La lettre juridique n°901 du 7 avril 2022 : Protection sociale complémentaire

[Jurisprudence] Liquidation judiciaire et portabilité : pour qui sonne le glas ?

Réf. : Cass. civ. 2, 10 mars 2022, n° 20-20.898, F-B N° Lexbase : A03537Q7

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N1018BZQ

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par Lola Pascaud et Greg Balcerzak, avocat of counsel, Factorhy Avocats et apprenti du Master Droit de la protection sociale d’entreprise, Paris I Panthéon Sorbonne

le 15 Décembre 2022

Mots-clés : protection sociale complémentaire • garantie santé et prévoyance • portabilité • liquidation judiciaire • résiliation

L’article L. 911-8 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L0437IXH, créé par la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, relative à la sécurisation de l’emploi N° Lexbase : L0394IXU, permet aux salariés garantis collectivement dans les conditions prévues à l’article L. 911-1 du même code N° Lexbase : L2615HIP contre les risques décès, les risques portant atteinte à l’intégrité physique de la personne ou liés à la maternité ou les risques d’incapacité de travail ou d’invalidité, de bénéficier du maintien à titre gratuit de cette couverture en cas de cessation du contrat de travail, non consécutive à une faute lourde, ouvrant droit à prise en charge par l’assurance chômage, selon les conditions qu’il détermine. Ces dispositions d’ordre public sont applicables aux anciens salariés licenciés d’un employeur placé en liquidation judiciaire qui remplissent les conditions fixées par ce texte. Toutefois, le maintien des droits implique que le contrat ou l’adhésion liant l’employeur à l’organisme assureur ne soit pas résilié. 


« Une intrigue en quête de dénouement » [1]. Tels sont les mots du Professeur Morvan, utilisés en 2020 pour décrire la problématique posée par la portabilité en cas de liquidation judiciaire d’une entreprise.

Deux ans plus tard, le dénouement sur la portabilité et la liquidation judiciaire n’est toujours pas là.

Néanmoins, petit à petit, la Cour de cassation continue de dessiner les contours d’une « intrigue juridique » [2] dont les enjeux demeurent déterminants pour le monde de l’assurance.

Pour rappel, la portabilité est un mécanisme prévu à l’article L. 911-8 du Code de la Sécurité sociale qui permet aux salariés qui bénéficient dans leur entreprise d’une couverture santé ou prévoyance de se voir maintenir, sous certaines conditions, cette couverture en cas de perte de leurs emplois. Dans la majorité des cas, les cotisations des salariés actifs et de l’employeur servent au financement des garanties des salariés « portés ».

La liquidation judiciaire est la procédure mise en place lorsqu’une entreprise n’est à la fois plus en capacité d’honorer ses créances et se trouve dans le même temps dans une situation qui ne permet plus d’espérer un rétablissement. Le temps de cette procédure, le liquidateur apure le passif et liquide les actifs. Notamment, il prononce les licenciements économiques des salariés de l’entreprise. 

Au regard de ces définitions, il serait aisé de penser que la portabilité et la liquidation judiciaire sont incompatibles. En effet, force est d’admettre que le licenciement de l’ensemble des salariés actifs ne permet plus le financement paritaire de la portabilité. 

Pourtant, en 2017, la Cour de cassation n’a pas été de cet avis. Selon la Cour, la portabilité est applicable aux salariés licenciés dans le cadre d’une procédure de liquidation judiciaire dès lors que le contrat liant l’employeur à l’assureur n’est pas résilié [3]. Dans ces conditions, le maintien des garanties, sans être exclu par principe en cas de liquidation judiciaire de l’employeur, avait vocation à s’appliquer de manière limitée. Mais, dans ce cas, qui devait en supporter le coût ?

Dans un arrêt du 5 novembre 2020 [4], la solution rendue par la Cour de cassation conduisait à en faire payer le prix par l’organisme assureur. Dans son arrêt récent du 10 mars 2022, le paiement du maintien des droits par le liquidateur judiciaire à l’organisme assureur est validé.

Finalement, pour qui sonne le glas ? l’employeur ou l’organisme assureur ?

Le contentieux  

Une société a conclu avec une institution de prévoyance un contrat de frais de santé et de prévoyance au profit de ses salariés.

Le 16 février 2016, l’entreprise a été placée en liquidation judiciaire.

Le 29 février 2016, l’institution de prévoyance a résilié le contrat de prévoyance et a fait une proposition de « prolongation onéreuse du contrat » à compter du 1er mars 2016.

Le 18 mars 2016, le liquidateur a accepté la proposition de l’institution de prévoyance et a adressé, la somme de 35 120,08 euros à l’institution de prévoyance afin de maintenir, pour un an, les garanties précédemment souscrites pour les salariés licenciés.

Par la suite, le liquidateur es qualités a assigné l’institution de prévoyance en remboursement de la somme versée.  

La cour d’appel de Colmar, dans son arrêt du 8 juillet 2020, a confirmé le jugement de première instance en rejetant la demande du liquidateur aux motifs que :

  • « dès lors et à compter de la prise d’effet de cette résiliation prévue par la loi, les garanties ouvertes par l’institution de prévoyance, alors que leur maintien devait être financé par l’employeur et les salariés encore actifs dans l’entreprise est devenu impossible, ont pris fin pour n’être plus en vigueur dans l’entreprise » ;
  • « le paiement volontaire opéré par le mandataire liquidateur, en ce qu’il porte sur des cotisations au-delà [de la résiliation du contrat], ne peut être assimilé à un paiement indu, celui-ci ayant toutefois librement choisi d’assurer le maintien des couvertures santé et prévoyance dont bénéficiaient les anciens salariés ».

Le liquidateur a formé un pourvoi en cassation aux motifs que « la portabilité de l’assurance couverture santé et prévoyance joue, même en cas de liquidation judiciaire de l’employeur, sans condition de l’existence d’un dispositif assurant le financement du maintien de ces couvertures ».

Dans son arrêt du 10 mars 2022, pour rejeter le pourvoi du liquidateur, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation raisonne en deux temps :  

  • d’une part, elle confirme sa jurisprudence antérieure en rappelant que les dispositions « d’ordre public » régissant la portabilité « sont applicables aux anciens salariés licenciés d’un employeur placé en liquidation judiciaire qui remplissent les conditions fixées par ce texte » mais que « le maintien des droits implique que le contrat ou l’adhésion liant l’employeur à l’organisme assureur ne soit pas résilié » ;
  • d’autre part, elle se retranche derrière la décision de la cour d’appel estimant que le financement du maintien des garanties intervenu au-delà de la résiliation des contrats santé et prévoyance en cause ne peut être qualifié d’indu dès lors qu’il a été opéré « librement ».

Il en résulte que la portabilité :

  • cesse en cas de résiliation du contrat d’assurance liant l’employeur à l’organisme assureur (I) ;
  • peut toutefois être « prolongée » via la souscription d’un nouveau contrat d’assurance à titre onéreux (II).

I. La portabilité cesse en cas de résiliation du contrat d’assurance collective

Pour mémoire, l’article L. 911-8, 3° du Code de la Sécurité sociale, issu de la loi de sécurisation de l’emploi n° 2013-504 du 14 juin 2013 dispose que « les garanties maintenues au bénéfice de l'ancien salarié sont celles en vigueur dans l'entreprise […] ». 

Cela implique que la couverture dont bénéficient les anciens salariés, identique à celle des salariés « actifs », puisse évoluer à la hausse ou à la baisse en cas de modification des garanties applicables dans l’entreprise mais également cesser en cas de résiliation du contrat collectif non suivie de la souscription d’un nouveau contrat.

Dans cinq avis rendus le 6 novembre 2017 [5], puis dans un arrêt récent du 5 novembre 2020 [6],  la Cour de cassation a donc subordonné l’application de la portabilité aux anciens salariés d’une société placée en liquidation judiciaire à la seule condition que le contrat d’assurance liant l’employeur à l’organisme assureur n’ait pas été résilié.

Or, par principe, en application de l’article L. 641-11-1 du Code de commerce N° Lexbase : L3298IC7 :

  • aucune résiliation d’un contrat en cours ne peut résulter du seul fait de l’ouverture d’une liquidation judiciaire. « Le cocontractant doit remplir ses obligations malgré le défaut d'exécution par le débiteur d'engagements antérieurs au jugement d'ouverture ». Il s’opère ainsi une « purge » des inexécutions financières antérieures au jugement d’ouverture ;
  • c’est au liquidateur qu’est donné le pouvoir de continuer ou non les contrats en cours d’exécution à la date du jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire.

Le régime des contrats en cours à la date de la liquidation judiciaire permet ainsi au liquidateur d’imposer à l’organisme assureur la poursuite du contrat de frais de santé ou de prévoyance en dépit des défaillances financières antérieures de l’entreprise souscriptrice.

Par exception, en application de l’article L. 932-10 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L2177LED, les institutions de prévoyance pouvaient, jusqu’à l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 4 mai 2017 [7], résilier l’adhésion ou le contrat pendant un délai de trois mois à compter du jugement de la liquidation judiciaire. Une disposition similaire existait à l’article L. 113-6 du Code des assurances N° Lexbase : L7572HB3 jusqu’en 2005 pour les sociétés d’assurance. En revanche, aucune disposition de ce type n’a jamais existé s’agissant des mutuelles.

D’aucuns y voyaient là un argument permettant de considérer que l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire apparaissait, en tant que telle, de nature à priver d’objet le dispositif de maintien des garanties. Pourtant, force est de constater, qu’en application des règles rappelées ci-dessus, l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire n’entraîne pas, en elle-même, la résiliation des contrats liant l’employeur à l’organisme assureur qui sont soumis au régime général des contrats en cours, sous réserve de la mise en œuvre du régime de résiliation spécial dont bénéficiaient les institutions de prévoyance en application de l’article L. 932-10 du Code de la Sécurité sociale, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance de 2017.

Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour de cassation du 10 mars 2022, c’est cette disposition du Code de la Sécurité sociale qui est mise en application. À l’époque des faits, en 2016, l’article L. 932-10 prévoyait encore la mise en œuvre du régime spécial de résiliation offert aux institutions de prévoyance postjugement d’ouverture d’une liquidation judiciaire.

L’institution de prévoyance ayant activé cette faculté exceptionnelle de résiliation prévue par la loi, la cour d’appel a jugé que les garanties devant être maintenues aux anciens salariés de l’entreprise placée en liquidation judiciaire n’étaient plus en vigueur, et ne donnaient donc plus droit à maintien à compter de la prise d’effet de cette résiliation. Conformément à sa jurisprudence antérieure, c’est ce qu’a confirmé la Cour de cassation, et force est d’admettre que ce syllogisme juridique est implacable.

II. La portabilité peut être subordonnée à la « prolongation onéreuse du contrat »

L’article L. 911-8 du Code de la Sécurité sociale, dont les dispositions sont, rappelons-le encore ici, d’ordre public, prévoit que le maintien des garanties « santé » et « prévoyance » bénéficie « à titre gratuit » aux anciens salariés qui en remplissent les conditions.

Dans son arrêt du 5 novembre 2020, la Cour de cassation en avait déduit que le maintien des droits n’implique pas l’existence d’un dispositif assurant son financement, faisant ainsi peser sur l’organisme assureur le prix de la portabilité alors qu’il s’agit là, à n’en pas douter, d’une obligation à la charge de l’employeur.

Ainsi, dans l’arrêt du 10 mars 2022, c’est sur le fondement de la « gratuité » de la portabilité, que le liquidateur a cru pouvoir demander le remboursement de la somme versée à l’institution de prévoyance en contrepartie de la « réouverture » des droits des salariés portés, à compter de l’effet de la résiliation du contrat d’assurance par l’institution de prévoyance.

Toutefois, au visa de l’article L. 911-8 du Code de la Sécurité sociale, la Cour de cassation confirme la décision de la cour d’appel aux termes de laquelle « le paiement volontairement opéré par le liquidateur, en ce qu’il portait sur des cotisations dues au-delà [de la date d’effet de la résiliation du contrat], ne pouvait être assimilé à un paiement de l’indu ».

La question qui se pose est évidemment de savoir si la Cour de cassation aurait rendu la même décision dans le cas où le contrat initial n’aurait pas été résilié. Dit autrement, est-ce que la Cour de cassation aurait validé, dans le contrat en cours la clause prévoyant une « surprime » à payer en cas de liquidation judiciaire ou plus largement en cas de diminution significative des effectifs ?

Vu la généralité des termes de l’arrêt du mois de septembre 2020, le doute est permis. Il est à craindre que la Cour de cassation juge une telle clause réputée non écrite car contraire aux dispositions d’ordre public instaurant un principe de « gratuité » de la portabilité.

Pourtant, le ministère des Solidarités et de la Santé dans sa réponse ministérielle publiée le 14 avril 2020 avait précisé que :

« Le maintien des droits implique que le contrat ou l’adhésion liant l’employeur à l’organisme assureur :

  • ne soit pas résilié ;
  • ou qu’il prévoit un dispositif de financement de la portabilité en cas de liquidation judiciaire. En effet, l’absence d’un dispositif assurant le financement d’un maintien des couvertures santé et prévoyance lorsqu’une entreprise est en situation de liquidation judiciaire est de nature à constituer un obstacle au maintien à titre gratuit des garanties collectives au profit d’un salarié licencié en raison de la liquidation judiciaire de son employeur ».

D’ailleurs, depuis 2013, le législateur étudie régulièrement l’opportunité de créer un « fonds de mutualisation » servant au financement de la portabilité des garanties en cas de faillite d’entreprises, mais en vain.  

Un troisième arrêt de la Cour de cassation devra certainement intervenir pour mettre fin à cette intrigue juridique…


[1] P. Morvan, Prévoyance – Portabilité des garanties collectives dans l’entreprise en liquidation judiciaire, JCP S, n° 36, septembre 2020, 3001.

[2] Ibid.

[3] Cass. avis, 6 novembre 2017, n° 17013 N° Lexbase : A8557WYL, n° 17014 N° Lexbase : A8558WYM, n° 17015 N° Lexbase : A8559WYN, n° 17016 N° Lexbase : A8560WYP et n° 17017 N° Lexbase : A8561WYQ ; Cass. civ. 2, 18 janvier 2018, n° 16-27.332, F-D N° Lexbase : A8881XA8.

[4] Cass. civ. 2, 5 novembre 2020, n° 19-17.164, FS-P+B+I N° Lexbase : A521033D.

[5] Cass. avis, 6 novembre 2017, n° 17013, n° 17014, n° 17015, n° 17016 et n° 17017.

[6] Cass. civ. 2, 5 novembre 2020, n° 19-17.164, FS-P+B+I N° Lexbase : A521033D.

[7] Ordonnance n° 2017-734, du 4 mai 2017, portant modification des dispositions relatives aux organismes mutualistes N° Lexbase : L1671LEM.

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