Maître [V], mais rejeté le surplus de ses demandes.
Maître [V] a relevé appel de cette décision en ce qu'elle avait rejeté l'ensemble de ses demandes relatives aux heures supplémentaires, à ses conditions de travail et au harcèlement moral.
Dans ses dernières conclusions remises au greffe le 26 octobre 2023 et soutenues oralement à l'audience, Maître [V] demande à la cour de :
- infirmer la décision entreprise, sauf en ce qu'elle a constaté la privation d'effet de la convention de forfait et accueilli sa demande d'indemnité de procédure ;
statuant à nouveau,
- condamner la société à lui payer :
' un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires réalisées sur la période 2018/2021, à concurrence de :
' 27 001,41 euros brut au titre de l'année 2018
' 30 181,37 euros brut au titre de l'année 2019
' 45 123,20 euros brut au titre de l'année 2020
' 3 305,55 euros brut au titre de l'année 2021
' un rappel de contrepartie obligatoire en repos au titre des heures supplémentaires réalisées au-delà du contingent annuel sur la période 2018/2021, à concurrence de :
' 11 742,75 euros brut au titre de l'année 2018
' 13 564,33 euros brut au titre de l'année 2019
' 22 727,72 euros brut au titre de l'année 2020
' un rappel d'indemnité de congés payés tant au titre des heures supplémentaires que des contreparties obligatoires en repos à concurrence de 10 % des sommes précitées, soit 15 364,63 euros brut ;
' la somme de 41 000 euros au titre d'un travail dissimulé sur le fondement de l'
article L. 8223-1 du code du travail🏛 ;
' la somme de 20 500 euros au titre du dépassement manifeste des durées maximales du travail ;
' la somme de 13 500 euros au titre de l'atteinte à l'obligation de sécurité ;
' la somme de 13 500 euros au titre du harcèlement moral subi ;
- juger que les sommes ayant le caractère de salaire porteront intérêt au taux légal à compter du 13 mai 2022, date de la saisine du bâtonnier aux fins de conciliation, tandis que celles ayant un caractère indemnitaire porteront intérêt au taux légal à compter de la décision à intervenir ;
- condamner la société à lui payer la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens.
Maître [V] fait essentiellement valoir que son temps de travail au sein de la société a pris la forme d'un forfait annuel de 218 jours et qu'en violation de l'accord d'entreprise l'ayant institué, aucun suivi de la charge de travail n'a été opéré, de sorte que la convention de forfait annuel en jours se trouve privée d'effet.
Il ajoute qu'une telle privation d'effet justifie de lui allouer un rappel de salaires, dès lors que son temps de travail a excédé la durée légale.
Il soutient encore que les heures supplémentaires revendiquées correspondent bien à un travail commandé par la société, à tout le moins implicitement accepté. Il conteste la méthode d'évaluation du volume horaire adoptée par celle-ci, soulignant que le chiffre d'affaires qu'il a réalisé au cours de la période litigieuse conforte les heures supplémentaires réclamées.
Il poursuit en considérant que son employeur, spécialisé en droit social, ne pouvait ignorer la violation manifeste des règles du forfait annuel en jours et que les heures supplémentaires réalisées sont constitutives d'un travail dissimulé justifiant de lui allouer une indemnisation forfaitaire sur le fondement de l'article L. 8223-1 du code du travail.
Il estime que le dépassement de la durée du travail maximale qu'il a subi, de même que l'absence de suivi de sa charge de travail à l'occasion des entretiens imposés par le forfait annuel en jours, caractérisent un manquement à l'obligation de sécurité et lui ont nécessairement causé un préjudice appelant réparation.
Il termine en affirmant que les conditions de travail très dégradées qu'il a connues au sein de la société pendant plusieurs années sont constitutives d'un harcèlement moral appelant à son tour réparation.
Par conclusions remises au greffe le 13 novembre 2023 et soutenues oralement à l'audience, la société Barthélémy avocats demande à la cour de confirmer la décision entreprise, sauf en ce qu'elle l'a condamnée à verser à MaîtVe [V] une indemnité au titre de l'
article 700 du code de procédure civile🏛 et l'a déboutée de sa propre demande formée au même titre, statuant à nouveau, de condamner Maître [V] au paiement d'une indemnité de procédure au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel, ainsi qu'aux dépens.
Elle fait essentiellement valoir qu'elle a pris des mesures afin de remédier à la dégradation des relations de travail au sein du bureau de [Localité 4] et conteste que Maître [V] ait subi un harcèlement moral.
Elle reconnaît l'inexistence d'un compte rendu formel d'entretien sur la charge de travail, tel qu'imposé par l'accord d'entreprise sur le forfait annuel en jours, mais oppose à Maître [V] l'absence de tout aval sur la réalisation d'heures supplémentaires, dont elle estime qu'elles n'étaient pas davantage justifiées par les tâches confiées à l'intéressé.
Elle conteste en toute hypothèse le décompte des heures supplémentaires invoquées dont elle affirme que les éléments produits à l'appui sont insuffisamment précis pour qu'il y soit utilement répondu et considère que la charge de travail de Maître [V] était en réalité inférieure à la durée légale au regard des critères d'évaluation qu'elle avance.
Elle nie toute atteinte à l'obligation de sécurité résultant d'un dépassement de la durée maximale du travail.
Elle termine en affirmant que le travail dissimulé qui lui est reproché ne saurait exister faute d'heures supplémentaires et conclut en toute hypothèse à l'absence d'élément intentionnel.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur l'application de la convention de forfait annuel en jours
Il résulte de la combinaison des
articles L. 3121-53 à L. 3121-55 du code du travail🏛🏛 que la durée du travail peut être forfaitisée en heures ou en jours, que le forfait en jours est annuel et que la forfaitisation de la durée du travail doit faire l'objet de l'accord du salarié et d'une convention individuelle de forfait établie par écrit.
L'article L. 3121-63 du même code dispose que le forfait annuel en jours est mis en place par un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche.
Enfin, selon l'article L. 3121-64, II, l'accord autorisant la conclusion de conventions individuelles de forfait en jours détermine notamment les modalités selon lesquelles l'employeur assure l'évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié, ainsi que les modalités selon lesquelles l'employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail du salarié, sur l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sur sa rémunération ainsi que sur l'organisation du travail dans l'entreprise.
Il est constant que l'inobservation par l'employeur des clauses de l'accord collectif destinées à assurer la protection de la sécurité et de la santé des salariés soumis au régime du forfait en jours prive d'effet la convention de forfait (
Soc., 2 juillet 2014, pourvoi n° 13-11.940⚖️, pourvoi n° 13-11.940 ;
Soc., 15 décembre 2021, pourvoi n° 19-18.226⚖️), étant précisé qu'il incombe à l'employeur d'apporter la preuve qu'il a respecté les stipulations d'un tel accord collectif (
Soc., 19 décembre 2018, pourvoi n° 17-18.725⚖️).
En l'espèce, un accord d'entreprise du 20 septembre 2011 a institué le forfait annuel en jours au sein de la société.
S'agissant du contrôle des jours travaillés, l'article 5 de cet accord stipule :
De manière à suivre le nombre de jours travaillés, chaque cadre devra remplir trimestriellement le document de comptabilisation des journées ou demi-journées travaillées. Si à fin juin, le décompte fait apparaître un nombre de jours travaillés trop conséquent, il appartiendra à l'avocat responsable d'en examiner les raisons et d'adapter si besoin la charge de travail.
Dans le cadre des entretiens annuels du mois de décembre de chaque année, seront évoquées l'organisation et la charge de travail de chaque cadre, l'amplitude de ses journées de travail, le respect des différents seuils qualitatifs (durée maximale quotidienne, durée maximale hebdomadaire), l'articulation entre vie personnelle et familiale, ainsi que la rémunération. Une fiche sera établie, qui fera état des conditions de cet entretien. (Soulignement par la cour)
Ainsi qu'il a été dit, en application de l'accord précité, Maître [V] a conclu le 30 décembre 2013 une convention individuelle de forfait en jours, une telle organisation de son temps de travail ayant été reconduite lors de son engagement en qualité d'avocat salarié.
L'intéressé expose que la société n'a jamais procédé au suivi de sa charge de travail et ainsi méconnu les stipulations de l'accord collectif destinées à assurer la protection de la santé et de la sécurité des salariés soumis au régime du forfait en jours.
Si la société soutient que la question de la charge de travail de Maître [V] était abordée lors de l'élaboration du budget annuel, elle ne conteste toutefois pas l'absence de tout compte rendu formel d'entretien sur une telle question.
Dès lors que l'article 5 précité de l'accord d'entreprise prévoit l'établissement d'une fiche rendant compte de l'entretien annuel dédié à l'organisation et à la charge de travail, la société n'a pas respecté les termes de cet accord, ce qui prive d'effet la convention de forfait litigieuse.
Au regard de ce qui précède et faute pour la société de contester la décision entreprise de ce chef, celle-ci ne peut qu'être confirmée en ce qu'elle a constaté que la convention de forfait était privée d'effet.
Sur l'accomplissement d'heures supplémentaires
Il est constant que lorsqu'une convention de forfait annuel en jours est privée d'effet, le salarié concerné peut prétendre au paiement d'heures supplémentaires dont il appartient au juge de vérifier l'existence et le nombre (
Soc., 31 janvier 2012, pourvoi n° 10-19.807⚖️ ; Soc., 15 décembre 2016, pourvoi n° 14-30.062 ;
Soc., 17 février 2021, pourvoi n° 19-17.355⚖️).
Une telle vérification intervient selon les modalités prévues à l'article L. 371-4 du code du travail, dont il résulte qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, le juge formant sa conviction au vu de tels éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
En application d'une telle disposition, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande en paiement, des éléments précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, le juge évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant (
Soc., 18 mars 2020, pourvoi n° 18-10.919⚖️ ;
Soc., 27 janvier 2021, pourvoi n° 17-31.046⚖️ ;
Soc., 29 mars 2023, pourvoi n° 21-25.314⚖️ ; .
En l'espèce, Maître [V] sollicite le paiement d'heures supplémentaires qu'il estime avoir accomplies entre le 27 janvier 2018 et le 26 janvier 2021, terme de son contrat de travail, étant observé que la société n'oppose plus, en cause d'appel, la fin de non-recevoir tirée de la prescription.
Au soutien de sa demande en paiement, Maître [V] présente des éléments factuels précis quant aux heures supplémentaires alléguées, dès lors qu'il produit ses agendas de janvier 2018 à janvier 2021, de très nombreux courriels expédiés à des fins professionnelles pendant cette période et un relevé hebdomadaire des heures travaillées.
Les agendas et courriels produits témoignent de l'activité qui fut celle de Maître [V] au sein du cabinet pendant la période litigieuse, soit celle d'avocat collaborateur, puis d'avocat « associé une action » à compter du 7 décembre 2018, statut dont l'article 11 du pacte des associés précise qu'il est réservé à l'avocat ayant fait preuve de son attachement au cabinet et de son implication, un tel statut permettant d'accéder aux réunions d'associés, de bénéficier en priorité du « bonus collaborateur » et d'espérer à terme une association de plein exercice.
La société ne peut sérieusement prétendre que l'activité déployée par Maître [V] au cours de la période litigieuse n'aurait pas été acceptée, dès lors qu'elle est en rapport, d'une part, avec le niveau de chiffre d'affaires attendu de l'intéressé, chiffre d'affaires prévisionnel dont il n'est pas contesté qu'il était validé par un associé de plein exercice, d'autre part, avec les multiples responsabilités qui lui ont été confiées au sein du bureau de [Localité 4] selon la nouvelle répartition arrêtée le 3 janvier 2018 (formation et référents, développement, gestion administrative, gestion des ressources humaines, relations externes).
De même, la société ne peut être suivie lorsqu'elle affirme que Maître [V] aurait, en réalité, accompli un volume horaire inférieur à 35 heures par semaine au regard de son enveloppe de facturation. En effet, l'intéressé s'est sensiblement rapproché (en 2018 et 2020) ou a largement dépassé (en 2019) l'objectif comptable qui lui avait été fixé, dont on conçoit mal qu'il aurait pu correspondre à une activité à temps partiel, ce qui aurait été contraire à l'intérêt de la société. Il convient d'ajouter que Maître [V] participait activement à la gestion du bureau de [Localité 4], outre qu'il assurait une charge d'enseignement favorable au rayonnement du cabinet, autant d'activités chronophages qui ne génèrent aucun chiffre d'affaires.
Si la société conteste le volume horaire de certaines journées de travail, soulignant à juste titre qu'il ne faut pas confondre amplitude horaire et durée de travail effectif, elle n'apporte toutefois en retour aucun décompte précis de ce qui fut, selon elle, la durée de travail réelle de MaVtre [V].
Il se déduit de l'analyse de l'ensemble des pièces produites que celui-ci a dépassé la durée légale du travail au cours de la période litigieuse et que les heures supplémentaires qu'il a effectuées se déclinent comme suit :
' du 27 janvier 2018 au 31 décembre 2018 : 193 heures
' du 1er janvier 2019 au 31 décembre 2019 : 335 heures
' du 1er janvier 2020 au 31 décembre 2020 : 236 heures
' du 1er janvier 2021 au 26 janvier 2021 : 15 heures
Il résulte de l'
article L. 3121-36 du code du travail🏛 qu'à défaut d'accord, les heures supplémentaires accomplies au-delà de la durée légale hebdomadaire de travail, soit 35 heures pour un salarié à temps complet, donnent lieu à une majoration de salaire de 25 % pour chacune des huit premières heures supplémentaires, les heures suivantes donnant lieu à une majoration de 50 %.
Il n'est pas contesté que les dispositions conventionnelles applicables à la société fixent à 100 % le niveau de contrepartie obligatoire au titre des heures effectuées au-delà du contingent annuel d'heures supplémentaires, lequel doit être fixé, faute d'accord collectif sur ce point, à 220 heures par salarié et par an, en application de l'
article D. 3121-24 du code du travail🏛.
Il s'ensuit que les rappels de salaire et de contrepartie obligatoire sous forme de repos dus par la société s'établissent comme indiqué ci-après, étant précisé que le salaire annuel de référence et le taux horaire retenus par l'appelant ne sont pas contestés et seront donc repris comme tels :
' du 27 janvier 2018 au 31 décembre 2018
' 193 heures x 1,25 x 36,84 euros = 8 887,65 euros
' du 1er janvier 2019 au 31 décembre 2019
' 335 heures x 1,25 x 38,95 euros = 16 310,31 euros
' outre 115 heures réalisées au-delà du contingent annuel d'heures supplémentaires, soit 115 x 38,95 euros = 4 479,25 euros
' du 1er janvier 2020 au 31 décembre 2020
' 236 heures x 1,25 x 45,05 euros = 13 289,75 euros
' outre 16 heures réalisées au-delà du contingent annuel d'heures supplémentaires, soit 16 x 45,05 euros = 720,80 euros
' du 1er janvier 2021 au 26 janvier 2021
' 15 heures x 1,25 x 45,05 euros = 844,68 euros
Ces sommes doivent être majorées de l'indemnité de congés payés dont l'assiette intègre la rémunération au titre des heures supplémentaires (
Soc., 11 juillet 2000, pourvoi n° 98-40.696⚖️) et les indemnités relatives aux contreparties obligatoires sous forme de repos en vertu de l'
article L. 3141-24, I, 3° du code du travail🏛🏛, ce qui justifie l'allocation d'une somme complémentaire de 44 532,44 euros x 10 % = 4 453,24 euros.
Par infirmation de la décision entreprise, la société sera donc condamnée à payer à Maître [V] les sommes précitées, majorées des intérêts au taux légal à compter du 13 mai 2022, date de la saisine du bâtonnier.
Sur l'atteinte à l'obligation de sécurité
' Sur le dépassement des durées maximales du travail
Il résulte de l'
article L. 3121-18 du code du travail🏛 que, sauf dérogation accordée par l'inspecteur du travail, urgence ou disposition conventionnelle contraire, la durée quotidienne de travail effectif par salarié ne peut excéder dix heures.
L'
article L. 3121-20 du même code🏛 dispose qu'au cours d'une même semaine, la durée maximale hebdomadaire de travail est de quarante-huit heures.
Enfin, il s'infère de l'article L. 3121-22 que la durée hebdomadaire de travail calculée sur une période quelconque de douze semaines consécutives ne peut en principe dépasser quarante-quatre heures.
En l'espèce, Maître [V] soutient que la durée quotidienne et hebdomadaire du travail accompli au cours de la période litigieuse a ponctuellement dépassé les seuils précités, de sorte qu'il a nécessairement subi un préjudice appelant réparation.
Il apparaît toutefois que, si l'intéressé a effectué des heures supplémentaires, le temps de travail qui en a résulté n'a jamais excédé la limite légalement admise.
' Sur l'absence de suivi de la charge de travail
Ainsi qu'il a été dit, un accord d'entreprise du 20 septembre 2011 a institué le forfait annuel en jours au sein de la société. S'agissant du contrôle des jours travaillés, l'article 5 de cet accord prévoit un entretien annuel de suivi.
En l'espèce, Maître [V] se prévaut d'une atteinte à l'obligation de sécurité procédant de l'absence de suivi de sa charge de travail.
A supposer une telle absence, celle-ci n'ouvre droit à réparation que s'il en a résulté un préjudice (
Soc., 13 avril 2023, pourvoi n° 21-20.043⚖️).
Maître [V] expose qu'en raison de la surcharge de travail consécutive à l'absence de suivi qu'il dénonce, il a subi une baisse de sa qualité de vie sur un plan personnel et professionnel.
Aucun élément produit ne vient toutefois étayer une telle dégradation, de sorte qu'aucun préjudice n'est caractérisé.
***
Il résulte de tout ce qui précède que Maître [V] doit être débouté de sa demande indemnitaire au titre de l'atteinte à l'obligation de sécurité.
Sur le travail dissimulé
Aux termes de l'
article L. 8221-5 du code du travail🏛, est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :
1° soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;
2° soit de se soustraire intentionnellement à la délivrance d'un bulletin de paie ou d'un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;
3° soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales.
En l'espèce, Maître [V] soutient que la société a mentionné sur son bulletin de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, de sorte qu'elle s'est rendue coupable de l'infraction de travail dissimulé, ce qui justifierait de lui accorder l'indemnisation prévue à l'article L. 8223-1 du code du travail, lequel prévoit qu'en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours en commettant les faits prévus à l'article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.
Il est constant que la dissimulation d'emploi salarié n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur a, de manière intentionnelle, mentionné sur le bulletin de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement effectué (
Soc., 14 octobre 2015, pourvoi n° 14-12.193⚖️ ;
Soc., 4 mars 2020, pourvoi n° 16-14.655⚖️ ;
Soc., 5 janvier 2022, pourvoi n° 20-14.927⚖️).
Au cas présent, le décompte d'heures supplémentaires effectuées par Maître [V] fait suite à la privation d'effet de la convention individuelle de forfait en jours. Or aucun élément ne vient démontrer que l'intéressé aurait, pendant l'exécution de cette convention, attiré l'attention de son employeur sur une charge de travail excessive. Il n'est pas davantage établi que celui-ci aurait eu conscience d'un volume d'activité constitutif d'un dépassement du forfait en jours. Le fait que le Document unique d'évaluation des risques professionnels de la société identifie la charge de travail excessive comme un risque professionnel ne suffit pas à établir que l'intimée aurait conçu, lors de l'établissement des bulletins de paie de Maître [V], que ceux-ci ne reflétaient pas la réalité du travail effectué par l'intéressé.
Aucune volonté de dissimulation n'étant prouvée, Maître [V] ne peut qu'être débouté de sa demande indemnitaire au titre du travail dissimulé.
Sur le harcèlement moral
Aux termes de l'
article 1152-1 du code du travail🏛, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Selon l'
article L. 1154-1 du même code🏛, lorsque survient un litige relatif à l'application de l'article 1152-1 précité, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Il en résulte que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement (
Soc., 15 novembre 2011, pourvoi n° 10-10.687⚖️ ;
Soc., 20 décembre 2017, pourvoi n° 16-21.302⚖️ ;
Soc., 5 juillet 2023, pourvoi n° 22-15.404⚖️).
En l'espèce, Maître [V] soutient avoir subi le comportement inadapté de Maître [P] [G], associé de plein exercice et responsable du bureau de [Localité 4] jusqu'à son licenciement survenu le 26 juillet 2018.
Un tel comportement inadapté se serait manifesté de la manière suivante :
- nécessité d'obtenir la signature de Maître [G] pour tout acte, y compris de la vie courante ;
- changements imposés d'avocats auprès des clients, malgré les affinités et les relations nouées avec le temps ;
- retraits de dossiers incohérents et sans information du salarié en charge du dossier ;
- rétention de nouveaux dossiers et répartition de ceux-ci à la dernière minute ;
- refus d'accès au secrétariat ;
- refus d'organiser des réunions de bureau ;
- affirmation d'une place hégémonique ;
- mesures de rétorsion et de vexation à la suite de l'obtention d'un mandat de représentant du personnel ;
- refus de participation à la rédaction d'articles ;
- refus de faire circuler les revues au sein du bureau ;
- reproches à la suite de la participation à diverses commissions internes au cabinet ;
- frein à la participation à des charges d'enseignement.
De tels reproches ne sont toutefois étayés par aucune pièce utile.
C'est ainsi que, si le courriel du 23 novembre 2015, puis celui du 3 juillet 2018, adressés par Maître [V] au comité de direction de la société, dénoncent la plupart des comportements précédemment évoqués, ils ne permettent pas d'en établir la matérialité.
De même, si la lettre de licenciement de Maître [G] fustige son comportement au sein du bureau de [Localité 4], elle s'avère néanmoins insuffisamment précise pour établir que Maître [V] en aurait été personnellement victime. Le même constat s'impose à la lecture de la lettre adressée au comité d'éthique par le comité de direction de la société aux fins d'avis consultatif avant licenciement, ledit avis n'étant pas davantage probant.
De même encore, si l'arrêt de la cour d'appel de Versailles du 4 février 2021 versé aux débats confirme le licenciement pour faute grave de Maître [G] en citant divers témoignages qui confortent l'attitude déplacée de l'intéressé au sein du bureau de [Localité 4], aucun de ceux-ci ne permet toutefois de se convaincre que Maître [V] en aurait été personnellement victime, étant observé que, si un tel arrêt évoque effectivement un management brutal (p. 8) à l'égard de Maître [V], il ne fait cependant que restituer les doléances de l'intéressé, telles que formulées dans le courriel précité du 23 novembre 2015.
Il y a lieu enfin d'indiquer que, loin de caractériser le harcèlement invoqué, la nouvelle organisation du bureau de [Localité 4] mise en oeuvre par le comité de direction à compter du 3 janvier 2018 n'a pu que favoriser la prévention des agissements de harcèlement moral, conformément aux dispositions de l'
article L. 1152-4 du code du travail🏛.
En l'état des éléments d'appréciation soumis à la cour, Maître [V] ne peut qu'être débouté de sa demande indemnitaire au titre du harcèlement allégué.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
L'issue du litige justifie que soient confirmés les chefs de la décision entreprise relatifs aux dépens et frais irrépétibles et que la société soit condamnée aux dépens d'appel ainsi qu'à payer à Maître [V] la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel, sa propre demande formée au même titre étant rejetée.