La lettre juridique n°887 du 9 décembre 2021 : Droit des biens

[Jurisprudence] Acquisition immobilière indivise solidaire : précisions en droit de l’assurance-vie

Réf. : Cass. civ. 1, 20 octobre 2021, n° 20-11.921, FS-B (N° Lexbase : A5245497)

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par Jérôme Casey, Avocat au barreau de Paris, Maître de conférences à l’Université de Bordeaux

le 08 Décembre 2021


Mots-clés : indivision • comptes de l’article 815-13 • assurance habitation • assurance multirisques • cotisations • dépenses de conservation • passif de l’indivision • échéances d’emprunt • paiement par l’assureur • assurance-invalidité

1°) Les sommes payées au titre des cotisations d’assurance habitation, qui participent à la conservation de l'immeuble indivis, doivent être imputées au passif de l'indivision, après déduction de la fraction correspondant aux garanties couvrant les dommages subis personnellement par le titulaire du contrat et sa responsabilité civile.
2°) Lorsque des échéances d’un emprunt indivis ont été réglées par un assureur au titre de la garantie assurance-invalidité, l’indivisaire invalide ne peut prétendre à une indemnité au titre des sommes avancées nécessaires à la conversation d'un bien indivis au sens de l'article 815-13 du Code civil.


 

(i) Selon l'article 815-13 du code civil, lorsqu'un indivisaire a avancé de ses deniers les sommes nécessaires à la conservation d'un bien indivis, il doit lui en être tenu compte selon l'équité et eu égard à ce dont la valeur du bien se trouve augmentée au temps du partage. Après avoir relevé que M. [Aa] avait souscrit une assurance habitation dont il avait seul réglé les cotisations, la cour d'appel a retenu à bon droit, par motifs propres et adoptés, que les sommes ainsi payées, qui participaient à la conservation de l'immeuble, devaient être imputées au passif de l'indivision, après déduction de la fraction correspondant aux garanties couvrant les dommages subis personnellement par le titulaire du contrat et sa responsabilité civile.

(ii) Selon l'article 815-13 du code civil, lorsqu'un indivisaire a avancé de ses deniers les sommes nécessaires à la conservation d'un bien indivis, il doit lui en être tenu compte selon l'équité et eu égard à ce dont la valeur du bien se trouve augmentée au temps du partage. Après avoir relevé, par motifs propres et adoptés, qu'à la suite de l'invalidité de M. [Aa], l'assureur avait réglé, de décembre 2008 à décembre 2009, l'intégralité des mensualités de remboursement des deux emprunts, la cour d'appel a retenu à bon droit que celui-ci, qui n'avait exposé aucune dépense au moyen de ses deniers personnels pendant cette période, n'était pas fondé à obtenir de l'indivision une indemnité correspondant aux sommes ainsi versées pour son compte. En effet, l'établissement prêteur ayant, par l'effet de la stipulation ainsi faite à son profit, directement recueilli l'indemnité versée par l'assureur qui s'était substitué à l'assuré pour le remboursement du solde des prêts garantis, cette indemnité n'était jamais entrée dans le patrimoine dAa M. [V].
Le moyen n'est donc pas fondé.

Observations. L’arrêt tranche deux questions, non liées entre elles, mais qui intéresseront les praticiens, surtout la seconde. D’une part, quel rétablissement est dû à l’indivisaire ayant payé les primes d’assurances portant sur le bien indivis (I) ? D’autre part, lorsqu’un coïndivisaire devient invalide et que l’assureur paie les échéances de l’emprunt en lieu et place de ce coïndivisaire, ce dernier peut-il les compter comme provenant de sa poche personnelle (II) ?

I. Le rétablissement dû à l’indivisaire pour le paiement des primes d’assurance

La première question concerne le rétablissement dû par l’indivision à l’indivisaire qui a réglé les primes d’assurance du bien indivis. En pareil cas, qu’un remboursement soit dû au solvens est une solution acquise depuis longtemps, puisqu’il s’agit d’une dépense de conservation au sens de l’article 815-13 du Code civil (parmi une jurisprudence constante, v., deux arrêts publiés,  Cass. civ. 1, 5 mars 2008, n° 07-14.729, F-P+B N° Lexbase : A3360D7L ; AJ fam. 2008. 215, obs. P. Hilt ; Cass. civ. 1, 20 janvier 2004, n° 01-17.124 N° Lexbase : A8701DAI ; AJ fam. 2004. 103, obs. S. Deis-Beauquesne ; RTD civ. 2004. 765, obs. B. Vareille ; parmi les arrêts non publiés, v., par ex., Cass. civ. 1, 13 septembre 2017, n° 16-18.789, F-D N° Lexbase : A0862WSQ, obs. D. Krajeski, in Chronique de droit des assurances - Octobre 2017, Lexbase Droit privé, n° 717, 26 octobre 2017 N° Lexbase : N0910BXY ; Cass. civ. 1, 19 décembre 2012, n° 11-26.054, F-D N° Lexbase : A1634IZK ; Cass. civ. 1, 1er décembre 2010, n° 09-70.269, F-D N° Lexbase : A29827E8 ; plus ancien : Cass. civ. 1, 24 février 1998, n° 96-16.318, inédit au bulletin N° Lexbase : A4995CZZ). Une fois acquis que l’indivisaire solvens a droit au remboursement, par l’indivision, de la prime d’assurance payée, se pose la question du montant de ce remboursement. Faut-il déduire des primes payées la fraction des primes se rapportant à des risques qui ne concernent que cet indivisaire personnellement (par exemple, des dommages délictuels causés ou subi par lui) ?

La question se pose, car de telles dépenses ne profitent manifestement qu’à l’indivisaire solvens, et sont indifférentes pour l’indivision. Il est tout à fait légitime, au plan des principes, de les retrancher des sommes exposées par cet indivisaire. On gardera cependant à l’esprit que dans nombre de cas, les primes payées correspondent à une assurance multirisques (de l’habitation à la responsabilité civile individuelle ou « chef de famille »), et qu’en pareil cas la prime est réputée indivisible. Il sera alors extrêmement difficile de savoir quel montant retrancher. On peut donc dire que la solution adoptée par les juges du fond, qui convient aussi à la Cour de cassation, est juste dans son principe, mais sera certainement difficile à mettre en œuvre pour les contrats multirisques.

II. Le paiement de l’assureur & les comptes de l’article 815-13

La deuxième question tranchée par l’arrêt, qui est plus fondamentale, est au carrefour du droit des assurances, de l’indivision et du régime général des obligations. Elle peut se résumer ainsi : lorsque des échéances d’un emprunt indivis ont été réglées par un assureur au titre de la garantie assurance-invalidité, faut-il compter ces paiements au crédit de l’indivisaire invalide, et donc les additionner à ses paiements personnels, pour connaître le montant dont il est créancier de l’indivision sur le fondement de l’article 815-13 du Code civil (N° Lexbase : L1747IEG) ?

Avant toute chose, il convient de rappeler que l’assurance-vie repose sur le mécanisme de la stipulation pour autrui et qu’en application des règles gouvernant celle-ci, le bénéficiaire du contrat (ici, la banque prêteuse) tient ses droits directement de la compagnie d’assurance, elle ne les tient pas de l’assuré. C’est cette règle qui a donné naissance à une jurisprudence bien connue en régime de communauté, selon laquelle l’époux accidenté, et dont l’assurance-invalidité solde tout ou partie du prêt immobilier (ou de travaux), ne peut compter le montant réglé par son assurance parmi ses deniers personnels, ou ceux de la communauté lorsqu’il revendique une récompense au profit ou contre celle-ci.  (v., Cass. civ. 1, 1er décembre 1987, n° 85-15.260, N° Lexbase : A1241AHG ; Cass. civ. 1, 12 avril 2012, n° 11-14.653, F-P+B+I N° Lexbase : A5980IIC, obs. V. Nicolas, in Chronique de droit des assurances, Lexbase Droit privé, 17 mai 2012  n° 485 N° Lexbase : N1904BTP). D’autres arrêts, pour denier le droit à récompense de la communauté, ont estimé que le capital versé était un substitut de salaires (v., pour une assurance « perte d’emploi »,  Cass. civ. 1, 3 février 2010, n° 08-21.054, F-P+B N° Lexbase : A6039ER4 ; JCP 2010. 487, n° 10 et 11, obs. Simler ; JCP N 2010. 1172, note V. Barabé-Bouchard ; Dr. fam. 2010, comm.  43, obs. B. Beignier ; RTD civ. 2010. 612, obs. B. Vareille ; idem pour une assurance invalidité, v., Cass. civ. 1, 14 décembre 2004, n° 02-16.110, F-P+B N° Lexbase : A4642DEN ; AJ fam. 2005. 68, obs. P. Hilt ; RTD civ. 2005. 819, obs. B. Vareille ; D. 2005. 545, note R. Cabrillac ; D. 2005. Pan. 2118, obs. J. Revel ; Dr. fam. 2005, comm. 36, note B. Beignier).

En matière d’indivision, comme en l’espèce, la jurisprudence est plus confuse encore, les arrêts étant potentiellement contradictoires. C’est ainsi qu’il est des arrêts pour juger qu’au stade de la contribution à la dette (en cas d’acquisition indivise avec solidarité entre les emprunteurs), les fonds payés par l’assureur peuvent être comptés dans les dépenses faites par l’indivisaire assuré dont la garantie a joué (v., Cass. civ. 1, 15 décembre 2010, n° 09-16.693, F-P+B+I N° Lexbase : A1860GN9 ; Cass. civ. 1, 6 juillet 2011, n° 10-19.722, F-D N° Lexbase : A9595HUW ; Cass. civ. 1, 12 mars 2002, n° 00-21.271, publié au bulletin N° Lexbase : A2136AYR). Mais il est aussi des arrêts en sens contraire, qui jugent, sur le fondement de l’article 815-13 du Code civil, que les sommes payées par l’assureur ne peuvent être comptées au bénéfice de l’indivisaire assuré dont la garantie a joué (v., Cass. civ. 1, 28 mars 2018, n° 17-18.127, F-D N° Lexbase : A8611XIR ; antérieurement, v., Cass. civ. 1, 18 décembre 2013, n° 12-25.662, F-D N° Lexbase : A7562KSU ; Cass. civ. 1, 3 novembre 2004, n° 02-12.319, F-D N° Lexbase : A7554DD7 ; Cass. civ. 1, 23 janvier 2001, n° 98-16.782, inédit au bulletin N° Lexbase : A3987AR4). Ce deuxième courant se fonde sur le fait que l’indivisaire n’a pas payé les deniers de sa poche, puisque c’est l’assureur qui l’a fait.

Le premier groupe d’arrêts se fonde sur les règles de la solidarité (et plus spécifiquement celles de la subrogation personnelle), alors que le deuxième groupe est fondé sur l’article 815-13 et l’absence d’appauvrissement personnel de l’indivisaire invalide pour ce qui est des échéances payées par l‘assureur. Les fondements étant distincts, il est tentant de dire que ces arrêts ne se contredisent pas directement. Mais dans les faits, la contradiction apparaît nettement, puisque dans le premier cas l’indivisaire invalide peut ajouter le capital payé par l’assureur à la banque à ses propres paiements pour être remboursé par l’indivision, alors que dans le second cas, il ne le peut pas. Pourtant, dans les deux cas, celui qui exerce un recours n’a pas supporté le poids de la totalité de ce qui a été payé, puisque l’assureur aura bel et bien payé à sa place, tout ou partie de la dépense d’acquisition (« l’impense nécessaire », pour parler le droit de l’indivision, au sens de l’article 815-13 du Code civil).

Au cas d’espèce, il y avait une clause de solidarité entre les coemprunteurs qui étaient aussi des coacquéreurs indivis. D’ailleurs, le deuxième moyen du pourvoi a allégué une violation des articles 1121 (N° Lexbase : L0833KZU) et 1213 (N° Lexbase : L0925KZB) du Code civil (dans leur rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016), ce qui montre que son auteur avait bien conscience que la jurisprudence fondée sur la solidarité était bien plus favorable à sa thèse que celle fondée sur l’article 815-13. C’est donc fort logiquement qu’il mettait la lumière sur la solidarité plutôt que sur l’indivision… Pourtant, le pourvoi est rejeté. Par une motivation qui est simple et claire, la Cour de cassation enterre les finasseries tirées des spécificités de la solidarité, et ne retient que cette réalité concrète : celui qui demande à être remboursé n’a pas payé de sa poche la totalité des sommes qu’il veut inscrire en tant que « dépense faite » par lui.

Il est donc manifeste que la présente décision a cherché à clarifier la question une bonne fois pour toutes. Cette clarification peut être exprimée comme suit : par l’effet de la stipulation pour autrui, les sommes payées par l’assureur n’ont jamais transité par le patrimoine de celui qui demande à son coïndivisaire de le rembourser, peu important la solidarité ; il s’ensuit que le demandeur au remboursement ne peut  les compter à son bénéfice en tant que solvens. On ne peut qu’approuver cette solution, puisqu’elle entérine une vérité incontestable : le demandeur n’a jamais payé ces sommes lui-même. Certes, il a été victime d’un accident de la vie qui a mis en œuvre la garantie de l’assureur, mais cela ne veut pas dire que pour mettre en œuvre cette garantie son patrimoine s’est appauvri.

Il faut donc espérer que l’arrêt commenté contribuera à fixer la jurisprudence en matière d’acquisition indivise, et ceci qu’il y ait ou non solidarité entre les coemprunteurs, car cela donnerait une solution unifiée quelles que soient les hypothèses en cause : régimes matrimoniaux, concubinage, indivision. Le point commun de toutes ces matières est le même : du fait des règles gouvernant la stipulation pour autrui, le demandeur au remboursement n’a pas exposé de sa poche les sommes payées par l’assureur, de sorte qu’il ne peut les compter au titre de ses « impenses nécessaires » sur 815-13, et pas davantage dans sa « dépense faite » sur 1469 du Code civil (N° Lexbase : L1606AB4), et ceci qu’il y ait ou non solidarité entre les emprunteurs. Il reste donc à voir si cet arrêt clôt le débat, ce qui semble plus que probable. Avis aux avocats et à leur devoir de conseil, vous ne pouvez ignorer la présente décision, même en attendant qu’elle soit réaffirmée par un arrêt postérieur.

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