La lettre juridique n°888 du 16 décembre 2021 : Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Jurisprudence] Refus de la déduction des frais d’avocat et d’instance relatifs à la cession de titres sociaux

Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 28 septembre 2021, n° 440987, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6508478)

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par Sabrina Le Normand-Caillère, Maître de conférences HDR en droit privé à l’Université d’Orléans, Co-directrice du Master 2 Droit des affaires et fiscalité et du DU « Fiducie : former les acteurs de demain »

le 15 Décembre 2021


Mots-clés : TVA • holding mixte • frais d'avocat

À l’occasion d’une décision rendue le 28 septembre 2021, le Conseil d’État est revenu sur la délicate question de la notion de frais généraux en matière de TVA déductible. Publié au recueil Lebon, cet arrêt mérite attention.


 

En l’espèce, une personne physique, substituée par la suite par une société (SARL Saint-Exupéry Holding) s’est engagée à céder ses parts sociales, représentant l’intégralité du capital social de la société Westwings, à la société Metland, filiale de la société PSP, pour un prix de 2 400 000 euros. Cette contrepartie s’est réalisée en deux temps : d’une part, par la remise de 1 800 actions de la société Metland d’une valeur de 960 000 euros en contrepartie de l’apport à cette dernière de 400 actions de la société Westwings, la société PSP s’étant engagée à racheter les actions au terme d’un délai de trois années ou immédiatement après la rupture du contrat de travail de celui-ci ; d’autre part, par le versement d’une somme de 1 400 000 euros, correspondant à la vente des 600 autres actions de la société Westwings, en partie sous forme de distributions de dividendes par la société Metland pour un paiement de 800 000 euros payable en douze mensualités. À l’occasion de ces opérations, la société a exposé des frais d’avocats et d’instance. L’administration fiscale a remis en cause la déduction de la TVA ayant grevé ces frais, position confirmée par le tribunal administratif de Strasbourg mais annulée par la cour administrative d’appel de Nancy. Le ministre de l’Économie et du Budget s’est donc pourvu en cassation.

Saisi du litige, le Conseil d’État a ainsi dû rechercher si les frais d’avocats et d’instance occasionnés lors des différentes cessions de titres sociaux pouvaient ou non ouvrir droit à déduction.

Sur le fondement de l’article 168 de la Directive TVA et de l’article 271 du Code général des impôts (N° Lexbase : L8605LZQ), les hauts magistrats ont rappelé dans un premier temps que la caractérisation d’un lien direct et immédiat entre une opération particulière en amont et une ou plusieurs opérations en aval ouvrant droit à déduction est en principe nécessaire pour qu’un droit à déduction à la TVA soit reconnu à l’assujetti à la TVA. Ce droit à déduction grevant l’acquisition des biens ou de services en amont suppose que les dépenses effectuées fassent partie des éléments constitutifs du prix des opérations taxées en aval ouvrant droit à déduction. En l’absence d’un tel lien, l’assujetti est toutefois autorisé à déduire de la TVA lorsque les dépenses liées à l’acquisition de ces biens et services font partie de ses frais généraux et sont, en tant que tels, constitutifs du prix des biens produits ou des services fournis par cet assujetti.

Dans un second temps, les hauts magistrats ont appliqué ces principes relatifs à l’ouverture du droit à déduction à l’affaire litigieuse. Ils ont annulé la décision de la cour administrative d’appel de Nancy. Celle-ci avait considéré que non seulement la cession des titres avait le caractère d’une opération purement patrimoniale mais également que cette société établissait que les frais d’avocat et d’instance qu’elle avait engagés en vue d’obtenir le paiement du solde du prix de cession de cette cession n’avaient pas été incorporés dans ce prix et partant, qu’elle était en droit de déduire la taxe ayant grevé ces dépenses au titre des frais généraux. Or, pour les hauts magistrats, elle ne pouvait admettre la déduction de ces frais alors qu’elle avait jugé que ces dépenses se rattachaient à une opération à caractère purement patrimonial située par nature hors du champ d’application de la TVA. Cela impliquait que par nature elles pouvaient présenter un lien direct et immédiat avec l’ensemble de l’activité économique de la société holding assujettie à cette taxe. La cour d’appel a donc commis une erreur de droit en concluant à la déductibilité de la TVA qui a grevé les frais d’avocat et d’instance au seul motif qu’ils avaient été incorporés dans le prix de cession. En conséquence, l'arrêt de la cour administrative d’appel de Nancy est annulé.

Que faut-il en penser ?

Dans cette affaire, le Conseil d’État sanctionne les juges administratifs d’appel de ne pas avoir déduit les bonnes conséquences de leurs constatations. Selon les hauts magistrats, ces derniers ne pouvaient d’un côté reconnaître un caractère purement patrimonial à l’opération de cession de titres sociaux et d’un autre considérer que la TVA ayant grevé les dépenses était déductible au titre des frais généraux au motif que celles-ci n’avaient pu être incorporées dans le prix de cession des titres sociaux et qu’elle classait ces dépenses dans les frais préparatoires.

Pour bien comprendre la cassation, encore faut-il revenir sur la jurisprudence traditionnelle en la matière. Dans un arrêt de principe, la Cour de justice de l’Union européenne avait souligné la nécessité de caractériser l’existence d’un lien direct avec les opérations pour que le droit à déduction puisse s’exercer [1]. Ainsi, une cession de droits sociaux exonérée de TVA était en soi exclue du droit à déduction en dépit de l’affectation in fine de ces opérations à des opérations imposables. Ce n’est que 5 ans après que la Cour de justice a assoupli son analyse en autorisant la déduction des frais d’avocats engendrés par l’échec d’un rachat d’entreprise [2]. Pour les juges européens, ces dépenses constituaient des frais généraux faisant partie des éléments constitutifs du prix des opérations taxées. Cette dernière notion de « frais généraux » ouvrant droit à déduction a été par la suite appliquée aux opérations réalisées par des sociétés holdings dans le cadre de prise de participations dans une filiale [3], puis aux frais de cessions d’actions [4] et de restructurations du capital [5].

En l’espèce, les juges de la cour administrative d’appel avaient qualifié le caractère patrimonial de l’opération. Cela excluait de facto le caractère déductible des frais préparatoires à la cession aux opérations exposés par la société holding. En conséquence, aucun lien direct et immédiat avec l’activité économique ne pouvait donc être caractérisé entre l’activité taxable et la dépense réalisée. La qualification en opération patrimoniale de cette activité n’étonne guère en l’espèce : les frais exposés lors de la cession avaient été réalisés dans le cadre d’un litige visant à obtenir en justice l’exécution d’un protocole d’accord consistant non seulement au paiement des dividendes mais également l’exécution de la promesse de rachat de titres. L’opération de perception des dividendes étant hors du champ d’application de la TVA, cela excluait de facto toute déduction. Il en est de même de l’exécution de la promesse de rachat de titres sociaux, laquelle se rattache par nature à la qualité de simple détenteur de droits sociaux. L’objectif poursuivi par la société holding étant purement patrimonial, les dépenses de frais de cession de titres ne pouvaient donc en tant que telles ouvrir droit à déduction. L’objectif recherché par les parties étant en conséquence purement patrimonial, les dépenses en lien direct et immédiat ne pouvaient ouvrir droit à déduction de la TVA d’amont.

Dans sa décision, le Conseil d’État a pris position en faveur à l’absence d’immixtion de la société holding pour justifier la non-déduction des frais de cession de titres sociaux, et ce, contrairement à celle des juges du fond. En application de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, il convient de distinguer les holdings pures, non assujetties à la TVA, des holdings mixtes s’immisçant dans la gestion de leurs filiales car la cession s’inscrit dans le prolongement de son activité taxable. Dans l’arrêt AB SKF [6], la Cour de justice de l’Union européenne a toutefois neutralisé la portée de cette distinction en rendant déterminant le critère en amont de l’incorporation dans le prix de cession. Ainsi deux hypothèses distinctes peuvent se présenter : d’une part, si le prix de cession est incorporé dans le prix de cession, il ne peut être déduit dans la mesure où l’opération en aval n’est pas taxable ; d’autre part, si le prix de cession est une composante du prix de l’ensemble des services offerts par la holding dans le cadre de son activité économique, les frais de cessions de titres peuvent être déduits au titre des frais généraux.

En l’espèce, les éléments de preuve rapportés par les parties étaient insuffisants afin de caractériser l’immixtion de la société holding. Or, il est relevé que cette dernière avait engagé des frais d’avocat et d’instance en vue d’obtenir en justice le paiement du solde du prix de la cession de titres pour préserver les actifs nécessaires à la réalisation de son objet social. Pour les hauts magistrats, cet élément reste insuffisant pour caractériser une immixtion. En conséquence, les sociétés holdings doivent se montrer vigilantes quant aux preuves à rapporter en cas de contestation par l’administration fiscale de leur caractère animateur. Il faut qu’elles vérifient que ces éléments soient suffisants pour justifier une immixtion effective dans la gestion de leurs filiales.

Le motif relevé par la cour administrative d’appel tenant à la non-incorporation des dépenses dans le prix de cession des titres reste en pratique inopérant. Le caractère patrimonial de l’approche suivie par la holding l’emporte : si le fait que ces frais ne soient pas incorporés dans prix de cession est une condition nécessaire, elle reste néanmoins en pratique insuffisante. Traditionnellement, le Conseil d’État distingue en la matière entre les frais préparatoires de la cession et ceux de la transaction [7] : les premiers sont présumés faire partie des frais généraux mais l’administration fiscale a la possibilité de renverser cette présomption non seulement lorsque l’opération revêt un caractère patrimonial ou lorsque les dépenses litigieuses ont été incorporées dans le prix de cession ; quant aux seconds, ils sont présumés présenter un lien direct avec l’opération de cession mais cette présomption peut être renversée par la société holding s’il est établi que les dépenses litigieuses n’ont pas été incorporées dans le prix de cession.

En l’espèce, les dépenses supportées par la société holding n’intégraient aucune de ces deux catégories. Comme il a été mentionné par les hauts magistrats, les frais engagés sont intervenus a posteriori de la cession des titres sociaux et avaient pour seule finalité de permettre l’exécution de l’opération conformément aux clauses prévues dans le protocole d’accord. Ils en ont déduit très justement l’exclusion de la théorie des frais généraux dans cette affaire.

 

[1] CJCE, 6 avril 1995, aff. C-4/94, pt 19, BLP Group plc c/ Commissioners of Customs & Excise ([LXB=A9796AUD) : Rec. CJCE, 1995, I, p. 4177 ; Dr. fisc., 1995, n° 38, comm.1779 ; RJF, 6/1995, n° 804, concl. C. O. Lenz, p. 408. V. Ph. Derouin, Droit à déduction de la TVA et règle de l'affectation ; Dr. fisc., 1995, n° 38, comm. 100060.

[2] CJCE, 8 juin 2000, aff. C. 98/98, Midland bank.

[3] V. not. CJCE, 27 septembre 2001, aff. C-16/00, Cibo Participations SA (N° Lexbase : A5734AWB) : Dr. fisc. 2001, n° 47, comm. 1083 ; RJF, 12/2001, n° 1611.

[4] CJCE, 26 mai 2005, aff. C-465/03, Kretztechnik AG c/ Finanzamt Linz (N° Lexbase : A3969DIT) : Rec. CJCE, I, p. 4357 ; Dr. fisc. 2005, n° 44-45, comm. 720 ; RJF, 8-9/2005, n° 982 ; BDCF, 8-9/2002, n° 105, concl. F. G. Jacobs.

[5] CJCE, 29 octobre 2009, aff. C-29/08, AB SKF (N° Lexbase : A5614EMU) : Dr. fisc. 2009, n° 50, comm. 578, note Ph. Tournès ; RJF, 1/2010, n° 90.

[6] CJCE, 29 octobre 2009, aff. C-29/08, AB SKF précité : Dr. fisc. 2009, n° 50, comm. 578, note Ph. Tournès ; RJF 1/2010, n° 90.

[7] CE 3° et 8° ssr., 23 décembre 2010, n° 307698, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6971GNI).

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