Jurisprudence : Cass. soc., 13-04-2023, n° 21-20.043, F-D, Cassation


SOC.

BD4


COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 13 avril 2023


Cassation partielle


Mme MONGE, conseiller doyen
faisant fonction de président


Arrêt n° 384 F-D

Pourvoi n° V 21-20.043


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 13 AVRIL 2023


M. [C] [U], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° V 21-20.043 contre l'arrêt rendu le 5 mai 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 6), dans le litige l'opposant à la société SGS France, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2], venant aux droits de la société SGS CTS, défenderesse à la cassation.


Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Lecaplain-Morel, conseiller, les observations de la SCP Zribi et Texier, avocat de M. [U], de la SCP Gatineau, Aa et Rebeyrol, avocat de la société SGS France, après débats en l'audience publique du 2 mars 2023 où étaient présents Mme Monge, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Lecaplain-Morel, conseiller rapporteur, Mme Cavrois, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 5 mai 2021), M. [U] a été engagé en qualité de « global key account manager » (responsable monde grands comptes) par la société SGS France, à compter du 2 avril 2012.

2. Le salarié a été licencié le 24 avril 2015.

3. Le 23 septembre 2015, il a saisi la juridiction prud'homale de demandes relatives à l'exécution et à la rupture de son contrat de travail.


Examen des moyens

Sur le deuxième moyen

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile🏛, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes au titre des heures supplémentaires, alors « qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, la charge de la preuve ne saurait peser sur le seul salarié ; qu'en énonçant que M. [Ab] indiquait avoir travaillé chaque jour sur une amplitude horaire importante, avec une pause déjeuner courte, sans produire aucun justificatif ni décompte des heures revendiquées. L'appelant verse aux débats deux attestations de proches qui indiquent qu'il leur a fait part d'une charge de travail importante et qu'il pouvait recevoir des appels téléphoniques lors des repas, en raison du décalage horaire, mais qui n'apportent pas d'élément sur l'amplitude horaire effectuée, pas plus que les horaires auxquels les mails ont été échangés et qu'il n'amenait pas d'éléments suffisants pour justifier de la réalité d'avoir effectué des heures supplémentaires, la cour d'appel, qui a, en réalité, fait peser la charge de la preuve des heures supplémentaires sur le seul salarié, a violé l'article L. 3171-4 du code du travail🏛. »


Réponse de la Cour

Vu l'article L. 3171-4 du code du travail :

6. Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail🏛, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Selon l'article L. 3171-3 du même code🏛, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016🏛, l'employeur tient à la disposition de l'inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.

7. Enfin, selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

8. Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

9. Pour débouter le salarié de sa demande en paiement d'un rappel de salaire pour heures supplémentaires, l'arrêt retient que ce dernier indique avoir travaillé chaque jour sur une amplitude horaire importante, avec une pause déjeuner courte, sans produire aucun justificatif ni décompte des heures revendiquées, qu'il verse aux débats deux attestations de proches qui indiquent qu'il leur a fait part d'une charge de travail importante et qu'il pouvait recevoir des appels téléphoniques lors des repas, en raison du décalage horaire, mais qui n'apportent pas d'élément sur l'amplitude horaire effectuée, pas plus que sur les horaires auxquels les mails ont été échangés.

10. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé le texte susvisé.


Et sur le troisième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

11. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes au titre de la méconnaissance, par l'employeur, de son obligation de sécurité et de ses demandes subséquentes, alors « qu'il résulte des énonciations de l'arrêt que l'employeur n'avait prévu d'instaurer qu'un suivi annuel du salarié pour veiller à ce que l'organisation du travail mise en place ne porte pas atteinte à sa santé, ce qui ne permettait pas de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable et à assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail de l'intéressé et qu'il n'avait même pas mis en place concrètement ce suivi ; qu'en écartant toutefois la méconnaissance d'une obligation de sécurité de résultat, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail🏛🏛, le premier dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017🏛. »


Réponse de la Cour

Vu l'article L. 4121-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017 :

12. Il résulte de ce texte que l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité envers les salariés, doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Il ne méconnaît pas cette obligation légale s'il justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.

13. Pour débouter le salarié de sa demande en paiement de dommages-intérêts au titre de la méconnaissance, par l'employeur, de son obligation de sécurité, l'arrêt relève que, si sa responsable lui a effectivement adressé de nombreux mails pour lui demander d'accomplir des tâches, les délais impartis lors des demandes initiales étaient raisonnables et que, si les messages étaient adressés à des horaires tardifs ou lors des fins de semaine, ils correspondaient au rythme de travail de sa supérieure hiérarchique et n'appelaient pas de réponse immédiate. Il ajoute que, lorsque le salarié s'est trouvé en période de congés lors de l'expédition du mail, il a bénéficié d'un délai supplémentaire pour y répondre, que les réponses n'étaient demandées dans des délais plus courts que lorsque le délai initial n'avait pas été respecté, qu'à plusieurs reprises, sa responsable avait été sollicitée directement par d'autres personnes qui lui avaient signalé une urgence ou une absence de réponse du salarié.

14. L'arrêt retient que le rythme de travail important de l'intéressé n'est pas démontré par les éléments versés aux débats et qu'à deux reprises, sa responsable lui a indiqué que, s'il n'était pas en mesure d'assurer certaines tâches, il devait le signaler, lui proposant expressément de l'aide pour son activité.

15. Il constate encore que l'employeur produit la fiche d'aptitude du médecin du travail du 23 mai 2012 et une attestation de suivi infirmier de la médecine du travail du 21 janvier 2015 qui témoignent du suivi du salarié, qu'à l'issue du dernier rendez-vous, aucune autre visite n'a été organisée et que l'employeur n'a pas été destinataire d'une information particulière de la médecine du travail. Il relève également que le salarié produit un certificat médical de son psychiatre du 9 avril 2016, indiquant qu'il est suivi pour un trouble depuis huit ans, 2006-2007, qui s'est aggravé en février 2015 et a nécessité un arrêt de travail de février à juillet 2015. Il en déduit que ce seul certificat, mentionnant un état pré-existant du salarié, ne permet pas d'imputer au comportement de l'employeur l'état de santé de l'intéressé.

16. L'arrêt conclut à l'absence de manquement imputable à l'employeur.

17. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que, contrairement à ce qu'il soutenait, l'employeur ne justifiait pas avoir mis en oeuvre des entretiens annuels au cours desquels étaient évoquées la charge de travail du salarié et son adéquation avec sa vie personnelle, le seul compte rendu d'entretien produit, en date du 26 avril 2013, dénommé « évaluation de la performance 2012 », ne contenant aucune mention relative à la charge de travail, ce dont il résultait que l'employeur avait manqué à son obligation de sécurité, la cour d'appel, à qui il appartenait de vérifier si un préjudice en avait résulté, a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

18. En application de l'article 624 du code de procédure civile🏛, la cassation prononcée sur le premier moyen entraîne la cassation, par voie de conséquence, du chef de dispositif déboutant le salarié de sa demande en paiement d'un reliquat d'indemnité conventionnelle de licenciement, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.


PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [U] de ses demandes en paiement d'un rappel de salaire pour heures supplémentaires, outre les congés payés afférents, d'un reliquat d'indemnité de licenciement et de dommages-intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, en ce qu'il le condamne aux dépens, le déboute de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile🏛 et le condamne à payer à la société SGS France une somme de 1 000 euros sur ce fondement, l'arrêt rendu le 5 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne la société SGS France aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société SGS France et la condamne à payer à M. [U] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du treize avril deux mille vingt-trois.

Agir sur cette sélection :

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.