La lettre juridique n°507 du 29 novembre 2012 : Contrats administratifs

[Jurisprudence] Chronique de droit interne des contrats publics - Novembre 2012

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N4704BTE

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par François Brenet, Professeur à la Faculté de droit et des sciences sociales de l'Université de Poitiers - Institut de droit public

le 29 Novembre 2012

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité de droit interne des contrats publics de François Brenet, Professeur à la Faculté de droit et des sciences sociales de l'Université de Poitiers-Institut de droit public (EA 2623). Dans le premier arrêt étudié, le Conseil d'Etat a posé le principe de la compétence du juge de pleine juridiction, et non du juge de l'excès de pouvoir, pour connaître du recours visant à contester la décision par laquelle l'administration oppose la prescription quadriennale à une créance dans le cadre d'un litige indemnitaire (CE 2° et 7° s-s-r., 15 novembre 2012, n° 355755, publié au recueil Lebon). Deux autres arrêts rendus le même jour précisent les conséquences qui peuvent découler de l'irrégularité d'une décision de résiliation d'un contrat administratif. Le Conseil d'Etat relève que l'intervention d'une décision de résiliation, frappée d'incompétence, fait obstacle à ce que le surcoût résultant de cette résiliation soit supporté par le cocontractant, et cela même si la résiliation est justifiée au fond (CE 2° et 7° s-s-r., 15 novembre 2012, n° 349840, mentionné aux tables du recueil Lebon). Les règles relatives à l'établissement du décompte en cas de résiliation irrégulière d'un marché public de travaux sont, également, affinées (CE 2° et 7° s-s-r., 15 novembre 2012, n° 356832, mentionné aux tables du recueil Lebon).
  • Compétence du juge de pleine juridiction, et non du juge de l'excès de pouvoir, pour connaître du recours visant à contester la décision par laquelle l'administration oppose la prescription quadriennale à une créance dans le cadre d'un litige indemnitaire (CE 2° et 7° s-s-r., 15 novembre 2012, n° 355755, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9813IWD)

Sous des abords très techniques, l'arrêt n° 355755 du 15 novembre 2012 règle une question d'une grande importance pratique, relative à la compétence pour connaître, au sein de la juridiction administrative, du recours formé contre une décision de l'administration opposant la prescription quadriennale à l'occasion d'un litige indemnitaire. Suivant les conclusions de M. Bertrand Dacosta (1), le Conseil d'Etat a fait sienne la règle selon laquelle "le juge de la créance doit être le juge de la prescription".

Dans la présente affaire, une commune avait lancé, en 2001, un appel à candidatures en vue du renouvellement de sous-concessions de plages naturelles (2). L'un des anciens sous-concessionnaires, candidat malheureux à sa propre succession, avait formé plusieurs actions devant le juge administratif, dont l'une visait à obtenir réparation du préjudice subi en raison de la perte de chance d'exploiter la plage du centre-ville. Le tribunal administratif de Toulon a estimé que le candidat illégalement évincé avait perdu une chance sérieuse de se voir attribuer le contrat et a condamné la commune à lui verser une somme de 89 000 euros. Postérieurement à la clôture de l'instruction, mais avant la lecture du jugement, le maire de la commune a édicté un arrêté (du 2 juillet 2009) opposant la prescription quadriennale. Le tribunal n'en a, cependant, pas tenu compte et a, ainsi, commis une erreur de droit car la jurisprudence considère que la prescription quadriennale peut être invoquée jusqu'à la lecture du jugement, et cela même si l'instruction est close (3).

La cour administrative d'appel, saisie par la commune, a annulé le jugement du tribunal administratif et rejeté la demande indemnitaire du concurrent évincé, mais sans statuer sur l'exception de prescription quadriennale. Parallèlement à ce litige indemnitaire, le candidat écarté a saisi le tribunal administratif de Toulon d'une demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 2 juillet 2009 par lequel le maire avait opposé la prescription quadriennale à cette même demande indemnitaire. Le tribunal administratif a annulé cet arrêté. Sur appel de la commune, le président de la sixième chambre de la cour administrative d'appel de Marseille a prononcé un non-lieu à statuer au motif que le litige relatif à la contestation de la décision opposant la prescription quadriennale était devenu sans objet en raison du rejet des conclusions indemnitaires opposées par un autre arrêt de la même cour du 21 octobre 2011. Saisi d'un recours en cassation dirigé contre cette ordonnance, le Conseil d'Etat a considéré que le juge avait commis une erreur de droit, car le délai de pourvoi en cassation contre l'arrêt du 21 octobre 2011 n'était pas expiré à la date de l'ordonnance attaquée. Et dès lors que le rejet de la demande indemnitaire du concurrent évincé n'était pas irrévocable, il ne pouvait considérer que la contestation du jugement ayant annulé la décision opposant la prescription quadriennale était devenue sans objet. Pour ce motif, le Conseil d'Etat annule donc l'ordonnance et se prononce ensuite en qualité de juge d'appel.

L'on aborde ici la question qui fait tout l'intérêt de l'arrêt : le concurrent évincé pouvait-il exercer un recours pour excès de pouvoir contre l'arrêté du maire lui opposant la prescription quadriennale, alors qu'il avait également formé un recours de plein contentieux dont l'objet était d'obtenir le paiement de la créance qu'il estimait détenir envers l'administration ? Se posait donc, en réalité, la question de la possibilité et de l'opportunité d'exercer deux actions, l'une en excès de pouvoir en vue d'obtenir l'annulation de l'exception de prescription quadriennale, l'autre en plein contentieux en vue d'obtenir la condamnation de la commune ?

Initialement, c'est-à-dire sous l'empire de la loi du 29 janvier 1831, la déchéance quadriennale (qui n'était donc pas encore qualifiée de prescription) était assimilée à une règle de comptabilité technique visant à inciter les créanciers de l'Etat à poursuivre le paiement des sommes qui leur étaient dues dans des délais raisonnables. La déchéance quadriennale était donc davantage une règle permettant de purger les dettes anciennes de l'Etat qu'une technique permettant de faire le lien avec la créance à laquelle elle était opposée. La situation a changé avec l'intervention de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968, relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics (N° Lexbase : L6499BH8), dont l'article 1er dispose que, "sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis". Ce nouveau dispositif législatif a, en effet, modifié la situation en établissant une relation plus précise entre la prescription et la créance à laquelle elle est opposée. Alors qu'elle était auparavant une sorte de règle désincarnée, la prescription quadriennale est devenue une technique dont il est clairement apparu qu'elle ne pouvait pas être complètement détachée de la créance qu'elle vise. Ainsi que l'écrit M. Etienne Picard, "la solidarité est telle entre la question de la créance et celle de la prescription que l'opposition de prescription ne constitue pas un acte détachable de la créance, et contre lequel on pourrait introduire un recours pour excès de pouvoir" (4).

C'est ce lien que le Conseil d'Etat confirme dans la présente espèce. En effet, l'arrêt précise que lorsque, dans le cadre d'un litige indemnitaire, l'administration oppose la prescription quadriennale à la créance objet de ce litige, obligation est alors faite au créancier contestant le bien-fondé de la prescription d'agir devant le juge saisi de ce même litige. Dans cette hypothèse, la prescription quadriennale se présente comme "un moyen en défense invoqué par l'administration" (5), comme une sorte de question juridique venant se greffer au litige principal. Il est, alors, effectivement bienvenu de ne pas détacher le contentieux de la prescription quadriennale du litige principal, ne serait-ce que pour éviter des scénarii contentieux du type de ceux en cause dans la présente affaire.

Il reste qu'il ne faut pas faire dire à cet arrêt ce qu'il ne dit pas. L'on veut dire que l'arrêt ne pose pas un principe absolu en vertu duquel le juge de plein contentieux serait seul compétent pour connaître de la contestation de la prescription quadriennale. La compétence du juge de plein contentieux ne vaut que dans l'hypothèse précise, mais que l'on imagine assez fréquente, où la contestation de l'exception de prescription quadriennale intervient à l'occasion d'un litige indemnitaire porté devant lui. Rien n'interdit donc à un créancier d'attaquer la décision de l'administration lui opposant la prescription quadriennale devant le juge de l'excès de pouvoir, avant d'engager un litige indemnitaire.

  • Irrégularité d'une décision de résiliation et indemnisation du surcoût en résultant (CE 2° et 7° s-s-r., 15 novembre 2012, n° 349840, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9803IWY)

Le contentieux des décisions de résiliation des contrats administratifs a principalement été abordé, dans la période récente, sous l'angle de la nouvelle action en reprise des relations contractuelles, mise en place par la jurisprudence "Béziers II" (6). L'arrêt du Conseil d'Etat n° 349840 du 15 novembre 2012 aborde un autre aspect des décisions de résiliation des contrats administratifs, dont l'importance pratique est sans doute plus grande que celle du recours "Béziers II". Cet arrêt précise, en effet, que le caractère irrégulier de la décision de résiliation d'un marché public, même justifiée au fond, est susceptible de faire obstacle à ce que le surcoût résultant de cette résiliation soit mis à la charge de son titulaire.

En l'espèce, le département des Bouches-du-Rhône avait passé un marché de travaux de gros oeuvre pour la construction d'un collège avec la société X. Ce marché a été résilié le 31 octobre 2001 et la société a demandé au tribunal administratif de Marseille la condamnation du département à lui verser le solde du marché. Par voie de conclusions reconventionnelles, la collectivité territoriale a, alors, demandé à la société de l'indemniser des surcoûts imputables à la résiliation du marché. Le tribunal administratif de Marseille a partiellement fait droit aux conclusions du département (7). En appel, la société soutenait que la résiliation était intervenue au terme d'une procédure irrégulière, ce qui était effectivement le cas puisqu'elle avait été prononcée par le directeur de la société exerçant la maitrise d'ouvrage déléguée, sans qu'elle ait été précédée d'une délibération du conseil général. Malgré cela, la cour administrative d'appel avait considéré que la décision de résiliation, bien qu'irrégulière, était justifiée au fond et en avait déduit qu'une telle irrégularité ne pouvait "être utilement invoqué à l'appui d'une demande tendant à la réparation des conséquences dommageables de la résiliation, dès lors qu'il n'est pas établi, ni même d'ailleurs allégué, que cette irrégularité aurait, par elle-même, en l'espèce, causé un préjudice à la société [...]" (8).

Le Conseil d'Etat considère logiquement que l'irrégularité de la décision de résiliation ne pouvait pas rester sans conséquence. Elle atténue ainsi la portée du principe selon lequel le cocontractant n'a pas le droit à une indemnité dans le cas où la résiliation est prononcée à ses torts (9) et qu'il peut même être contraint de supporter le surcoût résultant de la passation d'un marché de substitution en vue de l'achèvement des travaux (10) et toutes les conséquences onéreuses de la résiliation du contrat (11). Par exemple, l'administration peut demander la réparation du préjudice subi, lequel peut résulter de la différence entre le montant du marché résilié et le prix du nouveau marché conclu pour pallier le défaut d'exécution du premier.

L'arrêt du 15 novembre 2012 tempère ce principe en indiquant que le cocontractant ne peut être condamné à indemniser l'administration à raison des surcoûts résultant de la résiliation (passation d'un nouveau marché par exemple) qu'à la condition que la décision de résiliation soit régulière. Tel n'était pas le cas en l'espèce, puisqu'elle était entachée de compétence, c'est-à-dire d'un vice d'une particulière gravité. Faute de précision de l'arrêt sur ce point, il reste à savoir si cette solution peut s'étendre à d'autres cas d'illégalité (vice de forme ou de procédure par exemple).

  • L'établissement du décompte en cas de résiliation irrégulière d'un marché public de travaux (CE 2° et 7° s-s-r., 15 novembre 2012, n° 356832, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9814IWE)

L'établissement du décompte est une étape importante, et souvent contestée, de la vie des marchés publics. L'arrêt n° 356832 du 15 novembre 2012 le confirme en venant préciser les conditions dans lesquelles le décompte peut être établi en cas de résiliation irrégulière du contrat.

Le CCAG travaux prévoit qu'en cas de résiliation aux frais et risques du cocontractant de la personne publique, le décompte n'est établi en vue du règlement des sommes dues au titre des travaux exécutés qu'après règlement définitif du nouveau marché passé pour l'achèvement des travaux. Dans cette hypothèse, où la résiliation est régulière, les conclusions présentées au juge du contrat en vue d'obtenir le règlement des sommes contractuellement dues avant le règlement définitif du nouveau marché sont irrecevables. Cette solution est tout à fait classique et vise à protéger l'administration des agissements de certains cocontractants qui pourraient être tentés d'agir devant le juge du contrat avec l'espoir de percevoir la somme due avant le règlement définitif du contrat conclu pour faire face à leurs défaillances.

De cette solution protectrice des intérêts de l'administration (mieux vaut attendre et régler le solde que d'agir rapidement et payer la totalité des sommes dues en prenant le risque de ne pas être remboursé des dépenses liées à l'exécution du marché de substitution), il ne faut, cependant, pas déduire que le cocontractant est privé de tout moyen d'action. Ainsi que le précise le présent arrêt, les dispositions précitées du CCAG ne font pas obstacle à ce que, sous réserve que le contentieux soit lié, le cocontractant dont le marché a été résilié à ses frais et risques saisisse le juge du contrat afin de faire constater l'irrégularité ou le caractère infondé de cette résiliation et demander, de ce fait, le règlement des sommes qui lui sont dues, sans attendre le règlement définitif du nouveau marché après, le cas échéant, que le juge du contrat a obtenu des parties les éléments permettant d'établir le décompte général du marché résilié.


(1) Que nous remercions pour leur aimable communication.
(2) Il s'agissait de sous-concessions, car les communes sont, comme chacun sait, concessionnaires de l'Etat.
(3) CE 9° et 10° s-s-r., 30 mai 2007, n° 282619, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5251DWE).
(4) E. Picard, Prescription quadriennale, Répertoire dalloz de contentieux administratif, n° 623.
(5) B. Dacosta, concl.préc..
(6) CE Sect., 21 mars 2011, n° 304806, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5712HIE), AJDA, 2011, p. 670, chron. A. Lallet, Dr. adm., 2011, comm. 46, note F. Brenet et F. Melleray, Contrats Marchés publ., 2011, comm. 150, note J.-P. Pietri, RFDA, 2011, p. 507, concl. E. Cortot-Boucher, p. 518, note D. Pouyaud.
(7) TA Marseille, 10 juin 2008, n° 0107608 (N° Lexbase : A9098HZY).
(8) CAA Marseille, 6ème ch., 4 avril 2011, n° 08MA03659, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A3061HRS).
(9) CE 6° et 10° s-s-r., 8 novembre 1985, n° 40449, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3301AM9), Rec. CE, 1985, p. 317.
(10) CCAG Travaux, art. 49-6. Voir, par exemple, CE Sect., 17 mars 1972, n° 76453, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1671B8E), Rec. CE 1972, p. 224.
(11) CE 2° et 6° s-s-r., 20 janvier 1988, n° 56503, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7531APM), Rec. CE, 1988, p. 29.

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