Le Quotidien du 11 mars 2022 : Actualité judiciaire

[A la une] La Chancellerie s’inquiète de l’annulation en série de procédures en raison de délais déraisonnables

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par Vincent Vantighem

le 22 Mars 2022

En dépit de la maladie de Parkinson, Bernard Forterre, 83 ans, avait tenu à faire le voyage jusqu’à la barre du tribunal judiciaire de Nanterre (Hauts-de-Seine). En ce mois de janvier 2021, c’est donc appuyé de tout son poids sur une canne que l’ancien numéro 3 de Vivendi a écouté Olivier Protard, le président de la 15e chambre, annuler, purement et simplement, la procédure de l’affaire dite de « la chaufferie de la Défense ». Trente-six tomes de procédure, vingt ans d’instruction envoyée à la poubelle en quelques minutes d’audience. Comment pouvait-il en être autrement ?

Outre Bernard Forterre, le procès devait voir comparaître Jean Bonnefont, l’ancien dirigeant de Charbonnages de France. Mais, à 98 ans, avec un cancer de la prostate, une pneumopathie et deux infarctus au compteur, celui que l’on a surnommé « le plus vieux prévenu de France » était bien dans l’incapacité d’être jugé. Tout comme Charles Ceccaldi-Raynaud. Et pour cause : personnage central de ce dossier, l’ancien sénateur-maire (LR) de Puteaux était décédé, à 94 ans, avant même la rédaction du réquisitoire définitif dans cette affaire où il était soupçonné d’avoir touché 770 000 euros de pot-de-vin dans l’attribution d’un marché public.

De ce procès pour corruption, on est donc passé au procès de la Justice et de son extrême lenteur. Incompatible avec le droit des prévenus à être jugé dans ce que l’on appelle un « délai raisonnable ». Une instruction tentaculaire ; des commissions rogatoires au Luxembourg ou dans les îles Vierges britanniques ; un procès audiencé en grandes pompes : autant de travail qui n’a servi à rien. À l’époque, l’affaire avait fait grand bruit. Le parquet avait fait appel. Mais quelques mois, plus tard, en septembre 2021, la cour d’appel de Versailles (Yvelines) avait confirmé que la Justice avait bel et bien été trop lente pour que les prévenus soient jugés dans ce fameux « délai raisonnable ».

Le problème de l’audiencement des affaires sans détenus

L’histoire aurait pu s’arrêter là et ne retenir qu’un dossier embourbé sur lequel six juges d’instruction se sont succédé entre 2002 et 2019. Sauf que ce n’est pas le seul à avoir connu pareil sort dernièrement. Selon nos informations, la puissante Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) de la Chancellerie a envoyé, le 22 février à toutes les juridictions, une « note d’analyse » dans laquelle elle explique « qu’au moins six tribunaux correctionnels ont sanctionné des procédures pour non-respect du délai raisonnable ». « Soit en annulant l’entière procédure, soit en mettant fin aux poursuites », selon cette note.

Nîmes en juillet 2021. Avignon en novembre de la même année. Tours, Marseille et Basse-Terre au mois de janvier et donc celle de Nanterre auparavant : « ces décisions concernent dans leur grande majorité des infractions économiques et financières ou des infractions d’atteinte à la probité ». À chaque fois, tout le travail de la Justice a été réduit à néant en raison du temps qui passe. La lenteur de la Justice à instruire des dossiers n’est pas nouvelle. Mais, désormais, c’est surtout l’audiencement qui pose question. Dans les dossiers de ce type, il n’est pas rare que la majorité des prévenus soient laissés libres sous contrôle judiciaire avant le procès. Et, de fait, ils passent donc légitimement et légalement après les affaires dans lesquelles figurent des prévenus en détention provisoire… D’après Le Monde qui cite le parquet de Paris, à titre d’exemple : « vingt-quatre dossiers sans détenu renvoyés par les juges d’instruction de la Juridiction interrégionale spécialisée sont aujourd’hui en attente… » Et pourraient donc, à terme, connaître le même sort.

À ce propos, les formations de jugement demeurent légitimes à annuler purement et simplement des dossiers, après avoir motivé que le « délai raisonnable » était dépassé. Mais si la DACG a envoyé sa « note d’analyse », c’est bien pour rappeler que rien ne les y oblige au regard des jurisprudences constantes de la Cour de cassation et de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH).

Des indemnités, oui mais pas d’annulations pour la DACG

Sur cette problématique, la Justice se fonde sur deux textes : le premier est l’article 6, 1, de la CEDH N° Lexbase : L7558AIR qui mentionne que « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. » Le second est l’article préliminaire du Code de procédure pénale N° Lexbase : L1305MAL qui énonce « qu’il doit être définitivement statué sur l’accusation dont cette personne fait l’objet dans un délai raisonnable. »

Mais, pour autant, en droit français, il n’existe pas de sanction du délai raisonnable susceptible d’affecter la régularité d’une procédure. La seule sanction prévue par le droit est, en réalité, de nature pécuniaire. Sur le fondement de l’article L. 141-1 du Code de l’organisation judiciaire N° Lexbase : L7634LBD, « l’État est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la Justice. Sauf dispositions particulières, cette responsabilité n’est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice. »

En clair, la Justice n’avait aucune obligation légale d’annuler les procédures ayant traîné en longueur. Elle aurait très bien pu les trancher, tout en offrant la possibilité aux protagonistes du dossier (plaignants ou mis en examen) de réclamer des indemnités en raison du délai déraisonnable du traitement de leur affaire.

Quant à la Cour européenne des droits de l’Homme, elle émet la recommandation d’enclencher des recours pour faire accélérer les procédures lorsqu’elles sont encore au stade de l’instruction ou de l’audiencement. Mais aussi de réclamer des réparations pour les retards survenus. Mais en aucun cas de ne demander l’annulation des procédures.

Autrement dit, rien n’imposait, ni dans les textes ni dans la jurisprudence actuelle, d’obtenir l’annulation d’une procédure en raison d’un délai particulièrement long, en dépit du fait que plusieurs tribunaux ont pris ce type de décisions ces derniers mois. C’est cette réalité que la Direction des affaires criminelles et des grâces a souhaité rappeler dans sa « note explicative ». Expliquer ce qu’il est possible de faire pour se prémunir d’un risque grandissant d’annulation en série. Et de justifications à devoir donner à l’opinion publique…

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