Lexbase Affaires n°341 du 6 juin 2013 : Entreprises en difficulté

[Jurisprudence] Le capital social non libéré n'est pas de l'actif disponible

Réf. : Cass. com., 23 avril 2013, n° 12-18.453, F+P+B (N° Lexbase : A6835KC7)

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par Christine Lebel, Maître de conférences HDR à la Faculté de Droit de Nancy (Université de Lorraine, Institut François Gény, EA 1138, Nancy)

le 06 Juin 2013

Les faits de la présente affaire ne sont pas des plus courants : un associé forme tierce-opposition au jugement ayant prononcé l'ouverture d'un redressement judiciaire sur déclaration de cessation des paiements. Certes, la possibilité d'exercer cette voie de recours a été reconnue ouverte aux associés par la Cour de cassation, tout spécialement lorsque ce dernier répond indéfiniment des dettes sociales à proportion de sa part dans le capital social sur le fondement des articles L. 661-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L3339ICN) et 583 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6740H7R) (1). En effet, dans cette hypothèse, la Cour de cassation considère que l'associé n'est pas représenté par le gérant de la société, contrairement aux autres contentieux (2). Toutefois, dans cette procédure, la société étant une société par actions simplifiée, l'associé ayant formé tierce-opposition n'est pas tenu indéfiniment du passif social. Par conséquent, son action n'était pas recevable de prime abord. Or, selon une solution jurisprudentielle traditionnelle, ce dernier peut valablement agir car la représentation cesse en cas de fraude (3), ce qui était le cas, car l'associé invoquait un comportement frauduleux de la société débitrice, celle-ci n'ayant pas fait figurer dans sa déclaration de cessation des paiements le capital social non libéré, qui, d'après lui, constituerait de l'actif disponible au sens de l'article L. 631-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L3381IC9). La cour d'appel de Paris, par un arrêt du 15 septembre 2011 (4), considère que le capital social non libéré ne peut être assimilé à un actif disponible ou une réserve de crédit au sens de l'article L. 631-1 précité, puisque son inscription dans la trésorerie de la société suppose la mise en oeuvre d'une action en recouvrement qui n'est pas nécessairement fructueuse immédiatement dès lors que les associés peuvent s'y opposer ou ne pas être en mesure de faire face aux demandes en paiement. Par ailleurs, les juges du fond ont constaté qu'en l'absence d'actif disponible permettant de faire face à un passif exigible de plus de 600 000 euros, la société débitrice était en cessation des paiements. La Cour de cassation rejette le pourvoi de l'associé, en indiquant qu'en l'absence d'actif disponible (I) la cour d'appel n'avait pas à procéder à d'autres recherches dans la mesure où la société débitrice n'avait aucune autre réserve de crédit (II).

I - Le capital social non libéré n'est pas de l'actif disponible

Etre ou ne pas être en cessation des paiements ? Cette question demeure fondamentale en dépit de la volonté du législateur de maintenir la définition de cette notion énoncée par de la loi du 25 janvier 1985 (loi n° 85-98 N° Lexbase : L7852AGW), lors de la réforme opérée par la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 (N° Lexbase : L5150HGT) (5). Toutefois, à la suite de certaines décisions rendues par la Chambre commerciale de la Cour de cassation (6), cette formulation a été "renforcée" par l'ordonnance de réforme n° 2008-1345 du 18 décembre 2008 (N° Lexbase : L2777ICT), en se référant aux notions de réserve de crédit et de moratoires. La prise en compte de la réserve de crédit dont dispose le débiteur a donc été formalisée à cette époque, bien qu'en pratique, elle soit prise en compte depuis bien longtemps (7) pour apprécier la situation financière d'un débiteur avant de prononcer l'ouverture d'un redressement ou d'une liquidation judiciaire.

Tout d'abord, la créance de capital social non libéré a une nature juridique particulière, comme l'a relevé la Cour de cassation, car il s'agit d'une créance de la société contre les associés, confirmant ainsi l'analyse opérée par la doctrine. En effet, les apports en numéraire peuvent, dans certaines sociétés, et notamment la société par actions simplifiée (8), comme dans la présente affaire, ne pas être totalement libérés lors de la constitution de la société. Pour autant, l'apport est un élément constitutif de la société, c'est la prestation promise par tout associé, matérialisant l'obligation fondamentale à la charge de ce dernier (9), même si cette affirmation doit être aujourd'hui nuancée pour les sociétés constituées avec un capital social symbolique (10). Par conséquent, l'apport est une obligation de l'associé à l'égard de la société, et non envers les autres associés, qui pour un apport en numéraire prend la forme d'une obligation de payer une somme d'argent (11). Pour cette raison, lorsque l'apport en numéraire n'est pas libéré intégralement lors de la constitution de la société, la créance de la fraction de capital social non libéré est détenue par la société envers un ou plusieurs associés, selon le cas. Telle est bien la situation dans cette affaire, car il apparaît que le capital social non libéré de la société débitrice s'élevait à 2 200 500 euros au jour de la déclaration de cessation des paiements.

Reste alors à savoir si cette créance de la personne morale contre les associés peut être ou non qualifiée d'actif disponible au sens de l'article L. 631-1 du Code de commerce. La loi ne donne pas de définition de cette notion (12), cette rubrique juridique étant complétée par la jurisprudence au fur et à mesure des affaires soumises aux juridictions du fond et à la Cour de cassation. Toutefois, doctrine et jurisprudence s'accordent pour considérer que constituent l'actif disponible les liquidités qui permettent de faire face aux dettes exigibles, autrement dit tous les actifs monétaires ainsi que les valeurs immédiatement réalisables. Cependant, la cessation des paiements étant une notion de droit, l'actif disponible ne peut être assimilé à l'actif circulant du bilan comptable du débiteur (13). Pour cette raison, constituent de l'actif disponible le solde créditeur des comptes ouverts auprès des établissements bancaires, ainsi que les effets de commerce et les valeurs mobilières qui ne sont pas cotées sur un marché à terme. A l'opposé les créances à recouvrer ne constituent pas de l'actif disponible sauf si le paiement est en cours, car il s'agit alors de rentrées financières certaines et immédiates (14).

Tels sont les critères qu'il convient de retenir pour apprécier la créance de la société à l'égard des associés et donc pour répondre à la question posée à la Cour de cassation : s'agit-il ou non d'une créance permettant d'obtenir des rentrées financières dans un bref délai et de manière certaine ? La cour d'appel répond par la négative, en précisant que l'inscription de cette créance dans la trésorerie de la société suppose la mise en oeuvre d'une action en recouvrement intentée par le dirigeant de la personne morale. En outre, rien ne permet de considérer que cette action permette un recouvrement immédiat de cette créance et que les associés débiteurs ne s'y opposent pas, ou bien qu'ils soient en mesure d'exécuter leur obligation de payer. Dans ces conditions, les critères précédemment énoncés ne sont pas remplis, et ce, d'autant plus que rien n'est indiqué quant à l'existence d'une quelconque action intentée par le représentant légal de la société en vue d'obtenir la libération du capital social souscrit par les associés au moyen d'un apport en numéraire. L'analyse effectuée par les juges du fond doit être pleinement approuvée : la créance de capital social non libéré ne peut être assimilé à de l'actif disponible.

Cette créance ne peut davantage être qualifiée de réserve de crédit. En effet, selon la jurisprudence, celle-ci peut être définie comme des liquidités supplémentaires accordées à court terme au débiteur pour lui permettre de faire face de façon conjoncturelle à un passif exigible (15). Ces liquidités sont en pratique accordées au moyen de concours bancaires, tels que des facilités de caisse ou une avance en compte courant. De même, il convient de prendre en compte les crédits fournisseurs qui constituent une réserve de crédit accordée par l'un des fournisseurs d'un débiteur lui permettant également de faire face au passif exigible (16). Or, dans la présente affaire, la créance de capital social non libéré ne répond pas à ces conditions. Par conséquent, elle ne peut être qualifiée de réserve de crédit. La situation aurait été différente si les comptes courants des associés avaient un solde cumulé permettant de faire face aux dettes exigibles de la société.

II - Le passif exigible et l'absence de réserve de crédit

L'arrêt rendu le 23 avril 2013 doit ainsi être approuvé quant à la qualification de la créance de capital social non libéré au regard de la notion de cessation des paiements, et tout spécialement de l'actif disponible. Pour le reste, il reprend une formulation déjà utilisée pour répondre au pourvoi de l'associé.

En effet, la Cour de cassation précise que la cour d'appel "n'avait pas à rechercher si la totalité du passif exigible était exigé dès lors qu'il n'était pas allégué que le débiteur bénéficiait d'une autre réserve de crédit". Une telle formulation a été précédemment utilisée par la Cour régulatrice dans un arrêt du 15 février 2011 (17) afin de "faire face" -ou contrecarrer- à une interprétation erronée opérée par certains praticiens, il y a une quinzaine d'années (18). Par la suite, la Cour de cassation n'a eu de cesse de rappeler qu'il importe peu que le passif exigible soit effectivement exigé pour déterminer si la cessation des paiements d'un débiteur est ou non caractérisée (19). Ainsi, la simple inaction du créancier ne peut être qualifiée de moratoire affectant l'exigibilité des dettes du débiteur. Dans le cas contraire, le moratoire entraîne un report du terme de la dette, l'excluant du périmètre de la cessation des paiements, pour avoir "perdu" momentanément son exigibilité, ce qui conduit la doctrine à considérer que le moratoire est en quelque sorte un passif exigible en moins (20).

Ainsi, il importe, pour déterminer si la société est en cessation des paiements, de prendre en compte la totalité du passif exigible, diminué des dettes pour lesquelles le débiteur a obtenu un moratoire de la part de ses créanciers. Autrement formulé le passif exigible est la somme algébrique des dettes échues et de celles exigibles mais "moratoriées". Afin d'éviter l'ouverture de la procédure collective, l'associé avait prétendu que les juges du fond auraient dû vérifier que la totalité du passif était exigée par les créanciers. Or, dans cette affaire, il semble que la société débitrice n'avait aucun actif disponible, de sorte qu'il était inutile de distinguer entre les dettes sociales dès lors qu'il en existait au moins une à laquelle la société ne pouvait faire face. En effet, une seule créance suffit à caractériser la cessation des paiements d'un débiteur, sans qu'il soit nécessaire de procéder à une analyse approfondie, dette par dette, pour déterminer s'il y a, ou non, cessation des paiements.


(1) Cass. com., 19 décembre 2006, n° 05-14.816, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A9941DSY), Bull. civ. IV, n° 254; D., 2007, p.157, obs. A. Lienhard ; D., 2007, 1321, note I. Orsini ; JCP éd. G, 2007, II, 10076, note D. Cholet ; JCP éd. G, 2007, I, 179, n° 8, obs. J.-J. Caussain, Fl. Deboissy et G. Wicker ; Procédures, 2007, Comm. 43, obs. F.-X. Lucas ; Bull. Joly Sociétés, 2007, 467, note P. Cagnoli et J. Vallansan ; Dr. Sociétés, 2007, comm. 22, obs. H. Lécuyer ; ibid., comm. 24, obs. F.-X. Lucas, P.-M. Le Corre, in Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté, Lexbase Hebdo n° 244 du 18 janvier 2007 - édition privée (N° Lexbase : N7781A93) ; Cass. com. 26 juin 2010, Procédures, 2010, n° 338, note R. Perrot.
(2) Cass. civ. 3, 15 janvier 1975, n° 73-12.016, publié (N° Lexbase : A5074CHE), Bull. civ. III, n° 18 ; Cass. com., 15 juillet 1975, n° 74-12.308, publié (N° Lexbase : A5897CHU) Bull. civ. IV, n° 207 ; Cass. civ. 2, 16 juin 1977, n° 76-10.051, publié (N° Lexbase : A6987CIM), Bull. civ. II, n° 137 ; Cass. civ. 3, 29 mars 2000, n° 98-18.520, publié (N° Lexbase : A5522AWG), Bull. civ. III, n° 76 ; Cass. civ. 3, 20 février 2002, n° 00-14.845, FS-P+B (N° Lexbase : A0452AYE), Bull. Joly Sociétés, 2002. 816, note J.-P. Garçon ; Cass. com., 23 mai 2006, n° 04-20.149, F-P+B ([LXB=A7424DPND]), D., 2006., p. 1742, obs. A. Lienhard.
(3) Cass. com., 15 juill. 1975, préc..
(4) CA Paris, Pôle 5, 9ème ch., 15 septembre 2011, n° 11/04265 (N° Lexbase : A1251H7H).
(5) D. Tricot, La cessation des paiements, une notion stable, Gaz. Pal., 2005, p. 1009 ; Ch. Lebel, Etre ou ne pas être en cessation des paiements, Gaz. Pal., 2005, p. 2934.
(6) Tout spécialement à propos des moratoires accordés par les créanciers du débiteur : Cass. com., 18 mars 2008, n° 06-20.510, FS-P+B N° Lexbase : A4748D7Y), D., 2008, p. 982, obs. A. Lienhard ; Gaz. Pal., 27-29 juillet 2008, p. 31, nos obs.; Dr. & patr., juillet-août, 2008, n° 114, obs. M.-H. Monsèrié-Bon ; Rev. proc. coll., 2008, comm.. 114, obs. B. Saintourens,
(7) F. Arbellot, La notion de "réserves de crédit" en droit des entreprises en difficulté, JCP éd. E, 2012, 1102, spéc. n° 4, qui précise que la réserve de crédit a été consacrée, dans ce domaine, par un arrêt de la Cour de cassation du 17 décembre 1902 !
(8) C. com., art L. 225-3 (N° Lexbase : L5874AIE), par renvoi de C. com., art. L. 227-1 (N° Lexbase : L2477IBD).
(9) A. Viandier, La notion d'associé, LGDJ, 1978, Bibl. Droit privé, T. 156, préf. F. Terré, spéc. n° 154 et s. ; H. Blaise, L'apport en société, thèse Rennes 1953, n° 6
(10) Th. Massart, La société sans apport, Etudes de droit privé, Mél. offerts à P. Didier, Economica 2008, p. 289.
(11) M. Buchberger, Le contrat d'apport, Essai sur la relation entre la société et son associé, éd. Panthéon-Assas, 2011, préf. M. Germain, spéc. n° 58 et s..
(12) P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz-Action 2012-2013, spéc. n° 221.11
(13) G. Berthelot, La cessation des paiements, une notion déterminante et perfectible, JCP éd. E, 2008, 2232, spéc. n° 8.
(14) J. Cl. com., Fasc 2155 n° 21 par C. Regnault-Moutier et J. Vallansan.
(15) F. Arbellot, préc. note 7, spéc. n° 6.
(16) Cass. com., 4 octobre 2005, n° 04-10.055, F-D (N° Lexbase : A7097DK3), Gaz. Pal., éd. spéc. Proc. coll., 2006/1, p. 11, n° 1, nos obs..
(17) Cass. com., 15 février 2011, n° 10-13.625, F-P+B (N° Lexbase : A1643GX7), Bull. civ. IV, n° 23 ; JCP éd. E, 2011, 1280, nos obs. ; D., 2011, p. 591, note A. Lienhard ; Bull. Joly Entreprises en difficulté, juillet 2011, p. 176, n° 88, note V. Martineau.
(18) Cass. com., 28 avril 1998, n° 95-21.969 (N° Lexbase : A2895AGC), D. Aff., 1998, 1487, obs. A. L. ; JCP éd. E, 1998, n° 161, p. 28, obs. Ph. Pétel.
(19) D. Tricot, préc. note 5, ce dernier considérant que l'on avait fait trop de cas d'une décision non publiée et sortie de son contexte (à propos de l'arrêt précité Cass. com., 28 avril 1998)
(20) F. Pérochon, Entreprises en difficulté, 9ème éd., LGDJ, 2012, n° 344.

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