Réf. : Cass. com., 1er juin 2023, n° 21-19.289, F-B N° Lexbase : A64039XG
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N5718BZS
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par Jérôme Lasserre-Capdeville
le 12 Juin 2023
► Un ordre de virement régulier lors de sa rédaction mais dont le numéro IBAN du compte destinataire a été ultérieurement modifié par un tiers à l'insu du donneur d'ordre ne constitue pas une opération autorisée.
Le droit applicable aux opérations de paiement est très protecteur pour le payeur. Cela est particulièrement net en cas de contestation d’une opération de paiement non autorisée. En effet, il découle de l’article L. 133-18 du Code monétaire et financier N° Lexbase : L7451MDC, que si cette opération a correctement été signalée par l’utilisateur, le prestataire de services de paiement du payeur doit rembourser le payeur. Il devra plus précisément rétablir le compte débité dans l’état où il se serait trouvé si l’opération non autorisée n’avait pas eu lieu. Il est donc important de déterminer, avec exactitude, dans quels cas une opérations de paiement est autorisée et quand elle ne l’est pas. On ne sera pas surpris de relever des décisions de justice amenées à se prononcer sur ce point (v. par ex., Cass. com., 30 novembre 2022, n° 21-17.614, F-B N° Lexbase : A45428W7, J. Lasserre-Capdeville, Lexbase Affaires, décembre 2022, n° 739 N° Lexbase : N3620BZ4). Il en va ainsi dans l’arrêt sélectionné.
Faits et procédure. Le 4 juillet 2015, M. et Mme I. avaient rempli, signé et adressé par lettre simple à la société La Banque postale deux ordres de virement de, respectivement, 14 000 euros et 86 000 euros, à exécuter à partir de leur compte joint ouvert dans les livres de cette banque. Les ordres de virement mentionnaient Mme I. comme bénéficiaire et comportaient les coordonnées de son compte détenu auprès de la société ING Belgique.
Le 29 juillet 2015, M. et Mme I. avaient constaté que les fonds virés n’avaient pas été crédités sur le compte détenu auprès de la société ING Belgique et avaient appris de la société La Banque postale qu’ils avaient été versés sur un compte tiers à la suite d’une modification du numéro IBAN figurant sur les ordres de virement.
Le 23 décembre 2015, M. et Mme I avaient assigné la société La Banque postale en remboursement, laquelle avait appelé en garantie la société ING Belgique.
Toutefois, la cour d’appel de Paris ayant débouté les époux de leur demande de remboursement, ceux-ci avaient formé un pourvoi en cassation (la société ING Belgique en avait de même).
Décision. Selon l’un des moyens, en retenant en l’espèce qu’un virement falsifié après sa rédaction régulière ne constitue pas un virement non autorisé au sens de ce texte et en réservant en conséquence le bénéfice du droit légal à remboursement prévu par celui-ci aux seuls ordres de virement faux ab initio, soumettant, en revanche, les ordres de virement falsifiés à un régime de responsabilité pour faute du banquier, la cour d’appel aurait violé l’article L. 133-18 du Code monétaire et financier, dans sa rédaction applicable en la cause.
Ce moyen se révèle utile puisque la Cour de cassation casse la décision des juges du fond. La Haute juridiction commence par indiquer qu’il résulte des articles L. 133-3 N° Lexbase : L5109LGC et L. 133-6 N° Lexbase : L5107LGA du Code monétaire et financier qu'une opération de paiement initié par le payeur, qui donne un ordre de paiement à son prestataire de service de paiement, est réputée autorisée uniquement si le payeur a également consenti à son bénéficiaire. Ensuite, elle rappelle qu’il découle de l’article L. 133-18 du même code qu’en cas d’opération de paiement non autorisée signalée par l’utilisateur dans les conditions prévues à l’article L. 133-24 N° Lexbase : L5124LGU, le prestataire de services de paiement du payeur rembourse immédiatement au payeur le montant de l’opération non autorisée et, le cas échéant, rétablit le compte débité dans l’état où il se serait trouvé si l’opération de paiement non autorisée n’avait pas eu lieu, sauf, dans le cas d’une opération réalisée au moyen d’un instrument de paiement doté de données de sécurité personnalisées, si la responsabilité du payeur est engagée en application de l’article L. 133-19, IV, du même code N° Lexbase : L5118LGN.
Or, pour rejeter la demande de condamnation de la banque à rembourser la somme de 100 000 euros à M. et Mme I., l’arrêt de la cour d’appel avait retenu que, dans l’hypothèse d’un ordre de virement régulier lors de sa rédaction mais ultérieurement falsifié, notamment par la modification du nom ou du numéro de compte du bénéficiaire, il n’y a pas de virement non autorisé, de sorte que la responsabilité de la banque ne peut être recherchée que pour faute. Il avait ajouté que la modification du numéro IBAN et l’existence d’un grattage ne se révélant que par un examen particulièrement minutieux des documents et sous une lumière puissante, il ne pouvait être reproché à la banque de ne pas avoir décelé une telle falsification et que, justifiant des diligences entreprises pour tenter de récupérer les fonds dès qu'elle avait été informée de la malversation, sa responsabilité n’était pas engagée.
Dès lors, en statuant ainsi, alors qu’un ordre de virement régulier lors de sa rédaction mais dont le numéro IBAN du compte destinataire a été ultérieurement modifié par un tiers à l’insu du donneur d’ordre ne constitue pas une opération autorisée, la cour d’appel avait violé l’article L. 133-18 précité. La décision des juges du fond est donc cassée.
Observations. Cette solution emporte notre conviction. L’autorisation du payeur doit concerner l’ordre de paiement tel qu’il parvient à son prestataire de services de paiement. Dès lors, s’il vient à faire l’objet d’une falsification avant même d’être réceptionné par ce prestataire, il y a nécessairement une modification par rapport au consentement d’origine de l’intéressé. L’opération devient alors une opération non autorisée. Il importe peu que l’ordre de virement ne soit pas faux ab initio.
Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Le droit des opérations de paiement (cartes, virements, prélèvements), La contestation de l’opération non autorisée, in Droit bancaire, (dir. J. Lasserre-Capdeville), Lexbase N° Lexbase : E86503E4. |
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