Aux termes d'un arrêt rendu le 25 juillet 2013, la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) retient qu'un revirement de jurisprudence n'emporte pas imprévisibilité de la loi fiscale s'il n'est pas déraisonnable (CEDH, 25 juillet 2013, req.
n° 11082/06 et n° 13772/05, en anglais). En l'espèce, deux anciens dirigeants d'un conglomérat russe ont été reconnus coupables de fraude fiscale. Parmi les divers points soulevés par les requérants, deux intéressent directement la matière fiscale. En premier lieu, les requérants soutenaient que leur affaire avait donné lieu à une interprétation totalement nouvelle et imprévisible du droit fiscal à leur détriment (CESDH, art. 7
N° Lexbase : L4797AQQ). En effet, à l'époque des faits, la pratique des prix de transfert opérée entre sociétés russes et sociétés basées dans des zones à fiscalité privilégiée était considérée comme parfaitement légale, et la justice n'avait jamais sanctionné l'emploi de ce dispositif. La CEDH estime toutefois que la matière fiscale, appliquée à des schémas économiques toujours plus raffinés, se doit d'être souple. Les juges nationaux ont considéré que l'ensemble des opérations réalisées par les sociétés concernées était fictif, les dirigeants ayant dissimulé cet élément aux autorités : les sociétés mises en cause n'avaient ni actifs propres, ni employés, et les bénéfices étaient principalement réalisés en Russie, ce que les dirigeants ne pouvaient ignorer. Dans ces conditions, les actes reprochés aux intéressés pouvaient raisonnablement être qualifiés de "fourniture d'informations mensongères aux autorités fiscales", fait caractérisant la fraude fiscale selon le code pénal russe. En conclusion, une interprétation novatrice et inédite faite par les juridictions internes de la loi fiscale n'emporte pas imprévisibilité, dès lors qu'elle n'est pas déraisonnable. La Cour ajoute que le fait que l'administration a été informée du schéma et ne l'a pas remis en cause ne constitue pas une tolérance administrative, car il n'est pas démontré que les autorités fiscales détenaient tous les éléments nécessaires pour poursuivre le conglomérat ou d'autres hommes d'affaires, et qu'elles y ont renoncé. En second lieu, les requérants contestent leur condamnation au versement de dommages-intérêts, au titre du remboursement des arriérés d'impôts dus par le conglomérat. La CEDH considère qu'il peut être parfois légitime de condamner les personnes physiques ayant le pouvoir de décision dans une personne morale, sans que celle-ci puisse faire écran. Toutefois, cette solution doit se fonder sur une base légale solide. Or, à l'époque des faits, aucune disposition du code des impôts ou du code civil russes n'autorisait le recouvrement des dettes fiscales des sociétés auprès des dirigeants de celles-ci. Ce point viole l'article 1er du Protocole n° 1 (
N° Lexbase : L1625AZ9).
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