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par Vincent Vantighem
le 27 Avril 2022
À l’heure où chacun commence à réfléchir aux projets estivaux, une chose est sûre : Éric Dupond-Moretti ne devrait pas partir en vacances avec des magistrats. Déjà mis en examen à deux reprises pour « prise illégale d’intérêts » dans des affaires en lien avec des juges, le Garde des Sceaux est l’objet d’une nouvelle plainte pour le même motif. Elle a été déposée, mercredi 30 mars, par l’Union syndicale des magistrats (USM). Le syndicat a écrit à la Cour de justice de la République (CJR), seule instance susceptible de pouvoir juger les ministres pour les délits commis dans l’exercice de leurs fonctions. Le but ? Signaler le traitement subi par Marie-Laure Piazza, l’actuelle première présidente de la cour d’appel de Cayenne (Guyane). Un signalement qui s’apparente à une plainte.
Pour bien comprendre cette affaire, il faut remonter à la fin de l’année 2016. À cette époque-là, Marie-Laure Piazza est présidente de la cour d’assises de Bastia (Haute-Corse). Éric Dupond-Moretti, lui, est encore un avocat réputé et redouté. Craint pour sa capacité à faire exploser les audiences, quitte à flirter parfois avec l’impertinence qui lui a permis de gagner le surnom « d’Acquittator ». Alors qu’il intervient en défense d’un accusé lors d’un procès, Éric Dupond-Moretti s’en prend à Marie-Laure Piazza, critiquant, entre autres, sa partialité supposée et son manque d’empathie avec les accusés. Le tout en des termes si durs que la juge décide de signaler les faits au parquet qui ouvre, alors, une enquête préliminaire. L’avocat est finalement sanctionné d’un rappel à la loi pour menaces et actes d’intimidation.
La magistrate incitée à réfléchir
Marie-Laure Piazza poursuit sa carrière et atterrit finalement en Guyane où elle prend la tête de la cour d’appel de Cayenne. C’est là, le 1er juillet 2021, qu’elle découvre que sa juridiction va faire l’objet d’un « examen de situation » diligenté par la Chancellerie. Signé de la main de Véronique Malbec, la directrice de cabinet d’Éric Dupond-Moretti, il est alors ordonné « afin d’appréhender les répercussions » de son organisation « sur la santé des magistrats et des fonctionnaires ».
En la matière, la procédure est bien stricte : l’examen de situation d’une juridiction ne doit pas s’attarder sur les responsabilités individuelles de ceux qui la gouvernent. Mais, le 10 décembre 2021, Marie-Laure Piazza est surprise de lire que le rapport, transmis alors au Premier ministre et au ministre de la Justice, la met en cause directement. Et notamment son objectif numéro 7 qui, selon les informations de Lexbase, l’invite « à conduire sans délai la nécessaire réflexion que la situation exige de toute urgence sur l’intérêt de se maintenir à ses fonctions dès lors qu’elle n’a plus de crédit suffisant pour porter le changement qui s’impose. »
Magistrate depuis 1990, Marie-Laure Piazza décide de rester. Mais le 24 février, les services du Premier ministre enchaînent et ordonnent une enquête administrative de l’Inspection générale de la Justice à son encontre. La juge se demande alors si elle doit son triste sort à sa gestion de la juridiction guyanaise ou à ses rapports passés avec Éric Dupond-Moretti. Elle sollicite alors le soutien de son syndicat, l’USM, qui a donc finalement porté plainte.
Vengeance personnelle ?
En la matière, l’USM n’en est pas à son coup d’essai. Depuis la nomination de l’ancien avocat, place Vendôme, elle a signalé de nombreux faits susceptibles, selon elle, de constituer des cas de « conflits d’intérêts ». C’est ainsi qu’Éric Dupond-Moretti a été mis en examen pour « prise illégale d’intérêts » dans l’affaire des fadettes en marge du dossier dit « des écoutes de Paul Bismuth » impliquant plusieurs magistrats du parquet national financier mais aussi dans l’affaire « Édouard Levrault », du nom de ce juge anticorruption avec qui le ministre avait eu maille à partir lorsqu’il était avocat. Appuyée par l’association Anticor mais aussi le Syndicat de la magistrature et FO-Magistrats, l’Union syndicale des magistrats estime qu’Éric Dupond-Moretti s’est servi de ses nouveaux oripeaux de ministre pour régler ses comptes avec d’anciens magistrats avec qui il s’était pris le bec, dans le passé.
Lui s’en défend vigoureusement. Dans toutes ces affaires, Éric Dupond-Moretti insiste en expliquant qu’il n’a fait que suivre les directives de ses services administratifs en lançant des enquêtes de l’Inspection générale de la Justice. Sur le cas de Marie-Laure Piazza, il explique, dans un communiqué diffusé par la Chancellerie, que « l’attention de la direction des services judiciaires a été appelée (…) sur une série de problèmes (…) mêlant des problématiques d’attractivité des postes ainsi que des alertes sur l’existence de tensions et de mal-être au travail », ajoutant que les inquiétudes étaient relayées, « avec virulence » par les syndicats sur place. Autrement dit que l’examen de situation d’une part et l’enquête de l’Inspection générale de la Justice d’autre part étaient parfaitement justifiés. Raison pour laquelle il a annoncé qu’il déposerait plainte pour « dénonciation calomnieuse » contre l’USM.
Une nouvelle mise en examen possible mais le soutien de Macron
Surtout, le ministre voit dans ces nouvelles accusations une nouvelle preuve de « la guerre », selon son expression, que les syndicats de magistrats lui ont déclarée. « C’est une pure opération de communication politique dirigée par l’exécutif, dit-il ainsi. Sur le fond, cette nouvelle attaque est totalement inconsistante ». C’est désormais à la Cour de justice de la République de décider de la suite de ce dossier. Avec à la clef, un potentiel rendez-vous judiciaire en vue d’une nouvelle mise en examen. Les deux dernières fois qu’il a été convoqué, Éric Dupond-Moretti avait refusé de répondre aux questions des juges d’instruction, estimant qu’ils avaient « perdu tout sens de la mesure ».
Dans cette affaire, l’ancien ténor des barreaux peut toutefois s’enorgueillir de bénéficier du soutien d’Emmanuel Macron. Répondant à la question d’un journaliste en marge de la présentation de son programme, le 17 mars, le président-candidat avait pris la défense de son ministre. « Quand des syndicats de magistrats décident de lancer une procédure contre un Garde des Sceaux, et le font dans une instance où ils siègent eux-mêmes [ce que personne n’est en mesure de dire, la syndication était soumise au secret, ndlr], je considère que je ne rendrais pas service à la démocratie en cédant à ce que je ne considère pas comme un fonctionnement satisfaisant. » C’est-à-dire en démissionnant son ministre.
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