La lettre juridique n°906 du 19 mai 2022 : Avocats/Déontologie

[Focus] Les avocats peuvent-ils domicilier des sociétés ?

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par Audrey Chemouli, Avocate au barreau de Paris, Présidente de la commission Structures d'exercice au sein de l'ACE et Olivier Ziegler, Responsable du Pôle Ecosystème de la profession au CNB

le 18 Mai 2022

Mots-clés : focus • avocat • société •  domiciliation • activité commerciale


 

Depuis que les avocats peuvent exercer une activité commerciale dérogatoire dans les conditions de l’article 111 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 N° Lexbase : L8168AID, l’on assiste à une explosion des déclarations auprès des différents conseils de l’Ordre, signe d’une activité très dynamique dont on ne peut que se féliciter.

Parmi ces demandes, certains fiscalistes ou praticiens du droit des sociétés se sont demandé s’ils ne pouvaient pas apporter un service différenciant à leur client en leur offrant une domiciliation des sociétés dont ils accompagnaient la constitution ou le suivi.

Concédons que le projet est non seulement séduisant, mais répond à une réelle préoccupation de clients dont le suivi administratif de SCI patrimoniales par exemple, est loin de leurs préoccupations quotidiennes.

Il s’agira dans un premier temps de rappeler ce qu’est l’activité de domiciliation commerciale.

L’activité de domiciliation commerciale

La domiciliation commerciale permet à plusieurs entreprises d’être domiciliées dans des locaux communs. Le contenu minimum de ce service est prévu par le Code de commerce (C. com., art. R. 123-168, 1° N° Lexbase : L8563ITC) :

  • mise à disposition de locaux dotés d'une pièce propre à assurer la confidentialité nécessaire permettant la réunion régulière des organes chargés de la direction, de l'administration ou de la surveillance de l'entreprise ainsi que la tenue, la conservation et la consultation des livres, registres et documents prescrits par les lois et règlements
  • propreté, gardiennage et sécurité des locaux,
  • possibilité de proposer d’autres services comme des serveurs, téléphonie, imprimantes, plateformes de visioconférence, fourniture de consommables, etc..

Cette activité est encadrée par le Code de commerce pour garantir la réalité de l’installation de l’entreprise et pour s’assurer que la domiciliation ne soit pas un instrument utilisé à des fins illicites (C. com., art. L. 123-10 et s. N° Lexbase : L2338IB9). Ce régime ne s’applique pas aux entreprises faisant partie d’un même groupe (C. com., art. R. 123-70 N° Lexbase : L9357LU4) [1].

Ce sont donc autant de services qui pourraient être très largement pris en charge par un cabinet d’avocat.

Mais et c’est là que les questions se posent, cette activité est soumise à un agrément préfectoral (C. com., art. L. 123-11-3, II N° Lexbase : L8151LSP) aux obligations de vigilance et de déclaration de soupçons à TRACFIN en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (C. com., ens. art. L. 123-11-5 N° Lexbase : L7131IC4 et L. 561-2, 15°) et à des obligations de communiquer, principalement le centre des impôts et l’URSSAF, la liste des entreprises domiciliées.

Reprenons donc les conditions de l’exercice d’une activité commerciale dérogatoire.

Conditions d’exercice d’une activité commerciale dérogatoire par un avocat

L’article 111 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 N° Lexbase : L8168AID (b) alinéa 2 admet que l’avocat puisse développer une activité commerciale dite dérogatoire, accessoire et connexe à l’exercice de la profession d’avocat à la condition de répondre à trois conditions qu’elle soit conduite à titre accessoire, qu’elle soit connexe et qu’elle soit proposée à des clients ou à d’autres membres de la profession. Il doit être reconnu que ces trois critères sur lesquels le dispositif se base sont pour le moins énigmatiques.

À l’occasion d’une assemblée générale les 5 et 6 octobre 2018, le Conseil National des Barreaux a recommandé que ces trois critères soient définis de la façon suivante [2] :

  • l’activité doit être accessoire au sens où l’exercice de la profession d’avocat doit demeurer effectif ;
    • elle doit être connexe c’est-à-dire avoir un lien étroit avec l’exercice de la profession d’avocat. Dans sa recommandation adoptée en assemblée générale en date des 5 et 6 octobre 2018, le Conseil National des Barreaux a considéré que « la connexité doit être envisagée sur le plan juridique et sur le plan économique, qu’elle soit directe ou indirecte ». La connexité directe s’entend comme un service complémentaire à celui fourni par l’avocat et retient une approche globale du besoin du client, alors que la connexité indirecte se comprend au regard d’un besoin précis du client qui requiert une compétence, un savoir-faire spécifique de l’avocat (une spécialisation) ;
  • elle doit être proposée à des clients qui peuvent être entendus au sens large de prospects.

La domiciliation d’entreprises apparaît donc comme une activité commerciale accessoire et connexe, proposée à des clients de l’avocat. Notons à cet égard que la notice du décret n° 2016-882 du 29 juin 2016 N° Lexbase : L1248K94 précise à titre d’exemple d’activité connexe « la mise à disposition de moyens matériels ou de locaux au bénéfice d’autres avocats ou sociétés d’avocats ». 

Cependant rappelons que le régime juridique de l’activité de domiciliation nécessite l’obtention un agrément du préfet, des obligations de déclaration de soupçon à TRACFIN et la communication d’informations sur les entreprises domiciliées à des administrations diverses et au Greffe du Tribunal de Commerce.

Or, ce dispositif particulier pourrait rentrer en contradiction avec les règles déontologiques de la profession d’avocat et notamment le secret professionnel.

Essayons d’être néanmoins créatifs et proposons des solutions.

Comme chacun le sait, les activités commerciales dérogatoires peuvent être conduites par le biais d’une branche d’activité du cabinet (l’activité est donc exercée au sein du cabinet d’avocats) ou via une société tierce (l’activité sera donc exercée par une société ad hoc ayant, ou pas, un lien capitalistique avec le cabinet).

1ère structuration possible : intégration de l’activité commerciale dérogatoire au cabinet

Que l’activité commerciale dérogatoire soit intégrée à un cabinet individuel ou à une structure d’exercice, l’on peut considérer que l’activité commerciale fait partie de l’exercice professionnel.

Dès lors, l’activité commerciale est soumise aux règles entourant l’exercice professionnel de l’avocat.

Dans un avis n° 2021-047 rendu le 30 novembre 2021, la Commission Règles et Usages du Conseil National des Barreaux a relevé quatre points qui empêcheraient alors de développer l’activité de domiciliation dans un cabinet :

  • l’agrément préfectoral en ce qu’il a pour effet de soumettre l’avocat à une autre autorité que celle de son bâtonnier, ce qui est une atteinte au principe que l’avocat n’est placé que sous l’autorité de son bâtonnier ;
  • la lutte contre le blanchiment qui oblige donc le domiciliataire à déclarer ses soupçons à TRACFIN, sans le filtre du Bâtonnier [3] ;
  • l’activité étant intégrée au cabinet, ce dernier ne peut pas communiquer à des administrations des informations relatives à ses clients sans trahir le secret professionnel (nom et adresse des entreprises domiciliées) [4], ni communiquer aux greffes le fait que l’entreprise domiciliée n’ait pas relevé son courrier depuis trois mois ;
  • cette activité ne permettrait pas de maintenir les exigences posées pour le domicile professionnel de l’avocat.

L’avis conclut donc à une incompatibilité de l’exercice d’une activité commerciale dérogatoire de domiciliation au sein du cabinet d’avocats.

2ème structuration possible : développement de l’activité commerciale dérogatoire par une filiale distincte du cabinet.

L’activité commerciale dérogatoire étant filialisée, elle est autonome et distincte de celle développée par le cabinet d’avocat.

Dès lors, dans cette hypothèse, l’activité commerciale, qui est distincte de l’activité d’avocat, serait soumise à ses propres règles.

L’avis conclut que dans ces conditions, l’avocat pourrait alors développer une activité de domiciliation d’entreprises, y compris à destination de clients de son cabinet ou des prospects.   

Néanmoins la question à laquelle l’avis ne répond pas et qui pourtant est centrale : est-il possible de fixer le siège social de la société commerciale à l’adresse des locaux du cabinet ?

Gageons que si c’était le cas, il est fort possible que les instances ordinales trouvent à redire à ce type de montage ayant pour but, en apparence, d’éviter l’application des règles déontologiques. Mais les avocats sont créatifs et il faut reconnaître qu’un service de domiciliation serait un réel atout dans certains cabinets. C’est donc un débat qui n’a pas fini d’agiter !

 

[1] Comm. SPA, AT n° 2020-014 du 27 novembre 2020.

[2] Cf. rapport présenté en AG du Conseil National des Barreaux les 5 et 6 octobre 2018.

[3] Il est précisé que l’article L. 561-31 du Code monétaire et financier N° Lexbase : L0684LWA oblige l’avocat à déclarer ses soupçons lorsque l’avocat assiste ses clients « dans la préparation ou la réalisation de transactions concernant : e) la constitution, la gestion ou la direction de société ». La différence est l’autorité à qui ses soupçons sont déclarés : le Bâtonnier pour l’avocat, TRACFIN pour le domiciliataire.

[4]  C. com., art. R. 123-168 N° Lexbase : L8563ITC.

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