La lettre juridique n°887 du 9 décembre 2021 : Accident du travail - Maladies professionnelles (AT/MP)

[Jurisprudence] La prescription de l’action récursoire de la CPAM contre l’employeur en cas de faute inexcusable

Réf. : Cass. civ. 2, 10 novembre 2021, n° 20-15.732, FS-B+R (N° Lexbase : A45197BY)

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par Yann Bougenaux, Avocat au Barreau de Lyon, Cabinet Fayan-Roux-Bontoux et associés

le 08 Décembre 2021

 


Mots-clés : faute inexcusable • action récursoire • action directe à l’encontre de l’assureur • prescription quinquennale

L’action récursoire de la CPAM à l’encontre de l’employeur, auteur d’une faute inexcusable, ainsi que son action directe à l’encontre de l’assureur de ce dernier, se prescrivent par cinq ans en application de l’article 2224 du Code civil (N° Lexbase : L7184IAC).


Par un arrêt rendu le 10 novembre 2021, la Cour de cassation vient apporter une précision s’agissant du délai de prescription de l’action récursoire de la CPAM à l’encontre de l’employeur ou de son assureur.

I. Le principe de l’action récursoire de la CPAM en cas de reconnaissance de faute inexcusable

  • L’action récursoire de la CPAM

À la suite d’un accident du travail, ou d’une maladie professionnelle, le salarié peut solliciter la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, en vue d’obtenir une indemnisation complémentaire (CSS, art. L. 452-1 N° Lexbase : L5300ADN).

Pour mémoire, la faute inexcusable correspond à un manquement à l’obligation de sécurité de l’employeur lorsqu’il aurait dû avoir conscience d’un danger et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour le prévenir.

En cas de reconnaissance de faute inexcusable de l’employeur, le salarié bénéficie alors d’une majoration de rente (CSS, art. L. 452-2 N° Lexbase : L7113IUY) et de la réparation des préjudices personnels.

Dans ce cas, le versement des indemnités allouées au salarié est à la charge de la CPAM qui doit en faire l’avance puis qui peut ensuite agir contre la société pour en obtenir le remboursement, dans le cadre d’une action récursoire.

Cette solution est prévue par l’article L. 452-3, alinéa 3, du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L5302ADQ) :

« La réparation de ces préjudices est versée directement aux bénéficiaires par la caisse qui en récupère le montant auprès de l'employeur. »

La caisse verse ainsi au salarié les indemnités auxquelles leur ouvre droit la faute inexcusable de l’employeur (rente et dommages personnels) et ne dispose que d’une action récursoire contre l’employeur.

Les sommes en jeu peuvent être considérables.

  • L’assurance de la faute inexcusable de l’employeur

C’est la raison pour laquelle, l’alinéa 3 de l’article L. 452-3 du Code de la Sécurité sociale permet à l’employeur de s’assurer contre ce risque :

« L'employeur peut s'assurer contre les conséquences financières de sa propre faute inexcusable ou de la faute de ceux qu'il s'est substitués dans la direction de l'entreprise ou de l'établissement. »

Cette possibilité d’assurance permet à l’employeur de limiter les conséquences financières d’une reconnaissance de faute inexcusable qui pourrait être fatale pour la société.

Cependant, la survenue de l’assureur dans le cadre du litige, vient apporter un élément de complexification.

Se pose alors la question du recours direct de la CPAM à l’encontre de l’assureur.

Ce recours est prévu à l’article L. 124-3 du Code des assurances (N° Lexbase : L4188H9Y) :

« Le tiers lésé dispose d'un droit d'action directe à l'encontre de l'assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable.

L'assureur ne peut payer à un autre que le tiers lésé tout ou partie de la somme due par lui, tant que ce tiers n'a pas été désintéressé, jusqu'à concurrence de ladite somme, des conséquences pécuniaires du fait dommageable ayant entraîné la responsabilité de l'assuré. »

Fort logiquement, l’action directe de la CPAM contre l’assureur suit le régime juridique de l’action de la CPAM à l’encontre de l’employeur (sauf exceptions qui ne concerne pas la problématique abordée).

Ainsi, le recours contre l’assureur est toujours possible tant que l’assureur est exposé au recours de son assuré (Cass. civ. 3, 20 octobre 2021, n° 20-21.129, F-D N° Lexbase : A00557AB ; Cass. civ. 2, 10 février 2011, n° 10-14.148, F-D N° Lexbase : A7373GWY).

Dans le cas qui nous occupe, la CPAM avait donc indemnisé le salarié et exerçait son action directe à l’encontre de l’assureur de l’employeur, qui se défendait en relevant la prescription de l’action.

Il convient également de préciser que la décision du tribunal des affaires de Sécurité sociale de Valence, confirmée par la cour d’appel de Grenoble et reconnaissant la faute inexcusable n’avaient pas été déclarées communes à l’assureur.

II. Le délai de prescription de l’action récursoire de la CPAM

Dans ce litige, trois textes relatifs à la prescription ont été successivement soulevés.

Devant la cour d’appel de Besançon, l’assureur invoquait l’article L. 431-2 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L5309DYB), relatif à la prescription biennale de l’action de la victime contre l’employeur :

« Les droits de la victime ou de ses ayants droit aux prestations et indemnités prévues par le présent livre se prescrivent par deux ans à dater :

1°) du jour de l'accident ou de la cessation du paiement de l'indemnité journalière ;

2°) dans les cas prévus respectivement au premier alinéa de l'article L. 443-1 (N° Lexbase : L7108IUS) et à l'article L. 443-2 (N° Lexbase : L5299ADM), de la date de la première constatation par le médecin traitant de la modification survenue dans l'état de la victime, sous réserve, en cas de contestation, de l'avis émis par l'expert ou de la date de cessation du paiement de l'indemnité journalière allouée en raison de la rechute ;

3°) du jour du décès de la victime en ce qui concerne la demande en révision prévue au troisième alinéa de l'article L. 443-1 ;

4°) de la date de la guérison ou de la consolidation de la blessure pour un détenu exécutant un travail pénal ou un pupille de l'éducation surveillée dans le cas où la victime n'a pas droit aux indemnités journalières. »

Selon l’assureur, la CPAM était subrogée dans les droits de la victime et devait donc se voir appliquer le même délai de prescription.

Selon cette thèse, la CPAM disposait d’un délai de deux ans à compter de la saisine du tribunal des affaires de Sécurité sociale (désormais pôle social du tribunal judiciaire) par le salarié.

Il convient de préciser que cette solution ne pouvait aboutir, tant il est clair que l’action de la CPAM ne dérive pas des droits de l’assuré, auquel elle n’est pas subrogée, mais dérive d’un texte spécifique.

La CPAM répondait qu’il convenait d’appliquer la prescription décennale de l’article 2226 du Code civil (N° Lexbase : L7212IAD) relatif aux réparations des préjudices corporels :

« L'action en responsabilité née à raison d'un événement ayant entraîné un dommage corporel, engagée par la victime directe ou indirecte des préjudices qui en résultent, se prescrit par dix ans à compter de la date de la consolidation du dommage initial ou aggravé. »

La cour d’appel de Besançon (CA Besançon, 17 mars 2020, n° 18/01591 N° Lexbase : A74433KU) a suivi le raisonnement de la CPAM considérant en effet que l’article L. 431-2 du Code de la Sécurité sociale ne visait que les prestations versées à la victime et non le recours de la CPAM à l’encontre de l’employeur ou de son assureur :

« Qu'il est admis que si l'article L. 432-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L8761KUZ) invoqué par l'intimée soumet à la prescription biennale les actions en remboursement des prestations versées au titre de la législation sur le risque professionnel, cette disposition ne vise que les prestations versées à la victime, de sorte qu'à défaut de texte particulier, l'action d'une caisse primaire d'assurance maladie en récupération des prestations versées, en application de l'article L. 452-3 du même code, à la victime d'une faute inexcusable, dirigée à l'encontre de l'employeur demeure soumise à la prescription de droit commun ; »

La cour d’appel de Besançon applique alors le délai de prescription décennal prévu en cas de dommage corporel.

La Cour de cassation va censurer ce raisonnement sur le fondement d’un troisième texte, l’article 2224 du Code civil, relevé d’office par les magistrats, et qui n’avait donc pas été débattu devant la cour d’appel de Besançon.

Cet article concerne le délai de droit commun de cinq ans applicable aux actions personnelles ou mobilières.

Par une motivation laconique et dénuée de toute ambiguïté, la Cour de cassation rejette l’application de l’article 2226 du Code civil :

« 8. Il en résulte qu'en l'absence de texte spécifique, l'action récursoire de la caisse à l'encontre de l'employeur, auteur d'une faute inexcusable, se prescrit par cinq ans en application de l'article 2224 du Code civil et que son action directe à l'encontre de l'assureur de l'employeur se prescrit par le même délai et ne peut être exercée contre l'assureur, au-delà de ce délai, que tant que celui-ci reste exposé au recours de son assuré.

9. Pour accueillir la demande de la caisse, l'arrêt retient qu'en vertu de l'article 2226 du Code civil l'action en responsabilité née d'un événement ayant entraîné un dommage corporel, engagée par la victime directe ou indirecte des préjudices qui en résultent, se prescrit par dix ans à compter de la date de consolidation du dommage initial ou aggravé de sorte que, la consolidation de la victime étant intervenue le 11 mars 2009, l'action intentée par la caisse par acte d'huissier de justice délivré le 9 mars 2016, soit dans le délai imparti par ce texte, n'est pas prescrite. »

La Cour de cassation considère que l’action récursoire de la CPAM se prescrit par cinq ans, en application de l’article 2224 du Code civil que ce soit aussi bien à l’encontre de l’employeur que de son assureur.

Cela confirme que la CPAM n’est pas subrogée à proprement parler des droits de la victime.

La Cour de cassation en profite pour confirmer le fait qu’il est possible de dépasser ce délai de cinq ans tant que l'assureur reste exposé au recours de son assuré.

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