Le Quotidien du 8 décembre 2021 : Actualité judiciaire

[A la une] Pour les victimes de l’amiante, une citation directe et l’espoir enfin d’obtenir un procès

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[A la une] Pour les victimes de l’amiante, une citation directe et l’espoir enfin d’obtenir un procès. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/75286206-a-la-une-pour-les-victimes-de-lamiante-une-citation-directe-et-lespoir-enfin-dobtenir-un-proces
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par Vincent Vantighem

le 21 Décembre 2021

C’était le 6 novembre 2013. Il y a huit ans. Il y a une éternité. Ce jour-là, il faisait froid. Mais il n’y avait pas beaucoup de vent. Suffisamment toutefois pour faire décoller des petites effigies en papier. Tourbillonnant dans les airs quelques instants dans la lumière d’automne avant de s’écraser devant le pôle judiciaire Santé Publique de Paris. « Il y a 29 893 petits papiers précisément. Autant que le nombre de morts dus à l’amiante depuis dix ans... », nous avait alors expliqué Pierre Pluta, le président de l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante (Andeva).

Combien y en a-t-il désormais ? 40 000 ? 50 000 ? Impossible à dire. Interdite en 1997, l’amiante pourrait causer, selon un rapport du Sénat, la mort de 100 000 personnes d’ici à 2025. Environ 3 000 décès chaque année causés par des cancers de la plèvre ou des infections broncho-pulmonaires. Difficile de tenir le compte tant il y en a. Seule certitude : vingt-cinq ans après le dépôt des premières plaintes, il n’y a toujours pas eu de procès pénal de l’amiante en France.

C’était déjà pour cela que Pierre Pluta et les membres de son association avaient fait s’envoler des petits papiers en 2013. Pour cela qu’ils se battent depuis des décennies. Le 25 novembre, ils ont opté pour une nouvelle stratégie. Épaulés par l’avocat Antoine Vey, ils ont déposé une citation directe devant le tribunal judiciaire de Paris afin d’aboutir au procès de quatorze personnes qu’ils estiment responsables du scandale sanitaire.

« Nous avons à cœur de dénoncer […] un fonctionnement qui a existé entre 1982 et 1995 et qui […] a permis à des industriels de l’amiante, appuyés en cela par des lobbyistes rémunérés pour le faire, d’anesthésier les pouvoirs publics », a expliqué Antoine Vey, lors d’une brève conférence de presse. En toute logique, la citation vise les infractions « d’homicides et blessures involontaires », « non-assistance à personne en péril », « complicité d’administration de substance nuisible », « complicité de tromperie aggravée » et « association de malfaiteurs ».

Une épée de Damoclès sur la tête des victimes

Pendant très longtemps, pour les victimes de la fameuse poudre blanche utilisée dans le domaine de la construction, la volonté d’un procès pénal s’est heurtée à un mur. Considérant que les victimes et les ayants droit des personnes décédées étaient indemnisés au civil, les autorités publiques leur rétorquaient qu’il n’y avait pas lieu de prévoir des poursuites pénales. D’autant plus qu’après une âpre bataille, les anciens ouvriers étaient parvenus à faire reconnaître et indemniser leur « préjudice d’anxiété ».

Car l’amiante a cette spécificité : la fibre microscopique inhalée un jour peut très bien déclencher une maladie des années voire des décennies après. Le schéma médical est désormais connu. Tout commence par des plaques pleurales qui, à terme, se transforment en cancer de la plèvre, l’un des plus létaux. Les victimes ont donc obtenu réparation pour devoir vivre avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête, sans savoir si elle s’abattra sur eux un jour, ni quand…

Mais, au-delà de l’aspect pécuniaire, c’est surtout le désir de voir jugés les responsables n’ayant pas réagi et pas empêché les morts qui meut les anciens travailleurs des chantiers navals. L’histoire est connue : l’amiante a été interdite en 1997 mais ses effets néfastes étaient connus et documentés depuis les années 1950.

L’expertise judiciaire de 2017 qui douche les espoirs des victimes

Ces dernières années, les procédures pénales se sont donc multipliées. Comme autant d’usines et d’entreprises qui utilisaient l’amiante jadis : les chantiers navals de la Normed à Dunkerque (Paris), l’usine Ferodo-Valeo de Condé-sur-Noireau (Calvados), la construction de Jussieu (Paris)… Les victimes ont placé tous leurs espoirs dans le travail de la juge Marie-Odile Bertella-Geffroy qui empilait les tomes de procédures dans son bureau exigu du pôle Santé Publique de Paris.

Au début des années 2010, la juge a enchaîné les mises en examen des responsables de chaque usine, de chaque structure. Un saucissonnage du dossier mais un réel espoir pour les victimes. Sauf que voilà, toutes ces mises en examen ont finalement été annulées par les cours d’appel et la Cour de cassation en raison d’une expertise judiciaire définitive versée au dossier en février 2017. Celle-ci estimait impossible de déduire avec précision le moment de l’exposition des salariés à la fibre cancérogène, et celui de leur contamination. Par conséquent, il était impossible d’établir les responsabilités pénales de tel ou tel dirigeant…

Le Comité permanent Amiante dans le viseur

La juge a quitté la magistrature pour devenir avocate. Les victimes ont mis du temps à se remettre de cette douche froide. Mais pas de quoi leur faire baisser les bras. Si on ne peut pas réclamer des comptes aux patrons des entreprises qui ont exposé les salariés à l’amiante, on peut peut-être en réclamer aux autorités publiques et sanitaires qui n’ont pas ordonné son interdiction plus tôt, se sont-elles dit.

Et notamment aux membres du Comité permanent Amiante (CPA). Ce groupe est accusé par les parties civiles d’avoir été le lobby des industriels et le promoteur de « l’usage contrôlé » de l’amiante pour en retarder au maximum l’interdiction. Les victimes en veulent pour preuve une enquête de Mediapart qui a révélé que des hauts fonctionnaires du ministère de l’Industrie, conseillés par les membres du CPA, avaient ignoré une directive européenne d’interdiction de l’amiante déposée par l’Allemagne en … 1991.

Les industriels ont diffusé « des informations délibérément falsifiées […] afin de conduire les pouvoirs publics à ne prendre aucune décision visant à protéger la population » et faire en sorte « qu’aucune décision ne soit prise ni dans un cadre national, ni dans un cadre international en vue d’interdire l’amiante », a expliqué Antoine Vey.

Si l’avocat a refusé de révéler les noms des quatorze personnes visées par sa citation directe, il y a de fortes chances pour qu’ils coïncident avec ceux des anciens membres du Comité permanent Amiante. Pour le découvrir, il faudra attendre la première audience de consignation qui devrait intervenir dans les prochaines semaines. Ils découvriront alors qu’ils vont devoir faire face à la colère et l’indignation de plus de 1 900 victimes qui se sont d’ores et déjà jointes à cette procédure.

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