Le Quotidien du 13 janvier 2022 : Bancaire

[Brèves] Précisions sur la prescription applicable au devoir de mise en garde

Réf. : Cass. civ. 1, 5 janvier 2022, n° 20-18.893, FS-B (N° Lexbase : A42197HQ)

Lecture: 6 min

N0003BZ7

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Brèves] Précisions sur la prescription applicable au devoir de mise en garde. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/77092839-breves-precisions-sur-la-prescription-applicable-au-devoir-de-mise-en-garde
Copier

par Jérôme Lasserre Capdeville

le 12 Janvier 2022

► Il résulte de l'article 2224 du Code civil (N° Lexbase : L7184IAC) que l'action en responsabilité de l'emprunteur non averti à l’encontre du prêteur au titre d'un manquement à son devoir de mise en garde se prescrit par cinq ans à compter du jour du premier incident de paiement, permettant à l'emprunteur d'appréhender l’existence et les conséquences éventuelles d’un tel manquement.

Le devoir de mise en garde à la charge du banquier dispensateur de crédit doit être vu comme l’obligation pour le prêteur d’alerter son cocontractant sur les risques d’endettement excessif de l’opération envisagée. Ce principe, dégagé de longue date par la jurisprudence (Cass. civ. 1, 12 juillet 2005, n° 03-10.921, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A9140DID), donne régulièrement lieu à des précisions jurisprudentielles. Tel est le cas dans la décision sélectionnée.

Faits et procédure. Le 14 janvier 2013, une banque a consenti à M. et Mme F. un prêt professionnel destiné au rachat d'une licence de taxi. Des échéances étant demeurées impayées à compter du 25 octobre 2015 et M. F. ayant été placé en redressement judiciaire le 11 avril 2016, la banque a, le 3 juin 2016, assigné Mme F. en paiement. En appel, celle-ci a sollicité, par conclusions du 8 février 2018, des dommages-intérêts au titre d’un manquement de la banque à son devoir de mise en garde.

Or, la cour d’appel de Versailles (CA Versailles, 20 juin 2019, n° 17/07295 N° Lexbase : A9670ZEU) a, par une décision du 20 juin 2019, déclaré une telle demande de dommages-intérêts irrecevable, car prescrite. Mme F. a alors formé un pourvoi en cassation.

Pourvoi. Selon l’un de ses moyens, le dommage résultant du manquement d’une banque à son obligation de mettre en garde un emprunteur non averti sur le risque d’endettement excessif né de l'octroi d'un prêt consiste en la perte d’une chance d’éviter le risque qui s’est réalisé, ce risque étant que l’emprunteur ne soit pas en mesure de faire face au paiement des sommes exigibles au titre du prêt. En conséquence, le délai de prescription de l’action en indemnisation d’un tel dommage commence à courir, non à la date de conclusion du contrat de prêt, mais à la date d'exigibilité des sommes au paiement desquelles l’emprunteur n’est pas en mesure de faire face. Dès lors, en retenant, au contraire, que le dommage résultant d’un manquement à l'obligation de mise en garde se manifesterait dès l’octroi du crédit, pour en déduire qu’en l’espèce le délai de prescription de cinq ans aurait commencé à courir dès la date de souscription du contrat, le 14 janvier 2013, et qu'il aurait déjà été « acquis » lorsque l’exposante avait formé sa demande de dommages-intérêts pour la première fois le 8 février 2018, la cour d’appel aurait violé l’article 2224 du Code civil.

Décision. La Cour de cassation donne raison à ce moyen.

Selon elle, il résulte de l’article 2224 du Code civil que l’action en responsabilité de l'emprunteur non averti à l’encontre du prêteur au titre d’un manquement à son devoir de mise en garde se prescrit par cinq ans à compter du jour du premier incident de paiement, permettant à l’emprunteur d’appréhender l’existence et les conséquences éventuelles d’un tel manquement.

Or, pour déclarer prescrite la demande de dommages-intérêts, la cour d’appel énonçait que le délai de prescription court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance, que le dommage résultant d'un manquement au devoir de mise en garde se manifeste dès l'octroi du crédit, que le délai de prescription avait commencé à courir dès la date de souscription du contrat, le 14 janvier 2013, et que la demande avait été formulée pour la première fois le 8 février 2018.

Dès lors, en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l’article 2224 précité. La cassation est ainsi prononcée.

Observations. Cette solution ne saurait surprendre. Certes, il y a quelques années plusieurs décisions remarquées de la Chambre commerciale étaient venues dire que, dans la mesure où ce délai court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime, il doit, en matière de manquement par un banquier à son obligation de mise en garde, commencer à courir à compter du dommage, c’est-à-dire la perte de chance de l'emprunteur de ne pas contracter, qui se manifeste dès l'octroi des crédits (Cass. com., 26 janv. 2010, n° 08-18.354, FS-P+B N° Lexbase : A6026ERM – Cass. com., 3 décembre 2013, n° 12-26.934, F-D N° Lexbase : A8322KQB). Le point de départ était donc, pour cette jurisprudence, la date de la convention.

Cependant, par une décision du 22 janvier 2020, la Chambre commerciale a opéré un revirement sur cette question, puisqu’elle y déclare que le délai de prescription de l’action en indemnisation du dommage résultant d’un manquement au devoir de mise en garde débute, non pas à la date de conclusion du contrat de prêt, mais à la date d’exigibilité des sommes au paiement desquelles l’emprunteur n’est pas en mesure de faire face (Cass. com., 22 janvier 2020, n° 17-20.819, F-D N° Lexbase : A59293CL). Cette solution a été réitérée par cette même chambre (Cass. com., 8 avril 2021, n° 19-12.693, F-D N° Lexbase : A12194PT).

L’arrêt sélectionné démontre qu’elle est logiquement partagée par la première chambre civile de la Cour de cassation (v. également, Cass. civ. 1, 5 janvier 2022, n° 20-17.325, FS-B N° Lexbase : A42127HH ; V. Téchené Lexbase Affaires, janvier 2022, n° 701 N° Lexbase : N9989BYM).

On ne peut alors que saluer cette convergence de jurisprudences. Il en va d’autant plus ainsi que la première chambre civile est amenée à se prononcer sur des affaires intéressant les emprunteurs consommateurs. Il aurait été alors étonnant et contestable que sa jurisprudence soit moins favorable aux clients de banque que celle dégagée par la Chambre commerciale qui, elle, s’adresse aux emprunteurs professionnels.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Droit de la responsabilité du banquier dispensateur de crédit, Contenu du devoir de mise en garde, in Droit bancaire, (dir. J. Lasserre Capdeville), Lexbase (N° Lexbase : E14203PB).

 

newsid:480003

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.