Jurisprudence : CA Orléans, 19-12-2023, n° 21/02784, Infirmation partielle

CA Orléans, 19-12-2023, n° 21/02784, Infirmation partielle

A99632CY

Référence

CA Orléans, 19-12-2023, n° 21/02784, Infirmation partielle. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/103944540-ca-orleans-19122023-n-2102784-infirmation-partielle
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C O U R D ' A P P E L D ' O R L É A N S

CHAMBRE SOCIALE - A -

Section 2

PRUD'HOMMES

Exp + GROSSES le 19 DECEMBRE 2023 à

la

la SELARL ASTON


AD

ARRÊT du : 19 DECEMBRE 2023


N° : - 23


N° RG 21/02784 - N° Portalis DBVN-V-B7F-GOUH


DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE : Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ORLEANS en date du 22 Septembre 2021 - Section : ENCADREMENT



ENTRE


APPELANT :


Monsieur [Aa] [H]

[Adresse 2]

[Localité 3]


représenté par Me Thierry CARON, avocat au barreau d'ORLEANS


ET


INTIMÉE :


S.A.S. VARISCAN MINES

[Adresse 1]

[Localité 6]


représentée par Me Alexandre EBTEDAEI de la SELARL ASTON, avocat au barreau de PARIS


Ordonnance de clôture :


A l'audience publique du 19 Septembre 2023



Audience publique du 19 Septembre 2023 tenue par M. Alexandre DAVID, Président de chambre, et par Madame Florence CHOUVIN-GALLIARD, conseiller, ce, en l'absence d'opposition des parties, assistés lors des débats de Monsieur Jean-Christophe ESTIOT, Greffier.


Après délibéré au cours duquel M. Alexandre DAVID, Président de chambre et Madame Florence CHOUVIN-GALLIARD, conseiller, ont rendu compte des débats à la Cour composée de :


Monsieur Alexandre DAVID, président de chambre, président de la collégialité

Madame Laurence DUVALLET, présidente de chambre

Madame Florence CHOUVIN-GALLIARD, conseiller


Puis le 19 décembre 2023, Monsieur Alexandre DAVID, président de Chambre, assisté de Monsieur Jean-Christophe ESTIOT, Greffier a rendu l'arrêt par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile🏛.



FAITS ET PROCEDURE


M. [Aa] [H] a été engagé à compter du 1er février 2011 par la S.A.S Variscan Mines en qualité de directeur de l'exploration. Il avait le statut de cadre dirigeant.


Le même jour, M. [Aa] [H] a été nommé mandataire directeur général.


Le 25 juillet 2017, M. [Aa] [H] a été révoqué de ses fonctions de mandataire avec prise d'effet au 31 juillet 2017.


La relation de travail était régie par la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie du 13 mars 1972.


Le 10 juillet 2019, l'employeur a convoqué M. [Aa] [H] à un entretien préalable en vue d'un licenciement qui a été fixé au 19 juillet 2019.


Le 24 juillet 2019, l'employeur a notifié à M. [Aa] [H] son licenciement pour faute grave.


Le 31 juillet 2019, M. [Aa] [H] a contesté la rupture de son contrat de travail pour faute grave.


Par requête du 28 janvier 2020, M. [Aa] [H] a saisi le conseil de prud'hommes d'Orléans aux fins de voir reconnaître l'absence de faute grave et l'absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement, le caractère vexatoire de son licenciement, l'existence d'un harcèlement moral et de manquements de l'employeur à son obligation de sécurité et de prévention du harcèlement moral et, à titre subsidiaire, l'exécution déloyale du contrat de travail.



Par jugement du 22 septembre 2021, auquel il est renvoyé pour un plus ample exposé du litige, le conseil de prud'hommes d'Orléans a :


Dit que le licenciement pour faute grave de M. [Aa] [H] était fondé.


Ordonné le remboursement par la SAS Variscan Mines à M. [Aa] [H] de la somme de 41 589,50 euros (quarante et un mille cinq cent quatre vingt neuf euros et cinquante centimes) représentant l'indemnisation de ses frais de mission non réglés ;


Débouté M. [Aa] [H] de toutes ses autres demandes,


Débouté la SAS Variscan Mines de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile🏛,


Dit que les dépens seraient partagés par moitié entre les parties.



Le 21 octobre 2021, M. [Aa] [H] a relevé appel de cette décision.


PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES


Vu les dernières conclusions remises au greffe le 19 juillet 2022 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du Code de procédure civile🏛 et aux termes desquelles M. [Aa] [H] demande à la cour de :


Infirmer le jugement déféré en ce qu'il a :


- Dit que le licenciement pour faute grave de M. [Aa] [H] est fondé.

- Débouté M. [Aa] [H] de toutes ses autres demandes.

- Dit que les dépens seront partagés par moitié entre les parties.


Statuant à nouveau,


- Déclarer le licenciement pour faute grave dont il a fait l'objet dénué de cause réelle et sérieuse,


En conséquence,


- Déclarer que la moyenne des salaires de M. [Ab] est de 10.092 euros bruts


- Condamner la société Variscan Mines à verser à M. [Aa] [H] les sommes suivantes :


22.707 euros net au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement


30.276 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et 3.027,60 euros bruts au titre des congés payés y afférents


80.736 euros net (8 mois) à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,


50.000 euros net à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice lié au caractère vexatoire des conditions de la rupture


50.000 euros net pour harcèlement moral ou subsidiairement pour réparation du préjudice subi du fait de l'exécution déloyale du contrat de travail


50.000 euros net à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité et de prévention du harcèlement


2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,


- Ordonner à la société Variscan Mines de remettre à M. [H] sous astreinte

de 50 euros par jour et par document de retard à compter du 15ème jour suivant la décision à intervenir, l'ensemble des documents de fin de contrat rectifiés ;


- Déclarer que l'indemnité de licenciement, l'indemnité de préavis et plus généralement toutes sommes portant sur des rappels de salaire produiront intérêts au taux légal à compter de la réception par la société Variscan Mines de la convocation devant le Bureau de conciliation, lesdits intérêts étant capitalisés par année échue et produisant eux-mêmes intérêts en application de l'article 1154 du Code civil🏛 ;


Condamner la société Variscan Mines aux entiers dépens.


- Confirmer le jugement en ce qu'il a ordonné le remboursement par la SAS Variscan Mines à M. [Aa] [H] de la somme de 41 589,50 euros (quarante et un mille cinq cent quatre vingt neuf euros et cinquante centimes) représentant l'indemnisation de ses frais de mission non réglés.


En conséquence,


- Déclarer l'appel incident de la société Variscan Mines en date du 8 décembre 2021 recevable mais mal fondé.


- La débouter de son appel incident,


- Déclarer l'appel incident régularisé par les conclusions de la société Variscan Mines en date du 14 avril 2022 irrecevable


Ce faisant,


- Débouter la société Variscan Mines de sa fin de non-recevoir tenant à la prescription d'une partie de la créance de frais de mission de M. [H]


- Déclarer que la société Variscan Mines a violé le principe de l'estoppel


Ce faisant,


- La débouter de plus fort de son appel incident


- Condamner la société Variscan Mines à régler à M. [H] la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles engagés en cause d'appel.


Vu les dernières conclusions remises au greffe le 13 avril 2022 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du Code de procédure civile et aux termes desquelles la S.A.S. Variscan Mines demande à la cour de :


Confirmer le jugement en ce qu'il a :


-Dit le licenciement de M. [H] bien fondé ;


- Débouté M. [H] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions à ce

titre ;


- Débouté M. [Ab] de ses autres demandes.


Infirmer le jugement en ce qu'il a :


- Condamné Variscan Mines au paiement de la somme de 41.589,50 euros au titre du remboursement des frais professionnels


Et statuant à nouveau ;


- Débouter M. [H] de sa demande en remboursement de frais


A titre subsidiaire


-Réduire la somme due au titre du remboursement des sommes atteintes par la prescription soit 41.589,50 - 5845 euros = 35.744,50 euros et subordonner le remboursement à la production des justificatifs.


En tout état de cause


Condamner M. [H] au paiement de la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.


L'ordonnance de clôture a été prononcée le 27 juin 2023.


L'affaire, appelée à l'audience du 19 septembre 2023, y a été évoquée et mise en délibéré au 28 novembre 2023.


Le 15 novembre 2023, en application de l'article 442 du code de procédure civile🏛, les parties ont été invitées à faire connaître, par note en délibéré, leurs observations sur les moyens suivants, susceptibles d'être relevés d'office par la cour :


« Il résulte des articles L. 1121-1 du code du travail🏛 et 10, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales🏛 que sauf abus, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression, à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées. Le licenciement prononcé par l'employeur pour un motif lié à l'exercice non abusif par le salarié de sa liberté d'expression est nul (Soc., 16 février 2022, pourvoi n° 19-17.871, FS, B).


La Cour de cassation a dit pour droit (Soc., 20 avril 2022, pourvoi n° 20-10.852, FS, B) :


«  6. Selon l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière.


7. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire.


8. Il résulte de l'article L. 1121-1 du code du travail que, sauf abus, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression, à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché peuvent être apportées.


9. Si la rupture du contrat de travail, motivée par les propos tenus par le salarié, constitue manifestement une ingérence de l'employeur dans l'exercice de son droit à la liberté d'expression tel que garanti par l'article 10, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il appartient cependant au juge de vérifier si, concrètement, dans l'affaire qui lui est soumise, une telle ingérence est nécessaire dans une société démocratique, et, pour ce faire, d'apprécier la nécessité de la mesure au regard du but poursuivi, son adéquation et son caractère proportionné à cet objectif. »


M. [Aa] [H] invoque la liberté d'expression dont jouit tout salarié (conclusions, p. 13 et 14). La S.A.S Variscan Mines se prévaut quant à elle de l'obligation de discrétion stipulée dans le contrat de travail et des directives du groupe Apollo Minerals relatives à la communication (conclusions, p. 7 à 9).


1. Y-a-t-il lieu de considérer que la rupture du contrat de travail motivée par des propos imputés au salarié dans le journal Mediapart constitue une ingérence de l'employeur dans l'exercice de son droit à la liberté d'expression '


Dans ce cas, la mesure de licenciement pour faute grave était-elle nécessaire et proportionnée au regard du but poursuivi par la société '


2. Dans l'hypothèse où la cour retiendrait que la mesure de licenciement a porté une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression du salariée, y aurait-il lieu de considérer que le licenciement est nul (en ce sens, Soc., 29 juin 2022, pourvoi n° 20-16.060, FS⚖️, B et, sur la possibilité d'invoquer pour la première fois devant la cour d'appel la nullité du licenciement  (Soc., 1er décembre 2021, pourvoi n° 20-13.339, FP, B) ' ».


Le délibéré a été prorogé au 19 décembre 2023, afin de mettre les parties en mesure de faire valoir leurs observations.


Selon notes en délibéré transmises par RPVA les 1er et 11 décembre 2023, M. [Aa] [H] fait valoir que la rupture du contrat de travail, motivée par les propos qu'il a tenus constitue manifestement une ingérence de l'employeur dans l'exercice de son droit à la liberté d'expression tel que garanti par l'article 10, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.


En effet, selon lui, il faut considérer qu'est disproportionné son licenciement fondé sur la violation d'une clause de son contrat de travail dès lors que les informations qu'il a données à la presse ne résultent pas de renseignements qu'il aurait obtenus dans le cadre de ses fonctions de directeur d'exploitation. Il fait valoir qu'il n'a pas violé la clause de discrétion et de confidentialité de son contrat de travail puisqu'il s'est exprimé en qualité de représentant d'E MINES.


Il ajoute qu'aucun abus n'est caractérisé dans le cadre de l'exercice de sa liberté d'expression et qu'il ne peut faire l'objet d'un licenciement fondé sur celle-ci, un tel licenciement étant nul comme portant atteinte à une liberté fondamentale constitutionnellement garantie.


Il relève que la nullité du licenciement pour l'atteinte disproportionnée à sa liberté d'expression conduit aux mêmes fins que sa demande initiale. Dès lors, si la Cour venait à retenir que la liberté d'expression du salarié a subi une atteinte disproportionnée, par voie d'infirmation du jugement, il conviendrait de dire que le licenciement est, non pas dépourvu de cause réelle et sérieuse, mais nul.


Selon note en délibéré du 8 décembre 2023, la SAS Variscan Mines fait valoir que M. [H] était soumis, en vertu de l'article 9 de son contrat de travail, à une

obligation de discrétion et de confidentialité. Il était également tenu de respecter la politique de communication en vigueur au sein du groupe Apollo Minerals.


L'employeur expose avoir imposé des restrictions légitimes et proportionnées à la liberté d'expression du salarié, celui-ci ayant été informé de l'existence de ces restrictions et les ayant approuvées.


Il soutient par conséquent que M. [Ab] n'a pas été sanctionné pour les propos qu'iI a tenus, mais pour avoir violé (i) les procédures internes préalables à toute communication envers les médias ; (ii) son obligation de discrétion et de confidentialité ; et (iii) son engagement clair et non équivoque de respecter la politique de communication de l'entreprise. Ce comportement fautif justifie la mesure de licenciement.


En tout état de cause, selon l'employeur, si la cour d'appel entendait faire prévaloir l'exercice de la liberté d'expression sur la violation patente de ses obligations légales et contractuelles par M. [Ab], la sanction de la nullité du licenciement n'apparaît aucunement appropriée.



MOTIFS


Sur le bien-fondé du licenciement pour faute grave


Selon l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière.


L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire.


Il résulte de l'article L. 1121-1 du code du travail que, sauf abus, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression, à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché peuvent être apportées.


Si la rupture du contrat de travail, motivée par les propos tenus par le salarié, constitue manifestement une ingérence de l'employeur dans l'exercice de son droit à la liberté d'expression tel que garanti par l'article 10, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il appartient cependant au juge de vérifier si, concrètement, dans l'affaire qui lui est soumise, une telle ingérence est nécessaire dans une société démocratique, et, pour ce faire, d'apprécier la nécessité de la mesure au regard du but poursuivi, son adéquation et son caractère proportionné à cet objectif (Soc., 20 avril 2022, pourvoi n° 20-10.852, FS⚖️, B).


Il résulte des articles L. 1121-1 du code du travail et 10, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que sauf abus, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression, à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées. Le licenciement prononcé par l'employeur pour un motif lié à l'exercice non abusif par le salarié de sa liberté d'expression est nul (Soc., 16 février 2022, pourvoi n° 19-17.871, FS, B).


M. [Aa] [H], directeur de l'exploration ayant le statut de cadre dirigeant, a été licencié pour faute grave par la S.A.S Variscan Mines qui lui reproche en substance un manquement à la politique de communication de la société ainsi qu'à la clause de confidentialité contenue dans son contrat de travail.


La lettre de licenciement du 24 juillet 2019, qui fixe les limites du litige, énonce :


« Le 13 juin 2019, nous avons été informés qu'un article sur la mine de [Localité 7] avait été publié par le journal Mediapart et que vous aviez activement contribué à l'élaboration de cet article en acceptant de répondre aux questions des journalistes qui vous ont interviewé, nonobstant la politique d'information applicable au sein de la société.


A la lecture de cet article, nous avons découvert avec stupeur que vous aviez notamment allégué 'qu'il n'y avait pas lieu de s'inquiéter sur l'amiante', alors même que nous n'avons reçu à ce jour, aucune information rassurante à ce sujet, ce qui nous permettrait de 'ne pas vous inquiéter' et que nous avions lancé une étude scientifique indépendante qui, comme vous le savez, est actuellement encore en cours. »


Il est ainsi reproché à M. [Aa] [H] d'avoir enfreint la politique d'information de la société ainsi que l'obligation de confidentialité stipulée à son contrat de travail en répondant aux questions posées par des journalistes du quotidien Mediapart sur la mine de [Localité 7], située dans l'Ariège.


M. [Aa] [H] invoque la liberté d'expression dont jouit tout salarié (conclusions, p. 13 et 14 et notes en délibéré des 1er et 11 décembre 2023). La S.A.S Variscan Mines se prévaut quant à elle de l'obligation de discrétion stipulée dans le contrat de travail et des directives du groupe Apollo Minerals relatives à la communication (conclusions, p. 7 à 9 et note en délibéré du 8 décembre 2023).


La décision de l'employeur de rompre le contrat de travail est motivée par des propos tenus par le salarié à un journaliste. Elle constitue une ingérence dans l'exercice du droit du salarié à la liberté d'expression, tel que garanti par l'article 10, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.


Il appartient par conséquent à la présente juridiction de vérifier si, concrètement, dans la présente affaire, une telle ingérence est nécessaire dans une société démocratique, et, pour ce faire, d'apprécier la nécessité de la mesure au regard du but poursuivi, son adéquation et son caractère proportionné à cet objectif


Il est stipulé à l'article 9 du contrat de travail conclu le 3 février 2011 entre la SAS Variscan Mines et M. [Aa] [H] une clause de « discrétion professionnelle » ainsi libellée :


« Monsieur [Aa] [H] s'engage formellement, pendant toute la durée de son contrat et après la rupture de celui-ci, à préserver le caractère confidentiel et à ne divulguer à qui que ce soit aucuns des plans, études, conceptions, projets, réalisations étudiés dans l'entreprise.


Monsieur [Aa] [H] reconnaît que toutes les informations, relatives notamment à l'activité de la société, dont il a eu connaissance, qui pourraient être portées à sa connaissance ou dont il pourrait prendre connaissance, directement ou indirectement et de quelque façon que ce soit, notamment par l'intermédiaire des employés ou des partenaires de la société, par la lecture de documents ou par toute autre source d'informations dans le cadre de ses fonctions sont strictement confidentielles.


Cette obligation de discrétion demeurera même après la fin du présent contrat quelle qu'en soit la cause. »


Il ressort d'un courriel du 10 octobre 2018 que M. [Aa] [H] a pris connaissance et s'est engagé à respecter la politique de communication applicable au sein de la société Apollo Minerals Limited et de ses filiales dont la SAS Variscan Mines. M. [Aa] [H] indique en effet dans ce courriel «  Bien noté les décisions d'Apollo Minerals et approuvées. L'ensemble du personnel de Mines du Salat et d'E-Mines appliqueront cette stratégie à la lettre »(pièce n° 7 de l'employeur).


La politique de communication est exposée comme suit dans ce courriel émanant du directeur exécutif de la société Apollo Minerals Limited :


« Cette politique est nécessaire pour assurer le respect des règles d'admission à l'ASX et de veiller à ce que notre stratégie médiatique soit efficace et bien coordonnée.


La politique s'applique à tous les employés d'Apollo Minerals et de ses filiales, ainsi qu'à tous les consultants d'Apollo Minerals et de ses filiales.


Cette politique vise à éviter les situations où, par exemple, les médias locaux ou la population locale (en France ou en Espagne) pourraient recevoir d'importantes informations avant que le marché en général ne les reçoive via la bourse.


Ainsi, veuillez noter ce qui suit :


1. Toutes les demandes de renseignements des médias que l'entreprise ou ses consultants reçoivent doivent être immédiatement adressées à [W] [C], notre Directrice communication (...) avec notre agence de relations publiques Wellcom en copie,


2. Toutes les demandes des médias pour visiter nos bureaux ou nos opérations à [Localité 7] ou [Localité 4] doivent être adressées à [W] [C] pour approbation.


3. Les seuls représentants de la Société autorisés à faire une déclaration publique au nom de la Société sont M. [F] [K] et moi-même.


4. Une autorisation écrite préalable est requise pour que toute autre personne puisse parler aux médias et, une fois fournies, toutes les communications doivent être conformes aux instructions qui leur ont été données et uniquement dans les délais impartis. »


La SAS Variscan Mines verse aux débats un article publié le 13 juin 2019 par le journal « Mediapart » et intitulé « En Ariège, la mine de [Localité 7] en terrain miné » (pièce n° 8).


Cet article relate notamment le déroulé d'une audience qui s'est tenue le 11 juin 2019 devant le tribunal administratif de Toulouse au cours de laquelle le rapporteur public a conclu à l'annulation du permis de recherche portant sur huit minerais accordé à la SAS Variscan Mines. Il souligne que « contactée par Mediapart, la SAS Variscan Mines n'a pas souhaité s'exprimer, préférant attendre le jugement pour le faire. En revanche, [Aa] [H] a accepté de revenir sur la genèse de la demande de permis ».


Les premières phrases de l'article sont les suivantes : « Trois ans avant sa fermeture, après les signalements de mineurs atteints de troubles pulmonaires, le site avait fait l'objet d'une série de prélèvements scientifiques, qui tous avaient révélé la présence d'amiante dans l'air et dans les roches ». L'article mentionne que dans un courrier du 21 novembre 2016, la ministre de la santé a insisté sur la nécessité de conditionner l'attribution du permis à « une expertise indépendante sur le risque amiantifère » et précise que plus de deux ans après cet écrit les experts missionnés n'ont toujours pas rendu leurs conclusions. Il ajoute que pour M. [Aa] [H], « il n'y a pas lieu de s'inquiéter sur l'amiante ».  


M. [Aa] [H] a accordé un entretien à un journaliste de Mediapart, alors qu'une procédure initiée par des opposants au projet de réouverture de la mine de [Localité 7] était pendante devant la juridiction administrative, que le rapporteur public avait conclu à l'annulation du permis de recherche accordé à la SAS Variscan Mines et que celle-ci, dans ce contexte, avait fait le choix de ne pas répondre aux sollicitations de ce quotidien dans l'attente de la décision à intervenir.


Ce faisant, M. [Aa] [H] a contrevenu aux règles de communication de la société Apollo Minerals Limited qu'il s'était engagé à respecter. A cet égard, il ne peut utilement soutenir qu'il s'est exprimé pour le compte de la société E Mines. En effet, dès lors qu'il était lié par un contrat de travail avec la SAS Variscan Mines, il était tenu de se conformer la stratégie de communication appliquée par celle-ci. De surcroît, il est présenté dans l'article comme étant à l'origine de la demande de permis pour la société Variscan Mines.


Dans la lettre de licenciement, l'employeur reproche au salarié son allégation selon laquelle « « il n'y a pas lieu de s'inquiéter sur l'amiante » alors même que la société ne dispose d'aucune information rassurante sur ce sujet et qu'elle a lancé une étude scientifique indépendante qui est en cours.  


Il en découle qu'il ne peut être imputé au salarié une violation de la clause de discrétion professionnelle, qui lui interdit la divulgation à des tiers des informations dont il a connaissance, l'employeur lui faisant au contraire grief d'avoir tenu des propos imprudents car ne reposant sur aucun élément tangible.


Ainsi que l'énonce la lettre de licenciement, la politique de communication aux médias instaurée au sein de la société Apollo Minerals Limited et de ses filiales poursuit un objectif légitime puisqu'elle tend notamment à maîtriser l'image publique de la société, à éviter de porter atteinte à sa réputation, à préserver ses relations avec les institutions, les investisseurs et le public... L'employeur était donc fondé à imposer au salarié, qui avait la qualité de cadre dirigeant, des restrictions à l'exercice de sa liberté d'expression.


Cependant, il convient de relever que les propos du salarié, tels que rapportés par Mediapart, sont insérés dans un article très critique sur le projet de réouverture de la mine de [Localité 7], sur les capacités financières de Veriscan et sur les conditions dans lesquelles un permis d'exploration et de recherche a été attribué par l'Etat à cette société. L'auteur de l'article relève que M. [Aa] [H] n'a fait aucun commentaire sur le montage financier proposé par la société.


L'article relate l'existence d'amiante dans la mine et les dangers que ce minéral représente : « Présente dans les roches, lors de l'extraction par explosion du tungstène, l'amiante s'est propagée dans l'air, atteignant les poumons des mineurs ». Il fait état du combat mené par une ancienne infirmière de la mine pour que soient reconnues les maladies liées à l'amiante affectant les anciens mineurs. Evoquant un médecin qui a soigné des mineurs et qui est décrit comme « partisan de la mine », l'article ajoute « la nostalgie d'une vallée peuplée brouille parfois les esprits et le docteur [A] n'en est pas la seule victime ». Dans cette tonalité d'un article dont l'auteur a fait le choix de mettre en évidence les dangers liés à la présence d'amiante dans la mine, les propos rassurants de M. [Aa] [H], qui ne font l'objet d'aucun commentaire négatif par le journaliste, ne préjudicient nullement aux objectifs poursuivis par la SAS Variscan Mines, à savoir tirer le bénéfice du permis d'exploration et de recherche de minerais qui lui a été accordé. Ces propos ne présentent aucun caractère excessif. Ils s'inscrivent dans le cadre de ses compétences reconnues de géologue et de ses fonctions de directeur de l'exploration.


L'article fait état de la position de la Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement, selon laquelle le permis d'exploration et de recherche ne fait qu'accorder une exclusivité au porteur du dossier et n'autorise pas directement la réalisation de travaux, lesquels doivent faire l'objet de déclarations ou de demandes d'autorisation en application du code minier. Il en résulte que les propos de M. [Aa] [H] sur l'amiante ont été tenus alors que la SAS Variscan Mines n'exploitait pas la mine et n'avait reçu aucune autorisation à cette fin.


La SAS Variscan Mines invoque à raison une violation de la politique de communication en vigueur au sein du groupe auquel elle appartient. Cependant, elle ne justifie ni même n'allègue d'aucun préjudice à son image ou à ses intérêts économiques qui aurait été causé par les propos tenus par M. [Aa] [H] à un journaliste. Il n'est nullement avéré que le salarié ait communiqué une information inexacte à la presse. A cet égard, il n'apparaît pas que la SAS Variscan Mines, qui poursuit à terme le projet d'extraire des minerais de la mine de [Localité 7], ait apporté un démenti aux propos tenus par son salarié.


Il y a lieu d'en déduire que le licenciement, fondé sur non-respect de la politique d'information applicable au sein de l'entreprise et sur la violation de la clause de discrétion professionnelle insérée au contrat de travail, est une mesure disproportionnée au regard de l'objectif légitime poursuivi par l'employeur par la mise en oeuvre de sa politique de communication. Cette mesure porte par conséquent une atteinte excessive à la liberté d'expression du salarié.


Par voie d'infirmation du jugement, sans qu'il y ait lieu à examiner les autres griefs énoncés dans la lettre de licenciement, il y a lieu de dire que le licenciement est nul.


Sur les conséquences pécuniaires de la rupture


Sur l'indemnité de licenciement


Aux termes de l'article 29 de la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie du 13 mars 1972, le taux de l'indemnité de licenciement est fixé comme suit, en fonction de la durée de l'ancienneté de l'intéressé dans l'entreprise :

- pour la tranche de 1 à 7 ans d'ancienneté : 1/5 de mois par année d'ancienneté ;

- pour la tranche au-delà de 7 ans : 3/5 de mois par année d'ancienneté ;


Il y a lieu de fixer le montant de l'indemnité conventionnelle de licenciement à 22 707 euros net et d'allouer cette somme à M. [Aa] [H].


Sur l'indemnité compensatrice de préavis


En application de l'article 27 de la convention collective des ingénieurs et cadres de la métallurgie du 13 mars 1972, le délai de préavis pour un ingénieur et cadre est de trois mois.


Il y a lieu d'allouer à M. [Aa] [H] une indemnité compensatrice de préavis d'un montant égal à la rémunération qu'il aurait perçue s'il avait travaillé durant cette période.


Par voie d'infirmation du jugement, il y a lieu de faire droit à la demande de M. [Aa] [H] et de condamner la SAS Variscane Mines au paiement de la somme de 30 276 euros brut, outre 3 027,60 euros brut au titre des congés payés afférents.


Sur l'indemnité pour licenciement nul


L'article L.1235-3-1 du code du travail🏛 dispose que l'article L.1235-3 n'est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d'une des nullités prévues au deuxième alinéa parmi lesquelles figure la violation d'une liberté fondamentale.


Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.


Il y a lieu pour la Cour, compte tenu notamment des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée au salarié, de son âge, de son ancienneté au sein de l'entreprise, de sa capacité à retrouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle de condamner la SAS Variscan Mines à payer à Aa. [E] [H] la somme de 61 000 euros net à titre d'indemnité pour licenciement nul. Le jugement est infirmé de ce chef.


Sur les intérêts de retard sur les indemnités de rupture


Les condamnations au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement et de l'indemnité compensatrice de préavis porteront intérêts au taux légal à compter du 7 février 2020, date de réception par l'employeur de la convocation à comparaître à l'audience de conciliation.


Il y a lieu d'ordonner la capitalisation des intérêts, dans les conditions de l'article 1343-2 du Code civil🏛.


Sur la demande de dommages-intérêt pour licenciement vexatoire


Le licenciement peut causer au salarié un préjudice distinct de celui résultant de la perte de son emploi, en raison des circonstances brutales ou vexatoires qui l'ont accompagné.


M. [Aa] [H] réclame la somme de 50 000 euros estimant avoir été licencié dans des conditions brutales et vexatoires.


Il fait valoir que le licenciement qui lui a été notifié s'accompagne de circonstances vexatoires en ce que, d'une part ses qualités professionnelles et humaines ont été mises en doute, d'autre part que la notification de son licenciement est intervenue publiquement, la presse en ayant fait état. M. [Aa] [H] prétend également que la société Apollo a terni sa réputation dans des écrits et annonces auprès de la communauté minière internationale. Il indique aussi avoir reçu sa lettre de licenciement par courriel.


Les pièces versées aux débats par M. [Aa] [H] ne permettent pas d'établir l'existence d'une faute de la SAS Variscan Mines à l'occasion de la rupture.


La SAS Variscan Mines justifie, sans que ce comportement apparaisse fautif, avoir notifié la lettre de licenciement du 24 juillet 2019 par lettre recommandée avec demande d'avis de réception envoyée à l'adresse communiquée par Aa. [E] [H] et figurant sur ses bulletins de paie. L'intéressé n'ayant pas retiré ce pli, une copie de la lettre de licenciement lui a été transmise par courriel.


En l'absence de preuve du caractère vexatoire du licenciement de M. [Aa] [H], il y a lieu de le débouter de sa demande de dommages-intérêts. Le jugement est confirmé de ce chef.


Sur la demande d'indemnisation des frais de mission


M. [Aa] [H] allègue une violation de l'article 954 alinéa 2 du code de procédure civile🏛.


L'article 954 alinéa 2 du Code de procédure civile dispose que les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, l'énoncé des chefs de jugement critiqués, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu'un dispositif récapitulant les prétentions. Si, dans la discussion, des moyens nouveaux par rapport aux précédentes écritures sont invoqués au soutien des prétentions, ils sont présentés de manière formellement distincte.


Il apparaît que les conclusions remises au greffe le 13 avril 2022 par la SAS Variscan Mines ne respectent pas les dispositions de ce texte dans la mesure où les moyens nouveaux développés par rapport aux précédentes conclusions ne sont pas présentés de manière distincte. Cependant, la violation de cette obligation impartie aux parties n'est assortie d'aucune sanction.


M. [Aa] [H] invoque également l'irrecevabilité de l'appel incident de la SAS Variscan Mines en ce que celle-ci a soulevé tardivement une fin de non-recevoir tirée de la prescription.


En application de l'article 910-4 du code de procédure civile🏛, à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. L'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures.


Dans le dispositif de ses conclusions remises au greffe le 8 décembre 2021 aux termes desquelles elle a formé appel incident, la SAS Variscan Mines n'a soulevé aucune fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande du salarié au titre des frais de mission.


Par conséquent, la fin de non-recevoir excipée dans le dispositif des conclusions du 13 avril 2022 est irrecevable.


M. [Aa] [H] se prévaut également de ce que la SAS Variscan Mines développe en cause d'appel une argumentation contraire à celle avancée auparavant.


Le principe de droit dit de l'estoppel interdisant de se contredire au détriment d'autrui ne fait pas obstacle à ce qu'une partie développe en cours de procédure de nouveaux arguments au soutien de ses prétentions.


Le moyen tiré de l'existence d'un accord entre Variscan Mines et Ac Ad n'est pas contraire aux éléments de fait développés par l'employeur dans ses précédentes conclusions.


Il y a donc lieu d'écarter le moyen tiré de la violation du principe de l'estoppel et d'analyser l'appel incident de l'employeur sur l'indemnisation des frais de mission.


En vertu du principe selon lequel les frais professionnels engagés par le salarié doivent être supportés par l'employeur, les frais qu'un salarié justifie avoir exposés pour les besoins de son activité professionnelle et dans l'intérêt de l'employeur doivent lui être remboursés sans qu'ils puissent être imputés sur la rémunération qui lui est due à moins qu'il n'ait été contractuellement prévu qu'il en conserverait la charge moyennant le versement d'une somme fixée à l'avance de manière forfaitaire et à la condition, d'une part, que cette somme forfaitaire ne soit pas manifestement disproportionnée au regard du montant réel des frais engagés, et, d'autre part, que la rémunération proprement dite du travail reste chaque mois au moins égale au SMIC (Soc.,14 janvier 2015, pourvoi n° 13-16.229⚖️).


M. [Aa] [H] sollicite l'indemnisation des frais de mission qu'il prétend avoir exposés dans le cadre de son activité professionnelle.


Il produit aux débats une traduction certifiée conforme d'échanges de courriels du 19 mars 2018 avec notamment le président de la SAS Variscan Mines (pièce n° 7-1). Aa. [E] [H] indique : « afin de respecter les règles imposées par le droit du travail, mes déplacements en Ariège doivent être formalisés dans un ordre de mission qui est déposé avant chacun de mes déplacements. Ces déplacements donnent droit à des frais de mission dont le barème est réglementé ».


La réalité des frais exposés pour le compte de la SAS Variscan Mines n'était pas contestée par les correspondants de M. [Aa] [H], M. [I] [D] indiquant dans un courriel du 19 mars 2018 que les frais de mission s'élevaient à cette date à 7476,80 euros.


Le salarié ne pouvait valablement renoncer à percevoir le remboursement de sommes exposées pour les besoins de son activité professionnelle et dans l'intérêt de l'employeur.


M. [Aa] [H] verse aux débats des ordres de mission et états de frais établis à l'en-tête de la SAS Variscan Mines et prévoyant comme base de remboursement le barème Urssaf, soit, en 2018, 49,40 euros pour les indemnités de nuitée et 18,60 euros pour les indemnités de repas.


Il verse aux débats des extraits des agendas électroniques des membres de la société qui font apparaître les nombreuses missions qu'il a effectuées à [Localité 5], commune d'Ariège sur laquelle est située la mine de [Localité 7], alors qu'il était administrativement rattaché au siège de la société à [Localité 6].


M. [Aa] [H] rapporte ainsi la preuve des sommes qu'il a exposées à titre de frais professionnels pour les besoins de son activité pour le compte de la SAS Variscan Mines.


Il y a lieu, par voie de confirmation du jugement, de condamner la SAS Variscan Mines à payer à ce titre à M. [Aa] [H] la somme de 41 589,50 euros.


Sur la demande de dommages-intérêts au titre du harcèlement moral et de la violation de l'obligation de sécurité


Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail🏛, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.


En application de l'article L. 1154-1 du code du travail🏛, lorsque le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement.


Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer ou laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.


M. [Aa] [H] allègue avoir subi un harcèlement moral, reprochant à son employeur :

- le non-paiement de ses frais de mission ;

-de l'avoir exclu, à compter du 2 mai 2018, de toute information et de toute activité concernant le projet de [Localité 5].


S'agissant du non-paiement de ses frais de mission, si ce manquement est établi, il est exclusif de tout harcèlement moral.


S'agissant de l'allégation relative à l'exclusion des réunions relatives au projet de [Localité 5], M. [Aa] [H] produit aux débats des courriels de Mme [Ae] (pièces n°4-1 et n° 4-2). Ces courriels, adressés à plusieurs salariés dont M. [Aa] [H], ne révèlent aucune mise à l'écart. Il n'est pas davantage démontré qu'il lui aurait été fait interdiction de rencontrer les parties prenantes au projet.


Il n'est produit aucune pièce de nature à établir que le salarié aurait été exclu de toute participation aux activités de recherche ou qu'il aurait subi des pressions pour l'amener à démissionner en 2019, le courrier de la SAS Variscan Mines à la préfecture de l'Ariège sur la réorganisation envisagée des sociétés Variscan Mines et Mines du Salat étant à cet égard insuffisant (pièce n°5-15 du dossier du salarié).


Il y a lieu, par voie de confirmation du jugement, de débouter M. [Aa] [H] de ses demandes de dommages-intérêts pour harcèlement moral, pour exécution déloyale du contrat de travail et pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité et de prévention du harcèlement.


Sur la remise des documents de fin de contrat


Il y a lieu d'ordonner à la SAS Variscan Mines Variscan Mines de remettre à Aa. [E] [H] un bulletin de paie et une attestation Pôle emploi conformes aux dispositions du présent arrêt, et ce dans un délai d'un mois à compter de sa signification.


Aucune circonstance ne justifie que cette décision soit assortie d'une astreinte.


En l'absence de disposition qui justifierait la remise d'un certificat de travail et d'un solde de tout compte rectifiés, il y a lieu de débouter le salarié de cette demande.


Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens


Il y a lieu de condamner la SAS Variscan Mines aux dépens de première instance et d'appel.


Il y a lieu d'allouer à M. [Aa] [H] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. L'employeur est débouté de sa demande à ce titre.



PAR CES MOTIFS


La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire, rendu en dernier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe :


Infirme le jugement rendu le 22 septembre 2021, entre les parties, par le conseil de prud'hommes d'Orléans mais seulement en ce qu'il a dit que le licenciement pour faute grave de M. [Aa] [H] était fondé, en ce qu'il l'a débouté de ses demandes d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'indemnité conventionnelle de licenciement, d'indemnité compensatrice de préavis et en ce qu'il a dit que les dépens seraient partagés par moitié entre les parties ;


Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :


Déclare irrecevable la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par la SAS Variscan Mines ;


Dit que le licenciement de M. [Aa] [H] est nul ;


Condamne la S.A.S Variscan Mines à payer à M. [Aa] [H] les sommes suivantes, avec intérêts au taux légal à compter du 7 février 2020 :

- 22 707 euros net à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement ;

- 30 276 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 3 027,60 euros brut au titre des congés payés afférents ;


Ordonne la capitalisation des intérêts, dans les conditions de l'article 1343-2 du Code civil ;


Condamne la S.A.S Variscan Mines à payer à M. [Aa] [H] la somme de 61 000 euros net à titre d'indemnité pour licenciement nul ;


Ordonne à la S.A.S Variscan Mines de remettre à M. [Aa] [H] un bulletin de paie et une attestation Pôle emploi conformes aux dispositions du présent arrêt, et ce dans un délai d'un mois à compter de sa signification, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette mesure d'une astreinte ;


Condamne la S.A.S Variscan Mines à payer à M. [Aa] [H] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la déboute de sa demande à ce titre ;


Condamne la S.A.S Variscan Mines aux dépens de première instance et d'appel.


Et le présent arrêt a été signé par le président de chambre et par le greffier


Jean-Christophe ESTIOT Alexandre DAVID

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