Le Quotidien du 10 novembre 2021 : Actualité judiciaire

[A la une] Affaire des sondages de l’Élysée : « trop longtemps on a considéré le gaspillage et le détournement de l'argent public avec une certaine légèreté »

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[A la une] Affaire des sondages de l’Élysée : « trop longtemps on a considéré le gaspillage et le détournement de l'argent public avec une certaine légèreté ». Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/74235616-a-la-une-affaire-des-sondages-de-lelysee-trop-longtemps-on-a-considere-le-gaspillage-et-le-detournem
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par Adélaïde Léon

le 24 Novembre 2021

► L’audience de ce mardi 9 novembre 2021 était consacrée aux plaidoiries des parties civiles et aux réquisitions du parquet national financier. La critique de la soustraction consciente des prévenus aux règles du Code des marchés publics a constitué le cœur des débats.

L’affaire des sondages est d’abord une affaire de financement de campagne électorale payée par l’argent public

Pour Maître Jérôme Karsenti, avocat de l’association Anticor, cela ne fait pas de doute, « l’affaire des sondages préfigure ce que sera Bygmalion ». Elle raconte aussi une « tranche de l’histoire politico-financière de la France, l’évolution de la pratique du pouvoir ».

Il explique, « on passe à côté de ce dossier si on ne considère pas que cette affaire s’inscrit dans l’histoire du financement des campagnes électorales de la cinquième République ».

Visant directement l’ancien président de la République, Maître Karsenti affirme sans détour « cette affaire dit aussi que sous le mandat de Nicolas Sarkozy, la chose publique devient un peu la chose privée ». Il pointe la pratique « maximisée » des sondages qui raconte une narcissisation de la cinquième République. Un régime qui voit ses pouvoirs concentrés entre les mains d’un seul homme.

Le juge n’est pas le contrôleur du suffrage mais il est le garant de ce que les politiques agissent dans les règles

Cette affaire traduit aussi la métamorphose de la justice politico-judiciaire. Parallèlement à cette transformation, Anticor a vu son image et son statut changer dans ce contentieux. D’abord perçue comme un « amuseur », l’association est aujourd’hui « reçue », elle a « gagné en crédibilité » en même temps qu’a émergé une justice plus indépendante « qui ne peut se satisfaire de l’impunité qu’on lui oppose ». Maître Karsenti précise « Anticor n’est pas un parquet privé, c’est la société civile qui parle du sentiment d’impunité. Nous avons besoin d’une justice égale pour tous qui ne peut avoir de réponses variées ».

Abordant la question de la judiciarisation de la vie politique, Jérôme Karsenti répond à l’argument de la séparation des pouvoirs maintes fois soulevé par Nicolas Sarkozy pour expliquer son silence « la séparation des pouvoirs c’est que chaque pouvoir vient limiter l’abus de l’autre », « la justice est dans son rôle lorsqu’elle vient condamner, lorsqu’elle vient poursuivre ».

L’Élysée échapperait aux règles de la commande publique. Ce haut lieu du pouvoir serait ce haut lieu du non-droit

Troisième et dernier axe de plaidoirie avant d’évoquer les responsabilités et les demandes : l’Élysée n’échappe pas à la règle de droit et aucune prétendue coutume invoquée par la défense ne saurait exonérer la présidence du respect du Code des marchés publics.

Comme pour souligner l’évidence, Maître Karsenti poursuit « les règles de la commande publique servent l’efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics ». L’État, l’Élysée sont soumis à ce cadre et aucun article potentiellement dérogatoire aux règles de la dépense publique ne trouve à s’appliquer en l’espèce.

Nous avons sorti ce dossier des limbes, nous avons un peu fait avancer le droit

Soulignant le combat porté par les associations de lutte contre la corruption, l’avocat d’Anticor explique que l’indemnisation de la partie civile est nécessaire pour lui permettre de continuer à fonctionner. Cette indemnisation « vient réparer le sentiment d’injustice » et elle est également l’indemnisation « des combats à venir ».

S’il y a une martingale dans cette affaire, c’est celle de Patrick Buisson, c’est la sienne, celle qu’il a construite, qui l’a enrichi

C’est au tour de Maître Renaud Le Gunehec de plaider pour l’Agent judiciaire de l’État. Il fustige le contrat signé avec Patrick Buisson et souligne ses aberrations : le prestataire privé a pris la main sur l’acheteur public, c’est un contrat de gré à gré qui n’a pas été négocié par l’acheteur public, il y a une absence totale d’expression et de maîtrise de ses besoins par l’acheteur public, ce contrat passé avec l’État ne stipule pas de prix ni de définition claire des prestations. « On vous impose l’imperium régalien et en même temps on constate l’apparente faiblesse de l’acheteur public ».

Immunité présidentielle, frénésie de la vie de cabinet, singularité des prestations, coutume, l’avocat reprend chaque argument avancé par les prévenus pour le réfuter. Pour Maître Le Gunehec, ce contrat est tout simplement « une expression flagrante et pathologique de ce que peut produire la transgression et le mépris des règles de la commande publique », « les principes ont été ignorés et la puissance publique n’a pas réagi ».

En complément de la réparation du préjudice matériel au titre du détournement de fonds public l’Agent judiciaire de l’État demande l’indemnisation du préjudice moral subi en raison du discrédit porté sur l’Administration. « Les actes pénalement qualifiables de ses fonctionnaires rejaillissent sur l’État ». Or, pour Maître Le Gunehec, Messieurs Giacometti et Buisson, s’ils n’ont pas rejoint le cabinet, n’en sont pas moins intégrés, aux yeux du public, aux services de l’État.

Bien employer l’argent public, ce fut et cela demeure, respecter la loi

Cette journée d’audience s’achève par les réquisitions du parquet national financier (PNF) représenté par les procureurs François-Xavier Dulin et Quentin Dandoy.

Les propos introductifs du PNF ne manquent pas d’interpeller puisque sont rappelés les mots de Nicolas Sarkozy, le 5 novembre 2007, sur le rôle de la Cour des comptes « le contrôle des comptes publics ce n'est pas qu'une exigence technique, c'est d'abord une exigence morale […] Trop longtemps on a considéré le gaspillage et le détournement de l'argent public avec une certaine légèreté ».

Pour le PNF, il est en effet nécessaire « de mettre un terme à certains comportements découlant d’une vision archaïque et dépassée de la gestion des fonds publics ». Il ne fait aucun doute que les contrats ont été volontairement inscrits hors du cadre du Code des marchés publics alors même que les protagonistes ne pouvaient ignorer qu’ils y étaient soumis.

Dans sa démonstration de la caractérisation des différents délits, le PNF ne ménagera pas les prévenus et notamment Patrick Buisson, à l’origine de cette « machine infernale contractuelle qu’il a imaginée » hors les règles avec pour seule logique « la volonté de faire du profit ».

Mais on retiendra encore plus probablement la charge du PNF à l’encontre de Claude Guéant, qualifié de « tout puissant à la manœuvre sur ces contrats et sur leurs conséquences délinquantes ». Celui qui a eu « peu d’empressement » à soutenir la volonté réformatrice d’Emmanuelle Mignon dans une « institution qui fonctionnait sans règle » a révélé « une vraie disposition à adapter son discours aux évènements de la procédure», « une disposition de délinquant chevronné » qui n’étonne guère le parquet compte tenu du casier judiciaire de l’intéressé.

Les réquisitions sur les peines tombent finalement :

  • Monsieur Patrick Buisson, gérant des sociétés PUBLIFACT et PUBLI-OPINION à l’époque des faits : deux ans d’emprisonnement dont douze mois avec sursis, 100 000 euros d’amende, interdiction de gérer pendant cinq ans. Le PNF demande l’exécution provisoire de cette dernière peine ;
  • la société PUBLIFACT, gérée par Patrick Buisson à l’époque des faits : 500 000 euros d’amende ;
  • la société PUBLI-OPINION, gérée par Patrick Buisson à l’époque de la commission des faits : 50 000 euros d’amende ;
  • Monsieur Claude Guéant, secrétaire général de la présidence de la République à l’époque des faits : un an d’emprisonnement dont 6 mois avec sursis, 10 000 euros d’amende ;
  • Madame Emmanuelle Mignon, directrice de cabinet du président de la République à l’époque des faits : 10 000 euros d’amende. Le parquet note que son comportement délinquant s’est inscrit dans une action réformatrice ;
  • Monsieur Julien Vaulpré, conseiller technique opinion au cabinet du président de la République à l’époque des faits : 5 000 euros d’amende ;
  • Monsieur Pierre Giacometti, président de la société Giacometti Peron et Associés à l’époque des faits : 6 mois d’emprisonnement avec sursis, 70 000 euros d’amende ;
  • la société Giacometti Peron et Associés (devenue No Com), gérée par Pierre Giacometti à l’époque des faits : 250 000 euros d’amende ;
  • la société IPSOS France SAS : 500 000 euros d’amende.

Pour aller plus loin :

- V. Vantighem, Affaire des sondages de l’Élysée : cinq anciens proches de Nicolas Sarkozy jugés pour « favoritisme » et « détournement de fonds publics », Lexbase Pénal, octobre 2021 (N° Lexbase : N9128BYQ) ;

- A. Léon, Affaires des sondages de l’Élysée : Nicolas Sarkozy est venu, il a parlé, mais il n’a pas répondu, Quotidien Lexbase, 3 novembre 2011 (N° Lexbase : N9308BYE).

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