Le Quotidien du 3 octobre 2022 : Actualité judiciaire

[A la une] Le Sénat dresse un rapport cinglant des dérives dans l’industrie pornographique

Réf. : Délégation aux droits des femmes du Sénat, Rapport : Porno : l’enfer du décor, 28 septembre 2022

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par Vincent Vantighem

le 23 Novembre 2022

« L’enfer du décor ». À première vue, le jeu de mots peut paraître facile. Mais il est, en réalité, totalement adapté aux coulisses de l’industrie pornographique. C’est le titre du rapport publié, mercredi 28 septembre, par la délégation aux droits des Femmes du Sénat [1]. Après un travail de plusieurs mois marqué par des dizaines et des dizaines d’auditions, Annick Billon (UDI), Alexandra Borchio Fontimp (LR), Laurence Cohen (PCF) et Laurence Rossignol (PS), les quatre autrices du document, ont dressé un constat accablant sur le monde du X.

Les récentes affaires judiciaires pour « traite des êtres humains aggravée », « viols en réunion » et « proxénétisme » impliquant les plateformes « French Bukkake » et « Jacquie & Michel » en avaient donné un aperçu. Mais le rapport, lui, met des mots sur les dérives de cette industrie. « Violences systémiques », femmes « exploitées », « mineurs bien trop exposés » : le document de 150 pages jette, en effet, une lumière crue sur l’évolution de ce monde opaque. Depuis l’apparition, au milieu des années 2000, des grandes plateformes internet que constituent Pornhub et autres Xvideos ou Xhamster, la diffusion du porno est devenue massive, ce qui a contribué « à la recrudescence de contenus de plus en plus "trash" et violents, sans aucun contrôle ni considération pour les conditions dans lesquelles ces contenus sont produits », dénoncent ainsi les rapporteures du texte.

Des mots, donc. Mais aussi et surtout des chiffres hallucinants. « 90 % des contenus pornographiques disponibles sur internet comportent de la violence », indique le rapport qui cite les rubriques les plus « en vogue » sur les « tubes » célèbres. Et notamment le terrible « viol par surprise »… Une réalité qui serait moins problématique si le porno ne rencontrait pas un public si large. Mais voilà, la France est aujourd’hui « le quatrième pays qui consomme le plus de porno au monde », toujours selon le rapport. De fait, 19, 3 millions de Français se rendent au moins une fois par mois sur une site X. Et cela touche les adultes. Mais aussi les plus jeunes… Deux tiers des enfants de moins de quinze ans ont déjà été exposés. Un enfant de moins de douze ans sur trois… De quoi légitimement inquiéter les autrices du rapport.

« Nous ne pouvons pas considérer qu’une femme qui pleure simule… »

Car leur message est clair : les images diffusées par les sites pornographiques sont « toxiques ». Dans le sens où elles donnent à voir une image de la sexualité qui ne correspond évidemment pas à la réalité. Et surtout une image violente. Le rapport détaille ainsi les témoignages recueillis lors des auditions. Le témoignages d’actrices. Ou plutôt « d’intervenantes ponctuelles », comme le décrivent pudiquement les gérants d’une célèbre plateforme de porno amateur.

Combien de jeunes femmes, en proie un temps à des problèmes financiers, ont donné leur accord pour tourner une scène et ont vu leur vie chamboulée par cette expérience ? « Ce n’est pas du cinéma. C’est de la simulation. Nous ne pouvons pas considérer qu’une femme qui pleure, ou qui saigne, feint ou simule. Quiconque en serait témoin dans l’espace public ne pourrait pas tolérer ce type de violences. Quand c’est de la pornographique, personne ne le remet en question », pointe le rapport. « Des infractions caractérisées telles que du racisme, du sexisme, de la pédocriminalité, de la lesbophobie, des incitations à la haine raciale sont diffusées tous les jours... » Ce n’est pas la cinquantaine de victimes identifiées dans le sordide dossier « French Bukkake » qui diront le contraire.

« Éduquer, éduquer, éduquer » les plus jeunes

             Cinglant, le rapport – qui constitue une première du genre sur ce sujet – ne se contente pas de dresser un état des lieux. Il formule, en effet, vingt-trois propositions concrètes pour tenter de réguler le milieu. Lors du travail d’auditions, Laurence Rossignol avait, à plusieurs reprises, brandi la menace d’une interdiction pure et simple de la diffusion pornographique en France. Les conclusions ne vont pas jusque-là, même si c’est le but recherché. « On le sait. Cette industrie est un business énorme. Le but est d’assécher peu à peu le marché pour faire en sorte qu’il n’existe plus, à terme », décrypte ainsi la sénatrice PS.

             D’où la vingtaine de recommandations. Les huit premières concernent ainsi l’accès des mineurs aux contenus pornographiques. Véritable nœud gordien des plateformes, l’accès aux mineurs fait actuellement l’objet d’un examen, au civil, par le tribunal judiciaire de Paris. Qui a bien compris l’impasse actuelle : la loi oblige en effet les plateformes X à interdire l’accès aux moins de dix-huit ans mais il n’existe aucune solution technique le permettant sans remettre en cause les libertés fondamentales auxquelles la France est si attachée [2].

             En conséquence, le rapport du Sénat propose de doter l’autorité régulatrice des médias (L’Arcom, ex-CSA) de plus de moyens et de pouvoirs afin de constater les dérives en cours. Et, en cette attente, d’obliger les diffuseurs à mettre en place des « écrans noirs » sur leurs pages d’accueil afin que les plus jeunes ne soient pas exposés à des contenus choquants « par hasard » au détour d’un clic.

             Les mineurs sont bien la cible principale de ce rapport. Une large partie des recommandations du rapport s’intitule ainsi « Éduquer, éduquer, éduquer ». Car c’est la seule façon, sans doute, de faire en sorte que les plus jeunes aient conscience des dérives du système et de l’inadéquation de celui-ci avec la réalité de la vie de « M. et Mme Tout-le-monde ».

             Évidemment, après avoir entendu autant de témoignages bouleversants de jeunes femmes dont les vies ont été brisées par une soirée de tournage sordide, les quatre rapporteures ne pouvaient pas les oublier. Plusieurs propositions sont ainsi formulées afin d’améliorer leur prise en charge lorsqu’elles sont amenées à déposer plainte pour des violences sexuelles subies sur un tournage. Mais la plus intéressante des propositions réside sans nul doute dans la création d’une catégorie « Violences sexuelles » sur la plateforme de signalement Pharos. « Aujourd’hui, quand une vidéo terroriste apparaît sur internet. On arrive à la supprimer en quelques heures, rappelle Céline Piques, porte-parole de l’association Osez le Féminisme, très à la pointe sur cette question. Pourquoi cela n’est-il pas possible avec du contenu pornographique dégradant pour l’image des femmes ? » Sans doute parce qu’il faudrait des moyens considérables pour faire le ménage sur la toile où plusieurs milliers de site sont « spécialisés » dans ce domaine.

 

[1] Délégation aux droits des Femmes du Sénat, Porno : l’enfer du décor, 28 septembre 2022 [en ligne].

[2] Sur ce sujet v. V. Vantighem, La justice tente de régler le problème de l’accès des mineurs aux contenus pornographiques, Lexbase Pénal, septembre 2022, n° 52 N° Lexbase : N2515BZ8.

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