le syndicat CFE-CGC Orange soutient que l'accord collectif du 31 mai 2019 est nul car les partenaires sociaux ne peuvent négocier et conclure un tel acte puisqu'il porte sur les activités sociales et culturelles qui relèvent du monopole de gestion du CSE. Il estime, en effet, que cet accord limite la liberté de gestion reconnue au CSE, par les articles L. 2312-78 et R. 2312-36 du code du travail🏛, en ce que : - il fixe les modalités de délégation de la gestion de l'activité de restauration aux entreprises de l'UES Orange, - ces modalités ont été déterminées, sans que les CSE concernés soient associés à la négociation de cet accord ou donnent leur aval sur son contenu, - il contient des dispositions qui dissuadent les CSE de conserver la gestion directe de cette activité ou de la confier à un autre organisme que l'employeur, - les modalités de financement de l'activité de restauration qui ont été prévues méconnaissent notamment les dispositions des articles L. 2312-81 et L. 2312-82 du code du travail🏛🏛. Sur les quatre arguments ainsi présentés, je ne consacrerai plus spécifiquement de développements que sur les deux premiers. Dans une troisième branche, le syndicat soutient que les juges du fond n'ont pas suffisamment caractérisé en quoi l'accord collectif ne contraindrait pas les CSE à déléguer la gestion de l'activité de restauration aux entreprises de l'UES Orange. Il reproche notamment aux juges du fond de n'avoir pas répondu à un argument qu'il a développé sur ce point. Comme le relève Mme Ott et certains mémoires en défense, il apparaît que les premiers juges, dont les motifs ont été adoptés par la cour d'appel, ont, au contraire, écarté expressément tout caractère contraignant de l'accord d'entreprise en retenant que : - celui-ci ne portait que sur « les conditions dans lesquelles la société Orange entend accepter qu'une délégation de la gestion soit opérée par les comités sociaux et économiques à son profit en matière de restauration », - il ne remettait en cause ni la compétence exclusive des CSE en la matière, ni leur liberté de choisir de déléguer ou non cette activité, - « En outre, il n'apparaît pas que le régime institué par l'accord soit dissuasif à l'égard des CSE non délégants et qu'il mette en oeuvre des règles créant une rupture d'égalité entre les salariés et les CSE. Sur ce point, la délégation de la restauration instituant un régime mutualisé disposant à ce titre d'une organisation spécifique et d'un budget spécifique, il semble légitime de réserver le bénéfice des prestations de restauration collective des restaurants Orange, de l'accès aux restaurants et titres restaurants dans un cadre conventionné aux salariés dépendant des CSE délégants, tandis que les

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salariés d'ORANGE d'un périmètre non-délégant pourront également accéder à la restauration mutualisée, sous réserve de la capacité disponible et du cadre fiscal extérieur. » Sur le caractère dissuasif tenant à la différence de traitement que l'accord opère entre les salariés relevant de CSE délégants ou les autres, la cour d'appel a ajouté que « les salariés des établissements SCE et OFS, dont les CSE ont choisi de ne pas déléguer cette restauration, ce qui relève de leur libre-arbitre, ne sont pas fondés à réclamer pouvoir prétendre au tarif subventionné des autres établissements qui ont, eux, fait le choix inverse. » Je considère que les juges du fond ont répondu par une motivation suffisante à l'argumentation développée par l'organisation syndicale. S'agissant de la quatrième branche qui porte exclusivement sur l'illégalité des modalités de financement de l'activité de restauration, telles que prévues à l'article 4 de l'accord en question, il convient de relever que les dispositions de L. 2312-81 du code du travail🏛 prévoient expressément que « la contribution versée chaque année par l'employeur pour financer les institutions sociales du comité social et économique est fixée par accord d'entreprise » sans plus de précisions. Comme cela a pu être écrit par un commentateur de ce texte, celui-ci « laisse une entière liberté à l'accord d'entreprise pour fixer le montant versé au titre des activités sociales et culturelles. [...] À titre d'exemple, les négociateurs pourront, sur le modèle de la subvention de fonctionnement, préférer la fixation d'un taux unique appliqué à la masse salariale de l'entreprise, aux effectifs, etc. Les modalités de calcul prévues par l'accord pourront être plus ou moins favorables que celles fixées par les dispositions légales. »16 Ainsi, la violation de ces dispositions ne me semble pas caractérisée. En outre, comme le souligne Mme le rapporteur Ott, seule l'illégalité d'un article est soulevée pour obtenir l'annulation de tout l'accord collectif. Or, en matière contractuelle, la nullité d'une ou plusieurs clauses n'emporte pas nécessairement la nullité de l'acte en entier17. Certes, dans ses écritures d'appel, l'organisation syndicale soutenait qu' « Il n'est ainsi nul besoin de clause d'indivisibilité dans l'accord pour constater que l'ensemble du dispositif négocié forme un tout indivisible, y compris avec son annexe, toutes les clauses contribuant à l'édification et au fonctionnement d'un ensemble global d'instances et de règles de délégation qui ne peuvent subsister isolément. » Mais, elle procédait par voie d'affirmation, sans notamment expliciter plus son propos s'agissant spécifiquement de l'article 4 contesté. Et, cet argumentaire n'est pas repris à hauteur de cassation. Article intitulé « Le budget du comité social et économique » de M. Vincent Roche, La Semaine Juridique Social n° 20, 22 Mai 2018, 1159

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En vertu des dispositions de l'article 1184 du code civil🏛

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Je pense donc que cet argument ne saurait prospérer. Il reste à trancher la question de la légalité de l'accord collectif au regard des dispositions relatives aux attributions du CSE en matière d'activités sociales et culturelles. Les partenaires sociaux pouvaient-ils conclure, sans l'assentiment du CSE, un accord collectif définissant les modalités de délégation de gestion d'une des activités relevant du monopole du celui-ci ? Le code du travail prévoit, entre autres, que : - la négociation collective peut porter sur « l'ensemble [des] conditions d'emploi, de formation professionnelle et de travail [des salariés] ainsi [sur] leurs garanties sociales. » (article L. 2221-1), - « Une convention ou un accord peut comporter des stipulations plus favorables aux salariés que les dispositions légales en vigueur. Ils ne peuvent déroger aux dispositions qui revêtent un caractère d'ordre public. » (article L. 2251-1). L'article L. 2312-78 de ce même code dispose ce qui suit : « Le comité social et économique assure, contrôle ou participe à la gestion de toutes les activités sociales et culturelles établies dans l'entreprise prioritairement au bénéfice des salariés, de leur famille et des stagiaires, quel qu'en soit le mode de financement, dans des conditions déterminées par décret en Conseil d'Etat. Ce décret détermine notamment les conditions dans lesquelles les pouvoirs du comité peuvent être délégués à des organismes créés par lui et soumis à son contrôle, ainsi que les règles d'octroi et d'étendue de la personnalité civile des comités sociaux et économiques et des organismes créés par eux. Il fixe les conditions de financement des activités sociales et culturelles. » Enfin, en vertu des dispositions de l'article R. 2312-36, « Le comité social et économique assure la gestion des activités sociales et culturelles qui n'ont pas de personnalité civile, à l'exception des centres d'apprentissage et de formation professionnelle. Quel que soit leur mode de financement, cette gestion est assurée : 1° Soit par le comité social et économique ; 2° Soit par une commission spéciale du comité ; 3° Soit par des personnes désignées par le comité ; 4° Soit par des organismes créés par le comité et ayant reçu une délégation. Ces personnes ou organismes agissent dans la limite des attributions qui leur ont été déléguées et sont responsables devant le comité. » Ainsi, les textes relatifs au CSE, qui reprennent peu ou prou ceux qui concernaient les comités d'entreprise, ne prévoient pas expressément la possibilité pour les partenaires sociaux de conclure un accord collectif portant sur la délégation de la gestion des activités sociales et culturelles, contrairement aux dispositions sur la contribution de

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l'employeur au financement de ces activités ou la répartition des compétences entre CSE central et CSE d'établissement18. Toutefois, il me semble que les textes généraux sur la négociation collective ne la prohibent pas non plus, dès lors que cet accord ne déroge pas à des dispositions d'ordre public. La chambre a déjà rappelé, à plusieurs reprises, que le comité d'entreprise, et désormais le CSE, dispose d'un monopole de gestion de ces activités19, droit qui est d'ordre public. Il me semble donc que les juges du fond ne sont pas critiquables en ce qu'ils ont admis, par principe, la possibilité pour les partenaires sociaux de conclure un accord collectif portant sur les activités sociales et culturelles gérées par les CSE. Ils ont ensuite examiné les termes de l'accord pour déterminer s'il portait ou non atteinte à ce monopole. Les premiers juges ont retenu notamment ce qui suit : - « l'accord du 31 mai 2019 définit les conditions dans lesquelles la société Orange entend accepter qu'une délégation de gestion soit opérée par les comités sociaux et économiques à son profit en matière de restauration. » - « cet accord prévoit les modalités selon lesquelles les comité sociaux et économiques pourront déléguer l'activité de restauration aux sociétés de l'UES Orange. L'organisation de cette délégation est précisément définie dans l'accord collectif et les CSE conservent leur mission de définition de la politique de restauration et de contrôle sur la gestion du délégataire. » - « Si le préambule précise que “le dispositif de délégation défini par le présent accord constitue le mode exclusif de gestion déléguée pouvant être mis en oeuvre en matière de restauration", cela concerne uniquement la délégation au profit des sociétés de l'UES Orange, “qui ne sont nullement tenues d'engager des négociations spécifiques issues de CSEE souhaitant bénéficier de mécanismes de délégation dérogatoires par rapport au présent accord". Dès lors, conformément aux dispositions de l'article R.2312-36, les CSEE peuvent valablement décider de déléguer l'activité de restauration à une autre personne morale ou à un autre organisme qu'ils entendent créer, ou bien conserver la gestion des activités de restauration. L'accord collectif rappelle également dans son article 3 la liberté des CSE de choisir de déléguer ou de ne pas déléguer la restauration aux sociétés de l'UES Orange (“les CSE qui le souhaitent délèguent la gestion et le budget de la restauration dans le cadre d'une convention de la délégation...”), mais aussi I'autonomie afférente à une gestion non déléguée (article 3.2.1). De même, les CSEE disposent de la possibilité de dénoncer une convention de délégation de gestion aux termes de l'article 3.2.2, sous certaines conditions qui apparaissent justifiées par l'équilibre financier de l'activité de restauration. »

En vertu, respectivement, des articles L. 2312-81 et L. 2316-23 du code du travail🏛, les partenaires sociaux peuvent conclure des accords collectifs sur ces deux thématiques.

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Voir en ce sens Soc., 30 mars 2010, pourvoi n° 09-12.074⚖️, Bull. 2010, V, n° 81 et Soc., 21 septembre 2016, pourvoi n° 14-25.847⚖️, Bull. 2016, V, n° 174

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Ils ont donc considéré que l'accord collectif a pour seul objet de déterminer les modalités selon lesquelles l'employeur, plus précisément les sociétés composant l'UES qui nous intéresse, acceptera une délégation de l'activité de restauration d'entreprise par un ou plusieurs CSE de cette unité. Ils ont également relevé qu'aux termes du préambule, l'objectif de cet accord est de mutualiser les ressources et moyens dédiés à cette activité de restauration « afin de favoriser un traitement homogène et équitable » de cette prestation à destination des salariés. Et, parce que cela était en débat devant eux, les juges du fond ont relevé que les modalités de cette gestion déléguée permettent un contrôle par les CSE délégants. Les premiers juges ont donc estimé que la liberté de choix des modalités de gestion offerte au CSE par l'article R. 2312-36 précité était préservée et, par là même, son monopole de gestion de l'activité de restauration. La cour d'appel a implicitement adopté ces motifs et a estimé qu'aucune disposition d'ordre public n'avait été méconnue. Il me semble que les juges du fond ont suffisamment caractérisé en quoi les prévisions de l'accord collectif du 31 mai 2019 ne portaient pas atteinte au monopole du CSE. Par ailleurs, il n'est, à aucun moment, soutenu que les juges du fond auraient dénaturé l'accord collectif en question. Je considère donc que les arguments développés par l'organisation syndicale ne peuvent prospérer et je suis au rejet du second moyen. Pour toutes ces raisons, je suis d'avis de rejeter le pourvoi.

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AVIS COMPLÉMENTAIRE DE Mme ROQUES Il est renvoyé à l'avis initial tant pour l'exposé des faits et de la procédure que pour les développements relatifs au second moyen présenté par les demandeurs au pourvoi. Par ailleurs, les développements ci-après viennent compléter ceux déjà faits dans ce même avis s'agissant du premier moyen qui pose la question de la recevabilité d'un comité social et économique (CSE) à agir en nullité d'un accord collectif auquel il n'était pas partie. Il convient simplement de rappeler que les juges du fond ont déclaré les deux CSE concernés irrecevables faute de qualité à agir. A titre liminaire, je ferai quelques rappels généraux s'agissant des organisations syndicales et des CSE. L'article L. 2131-1 du code du travail🏛 prévoit que « Les syndicats professionnels ont exclusivement pour objet l'étude et la défense des droits ainsi que des intérêts matériaux et moraux, tant collectifs qu'individuels, des personnes mentionnées dans leurs statuts. » Pour leur part, conformément aux dispositions de l'article L. 2312-6 et L. 2312-8 de ce même code🏛🏛, la délégation du personnel au sein du CSE ou cette même institution exerce ses missions « au profit des salariés » ou pour « assurer une expression collective des salariés permettant la prise en compte permanente de leurs intérêts » dans le processus décisionnel de l'entreprise. Ainsi, si CSE et syndicats de salariés ont pour mission de défendre les intérêts de ces derniers, les organisations syndicales se voient conférer un domaine de compétence plus vaste puisqu'elles défendent aussi l'intérêt de la profession. Par ailleurs, le code du travail prévoit expressément que le CSE « exerce ses missions sans préjudice des dispositions relatives aux délégués syndicaux et à l'expression collective des salariés » 1. De même, les organisations syndicales de salariés « sont seules admises à négocier les conventions et accords collectifs de travail » et « Les projets d'accord collectif, leur révision ou leur dénonciation ne sont pas soumis à la consultation du [CSE] » 2. 1

Cf. Article L. 2312-11

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Il est vrai que ce monopole de participation à la négociation collective conféré aux organisations syndicales de salariés connaît des exceptions puisque le code du travail🏛
prévoit qu'en l'absence de présence syndicale au sein d'une entreprise, l'employeur peut négocier des accords collectifs avec un ou des membres de la délégation du personnel du CSE 3. Néanmoins, ces dispositions démontrent le rôle prépondérant accordé aux organisations syndicales dans la représentation et la défense des intérêts des salariés. Cette différence explique également, à mon sens, que le fonctionnement et les attributions du CSE ne relèvent pas exclusivement de dispositions du code du travail mais qu'une place ait été laissée à la négociation collective. En effet, si le code du travail prévoit des dispositions d'ordre public, il contient également nombres de textes laissant aux partenaires sociaux une marge de manoeuvre pour organiser le processus électoral des membres de la délégation du personnel au CSE et les modalités pratiques d'exercice par le CSE de ses attributions4. Ainsi, quand bien même il s'agit d'une institution autonome des organisations syndicales, le fonctionnement du CSE peut, partiellement, être organisé par l'employeur et ces dernières dans le cadre d'un accord collectif. Tous ces éléments militent, selon moi, pour ne pas traiter identiquement organisations syndicales et CSE mais surtout pour considérer que les rédacteurs successifs du code du travail ont conféré une certaine prédominance aux premières. Ces propos liminaires étant faits, j'ajouterai aux développements figurant dans mon précédent avis les arguments qui suivent. 1/ Sur l'opportunité de s'inspirer des solutions retenues par le juge administratif Comme l'a rappelé la chambre dans sa notice « relative à l'arrêt n° 131 du 31 janvier 2024 Pourvoi n° 22-11.770⚖️ », les conventions et accords collectifs ont une « double nature, réglementaire et contractuelle ».

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Voir respectivement articles L. 2132-2 et L. 2312-14 alinéa 2 du code du travail🏛🏛

Le principe est posé par le 2° de l'article L. 2232-23-1 et les articles L. 2232-24 et L. 2232-25 du code du travail🏛🏛 puis est rappelé dans des dispositions spécifiques. 3

A titre d'exemples, on peut citer l'article L. 2312-19 qui laisse la possibilité de fixer par accord d'entreprise « le contenu, la périodicité et les modalités des consultations récurrentes » ainsi que « le nombre de réunions annuelles » et le « niveau de consultation », des dispositions similaires étant prévues pour les consultations ponctuelles ; l'article L. 2312-21 relatif à l'organisation, au contenu et à l'architecture de la base de données économiques, sociales et environnementales ; l'article L. 2312-81 qui prévoit qu'un accord collectif peut fixer la contribution annuelle de l'employeur aux activités sociales et culturelles du CSE ; l'article L. 2313-2 qui prévoit que, pour la mise en place du CSE, un accord d'entreprise peut fixer le nombre et le périmètre des établissements distincts etc... 4

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Dans cette espèce, elle s'est référée aux « principes du droit administratif », et non à ceux du droit des obligations relatif aux nullités, car l' « illégalité était soulevée par un salarié auquel l'accord collectif s'applique en raison de son aspect réglementaire. » Nous sommes dans le cas de figure similaire dans notre espèce puisque les deux CSE demandeurs estiment que l'accord collectif en question leur est applicable et porte atteinte à leurs prérogatives propres, alors qu'ils n'ont été ni parties à la négociation, ni signataires de l'acte. Ils en contestent le contenu et non les conditions dans lesquelles sa négociation s'est déroulée. De ce fait, tout comme dans l'espèce qui a donné lieu à l'arrêt du 31 janvier 2024, il pourrait être envisagé de s'inspirer des solutions retenues par le juge administratif. Toutefois, cela ne me semble pas opportun au cas présent. Comme l'écrit Mme le rapporteur Ott, « la jurisprudence du Conseil d'Etat fait donc apparaître une appréciation plus large de la recevabilité à agir du comité d'entreprise » et elle cite un certain nombre de décisions en ce sens. Il convient cependant de rappeler que le recours pour excès de pouvoir est ouvert contre des décisions réglementaires unilatérales. Comme le rappelle M. Pélissier 5, « Le recours pour excès de pouvoir est recevable dès lors qu'il est dirigé contre un acte administratif, c'est-à-dire une manifestation de volonté unilatérale d'une autorité administrative modifiant l'ordonnancement juridique, quelle que soit la forme que prend cette manifestation. » Certes, il est vrai que le juge administratif a également admis qu'un tel recours pouvait être formé contre les « dispositions d'un contrat administratif ayant un caractère réglementaire » (CE 10 juillet 1996, req. n° 138536⚖️) alors qu'il ne peut être dirigé contre un contrat, ayant « un caractère exclusivement contractuel » (CE 7 mars 2005, req. n°259320⚖️). Mais, dans tous les cas, le contentieux sur la légalité ne peut porter que sur des actes ou des stipulations ayant un caractère réglementaire, c'est-à-dire des normes qui sont la manifestation de la seule volonté de l'autorité administrative. D'ailleurs, les exemples cités par Mme le rapporteur dans son rapport complémentaire ne concernent que des actes unilatéraux . En effet, les arrêts cités se prononcent sur des demandes d'annulation ou de suspension notamment de décisions ministérielles 6 ou rendues par le DIRECCTE ou le DREETS 7. 5

« Recours pour excès de pouvoir : conditions de recevabilité », répertoire de contentieux administratif, Dalloz

Comme, par exemples, la décision du 3 mars 2006 qui porte sur une demande de suspension d'une décision du ministre de l'Intérieur de confié le marché public de fourniture des passeports à une structure autre que l'Imprimerie nationale, l'arrêt du 3 mars 1993 relatif à la légalité d'une décision du Premier ministre de déplacer le siège social de la SEITA ou bien encore celui du 4 janvier 2024 tranchant la question de la légalité d'un arrêté ministériel approuvant le statut du personnel de l'Agence Française de développement, fixé par son directeur général.

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Tel n'est pas le cas des accords collectifs qui, s'ils ont des effets réglementaires, restent des actes dont le contenu a été négocié. Or, le caractère unilatéral de la norme qui peut être contestée en droit administratif a, selon moi, une incidence sur les critères de recevabilité et notamment sur la notion d' « intérêt donnant qualité à agir » 8 en annulation d'un acte. En effet, dans cette hypothèse, le recours pour excès de pouvoir revient à permettre à toute personne qui estime ses intérêts lésés d'introduire un débat contradictoire sur la légalité de cet acte et, par là même, l'éventuelle prise en compte de son point de vue. Les conventions et accords collectifs sont le résultat d'un processus de négociation, qui a déjà conduit à la confrontation des points de vue et des différents intérêts en présence. Loin de moi l'idée de soutenir qu'il ne peut y avoir de cause d'illégalité lorsque l'acte est soumis à négociation. Mais, il me semble que le processus d'élaboration des conventions et accords collectifs a tout de même une incidence et ne permet pas de transposer les solutions retenues en droit administratif à l'action en nullité contre les premiers. Et d'autant plus que, comme je l'ai indiqué en propos liminaires, le code du travail🏛
consacre dans de nombreuses dispositions l'importance accordée à la négociation collective par les organisations syndicales. En tout état de cause, je considère que les textes du code du travail induisent que le CSE ne peut agir en nullité d'un accord collectif. 2/ Sur les objectifs poursuivis par les textes sur les actions en nullité des conventions et accords collectifs La thèse développée par les demandeurs au pourvoi ne m'apparaît pas conforme à l'esprit des auteurs des textes et ni à l'objectif poursuivi de sécurisation des accords collectifs. Je renverrai aux développements faits dans mon premier avis s'agissant de l'esprit des auteurs de ces textes, tel qu'il transparaît dans les observations du Gouvernement

Voir notamment les décisions des 19 et 29 décembre 2023 qui sont relatives à des PSE établis par document unilatéral de l'employeur mais tranchent la contestation de la légalité de la décision administrative.

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Comme l'indiquait René Chapus, dans son manuel du Droit du contentieux administratif, l'intérêt donnant qualité à agir est « au tout premier rang des conditions de recevabilité ». Il s'agit l'intérêt invoqué par le demandeur qui va justifier l'exercice de son recours. « C'est de sa lésion que le requérant tire le titre juridique qui l'habilite à saisir le juge ». Il s'apprécie donc au regard de l'objet des demandes formulées. Ainsi, un usager d'un service public peut avoir intérêt à se plaindre d'une mesure d'organisation de ce service ou le propriétaire d'une parcelle peut avoir intérêt à contester le permis de construire accordée pour ériger un bâtiment sur le terrain voisin. 8

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développés devant le Conseil constitutionnel, et de la distinction qui me semble être faite entre les parties à la négociation et les tiers. D'ailleurs, la jurisprudence récente de la chambre n'écarte pas totalement cette distinction. En effet, dans son arrêt du 19 octobre 2022, déjà cité dans mon premier avis, la chambre a indiqué que : « 9. Il résulte de l'article L. 2262-14 précité que le comité d'entreprise, signataire d'un accord de participation, n'est pas recevable à invoquer, par voie d'exception, l'illégalité d'une clause de cet accord. » Elle a, se faisant, opérer la distinction entre les signataires d'une convention ou d'un accord collectif, qui doivent agir en nullité dans le délai de deux mois et sont irrecevables à invoquer l'illégalité de cet acte, ou de certaines de ces clauses, par voie d'exception, et les non-signataires qui, sont recevables à user de cette seconde voie. J'ajouterai que la lecture des textes, telle que proposée par les demandeurs au pourvoi, ne me semble pas non plus conforme aux objectifs de ces dispositions, en ce qu'elle pourrait ouvrir trop largement la voie de l'action en nullité et donc nuire à la sécurisation des conventions et accords collectifs qui était poursuivie. En effet, si l'on considère que les articles L. 2262-13 et L. 2262-14 du code du travail 9 sont indépendants de ceux qui les précèdent et figurent dans la même section10, alors l'action en nullité serait ouverte à toute personne intéressée, ce qui pourrait s'appliquer également aux salariés dès lors qu'ils agiraient pour défendre leurs droits propres. Et, dans ce cadre, ils pourraient se plaindre également des conditions de négociations de l'accord collectif, à tout le moins certaines d'entre elles, et donc obtenir non pas l'annulation d'une ou plusieurs clauses de ce texte mais bien celle de l'acte en entier11. Certes, le délai pour agir serait bref mais il n'en reste pas moins que la norme collective serait susceptible d'être contestée par un grand nombre de personnes. En outre, il me semble que cela conférerait aux non signataires de l'acte, plus de droits qu'à ceux qui l'ont signé. En effet, les premiers pourraient agir en nullité et, une fois le délai de deux mois expiré, pourraient toujours se prévaloir de l'illégalité par voie d'exception dans le cadre d'un litige relatif à l'application de cette norme. 9

Le premier texte faisant mention de « celui qui conteste la légalité d'une convention ou d'un accord collectif » tandis que le second distingue, pour le point de départ pour agir en nullité, entre les organisations syndicales disposant d'une section syndicale dans l'entreprise concernée par l'accord collectif et « les autres cas ». 10

Pour rappel, les articles L. 2262-9 et suivants font mention des membres « liés par une convention collective ou un accord »

ou des « personnes liées par une convention ou un accord ». 11

Puisqu'il pourrait notamment invoquer un défaut de compétence des signataires de l'acte en question, comme cela a été admis, par voie d'exception, dans l'arrêt du 31 janvier 2024, la chambre rappelant dans la notice que « la question de la compétence de l'auteur de l'acte attaqué relève de la légalité externe mais elle est considérée comme étant d'ordre public et comme devant être soulevée d'office par le juge ».

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En revanche, pour contester la légalité de cet acte, les signataires ne disposeraient que de l'action en nullité, enserrée dans un délai pour agir bref. Cette solution n'est pas, à mon sens, conforme à l'objectif de sécurisation des conventions et accords collectifs, au regard également de ce que j'ai exposé en propos liminaires sur le rôle des organisations syndicales et l'importance accordée à cette négociation collective. Pour toutes ces raisons, ainsi que celles développées dans mon premier avis, je suis au rejet du premier moyen.

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