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N4084BTG
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par Laurence Vapaille, Maître de conférences à l'Université d'Evry-Val-d'Essonne
le 25 Octobre 2012
Les trois affaires, objets du présent commentaire, présentent des faits analogues qui imposent une identité des questions de droit mises en jeu. La première de ces interrogations est relative à une difficulté toujours d'actualité : celle des modalités d'évaluation, plus particulièrement la difficulté de trouver un local-type pertinent. La seconde concerne un problème plus rarement abordé, l'omission de la saisine de commission communale des impôts directs (CCID).
A - Une difficulté récurrente : les critères de détermination d'un local-type pertinent
Les difficultés d'application de l'article 1498 du CGI (N° Lexbase : L0267HMT) ont été bien souvent abordées dans le cadre de cette chronique. En principe, la valeur locative des locaux commerciaux doit être évaluée par référence au loyer, c'est-à-dire qu'elle doit représenter théoriquement le loyer annuel que pourrait produire l'immeuble. A défaut de pouvoir appliquer cette méthode, la valeur locative est déterminée par comparaison avec un local-type. Enfin, si aucune de ces méthodes ne peut être mise en oeuvre, la valeur sera fixée par voie d'appréciation directe (1). La première méthode est devenue l'exception, de par l'absence de révision des valeurs locatives depuis 1970, alors qu'elle était comprise comme la méthode de référence. La seconde méthode, considérée comme subsidiaire, est devenue principale, générant un contentieux qui ne semble pas se tarir (2).
Dans ces trois décisions, il s'agissait de déterminer la valeur locative d'hôtels sis à Courbevoie, la Défense, sur le territoire de la commune de Puteaux, et à Montrouge. La méthode de comparaison avec un local-type pertinent était retenue dans les trois affaires. Les dispositions de l'article 1498 donnent la possibilité à l'administration de rechercher de tels immeubles en dehors de la commune où est situé le local devant être évalué ; "la régularité de ce procédé est conditionnée par l'existence d'une analogie de situation économique entre les communes" (3).
Dans ces différentes affaires, le juge de l'impôt a écarté le local-type retenu par l'administration, car il n'avait pas été régulièrement évalué (4) et a recherché un autre terme de comparaison. Eu égard à la consistance des deux immeubles -à évaluer et celui utilisé comme terme de comparaison- ils sont considérés comme étant dans une situation économique analogue. Le Conseil d'Etat retient que les deux immeubles relevaient de la même catégorie quant au secteur d'activité et se trouvaient dans des communes limitrophes. Enfin, il rappelle que l'appréciation de la "situation économique analogue" relève du pouvoir souverain des juges du fond.
Plus généralement, il faut noter la fin du considérant 3, aux termes duquel le Conseil d'Etat admet que, dans l'hypothèse où il n'existe pas de local-type pertinent au sein de la commune, il peut être choisi un local-type hors de la commune. Et ce, même si ce local-type a été "l'objet d'une évaluation par voie de comparaison avec des immeubles similaires, loués à des conditions de prix normales à la date de révision, quelle que soit sa commune d'implantation, pourvu que, du point de vue économique, cette dernière commune présente une analogie suffisante avec la commune de l'immeuble à évaluer".
Certain n'hésite pas à considérer que le système d'évaluation des valeurs locatives est un "casse-tête chinois" (5) et qu'il ne peut fonctionner que grâce à une perspective relativement élargie du juge de l'impôt quant aux termes de la comparaison utiles à la détermination de la valeur locative. Dans ces trois affaires, la Haute juridiction admet une interprétation large du local-type pertinent. Ainsi, il est possible que la valeur qui serve de terme de comparaison soit elle-même issue d'une évaluation par comparaison. Cette solution accroît d'autant le champ des termes de comparaison utiles en permettant un meilleur fonctionnement du 2° de l'article 1498 du CGI. Néanmoins, certains auteurs commencent à déceler dans la jurisprudence les limites d'un tel mode de fonctionnement à travers un recours accru à la méthode d'appréciation directe (6). Cette plus grande possibilité de recherche de locaux-types pertinents est aussi un facteur qui augmente le pouvoir d'appréciation souverain des juges du fond en matière d'évaluation, au regard des dispositions de l'article 1498 du CGI.
Toujours dans le cadre du pouvoir souverain des juges de première instance, le Conseil d'Etat a estimé que relevait de ce pouvoir le fait d'apprécier si un immeuble qui avait fait l'objet de modifications entre les déclarations de 2003 et 2004 avait pour effet qu'à compter de 2004, il ne pouvait plus être considéré comme un local-type pertinent. Dans les trois espèces, sauf à ce que les juges du fond commettent une dénaturation des pièces, cette appréciation ne pouvait être soumise au juge de cassation. Très clairement, le Conseil d'Etat indique les limites de sa compétence en la matière et par contrepoint, l'étendue de celle des juges du fond.
B - L'omission de saisine de la CCID
En matière de CCID, la jurisprudence est très peu fournie, les trois décisions commentées permettent donc de rappeler le rôle de cette commission. Elle doit permettre à la commune de suivre et participer au travail de mise à jour des bases d'imposition des taxes locales effectué par les services de l'administration fiscale. Notamment, en matière de TFPB et selon les dispositions des articles 1503 (N° Lexbase : L0280HMC) et 1504 (N° Lexbase : L5330H9B) du CGI, elle dresse, avec le représentant de l'administration, la liste des locaux de référence (pour les locaux d'habitation et à usage professionnel) et des locaux types (locaux commerciaux et divers) retenus pour déterminer la valeur locative des biens et établit les tarifs d'évaluation correspondants. L'article 1505 du CGI (N° Lexbase : L5329H9A) dispose qu'elle formule un avis sur l'évaluation et la mise à jour annuelle des propriétés bâties et non bâties nouvelles ou modifiées par un changement d'affectation ou de consistance.
Dans les différentes décisions commentées, la question relative à la CCID est identique. Selon l'article 1505 du CGI, la commission doit être saisie lors de chaque modification de l'évaluation des propriétés bâties comprises dans le champ d'application de l'article 1498 du CGI. Selon le moyen développé par l'administration fiscale, cette saisine ne doit avoir lieu que dans les hypothèses visées au I de l'article 1517 du CGI (N° Lexbase : L4214IC3), concernant les constructions nouvelles et différents cas de changements qui entraînent une modification de plus d'un dixième de la valeur locative. Ainsi, l'omission de la saisine de la CCID n'aurait aucune incidence sur la validité de la procédure. La question qui se pose est celle du champ de compétence de la CCID et, en conséquence, des cas dans lesquels sa saisine est ou non obligatoire. Pour le Conseil d'Etat, et par application de l'article 1505 du CGI, la CCID doit être saisie lors de chaque modification par l'administration de l'évaluation des propriétés bâties relevant de l'article 1498 du CGI et n'est pas seulement réservé aux cas prévus au I de l'article 1517 du CGI.
L'absence de saisine préalable obligatoire de la CCID prive le contribuable d'une garantie. En conséquence de cette irrégularité, le juge de l'impôt doit écarter la valeur locative retenue par l'administration. Cependant, le fait de ne pas retenir la valeur locative déterminée par l'administration n'a pas pour effet d'exonérer complètement le contribuable d'imposition à la TFPB, car il s'agit d'un impôt réel.
C'est au juge de l'impôt qu'il appartient de déterminer la valeur locative du fait de l'irrégularité qui entache celle retenue par l'administration. On peut noter ici la perspective didactique développée par le Conseil d'Etat, qui explique les modalités de la méthode à utiliser afin de déterminer la valeur locative. Il distingue deux hypothèses selon que la valeur locative qui a servi au calcul de l'imposition de l'année précédente est non valide. Dans le premier cas, si cette valeur locative n'est pas contestée ou résulte d'une décision juridictionnelle, elle doit être retenue comme base d'imposition. Si l'imposition mise à la charge du contribuable à la suite d'une procédure irrégulière est supérieure à la valeur locative de l'année précédente, le juge prononcera la réduction résultant de la prise en compte de cette valeur locative déterminée après application à l'année d'imposition en litige du coefficient annuel de majoration prévu à l'article 1518 bis du CGI (N° Lexbase : L5297IRM).
Dans le second cas de figure, si la valeur locative de l'année précédente est contestée, le juge doit se prononcer sur cette contestation et s'il y fait droit, déterminer la valeur locative de l'année d'imposition en litige. En fonction du résultat de l'évaluation par le juge, il existe deux possibilités. Si la valeur déterminée par le juge est inférieure à celle fixée pour établir l'imposition de l'année précédente, il la prend en compte et prononce la réduction de l'imposition dans les limites de la requête. En revanche, si cette valeur est supérieure, le juge applique la même méthode que celle exposée dans le cas où la valeur locative de l'année précédente n'est pas contestée.
A notre connaissance, cette solution est inédite. On peut éventuellement rappeler un jugement en date du 30 juin 1997 rendu par le tribunal administratif de Lyon (7), dont les faits sont analogues et aux termes duquel la solution avait été sensiblement différente, car les juges du fond avaient déchargé le requérant de l'imposition du fait que la procédure d'imposition était irrégulière. Plus récemment, en 2007, le tribunal administratif de Versailles (8) avait retenu une solution similaire. Bien que la jurisprudence en la matière soit très peu abondante, on peut se demander si le Conseil d'Etat n'a pas cherché, par ces trois décisions similaires, à prendre en considération le possible développement d'un contentieux qui aurait pour effet de remettre en cause les opérations d'évaluation ne respectant pas l'obligation de la saisine de la CCDI.
Comme en matière de recherche de local-type dans le cadre de l'application du 2° de l'article 1498 du CGI, en vue d'un fonctionnement le moins difficile possible, l'office du juge du fond est conçu par la Haute juridiction administrative de manière particulièrement large. Pour autant, cette conception a ses limites, et à terme le juge ne peut se substituer au législateur défaillant qui, depuis 1970, s'est abstenu de toute révision générale des valeurs locatives cadastrales. Actuellement, il apparaît que le Conseil d'Etat tend à pallier les déficiences des textes relatifs à l'évaluation par des solutions de plus en plus "inventives" qui laisse aux juges du fond des marges de manoeuvres très -trop ?- larges (9).
Le demandeur dans ce litige est la commune du Grau-du-Roi qui a demandé à être déchargée des cotisations de la TFPB pour les années 2005, 2006, 2007 et 2008. Dans une décision rendue en premier ressort le 19 novembre 2011, le tribunal administratif de Nîmes a ordonné, avant de statuer, un supplément d'instruction, afin que l'administration soit en mesure de présenter une méthode qui permette de prendre en compte les spécificités du port de plaisance de Port-Camargue. Il résulte donc de ce jugement que le tribunal administratif admet, de manière implicite, que le port de plaisance est bien imposable au titre de la TFPB ; alors que la commune du Grau-du-Roi ne demande pas à être imposée différemment, mais à ne pas être imposée.
Il faut noter que le pourvoi qui donne lieu à cette affaire a été introduit antérieurement à une décision de l'administration qui a prononcé le dégrèvement pour les années 2005, 2006, 2007 et 2008. Pour autant, cette décision de l'administration fiscale ne vide pas de toute substance ce litige et il reste à répondre à la question de savoir si ce bien immobilier est ou non imposable au titre de la TFPB.
Plus particulièrement, il s'agit de déterminer le statut juridique qui gouverne le port de plaisance en fonction duquel il sera possible de savoir si ce bien est ou non imposable, notamment s'il s'agit d'une propriété publique qui répond aux conditions du 1° de l'article 1382 du CGI (N° Lexbase : L5733IRR), en vue de son exonération de TFPB. Or, les faits de l'espèce qui peuvent permettre de répondre à cette interrogation sont relativement complexes. Le port de plaisance de Port-Camargue se compose de deux parties : l'une ouverte au public et l'autre comportant des postes d'amarrage attenant à des propriétés privées, les "marinas". Ce port a été concédé pour une durée de 50 ans par l'Etat à la chambre de commerce et d'industrie (CCI) locale (10) par acte du 4 juin 1969. En 1984, le port a été mis à la disposition de la commune du Grau-du-Roi. Cependant, les droits de la CCI, concessionnaire, ont été maintenus jusqu'à expiration du contrat. Par une délibération du conseil municipal de novembre 2001, la commune a retiré l'exploitation du port à la CCI en vue de l'exploiter sous le mode de la régie directe.
Afin de savoir si le port peut être considéré comme une propriété publique, le Conseil d'Etat rappelle les termes de l'article 1321-2 du Code général des collectivités territoriales (CGCT ; N° Lexbase : L0406DPQ). Cette disposition est relative aux règles particulières en cas de transfert de compétence. Le transfert de compétence entraîne, au bénéfice de la collectivité territoriale qui en est nouvellement titulaire, la mise à disposition des moyens juridiques, financiers, humains et matériels utilisés par la collectivité délégataire pour l'exercice de cette compétence (11). L'article 1321-2 du CGCT énonce, d'une part, que la remise des biens en vue du transfert de compétence est faite à titre gratuit et, d'autre part, que l'ensemble des droits et obligations est transmis à la nouvelle collectivité.
Au regard de cette disposition, la Haute juridiction administrative juge que l'Etat est propriétaire des biens qui ont été mis à la disposition de la collectivité territoriale en vue d'exercer la compétence qui a été transférée. Si les biens dont il est question pouvaient donc être considérés comme propriété publique et entrer dans le champ d'application de l'exonération de TFPB énoncé à l'article 1382 du CGI, cette exonération n'est possible qu'à une double condition, d'une part, ils doivent être affectés à un service public ou d'utilité générale et, d'autre part, ils ne doivent pas être productifs de revenus (12). En l'espèce, se posait la question de savoir si la condition de l'absence de production de revenus était remplie. En effet, il existait un paiement de redevance en exécution de la convention de concession, cependant au 1er janvier des années d'imposition (2005, 2006, 2007 et 2008), cette convention n'était plus applicable car elle avait pris fin au 31 décembre 2001. Ainsi cette propriété était bien improductive de revenus et remplissait la condition nécessaire pour bénéficier de l'exonération mise en oeuvre par l'article 1382 du CGI.
Le Conseil d'Etat a censuré la décision des juges du fond au motif qu'ils avaient commis une erreur de droit de par la dénaturation des pièces du dossier. Si quelques fois ce motif est interprété de manière relativement large, notamment parce le Conseil d'Etat a tendance à privilégier une analyse économique des conventions (13), en l'espèce le Conseil d'Etat a censuré une erreur claire et précise au sens où la convention donnant lieu à une rémunération productive de revenus n'était plus applicable. Pour autant, le moyen de dénaturation est le seul contrôle que peut exercer le Conseil d'Etat sur l'interprétation par les juges du fond, qui relève de leur pouvoir souverain (14).
L'affaire présentement commentée nous permet d'envisager une question, à notre connaissance inédite. Les faits sont simples. Un groupement foncier agricole (GFA) est propriétaire de terrains situés dans les périmètres de deux associations syndicales autorisées. L'association syndicale est un groupement de propriétaires qui effectue des travaux en vue de la mise en valeur de biens ou de leur gestion. L'association syndicale autorisée (ASA) est une forme particulière de ce genre d'association, assimilée à un établissement public à caractère administratif et disposant de prérogatives de puissance publique pour exécuter des travaux qui intéressent l'ensemble des propriétaires, tout en répondant à un objectif d'utilité publique. C'est une forme ancienne d'organisation collective de la propriété individuelle (15). Les ressources de l'ASA proviennent d'une taxe syndicale votée par le syndicat qui n'a pas le caractère d'impôt mais d'une redevance pour service rendu (16).
Dans ce litige, le requérant remettait en cause les modalités de liquidation de TFPNB. Le calcul de l'imposition est opéré à partir de la valeur locative à laquelle est appliqué un abattement de 20 %. Selon le demandeur, cet abattement doit prendre en compte le paiement des taxes syndicales. Ainsi, au terme de son argumentation, l'imposition doit être calculée à partir de la valeur locative "nette", or celle-ci impliquerait de retrancher le montant des taxes syndicales payées. La position de l'administration est différente, car elle considère que l'abattement de 20 % est forfaitaire et donc comprend nécessairement le montant de ces taxes.
Il faut noter que le contribuable n'a pas contesté l'imposition mais a demandé, par une lettre en date du 20 septembre 2011 au ministre chargé du Budget, l'abrogation de l'instruction fiscale publiée au bulletin officiel des contributions directes 2ème partie, 1954, n° 10, p. 522, qui mentionne que "les dépenses correspondant au paiement des taxes syndicales sont considérées comme couvertes, en principe, par l'abattement de 20 %". Pour demander cette abrogation, le contribuable se fondait sur l'article 16-1 de la loi du 12 avril 2000 (loi n° 2000-321 du 12 avril 2000, relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations N° Lexbase : L0420AIE) (17). L'administration n'a pas répondu expressément à cette demande, face à cette décision implicite de rejet, le GFA a demandé l'annulation de ladite instruction par la voie du recours pour excès de pouvoir. Le GFA avait aussi demandé à l'appui de sa requête le renvoi d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Dans une décision en date du 30 mai 2012 (18), la Haute juridiction a considéré que la QPC posée par le contribuable ne pouvait être renvoyée devant le juge constitutionnel.
Afin de faire prospérer sa demande, le requérant a présenté différents moyens dont le sort du premier engage celui du second. En effet, le GFA a déjà fondé sa demande sur un argument reposant sur le droit interne. Cependant, dans l'hypothèse où cet argument serait rejeté, il considère que le litige pourrait être aussi examiné à la lumière de la CESDH.
A - Une argumentation remontant aux origines révolutionnaires de la TFPNB
Le demandeur considère que l'instruction de 1954 est en contradiction avec les dispositions des articles 1396 (N° Lexbase : L4655IS9) et 1509 (N° Lexbase : L5246IMA) du CGI, ainsi que de l'instruction ministérielle du 31 décembre 1908, ayant valeur législative (19). Selon son interprétation de ces textes, il ressort que l'abattement de 20 % est applicable à la "valeur locative nette". Nous pouvons cependant remarquer que dans les deux articles s'il est fait référence à la valeur locative, en revanche n'apparaît pas l'épithète "nette".
Les modalités de détermination de cette valeur locative, selon le demandeur, sont inscrites dès la création de la contribution foncière aux termes de la loi du 1er décembre 1790 et de la loi du 3 frimaire an VII. A l'origine, cette imposition était perçue "sans distinction sur le revenu net des immeubles bâtis ou non bâtis" (20). Mais le Conseil d'Etat rappelle que ces modalités ne sont plus régies par ces textes originaux mais par les lois des 31 décembre 1907 et 29 mars 1914 (21). La loi de 1907 a ordonné la révision des évaluations des propriétés non bâties (22) sans pour autant que le cadastre soit rénové. La loi de 1914 prévoyait la mise à jour des plans cadastraux. Or dès la loi de 1907, la révision devait donner lieu à une évaluation "pure et simple" (23). Ainsi la qualité du cadastre devait permettre une évaluation la plus exacte possible qui se suffisait à elle-même en déterminant le revenu exact des propriétés non bâties.
La loi du 29 mars 1914, dans son article 2, prévoyait l'abattement de 20 %, disposition qui a été reprise successivement par les différents textes en vigueur et actuellement inscrite à l'article 1396 du CGI. Ainsi, il ressort que l'abattement de 20 % doit être compris comme un montant forfaitaire qui doit permettre de couvrir l'ensemble des charges et dépenses relatives à la propriété d'un bien immobilier non bâti.
S'agissant de l'article 1509 du CGI, la Haute juridiction administrative s'inscrit dans la même perspective historique. Cette disposition a donné valeur législative à l'instruction du 31 décembre 1908 prise en application de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1907. Pour le Conseil d'Etat, le revenu net des propriétés non bâties doit s'entendre "du prix du loyer que le propriétaire tire de ses immeubles, lorsqu'il les donne en location, ou s'il les exploite lui-même, celui qu'il pourrait en tirer en cas de location ; que, par suite, ce revenu net correspond à la valeur locative réelle des propriétés non bâties ; qu'aucune disposition de cette instruction ministérielle ne prévoit que cette valeur locative doit être déterminée en prenant en compte les charges liées à la propriété ; qu'il n'est prévu par aucune disposition législative la déduction des charges couvertes par les taxes syndicales". Le Conseil d'Etat en conclut que la demande du requérant ne peut être accueillie, l'instruction de 1954 n'étant pas contraire à la loi.
Toujours au plan interne, le demandeur considère que cette instruction est contraire au principe d'égalité en instituant une discrimination entre les propriétaires fonciers selon que leurs biens sont ou non inclus dans le périmètre d'une ASA. Cependant, le Conseil d'Etat ne peut se prononcer sur ce moyen car il n'a pas compétence pour apprécier si une loi -et par conséquent l'instruction qui ne lui est pas contraire- est conforme ou non à la Constitution. Les fondements et origines de la TFPNB ne permettant pas au requérant d'obtenir du Conseil d'Etat une décision donnant droit à sa demande ; dans un second temps, il invoque les principes de la CESDH.
B - Le caractère forfaitaire de l'abattement de 20 % contrevient-il aux principes de la CESDH ?
Depuis un avis d'Assemblée du 12 avril 2002 (24), le Conseil d'Etat a admis que les dispositions combinées de l'article 14 de la CESDH (N° Lexbase : L4747AQU) et l'article 1er du Premier protocole additionnel de cette convention (N° Lexbase : L1625AZ9) pouvaient être invoquées afin de soutenir que la loi fiscale était à l'origine de discriminations injustifiées entre les contribuables. Ainsi, dans deux décisions (25), elle avait accueilli des moyens reposant sur cette combinaison. Ces arrêts lui permettant de poser le principe selon lequel "une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens des stipulations de l'article 14 [...], que si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique, ou si elle n'est pas fondée sur des critères rationnels en rapport avec le but de la loi" (26).
Pour rappel, la combinaison de deux dispositions de la CESDH est nécessaire pour pouvoir invoquer une possible discrimination. En effet, l'article 14 de la CESDH, qui prohibe toute discrimination, ne peut être invoqué en tant que tel, il faut que cette discrimination porte sur un droit ou une liberté dont la garantie est mentionnée dans la CESDH.
Le GFA considère que l'instruction de 1954 qui reprend la loi instaure une discrimination en imposant le même régime fiscal à tous les propriétaires fonciers sans distinguer entre les charges différentes qui pèsent sur eux. Le fait que les charges liées aux ASA ne soient pas prises en compte a pour effet de ne pas distinguer des contribuables qui sont dans des situations différentes. Or, cette absence de différence de traitement ne trouve pas de justification et est donc constitutive d'une discrimination au sens des dispositions de la CESDH.
L'argument du demandeur n'est pas accueilli par la Haute juridiction administrative qui se fonde sur la qualité de l'assiette de la TFPNB. En effet, cette imposition ne porte pas sur les revenus nets fonciers que le contribuable tire de la propriété de biens non bâtis mais elle résulte de la détention de ces biens. On peut se souvenir qu'à partir de l'instauration de l'impôt sur le revenu par la loi du 31 juillet 1917, les contributions foncières ont fait partie deux systèmes différents "le système d'Etat d'impôts sur le revenu, d'une part, et, le mécanisme des anciennes contributions locales, d'autre part" (27). Cependant, à partir de 1949, les contributions foncières ne subsistèrent que comme impôts locaux (28). Ainsi, il apparaît que les contributions foncières dont sont issues les taxes foncières actuelles sont détachées de toute relation à la notion de revenu. L'absence de distinction entre les propriétaires, qu'ils soient ou non membres d'une ASA, est fondée au regard de l'assiette de cette imposition qui ne fait référence qu'à la détention de la propriété. La différence induite par l'appartenance ou non à ce type d'entité et les charges qui en découlent n'est donc pas pertinente au regard de l'assiette de la TFPNB qui ne porte pas sur les revenus tirés de la propriété mais sur la propriété elle-même.
(1) Cette méthode d'appréciation directe est établie à partir de la valeur vénale de l'immeuble.
(2) Vincent Daumas, Valeurs locatives foncières : le mécano jurisprudentiel, RJF, 8-9/09, pp. 634-640, p. 637.
(3) Vincent Daumas, Valeurs locatives foncières : le mécano jurisprudentiel, op. cit., p. 637.
(4) Cf. B
(5) Olivier Fouquet, Taxes foncières : terra incognita ?, Revue administrative, 2007, n° 355, p. 42.
(6) Vincent Daumas, Valeurs locatives foncières : le mécano jurisprudentiel, op. cit., p. 639.
(7) TA Lyon, 30 juin 1997, 92-3941, DF, 1998, n° 13, comm. 244.
(8) TA Versailles, 3 juillet 2007, n° 05-43621, RJF, 3/08, n° 321.
(9) Pour une critique de cette politique jurisprudentielle : Yohann Bénard, Valeur locative des locaux commerciaux : les limites du système, RJF, 2/07, pp. 95-104.
(10) CCI de Nîmes, Bagnols, Uzès, Le Vigan.
(11) CGCT, art. L. 1321-1.
(12) Par exemple : CE 9° et 10° s-s-r., 12 janvier 2005, n° 250135, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A0956D3S), concl. Laurent Olléon, DF, 2005, n° 22, comm. 445
(13) Par exemple : CE 9° et 10° s-s-r., 20 juin 2006, n° 266796, publié aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9768DPH), concl. Stéphane Verclytte, DF, 2007, n° 4, comm. 75.
(14) Jean Massot, Olivier Fouquet, Jacques-Henri Stahl et Martin Guyomar, Le Conseil d'Etat, juge de cassation, 5ème édition, 2001, Berger-Levrault, col. L'administration nouvelle, 335 pages, p. 235-236.
(15) Les associations syndicales de propriétaires ont été créées par la loi du 21 juin 1865, elles sont soumises actuellement à l'ordonnance n° 2004-632 du 1er juillet 2004, relative aux associations syndicales de propriétaires (N° Lexbase : L7393D7X) et du décret n° 2006-504 du 3 mai 2006 portant application de l'ordonnance précitée (N° Lexbase : L5191HI4).
(16) CE Sect., 28 juillet 1993, n° 46886, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0474ANU), DF, 1993, n° 52, comm. 519
(17) Loi n° 2000-321, article modifié par la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011, art. 16-1 : "l'autorité compétente est tenue, d'office ou à la demande d'une personne intéressée, d'abroger expressément tout règlement illégal ou sans objet, que cette situation existe depuis la publication du règlement ou qu'elle résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date".
(18) CE 8° et 3° s-s-r., 30 mai 2012, n° 355287, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5449IMR).
(19) Cette valeur législative ressort du I de l'article 1509, selon lequel "la valeur locative des propriétés non bâties en raison du revenu de ces propriétés résulte des tarifs fixés [...] conformément aux règles tracées par l'instruction ministérielle du 31 décembre 1908".
(20) Thierry Lambert, Chapitre 2 - La taxe foncière sur les propriétés non bâties, Encyclopédie des collectivités locales, Dalloz, mise à jour 2011, 34 pages, p. 3, § 1.
(21) Cette loi a transformé la contribution foncière d'impôt de répartition en impôt de quotité. Jacques Neurisse, Histoire de l'impôt, PUF, Que sais-je ?, n° 651, 1978, 127 pages, p. 116.
(22) Ces opérations ont été réalisées entre 1908 et 1912 et leurs résultats intégrés dans les rôles de 1915.
(23) Pour un intérêt historique, on peut consulter le Bulletin de la société d'économie politique compte-rendu de la réunion du 5 janvier 1911, p. 1 à 15.
(24) CE Ass., 12 avril 2002, n° 239693, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6303AY4), DF, 2002, n° 25, comm. 555, Concl. François Seners, note Bernard Boutemy et Eric Meier.
(25) CE 9° et 10° s-s-r., 10 août 2005, n° 259741, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3775DKZ), RJF, 2005, n° 1305 ; Concl. Laurent Vallée, BDCF, 11/2005, n° 141 ; CE 8° et 3° s-s-r., 10 février 2006, n° 270255, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8318DMZ), RJF, 2006, n° 601, DF, 2007, n° 11, comm. 289, concl. Pierre Collin.
(26) Jean Lamarque, Olivier Négrin et Ludovic Ayrault, Droit fiscal général, Litec, 2ème édition, 2011, p. 196.
(27) Thierry Lambert, Chapitre 2 - La taxe foncière sur les propriétés non bâties, op. cit., p. 3, § 3.
(28) Thierry Lambert, Chapitre 2 - La taxe foncière sur les propriétés non bâties, op. cit., p. 4, § 4.
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