Jurisprudence : CE 1/4 ch.-r., 19-11-2021, n° 435153



CONSEIL D'ETAT

Statuant au contentieux

N° 435153

Séance du 20 octobre 2021

Lecture du 19 novembre 2021

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d'Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 1ère et 4ème chambres réunies)


Vu les procédures suivantes :

Le préfet des Alpes-Maritimes a déféré au tribunal administratif de Nice l'arrêté du 25 janvier 2017 par lequel le maire de Théoule-sur-Mer a délivré à la société civile immobilière MFT Théoule IV un permis de construire une résidence de six logements sur une parcelle cadastrée section A, n° 588 située 28, boulevard de l'Esterel. Par un jugement n° 1702033 du 5 août 2019, le tribunal administratif de Nice⚖️ a fait droit à ce déféré.

1° Sous le n° 453153, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 7 octobre 2019 et 7 janvier 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Théoule-sur-Mer demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter le déféré du préfet des Alpes-Maritimes ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

2° Sous le n° 435157, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 7 octobre 2019 et 7 janvier 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société MFT Théoule IV demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter le déféré du préfet des Alpes-Maritimes ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le décret n° 2003-1169 du 2 décembre 2003 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Manon Chonavel, auditrice,

- les conclusions de M. Vincent Villette, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de la commune de Théoule-sur-Mer et à la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, Sebagh, avocat de la société MFT Théoule IV ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 25 janvier 2017, le maire de Théoule-sur-Mer a délivré à la société civile immobilière MFT Théoule IV un permis de construire en vue de l'édification, après démolition d'une construction préexistante, d'une résidence de six logements. Par deux pourvois qu'il y a lieu de joindre, la commune de Théoule-sur-Mer, d'une part, la société MFT Théoule IV, d'autre part, se pourvoient en cassation contre le jugement du 5 août 2019 par lequel le tribunal administratif de Nice a, sur déféré du préfet des Alpes-Maritimes, annulé ce permis de construire.

2. Aux termes de l'article L. 121-1 du code de l'urbanisme🏛 : " Les dispositions du présent chapitre déterminent les conditions d'utilisation des espaces terrestres, maritimes et lacustres : / 1° Dans les communes littorales définies à l'article L. 321-2 du code de l'environnement🏛 () ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 121-3 du même code🏛 : " Les dispositions du présent chapitre sont applicables à toute personne publique ou privée pour l'exécution de tous travaux, constructions, défrichements, plantations, aménagements, installations et travaux divers, la création de lotissements, l'ouverture de terrains de camping ou de stationnement de caravanes, l'établissement de clôtures, l'ouverture de carrières, la recherche et l'exploitation de minerais et les installations classées pour la protection de l'environnement. " L'article L. 172-1 de ce code🏛 prévoit que : " Les directives territoriales d'aménagement approuvées avant le 13 juillet 2010 restent en vigueur. Elles sont soumises aux dispositions des articles L. 172-2 à L. 172-5. " Aux termes de l'article L. 172-2 du même code🏛, dans sa rédaction applicable à la date de la décision attaquée : " Les directives territoriales d'aménagement conservent les effets suivants : / 1° Les schémas de cohérence territoriale sont compatibles avec les directives territoriales d'aménagement ou, en l'absence de ces documents, avec les dispositions particulières au littoral et aux zones de montagne prévues aux chapitres Ier et II du titre II du présent livre. Il en va de même, en l'absence de schéma de cohérence territoriale, pour les plans locaux d'urbanisme ou les documents en tenant lieu et les cartes communales ; / 2° Les dispositions des directives territoriales d'aménagement qui précisent les modalités d'application des dispositions particulières au littoral et aux zones de montagne prévues aux chapitres Ier et II du titre II du présent livre s'appliquent aux personnes et opérations qui y sont mentionnées ". Il résulte de la combinaison de ces dispositions que si les auteurs des plans locaux d'urbanisme doivent s'assurer que les partis d'urbanisme présidant à l'élaboration des documents d'urbanisme mentionnés au 1° de l'article L. 172-2 sont compatibles, lorsqu'elles existent, avec les directives territoriales d'aménagement, seules les dispositions de ces directives qui ont pour objet de préciser les modalités d'application des dispositions particulières au littoral et aux zones de montagne sont opposables aux demandes d'autorisation d'urbanisme portant sur des projets situés dans des territoires couverts par ces directives, sous réserve que ces prescriptions soient suffisamment précises et compatibles avec ces dispositions.

3. La directive territoriale d'aménagement des Alpes-Maritimes, approuvée par le décret du 2 décembre 2003 visé ci-dessus, comporte une troisième partie relative aux orientations et aux modalités d'application des lois littoral et montagne, qui comporte un chapitre III-124 qui définit " les orientations et les modalités d'application de la loi littoral en matière d'aménagement ". La directive prévoit au point III-124-1, intitulé " Les orientations en matière d'aménagement ", une appréciation différenciée de la notion d'extension limitée de l'urbanisation selon les zones comprises dans les espaces proches du rivage. A ce titre, elle énonce que pour les " espaces urbanisés sensibles " qu'elle définit, " qui représentent environ 25% des secteurs urbanisés proches du rivage, () l'extension de l'urbanisation sera strictement limitée aux seules parcelles interstitielles du tissu urbain, ou " dents creuses " des îlots bâtis, ainsi qu'à la reconstruction et à la réhabilitation des bâtiments existants ". Au point III-124-2, intitulé " Les modalités d'application de la loi littoral ", la directive indique notamment que " l'image et l'équilibre actuels de ces espaces doivent être préservés. Les opérations d'urbanisme devront respecter les morphologies, l'organisation parcellaire, le végétal et plus généralement les règles qui caractérisent ces espaces. Ceci implique : / () pour les parcs périurbains, le respect du patrimoine architectural et végétal, le maintien de la trame foncière et de l'équilibre entre jardin et bâti. Une évolution douce de ces espaces est possible accompagnée de réaménagements de faible envergure ; la gestion du stationnement doit y être particulièrement soignée et économe d'espace () ". Ces dispositions doivent dans leur ensemble, eu égard à leur objet et quel que soit l'intitulé de leur emplacement respectif au sein de la troisième partie de cette directive, être regardées comme précisant les modalités d'application des dispositions particulières au littoral au sens du 2° de l'article L. 172-2 du code de l'urbanisme🏛.

4. En l'espèce, pour juger que l'arrêté attaqué autorisant le projet litigieux, situé au sein d'un espace urbanisé sensible dans une zone constitutive d'un parc périurbain, avait été pris en méconnaissance de la directive territoriale d'aménagement des Alpes-Maritimes, le tribunal s'est fondé sur la circonstance que le projet ne pouvait, eu égard à sa conception et à ses caractéristiques particulières, être regardé comme la reconstruction d'un bâtiment existant au sens des dispositions de la directive territoriale d'aménagement citées au point précédent.

5. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 3 que les dispositions que le tribunal a opposées au permis de construire en litige avaient pour objet de préciser les modalités d'application des dispositions particulières au littoral, qui sont les seules à être directement applicables à une autorisation d'urbanisme en application du 2° de l'article L. 172-2 du code de l'urbanisme🏛. Par suite, le tribunal n'a pas méconnu le champ d'application de la loi en opposant au permis de construire des prescriptions qui ne constitueraient pas des modalités d'application des dispositions particulières au littoral.

6. En second lieu, en prévoyant que, dans les espaces urbanisés sensibles, l'extension de l'urbanisation serait " strictement limitée aux seules parcelles interstitielles du tissu urbain, ou " dents creuses " des îlots bâtis, ainsi qu'à la reconstruction et à la réhabilitation des bâtiments existants ", les dispositions de la directive territoriale d'aménagement doivent être regardées comme permettant l'extension de l'urbanisation sur les parcelles ainsi désignées, sous réserve, pour tout projet, de satisfaire aux conditions énoncées au point III-124-2, citées au point 3. La " reconstruction " ainsi permise sous cette réserve s'entend donc d'une construction après démolition du bâtiment préexistant sur la parcelle. Par suite, en jugeant, après avoir relevé que le projet autorisé visait à l'édification d'une résidence après démolition d'une construction préexistante sur la parcelle, que le projet autorisé par le permis de construire attaqué ne pouvait, eu égard aux différences qu'il comportait dans sa conception et ses caractéristiques par rapport au bâtiment démoli, être regardé comme la reconstruction d'un bâtiment existant au sens des dispositions précitées de la directive territoriale d'aménagement des Alpes-Maritimes, le tribunal a commis une erreur de droit.

7. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens des pourvois, les requérants sont fondés à demander pour ce motif l'annulation du jugement qu'ils attaquent.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à la commune de Théoule-sur-Mer d'une part et à la société MFT Théoule IV d'autre part au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le jugement du 5 août 2019 du tribunal administratif de Nice est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée au tribunal administratif de Nice.

Article 3 : L'Etat versera une somme de 1 500 euros à la commune de Théoule-sur-Mer et une somme de 1 500 euros à la société MFT Théoule IV au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la commune de Théoule-sur-Mer, à la société civile immobilière MFT Théoule IV et à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

Délibéré à l'issue de la séance du 20 octobre 2021 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la Section du Contentieux, présidant ; Mme A M, Mme D L, présidentes de chambre ; M. B K, Mme C F, Mme H J, M. I G, M. Damien Botteghi, conseillers d'Etat et Mme Manon Chonavel, auditrice-rapporteure.

Rendu le 19 novembre 2021.

La présidente :

Signé : Mme Christine Maugüé

La rapporteure :

Signé : Mme Manon Chonavel

La secrétaire :

Signé : Mme N E

La République mande et ordonne à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour le secrétaire du contentieux, par délégation :435153- 6 -

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