Le Quotidien du 17 novembre 2021 : Actualité judiciaire

[A la une] French Bukkake, Jacquie & Michel… L’industrie pornographique française secouée par des accusations de viol

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par Vincent Vantighem, Grand Reporter à BFM TV

le 24 Novembre 2021

Avertissement : cet article contient l'évocation de scènes de viol et de violences à caractère sexuel.

Quatre acteurs de films pornographiques mis en examen pour des viols commis lors des tournages. Révélée par BFM TV le 28 octobre, l’information a d’abord surpris. Comment de jeunes femmes dont l’activité consiste justement à avoir des relations sexuelles sous l’objectif d’une caméra ont-elles pu ensuite dénoncer des faits de viols ? En réalité, l’affaire illustre surtout l’évolution de la société, et donc de la justice, dans la prise en compte de la notion de consentement. Et lève un coin du voile sur les dessous peu reluisants de l’industrie pornographique dite « amateur », rattrapée depuis quelques mois par le mouvement #MeToo.

Tout a, en fait, commencé le 10 septembre 2020. À cette époque, 20 Minutes révélait l’ouverture d’une enquête préliminaire pour viols et proxénétisme aggravé par le parquet de Paris sur les conditions de tournage de films pornographiques diffusés sur la célèbre plateforme « Jacquie & Michel ». Saisi par trois associations féministes – Les Effrontées, Osez le Féminisme et le mouvement du Nid –, le parquet entendait ainsi vérifier que les actrices, embauchées lors des tournages, étaient bien consentantes pour toutes les pratiques auxquelles on leur demandait de prendre part. La question se posait au vu des premiers témoignages qui commençaient à affluer. À commencer par celui de Karima*.

Aujourd’hui âgée de 44 ans, cette femme regrette son passé de toxicomane. Cette période où elle était « en galère » pour acheter cocaïne et alcool. C’est ce qui l’a poussée à accepter de suivre un ami qui lui avait dit qu’il y avait un moyen simple de gagner un peu d’argent. Un soir, dans une maison de banlieue un peu glauque, elle se retrouve prise au piège. « On est descendus dans une cave, raconte-t-elle. Il y avait trois mecs. J’ai dit que je ne voulais pas autant d’acteurs. Mais ils m’ont répondu que les caméras étaient déjà installées... » Impossible de s’enfuir, de faire demi-tour. « Alors, j’ai fini par me laisser faire. Ils m’ont salie. Ils m’ont imposé des trucs que je ne voulais pas... »

Un faux profil sur les réseaux sociaux pour rabattre des actrices

Il n’a fallu que quelques semaines pour découvrir et comprendre que Karima n’était pas la seule jeune femme à avoir connu pareil sort. Et que « Jacquie & Michel » n’était pas la seule plateforme de diffusion concernée… Le 13 octobre 2020, dès potron-minet, les gendarmes de la section de recherches de Paris procédaient à un vaste coup de filet pour arrêter les responsables du site « French Bukkake ».

Implantée sur le web depuis des années, cette franchise du X dit « amateur » s’est fait connaître en popularisant une pratique sexuelle qui consiste à livrer une jeune femme en pâture à de très nombreux hommes. On est ici dans la recherche de la domination et de la violence. Sauf, qu’après un travail de veille, les enquêteurs se sont aperçus que les jeunes femmes étaient bien souvent en souffrance et ne paraissaient pas du tout être d’accord avec ce qu’on leur imposait. Sur les réseaux sociaux, plusieurs internautes avaient d’ailleurs alerté, dès 2018, après avoir vu des actrices en pleurs, hurlant de douleur ou même recroquevillées en position fœtale à l’issue des scènes tournées…

Il y a un peu plus d’un an, les responsables du site ont donc été mis en examen pour viols, proxénétisme aggravé et traite des êtres humains. Tout comme un homme au centre du stratagème mis en place pour recruter toujours plus de nouvelles actrices. Sous couvert d’un faux profil, il se servait des réseaux sociaux pour approcher des jeunes femmes fragiles et en difficulté financière dans le but de les convaincre de participer à un tournage. « Tout part de ce stratagème » confie Vanina Méplain, une avocate qui défend deux plaignantes. « Le faux profil présentait le porno comme quelque chose de sympa, de marrant, de facile... ».

La réalité était beaucoup plus sordide. L’enquête a permis d’identifier une cinquantaine de victimes potentielles, considérées ni plus ni moins que comme des « morceaux de viande », selon l’expression qui revient le plus souvent dans leur bouche aujourd’hui. « Une fois la proposition acceptée, elles ne se sentaient plus le droit de partir. Elles n’osaient plus reculer », poursuit Vanina Méplain.

Comme Sophie* qui s’est ainsi retrouvée, du jour au lendemain, avec deux acteurs sans scrupules sur le canapé d’un appartement loué sur Airbnb pour une enveloppe de 250 euros. « Alors qu’elle était en train de prendre une douche après une scène, l’un des acteurs est rentré dans la salle de  bains pour avoir, à nouveau, un rapport avec elle » décrit son avocate, « comme ça. Comme si cela ne posait aucun problème. Comme si, de toute façon, elle était consentante à jamais... ».

« Il faudra voir si cela ne constitue pas des actes de torture et de barbarie »

Fin octobre, la justice est donc passée à la vitesse supérieure en mettant en examen quatre acteurs ayant participé aux scènes pour « French Bukkake ». Plombier, éducateur spécialisé dans la vraie vie… Ils sont d’abord tombés des nues quand les gendarmes les ont interpellés. Selon nos informations, ils ont commencé par nier les faits en garde à vue, expliquant qu’ils étaient persuadés que le consentement des actrices avait été recueilli et figurait noir sur blanc sur des contrats.

Mais quand les enquêteurs ont commencé à leur montrer les films dans lesquels ils avaient joué, les rushs non diffusés où l’on pouvait voir la souffrance des jeunes femmes, ils n’ont pu que se rendre à l’évidence. L’un d’entre eux a même demandé d’arrêter la diffusion, choqué par ce qu’il voyait et dont il ne s’était pas rendu compte à l’époque. Preuve de la gravité des charges, trois des quatre mis en examen ont été placés en détention provisoire.

« La question de la qualification pénale va se poser, réagit, de son côté, Gérard Tcholakian qui défend l’une des plaignantes. Pour l’instant, on est sur des faits de viols et de traite des êtres humains. Mais il faudra voir si cela ne constitue pas, en fait, des actes de torture et de barbarie... »

Il faut laisser le temps au juge d’instruction d’analyser les choses. Il faut aussi et surtout laisser du temps aux jeunes femmes de se reconstruire. Pas simple : la quasi-totalité des plaignantes explique ne pas parvenir à surmonter les faits dans la mesure où les vidéos dans lesquelles elles estiment avoir été violées continuent à circuler sur la toile, disséminées dans des pays étrangers, recopiées de site pornographique en site pornographique. « Ma cliente est partie prendre l’air à l’étranger » indique sobrement Gérard Tcholakian. «Socialement, la situation était devenue trop difficile à vivre pour elle ».

Comme pour la jeune femme que défend également Quentin Dekimpe. Lui affirme que sa cliente a déjà été reconnue et alpaguée dans la rue par un « amateur » qui l’avait reconnue. « Aujourd’hui, elle doit composer avec ça aussi. Alors qu’elle vivait tranquillement comme tout le monde et qu’elle a juste cédé lors d’un moment de faiblesse dans sa vie personnelle ».

Les géants du X se défendent à coups de chartes

Mais il aura fallu en passer par cette souffrance pour que l’industrie pornographique prenne conscience du problème. Dans la foulée de l’ouverture de l’enquête préliminaire, la plateforme « Jacquie & Michel » a publié une charte de bonnes conduites dans le but de protéger les actrices. La major « Dorcel » a fait de même. Quant au géant de la diffusion « Pornhub », il a décidé de supprimer des millions de vidéos après une longue enquête du New-York Times révélant qu’il diffusait du contenu présentant des scènes de viol, des scènes avec des mineurs et même ce que l’on appelle du revenge porn (le fait de publier une vidéo à caractère sexuel de quelqu’un sans son consentement dans le but de lui nuire).

Un début loin d’être suffisant pour les associations féministes à l’origine du premier signalement. Elles militent toujours aujourd’hui pour l’interdiction pure et simple de l’industrie pornographique, qu’elles considèrent ni plus ni moins que comme une industrie avilissant la femme. Un avis qui n’est pas partagé par l’ensemble des actrices. Ces derniers mois, de nombreuses d’entre elles se concentrent sur des plateformes personnelles et privées, telles qu’Onlyfans. Sans intermédiaires, cela leur permet de ne participer qu’à ce qu’elles souhaitent et de diffuser leur contenu à leurs abonnés en direct. « Cela permet d’avoir des échanges avec son public, précise l’une d’entre elles. Cela marche bien. Même si pour l’instant, cela ne me permet de gagne que 500 à 600 euros par mois... ».

*Tous les prénoms ont été changés.

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