Lexbase Fiscal n°878 du 23 septembre 2021 : Contrôle fiscal

[Focus] 2021 sera-t-elle un bon cru pour l’article L. 64 A du LPF ?

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par Clément Thomas, Doctorant en fiscalité internationale et européenne a l’université Aix - Marseille et Consultant en fiscalité

le 22 Septembre 2021


Mots-clés : abus de droit • L. 64 A du LPF 

À la suite de pressions parlementaires, la loi de finances pour 2019 [1] a instauré une nouvelle procédure d’abus de droit codifiée à l’article L. 64 A du Livre des procédures fiscales (ci-après LPF) (N° Lexbase : L9137LNQ) — procédure dite du « mini-abus de droit » [2] — permettant à l’administration fiscale d’écarter comme ne lui étant pas opposables les actes qui, recherchant le bénéfice d’une application littérale de textes à l’encontre de l’intention de leurs auteurs, ont pour motif principal d’éluder ou d’atténuer la charge fiscale normalement due.

Tout l’intérêt de cette l’étude pratique est présidé par le fait que la procédure de l’article L. 64 A du LPF s’applique aux propositions de rectifications notifiées depuis le 1er janvier 2021, portant sur des actes passés ou réalisés à compter du 1er janvier 2020. Comment ne pas y trouver un intérêt à la prédiction des conséquences fiscales d’une application dudit article aux procédures en cours ou à venir.


 

Tout d’abord, rappelons que la proposition de loi de finances pour 2019 [3] énonce l’article L. 64 A du LPF comme le prolongement de l’article 205 A du Code général des impôts (ci-après CGI) aux autres impôts que ceux visés par ce dernier. Toutefois, ce constat ne peut recevoir qu’une acceptation théorique. En pratique, il est incontestable que l’article L. 64 A s’écarte très distinctement de de l’article 205 A du CGI (N° Lexbase : L8907LN9).

En revanche, il peut être intéressant d’évoquer le lien intime existant entre les articles L. 64 A du LPF et L. 64 du LPF (N° Lexbase : L9266LNI). D’autant plus, au regard de conséquences juridiques que cela peut engendrer au niveau procédural. C’est donc sous cet angle que sera abordée cette étude pratique des conséquences juridiques de l’application de l’article L. 64 A du LPF.

En avant-propos, il pourrait être intéressant de constater le doute émergent quant à l’utilité de créer un second cas d’abus de droit. En effet, si nombreux sont les États membres qui disposent de peu ou prou de mesures visant à lutter contre la fraude et l’évasion fiscales, ce n’est pas le cas de la France. Sommes-nous ainsi autorisés à parler « d’inflation législative ». Ce qui n’est pas sans influence sur la sécurité juridique [4].

De prime abord, il peut être constaté que l’article L. 64 A n’est, en apparence, qu’un miroir de l’article L. 64 dans sa partie fraude à la loi. En effet, nous y retrouvons tantôt l’élément objectif, tantôt élément subjectif édicté par l’article L. 64 du LPF.

La seule différence textuelle résiderait dans l’objectif embrassé par l’opération contestée. À savoir, un but principalement fiscal en lieu et place du but exclusivement fiscal.

Face à ce constat, nombreux ont été les auteurs qui ont émis l’hypothèse selon laquelle le but principalement fiscal risquerait de constituer un critère autonome et suffisant à la constatation de l’abus. Autonomie qui porterait, in fine, une atteinte évidente au principe de liberté de gestion dont le contribuable jouit naturellement. Cette argumentation, bien que discutée par un auteur légitime [5] en la matière, demeure toutefois perceptible par la jurisprudence toute récente du Conseil d’État.

Le Conseil d’État, par l’intermédiaire des récents arrêts « Verdannet » et « Charbit », illustre parfaitement le risque de cet assouplissement à l’égard des conditions de l’abus, notamment en ce qui concerne la détermination de l’intention des auteurs. Plus précisément, la portée pratique de ces arrêts tient au fait que désormais, la présence d’un montage (purement) artificiel entraine, ipso facto, la condition tenant à la démonstration de l’intention des auteurs. Dans cette hypothèse, il n’est ainsi plus nécessaire, pour l’administration fiscale, de démontrer l’intention réelle des auteurs. Intention qui, rappelons-le, fait parfois défaut textuellement voire matériellement [6]. Reste qu’aujourd’hui la signification dudit montage (purement) artificiel demeure énigmatique. Cette inconnue qui n’est pas sans portée, puisque l’administration fiscale pourrait être tentée, face à un montage en apparence abusif, d’appliquer cette qualification de montage (purement) artificiel. Ce qui faciliterait aisément sa charge de la preuve.

La question qui se pose est alors de savoir qu’elles seraient les conséquences pratiques de cette évolution jurisprudentielle sur l’applicabilité de l’article L. 64 A du LPF.

Répondre à celle-ci suppose d’évoquer, en amont, les délicatesses textuelles propres à l’article L.64 A du LPF.

Tout d’abord, nombreux ont été les commentaires portant sur la définition du « but principalement fiscal » de l’article L. 64 A du LPF. Difficulté qui, pour certains auteurs légitimes en la matière [7], n’en est pas une. Leur raisonnement se fonde sur le constat selon lequel le « but principalement fiscal » doit être entendu comme le « but exclusivement fiscal » que l’on retrouve au sein de l’article L. 64 du LPF.

Ce qui se matérialisait en pratique, de la manière suivante :

  • si la recherche des effets fiscaux a été déterminante lors de la mise en œuvre du montage mis en cause alors le but principalement fiscal doit être assimilé au but exclusivement fiscal tel qu’interprété par le Conseil d’État et la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après CJUE) ;
  • si la recherche des effets fiscaux n’a pas été déterminante lors de la mise en œuvre du montage mis en cause alors le but de ce dernier ne peut être qualifié de principal et in fine d’exclusivement fiscal. Ce qui exclut l’application de tout abus.

Or, nous sommes d’avis, tout comme l’administration fiscale au sein de sa doctrine fiscale que le terme de « motif principal » est, en tant que telle, plus large que le terme de « but exclusivement fiscal » au sens de l’article L. 64 du LPF [8].

Néanmoins, une difficulté d’envergure apparait lorsque l’administration fiscale assimile pour l’article L. 64 A du LPF le « but principal » au « but essentiel » de l’opération. But « essentiel », qui, rappelons-le, est le terme communément utilisé par la Cour de Justice pour qualifier une pratique abusive [9]. Or, il est désormais considéré, par la majorité de la doctrine fiscaliste, mais également européaniste, que le terme « d’essentiel » est synonyme « d’exclusif ». On pourrait illustrer ces propos en considérant que l’article L. 64 du LPF n’a été que la transposition en droit fiscal français du principe de l’interdiction des pratiques abusives évoqué, notamment lors de l’arrêt de la Cour de Justice « Lankhorst- Hohorst Gmbh [10] ».

Ainsi rapporté à notre étude, force est de constater que l’administration fiscale se contredit au sein de sa doctrine fiscale. Ce qui n’est pas sans conséquence, notamment au regard de la sécurité juridique du contribuable. Il convient ainsi, pour les conseils, de rester vigilant lors de la mise en place d’un montage fiscal ayant pour but d’optimiser la fiscalité du contribuable.

À ce questionnement relatif à la détermination du terme de « principalement » s’ajoute, ensuite, celle du détournement possible des pénalités fiscales.

Contrairement à la procédure de l’abus de droit prévue à l’article L. 64 du LPF, le dispositif de l’article L. 64 A du LPF n’entraîne pas l’application automatique des majorations prévues au b de l’article 1729 du CGI. Seules les majorations de droit commun peuvent être applicables [11]. Prononcé qui ne donne, a priori, donc pas lieu à une application automatique des sanctions fiscales comme le rappel l’examen des travaux parlementaires [12], mais à des pénalités pour insuffisances, omissions ou inexactitudes prévues aux a et c de l’article 1729 du CGI (N° Lexbase : L4733ICB), aux taux respectifs de 40 % pour manquements délibérés et 80 % pour manœuvres frauduleuses et abus de droit.

En pratique, l’application cumulative de l’article L. 64 A du LPF et de la position récente du Conseil relative au montage (purement) artificiel n’expose telle pas les contribuables aux mêmes conséquences fiscales qu’une application directe de l’article L. 64 du LPF, mais sans bénéficier des privilèges rattachés audit article.

En outre, ne serait-il pas tentant pour l’administration fiscale de démontrer que l’opération contestée est abusive au sens de l’article 1729 a et c du CGI tout en démontrant ledit montage (purement) artificiel. Ce qui faciliterait aisément sa charge probatoire.

Il résulte de cette étude, que l’année 2021 sera, sans doute, gelée par ce climat d’incertitude pesant sur la mise en application de l’article L. 64 A du LPF. Il conviendra ainsi aux praticiens de veiller scrupuleusement aux récoltes jurisprudentielles émanant du Conseil d’État afin de proposer à leurs clients un vin élégant.

 

[1] Loi n° 2018-1317, du 28 décembre 2018, de finances pour 2019 (N° Lexbase : L6297LNK).

[2] Le terme de « mini » n’est-il pas inapproprié ?! Cette interrogation provient du constat selon lequel cette nouvelle procédure a vocation à étendre « l’abus de droit » et non à en restreindre le champ d'application.

[3] Loi n° 2018-1317, du 28 décembre 2018, de finances pour 2019, art. 109 : Dr. fisc. 2019, n° 3, comm. 116.

[4] V. Y. Rutschmann et P.-M. Roch, Nouvelle procédure d'abus de droit.

[5] F. Deboissy, Commentaires administratifs de la nouvelle procédure d'abus de droit (mini abus de droit) - Semaine juridique, n° 21-22, 21 mai 2020. La seule limite étant que ce choix ne doit être empreints d'aucune artificialité. V. en ce sens, QE n° 73340 de M. Jean-Louis Christ, JOANQ 03 février 2015, réponse publ. 10 novembre 2015 p. 8219, 14ème législature (N° Lexbase : L3230KR3).

[6] L’arrêt « Verdannet » met en lumière la problématique de l’intention des auteurs d’une convention fiscale internationale. Au sein de l’arrêt « Charbit » était question de la détermination de l’intention des auteurs au sein de la doctrine administrative.

[7] V. F. Deboissy, Commentaires administratifs de la nouvelle procédure d'abus de droit (mini abus de droit) - Semaine juridique, n° 21-22, 21 mai 2020, 1214.

[8] BOI-CF-IOR-30-20, 31 janvier 2020, § 110.

[9] La pratique abusive est le terme utilisé par la Cour de Justice pour décrire l’abus de droit européen.

[10] CJCE, 12 décembre 2002, aff. C-324/00, Lankhorst-Hohorst GmbH (N° Lexbase : A0411A7D).

[11] BOI-CF-IOR-30-20, 31 janvier 2020, § 130.

[12] Rapport Sénat n° 147 [en ligne].

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